Critiques pour l'événement L'effort d'être spectateur
8 nov. 2019
9/10
6
Pierre Notte, sympathique et souriant accueille son public avec chaleur. Il aide à l’installation, serre deux ou trois mains et attend sagement que tout le monde soit prêt. Il interroge ensuite : « Est-ce que vous êtes là volontairement ? Est-ce que tout le monde sait ce qu’il vient voir ? ». Puis il précise : nous allons assister à une conférence et d’ailleurs il a fait son travail de recherche auprès de quelques auteurs et philosophes : Deleuze, Lagarce, Kaplan, Koltès, Cormann, Pommerat… la liste est longue.

Commence alors un voyage captivant au sein de ses réflexions, une étude sociologique très personnelle et érudite sur le public. L’individu spectateur est étudié, décortiqué, trituré, analysé. Tout y est abordé : sa relation avec le spectacle qu’il vient voir, ses objectifs, ses droits, ses devoirs, ses besoins, ses attentes…

Dans cette étude théorique sur le théâtre, chacun a sa place, sa mission et ses responsabilités : les acteurs, les metteurs en scène, les responsables politiques, les critiques… et bien sûr le public, entité vivante et pensante, qui a son rôle à jouer, son effort à fournir.

Pour appuyer ses idées il emprunte les mots d’autres grands auteurs, vivants ou morts, qui se sont penchés sur le sujet mais il partage également avec nous ses propres pensées et les conclusions de son analyse sur la question. L’expérience pourrait paraitre pompeuse voire barbante mais le résultat est jouissif, très drôle et passionnant. Pour illustrer son propos Pierre Notte truffe son discours d’anecdotes et nous raconte ses propres expériences, ses réussites comme ses échecs avec humour, autodérision et sensibilité.

Le ton est léger, presque badin, mais en même temps le sujet est intelligent, complexe et très dense. C’est un seul en scène généreux dans lequel Pierre Notte est multiple : acteur, circassien, conférencier, critique… Il nous pousse, nous spectateur, dans nos retranchements, nous fait rire et réfléchir dans la même minute, et la concentration nécessaire pour le suivre nous laisse épuisé mais comblé.

Cette pièce pleine d’ironie qui interroge avec bienveillance et pertinence sur les pratiques artistiques et culturelles de manière à la fois détachée et engagée est fine, un brin élitiste (mais le public du Rond Point s’y reconnaitra) et stimulante.

Difficile de ne pas tomber sous le charme plein de malice et d’intelligence de ce brillant saltimbanque.
7 nov. 2019
9/10
34
« Hamlet, ça vous dit quelque chose ?
Shakespeare, ça va ? »
Voici en quels termes s'adresse à nous Pierre Notte !

Ca devait bien arriver un jour !
L'auteur-compositeur-metteur-en-scène-comédien, ex-animateur-journaliste-Secrétaire général de la Comédie Française devait bien un jour nous livrer sur un plateau ses écrits théoriques concernant le théâtre, dans une forme qui tient à la fois de la conférence, du one-man-show, de la performance, d'une rencontre avec son public.

Ses écrits, résultants de prises de paroles tenues ici et là, surtout là, viennent d'être rassemblées au éditions des Solitaires intempestifs, sous le titre qui a évidemment inspiré le titre éponyme du spectacle. Le tout formant son premier ouvrage théorique sur le sujet.
Ces textes , Pierre Notte les a adaptés pur la scène.

Après un petit prologue très drôle, hors plateau, et ce, afin de nous permettre d'être au clair (mais est-ce si certain, finalement ? ) sur ce que nous sommes venus faire dans la Salle Roland Topor du Rond-Point, il entre à la fois dans le vif du sujet et sur la scène-ring où l'attendent notamment un cerceau, un tabouret, un mélodica, un chapeau-claque, un harmonica, des escarpins à paillettes et à talons hauts.
Et surtout, deux gants de boxe rouge vif.

Nous est asséné un étonnant postulat ferme et définitif : un spectateur qui paye sa place au théâtre, est avant tout un homme ou une femme qui vient travailler.

Dans un premier temps, et de façon souvent hilarante, il va nous détailler une sociologie et une approche comportementaliste du spectateur.
Cette espèce d'humains, il la connaît bien.
Il sait de quoi il parle, il en a vus par milliers.

Et puis surtout, lui aussi est un spectateur impénitent.
La relation public-comédien, et réciproquement, il sait de quoi il parle
D'autant qu'il appelle à la rescousse nombre de collègues-auteurs, comme Lagarce, Badiou, Kaplan, Koltès ou encore Cormann ou Genet.
(Un runing-gag épatant pour situer le niveau est souvent réalisé avec le gant de boxe de la main droite.)

Un autre propos de cette heure et dix minutes est aussi d'aborder le travail de l'acteur, de l'auteur, du metteur en scène, des artistes, avec pour prisme cette prodigieuse rencontre dans une salle plus ou moins obscure (et les étranges rapports qui s'en suivent) avec un public.

Le propos de Pierre Notte est passionnant, très documenté, et se base donc sur sa propre fréquentation des théâtres subventionnés ou privés.

Devant nous, se tient une sorte de clown-sociologue pas triste du tout, à la fois très drôle, passionnant, pédagogue et ludique au possible.
On sent en permanence son plaisir, sa jubilation, sa joie de donner un tel spectacle.

Ses yeux bleus rieurs, pétillants, malins, jaugent en permanence la salle, et spécialement hier soir, deux des plus grands comédiens français présents dans la salle.

Oui, le rire va être le vecteur de beaucoup d'érudition (je pèse ce substantif ), de recul et de considérations sociologiques très pointues.
De grands moments vont émailler le spectacle comme par exemple le rapport entre Tchekhov et un révolver, la perception de la nudité sur une scène, les grandes catastrophes du répertoire classique exprimées en trois temps (c'est véritablement hilarant ), ou encore les adresses au public ou à un certain Finkielkraut, qui je pense, ne devrait pas se risquer à venir voir le spectacle...

Dans un final très physique, (on comprend alors l'utilité du cerceau), Pierre Notte nous livre un plaidoyer pour son besoin au théâtre de recevoir une histoire, de sentir la délicate et troublante relation entre la vérité, le faux et le mensonge, ainsi que sa volonté de voir jouer les comédiens avec leur trou du cul (je cite, et vous laisse découvrir...).

C'est un spectacle qui rappelle également que le théâtre est un vecteur essentiel du vivre ensemble, et que ce que l'on voit sur scène est pourvoyeur de ponts, de passerelles culturelles et citoyennes.

Il faut absolument aller applaudir la performance de Pierre Notte !
C'est un spectacle qui associe de façon épatante la forme et le fond.

Ah ! J'allais oublier !
Durant ces soixante-dix minutes, seront exprimés un certain nombre de calembours, n'est-ce pas Bernard Dort...), d'à-peu-près et autres jeux de mots revendiqués.

Afin de conclure ce papier, je vais personnellement me risquer à en émettre un, parce qu'après tout, il n'y a pas de raison :
Notte ? Je dis Yes !
1 nov. 2019
9,5/10
3
... Immanquable ! Vu à Avignon ! Un spectacle-conférence, une performance-conférence, une conférence spectaculaire, quelle est donc cette rencontre passionnante ? Quelle qu’elle soit, je la conseille vivement. Un grand moment.
2 oct. 2019
8,5/10
17
Pièce vue au au TNP Villeurbanne le 2 octobre 2019.

Pierre Notte est un artiste touche à tout : auteur, metteur en scène, acteur, romancier, chanteur et aussi journaliste, formateur et … spectateur de théâtre , et … conférencier pour l’occasion.
Ce saltimbanque a l’esprit malin et l’oeil farceur : un Scapin mâtiné du Baptiste des Enfants du Paradis.
Et de fait, c’est un homme audacieux qui s’aventure dans les contrées de la salle de théâtre pour témoigner de l’effort d’être spectateur. Il observe le rapport unique et exigeant entre les acteurs/le plateau et la salle/le public.
« Le spectateur lui aussi construit une oeuvre ». Il travaille à son œuvre. Il vient là pour ne plus voir la « réalité saturée » du cinéma et de la télévision. Il connaît les artifices du théâtre et s’en nourrit dans une sorte de communion avec les autres spectateurs. Et s’il se laisse aller à la somnolence, c’est déjà « une position presque critique » !
Mais ne vous y trompez pas ! Ce conférencier inclassable a l’art de nous manipuler gentiment et pour notre plus grand plaisir. Son humour parfois tendre, parfois féroce est à voir sans modération.
Pièce que je conseille vivement.