Critiques pour l'événement Entretiens d'embauche et autres demandes excessives
5 nov. 2019
8/10
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« Entretiens d’embauche et autres demandes excessives » de et mise en scène par Anne Bourgeois au théâtre Essaïon est un pamphlet sur ce monde cruel du recrutement.

Anne Bourgeois est comme un poisson dans l’eau dans ce monde de l’entreprise où elle est intervenante.
Ses observations ont porté ses fruits avec ce spectacle qu’elle a écrit pour sa complice de toujours Laurence Fabre.
Elle nous a concocté un vivier d’anecdotes plus vraies que nature, juste outrancières ce qu’il faut dans le trait, pour bien nous faire comprendre les inepties du système.

Anne Bourgeois place son axe de développement dans le monde cruel du chômage, de la recherche vitale d’un emploi dans cet univers où le travail est indispensable pour vivre, pour avoir sa place dans la société.
Un monde du recrutement que j’ai également vu récemment avec la pièce « La lutte des places » au Guichet Montparnasse, abordé différemment mais qui au fond a beaucoup de similitudes.
Ces recruteurs sont impitoyables, avec de tels comportements on peut se demander si un jour ils ont connu le chômage ?

Pour Anne Bourgeois, tout commence dans l’enfance, nous sommes accueillis par la voix d’une petite fille, celle toute mignonne de Margot Aira, qui nous fait oublier l’objet de notre présence.
Une petite fille qui doit répondre à la question de sa professeure des écoles, celle du métier qu’elle voudrait exercer à l’âge adulte. Avec une innocence réjouissante, s’ensuit un catalogue à la Prévert. Une question qui la poursuivra toute sa vie.

Puis nous entrons dans le vif du sujet avec cette femme qui doit se vendre pour accéder au monde du travail. Le chômage n’étant pas un avenir enviable, un avenir autorisé dans notre société.
L’axe du sujet aussi n’est pas anodin, il s’agit des pérégrinations d’une femme et non celles d’un homme. Dans une société machiste où l’on demande curieusement plus à une femme qu’à un homme, tout en la payant moins, elle doit beaucoup plus se justifier sur son parcours, sa carrière.
Une carrière où naturellement les enfants peuvent être un obstacle pour certains.
L’homme, cet énergumène malicieux, pour certains vicieux, sera représenté par une voix off, la belle voix de Fabrice Drouelle et ce n’est pas anodin. Une voix déstabilisante qui nous projettera dans un malaise voulu.

Nous allons suivre cette femme au cours de ses nombreux entretiens d’embauche, à différentes tranches d’âges, où continuellement elle devra se justifier sur ses défauts, ses atouts, ses qualités, et pourquoi tout simplement elle veut intégrer la société pour laquelle elle postule. Des questions qui pour certaines seront intrusives, humiliantes, jusqu’à rabaisser la personne.
Une quête qui s’apparente à celle du Graal, une quête existentialiste.
Une femme malmenée, qui au cours de ces entretiens perd ses repères, perd toute confiance en elle, jusqu’au fatal « burn out ».
Une femme happée par le système qui vous triture jusqu’à plus soif.
Une femme qui enfin en appelle à Dieu pour sortir de ce tourbillon du rejet, de l’indifférence.

Un texte finement réfléchi, qui met en évidence l’absurdité, la violence du monde du travail mais également celle de Pôle emploi…et c’est alors qu’apparaît le clown avec son magnifique costume et ses répliques à l’emporte pièces. Un texte avec ses rires à la clef.
Un texte d’autant plus d’actualité avec les nouvelles mesures prises par le gouvernement pour soi-disant enrayer le chômage. Certes certains profitent du système, ne nous voilons pas la face, tout le monde en connaît, mais sommes-nous obligés de subir tant de pressions pour simplement réintégrer le monde du travail où un accident de parcours nous en a mis à l’écart. Un accident dont nous ne sommes pas toujours responsables, qui nous place en position de victime.

J’ai découvert Laurence Fabre qui avec beaucoup de sincérité, de sobriété, de fragilité, incarne, donne vie, à ces femmes plus belles les unes que les autres dans leur recherche d’emploi.
Elle est aérienne, elle virevolte, elle papillonne de femmes en femmes avec élégance : elle est drôle dans un sujet grave.

Au fil de la musique de Jacques Cassard et les lumières de Laurent Béal, la mise en scène d’Anne Bourgeois ne s’encombre pas d’artifices, seuls quelques costumes de Corinne Pagé viendront mettre en avant tout le talent de son interprète qui se démène avec douceur dans cette arène qui pourrait être celle d’un cirque, avec sa chaise symbolique en axe central.

La petite fille aura le dernier mot, certainement celui de la sagesse.
Un seul en scène où l’émotion côtoie le rire, en toute simplicité, dans lequel Laurence Fabre triomphe depuis sa création en 2015.
24 sept. 2019
8/10
10
Ça sent le vécu !

Mené tambour battant, balayant une multitudes de situations avec une énergie débordante.
C'est parfois drôle, parfois émouvant, toujours juste.
Laurence Fabre n'hésite pas à se mettre à nu !

C'est totalement d'actualité.
30 mars 2017
8/10
58
Laurence Fabre nous relate les entretiens d'embauche qu'elle a subis, le mot n'est pas trop fort puisque plusieurs d'entre eux se sont accompagnés d'autres demandes excessives.

Il s'agit d'une fiction. Nous sommes au théâtre, mais Anne Bourgeois s'est inspirée de faits réels pour écrire la pièce.

Si vous appartenez à la fonction publique, qu'elle soit territoriale ou d'Etat je pense que ce spectacle sera une révélation puisque vous êtes exempté de ce type d'épreuves. Mais pour tous les autres qui cherchent, ont cherché et chercheront un emploi il est probable que les dialogues vont résonner à vous faire cogner le palpitant.
forme d'émotion dans l'écriture dans la façon de traiter un sujet par le théâtre.

Le seul terme de "demandeur d'emploi" est infantilisant. On pourrait considérer les choses du point de vue de l'employeur et parler de "demandeur d'employé", aller jusqu'à estimer que c'est celui qui recrute qui est en demande. Loin sont les temps bénis de "plein emploi" où les chasseurs de têtes dénichaient les talents. Je ne viens pas travailler chez vous à moins de ... suivait un nombre s'élevant à plusieurs centaines de KF (milliers de francs). La situation s'est inversée après le passage à l'euro (y-aurait-il une relation de cause à effet ?) et se dégrade de plus en plus. Demander du travail est devenu excessif.

Quand le personne qui en cherche est une femme c'est encore plus difficile à vivre. La comédienne incarne sur scène sept femmes qui sont confrontées, différemment, mais toujours d'une manière complexe, à ce rapport de forces qu'est l'entretien d'embauche.

Le parti pris de mise en scène consiste à faire assister le public à ce qu'on appelle des entretiens indirects. Le candidat est exposé à la vue du recruteur qui lui par contre est caché, donc protégé.

C'est en quelque sorte exactement la situation de tout comédien au théâtre, face à ce grand trou noir qu'est la salle. On se trouve donc doublement spectateur et c'est presque comme si la voix off (de Fabrice Drouelle, journaliste d'Affaires sensibles sur France Inter) qui interroge était la notre.

En ne voyant pas la personne à qui elle s'adresse, cette femme est encore plus fragile et démunie, se sentant jugée ... voire déjà condamnée. Pour peu qu'elle soit émotive elle ne pourra que déraper à un moment ou un autre.

Par exemple en faisant une "petite" crise de paranoïa : ah c'est ça vous avez la testostérone qui vous monte aux papilles (accent à la Madeleine Proust), c'est bon d'écraser la gueule à la demandeuse d'emploi avec sa tronche de souffre-douleur pour macho impuissant !

Après la vindicative on voit arriver la modeste : Je veux pas prendre le boulot d'un autre, juste un travail qui ne fasse du mal à personne.

Au fil des entretiens se dessine un portrait de femme à fleur de peau dans laquelle chacun peut se reconnaitre ... pour peu qu'il ait vécu ce genre de situation comme je l'écrivais dans les premières lignes.

Laurence Fabre est époustouflante, capable de changer complètement de personnalité entre deux tableaux, en accordant les mimiques, le phrasé et la position du corps au tempérament des personnages. Elle est sans doute aidée par les costumes, presque un par situation, mais son talent est bien réel. Elle avait un pied dans le plâtre le soir où je l'ai vue et elle a largement mérité les chaleureux applaudissement d'une salle totalement sous le charme.

La force du spectacle est de nous présenter une galerie de personnages, des demandeuses certes, beaucoup bien sur, mais aussi Solange, la conseillère de Pôle Emploi. Et d'avoir ciselé les dialogues en les assaisonnant d'humour sous de multiples formes, grinçant, exagéré, léger, décalé, et même grossier : vous savez ce que je lui dis au monde de l'entreprise, et encore je suis gentille ... Ta gueule !

Le jargon anglais n'est pas épargné. On cherche un poste d'executive advisor pour une profit business. On affiche une mentalité de winneuse en se montrant "on-on-on". L'enchainement des dead-lines fait redouter le burn-out à force. On a recours à un coach pour devenir un pro de l'entretien ... parce que finalement chercher un emploi c'est presque un job à temps plein.

La situation peut devenir schizophrénique. Il faut être dynamique mais pas hystérique. Témoigner d'une forte compétence mais pas supérieure à celle du recruteur. Entre le trop et le pas assez on a du mal à déceler où se trouve le juste milieu, si bien qu'à la fin, à force de s'entrainer à casser la vitre en criant on me veut, on se prendra le pare-brise.

Je ne sais pas si une soirée au Dejazet vous fera gagner un emploi mais on en ressort avec la pêche et c'est bien.
19 mars 2017
8/10
53
Dernièrement, je me suis rendue dans le charmant et réputé Théâtre Dejazet, pour y découvrir la pièce "Entretiens d'embauches et autres demandes excessives". Je ne savais pas trop à quoi m'attendre et ce fut une très bonne surprise ! Mon verdict en sortant de la salle : un mélange entre seul-en-scène et comédie au texte intelligent et drôle, qui nous touche forcément, de près ou de loin.

Comme son nom l'indique, le spectacle aborde la thématique de l'emploi, et plus particulièrement des entretiens d'embauche. Face à des recruteurs potentiels et un conseiller Pôle Emploi, la comédienne, en passant par diverses émotions, se met en conditions d'une demandeuse d'emploi naïve, touchante, pleine d'espoir et de doutes. On assiste alors, sous la forme d'une comédie, à un florilège de situations diverses et variées sur le sujet, ainsi qu'à plusieurs réflexions personnelles sur le monde du travail.

Astucieusement mise en scène par Anne Bourgeois, la comédienne Laurence Fabre transcrit à la perfection, par le théâtre, chaque situation. On se reconnaît forcément à un moment ou à un autre. C'est fin, c'est drôle mais pas que, puisque ce spectacle, dont on ressort touchés, pousse également à la réflexion sur la quête et l'importance du travail dans la vie.

En bref, pourquoi il faut y aller : parce qu'il s'agit là d'un spectacle plus que jamais d'actualité, inventif et tourné avec humour. Seule sur scène (et même blessée pour la représentation à laquelle j'ai assisté), la comédienne nous présente une très belle performance avec cette petite pépite théâtrale à ne pas manquer !
5 mars 2017
8,5/10
76
Une série de tableaux drôles et réussis, aux saveurs douces amères où le rire nous échappe pour de pas grincer des dents par ce que le texte nous renvoie d’horrifiant dans la réalité du monde du travail.

Qu’il s’agisse de souvenirs, d’écoutes ou d’observations, nous avons tous été ou sommes encore confrontés dans notre histoire vie à ce que peut représenter, peu ou prou, les souffrances au travail. Et ce, dès les entretiens d’embauche.

Le texte d’Anne Bourgeois présente adroitement une palette de registres. Chaque tableau nous permet de nous confronter aux enjeux émotionnels véhiculés par des entretiens d’embauche différents, accompagnés volontairement ou involontairement d’autres demandes plus profondes et personnelles. Et nous sommes servis : Entre pertes de la confiance en soi et du sentiment de dignité, de l’estime de soi et de sa capacité à réussir jusqu’à la rupture de son self contrôle, le découragement et la révolte, tout y passe !

Stress négatif, soumission à la conformité attendue, jeux identitaires où se troublent le « moi » avec le « soi », l’espace privé avec l’espace public, le devenir professionnel avec le désir personnel… Combien d’efforts, d’abnégations et de renoncements faut-il faire pour répondre à la demande socio-professionnelle, s'y conformer, s'y soumettre pour exister encore ?

Tenter de séduire sans plaisir des interlocuteurs par nécessité de leur plaire ; s’abandonner avec sincérité à l’espoir d’être choisi non pas pour ce qu’on est mais pour ce que l’on vaut ; fusionner la promesse d’un travail avec la promesse d’un avenir meilleur, d’un accès au bonheur… Est-ce ainsi que les gens vivent ? Que l’humanité doit être dans les relations sociales ?

Le spectacle ne sombre pas, heureusement, dans une sorte de litanie de plaintes vaines de supplices vécus. Au contraire !...

La mise en scène de l’auteure est alerte et enjouée, cherchant à montrer sans démontrer, laissant la place à l’ironie et au caustique pour cheminer et nous toucher de leurs effets.

Pêchue et convaincante, la comédienne Laurence Fabre nous emporte dans ces tableaux dévastateurs et rieurs. Elle joue tous les personnages avec malice et brio, nous fait sourire et rire (plutôt jaune) des aléas, des tourmentes et des affres des entretiens d’embauche. Elle sait égratigner avec espièglerie ou puissance de feu, à chaque fois que c’est possible, les recruteurs abusant de leur pouvoir ou jouant avec leurs victimes comme des chats (qu’il faudrait castrer), avec leur balle.

Un spectacle sympathiquement drôle, qui nous fait réfléchir aux relations humaines dans le monde du travail et plus largement…
18 févr. 2017
8,5/10
88
C'est l'histoire d'une femme qui a demandé toute sa vie.
Demandé du travail.

Parce que dans nos sociétés malades, non seulement il faut travailler (comme disait l'autre, ce n'est pas très bon de travailler, la preuve, ça fatigue...), mais bien souvent, il faut le demander, le quémander, l'implorer, ce travail.

Et qui dit « demander » dit à l'autre bout de la chaîne « donner » du travail...

Celui qui donne ce travail, celui qui le distille à petites gouttes dans la perfusion sociale afin de maintenir le malade dans un état de suffisante dépendance, celui qui va le brandir comme un su-sucre devant le nez du chien pour qu'il fasse le beau, c'est le recruteur, le chasseur de têtes, le DRH !

Entre ces deux-là, le demandeur (ici en l'occurence une demandeuse) et le pourvoyeur, le dealer, il y a la représente du pôle le plus important après ceux du Nord et du Sud : le pôle emploi !

Voici plantés en quelques traits les personnages principaux de ce seul en scène, de cette satire grinçante.

C'est Laurence Fabre qui interprète cette femme qui non seulement cherche du boulot, mais qui chercher surtout à être respectée, aimée, désirée : en un mot comme en cent, qui cherche à exister.

Anne Bourgeois, a non seulement mis en scène ce texte, mais elle l'a écrit !
Un texte concernant un sujet qui lui tient à cœur.
C'est évident.
On ne se lance pas dans une telle entreprise sans être vraiment interpellée par le sujet !

Elle a découpé ce spectacle en plusieurs tableaux, le premier se déroulant... à l'école.
La comédienne apparaît en écolière qui va passer son premier entretien d'embauche en répondant à la fatidique question « Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? »

Puis s'enchaînent des situations tragi-comiques.
A chaque fois, le chasseur de tête est interprétée par une voix off.
Une voix pas du tout anonyme, puisqu'il s'agit de celle de Fabrice Drouelle.

Oui, l'on rit. Evidemment on rit.
Mais c'est un rire qui dissimule souvent notre gêne et notre malaise.

Car ces situations, on les a tous connues.
On a tous entendu ces questions indiscrètes, débiles, humiliantes, on a tous côtoyé cette volonté de rabaisser celui qui se retrouve en situation d'infériorité.

Melle Fabre est épatante. Malgré une sévère entorse, elle déménage !
Elle nous fait croire parfaitement à ses personnages de femmes bien souvent abimées par la vie, pour reprendre un terme à la mode.

Elle m'a fait penser parfois à la grande Sylvie Joly, par son port altier, ses expressions et la drôlerie parfois tragique qu'elle sait nous faire passer.

Ce duo Bourgeois-Fabre fonctionne à la perfection. 
Les deux se sont emparées d'un vrai sujet de société, qui, curieusement a été très peu traité aussi en profondeur au théâtre à part la pièce « La demande d'emploi » de Michel Vinaver.

On passe l'un de ces très bons moments qui vous font prendre pleinement conscience de ces absurdités du monde dans lequel on vit.