Ses critiques
1005 critiques
8,5/10
Allons enfants de la fratrie,
Le jour de r'voir est arrivé…
Revoir son enfance, celle-la même dont nul ne guérit, chantait naguère Jean Ferrat.
Philippe Minyana a écrit sa recherche du temps perdu, retrouvé et à venir.
Un temps dans lequel vont se côtoyer l’imparfait, le futur antérieur et le présent. Et juste ce qu’il faut de futur.
Ou quand l’auteur écrit spécialement pour le metteur en scène-comédien.
Philippe Minyana et Laurent Charpentier se connaissent bien, pour avoir commencé à travailler ensemble dès 2007.
Le premier a déjà écrit pour le second, notamment pour le seul en scène J’ai remonté la rue et j’ai croisé des fantômes, mise en scène par Monica Espina.
Cette fois-ci, Laurent Charpentier a « passé commande » à l’auteur, de façon à pouvoir jouer avec Pierre Moure. Minyana a répondu positivement, tout en proposant qu’un troisième personnage soit de la partie, en l’occurrence interprété par Pauline Lorillard.
Deux ados, Igor 14 ans, Aïda, 13 ans et un enfant, Paul, 9 ans, assis sur un muret, dans une courette.
Deux frères et une sœur.
Ils regardent une fenêtre du premier étage de la maison familiale. La fermeture de cette fenêtre signifiera la mort de leur père.
Voici le début du spectacle.
Nous comprenons très vite que ces trois personnages vont nous confronter à ce qui constitue l’auteur. Son essence même.
Ses souvenirs d’enfance, le parfum de ces souvenirs, les faits qui se sont déroulés et qui l’ont marqué, dans cette maison familiale, durant les années 80 dans l’Est de la France.
Au fond, nous pourrions écrire l’égalité mathématique suivante, avec ces quatre variables plus ou moins inconnues : Igor + Aïda + Paul = Philippe.
Assis sur leur muret, les trois vont évoquer avant tout la famille !
Et quelle famille ! De celles que l’on ne choisit pas, de celles que l’on subit.
Une grand-mère qui fait des bruits de bouche, un père boucher sous l’influence d’une épouse et mère pharmacienne. Et quelle mère ! De celles que l’on n’a pas forcément envie de connaître…
Ces enfants vont faire preuve d’une lucidité certaine. Ils vont raconter ce qu’ils ont déjà vécu, et leur vie actuelle.
Et nous de côtoyer entre autres Fanfan, la tante Adeline, l’autre tante Emeline qui n’a aucun goût, Sylvain Groscaillou, Henri la fois navigateur et connard, un couple d'instits, ou encore Le petit Kévin unijambiste.
Et puis ils vont se projeter dans le futur, dans un avenir fantasmé et rêvé.
On connaît l’écriture de Philippe Minyana, précise, la fois puissante et évocatrice au possible, faite de formules dont il a le secret, formules qui provoquent les sourires et rires du public.
Ici, dans cette pièce intime, intimiste et d’une certaine manière nostalgique, au sens premier du terme, s’invite une certaine forme de poésie. De celle que l’on pouvait trouver dans Les 400 coups, ou L’argent de poche, de Truffaut.
Ici, le monde de l’enfance est particulièrement bien saisi, et surtout retranscrit. Pas de mièvrerie, pas de pathos de mauvais aloi, bien au contraire.
Une vérité émane de ce texte, que le comédiens vont se faire un plaisir de nous délivrer.
Le metteur en scène est Igor. Aïda est interprétée par Pauline Lorillard, et Pierre Moure joue donc le rôle de Paul, le cadet.
Le caractère intimiste évoqué plus haut est matérialisé par un judicieux parti-pris : les trois vont évoluer dans un premier temps dans un espace fait de caisses en bois, de celles que l’on pourrait trouver dans un grenier, remplies de souvenirs ou de fringues au rebut, avec des lampes de chevet ou des lampadaires qu’ils allumeront tour tour.
Au dessus d’eux, un dispositif scénique évoque la maison, la terrasse, l’extérieur…
C’est très malin, je n’en dis pas plus pour vous laisser la surprise.
Sur ce plateau « mouvant », les caisses et les lampes sont faites pour être déplacées, les comédiens nous la disent, cette vérité réelle ou cette vérité arrangée par leurs soins.
Laurent Charpentier nous fait rire, avec ses tirades définitives, de celles qui ne souffrent aucune contestation, avec sa façon pour son personnage de se comporter en « frater familias », celui qui pense détenir la vérité ultime.
Les deux autres comédiens sont eux aussi parfaits.
Il est à noter en ce lendemain de la journée internationale des droits des femmes, que c’est Melle Lorillard qui se colle à la cuisine et à l’aspirateur...
De grands moments nous attendent, comme ce pique-nique dans les bois, où la bière coule à flots, ou encore cette nuit de camping.
Mais vous savez ce que c’est… Les enfants grandissent, et deviennent adultes puis vieillards…
Ce sera alors le temps de l’analyse, du retour sur soi, le moment de faire le bilan.
Là encore, je vous laisse découvrir par vous mêmes.
Il me faut mentionner les très belles et fort délicates lumières de Faïs Foulc, qui elles aussi participent pleinement à la réussite de cette entreprise artistique.
C’est donc un bien beau moment de théâtre qui vous attend au Théâtre de la ville (Espace Cardin), de ceux qui nous forcent vous aussi à effectuer ce retour en arrière, cette introspection vers ce monde commun à tous : l’enfance.
Soyez rassuré, M. Minyana. Je pourrais dire : « J’y étais » !
Le jour de r'voir est arrivé…
Revoir son enfance, celle-la même dont nul ne guérit, chantait naguère Jean Ferrat.
Philippe Minyana a écrit sa recherche du temps perdu, retrouvé et à venir.
Un temps dans lequel vont se côtoyer l’imparfait, le futur antérieur et le présent. Et juste ce qu’il faut de futur.
Ou quand l’auteur écrit spécialement pour le metteur en scène-comédien.
Philippe Minyana et Laurent Charpentier se connaissent bien, pour avoir commencé à travailler ensemble dès 2007.
Le premier a déjà écrit pour le second, notamment pour le seul en scène J’ai remonté la rue et j’ai croisé des fantômes, mise en scène par Monica Espina.
Cette fois-ci, Laurent Charpentier a « passé commande » à l’auteur, de façon à pouvoir jouer avec Pierre Moure. Minyana a répondu positivement, tout en proposant qu’un troisième personnage soit de la partie, en l’occurrence interprété par Pauline Lorillard.
Deux ados, Igor 14 ans, Aïda, 13 ans et un enfant, Paul, 9 ans, assis sur un muret, dans une courette.
Deux frères et une sœur.
Ils regardent une fenêtre du premier étage de la maison familiale. La fermeture de cette fenêtre signifiera la mort de leur père.
Voici le début du spectacle.
Nous comprenons très vite que ces trois personnages vont nous confronter à ce qui constitue l’auteur. Son essence même.
Ses souvenirs d’enfance, le parfum de ces souvenirs, les faits qui se sont déroulés et qui l’ont marqué, dans cette maison familiale, durant les années 80 dans l’Est de la France.
Au fond, nous pourrions écrire l’égalité mathématique suivante, avec ces quatre variables plus ou moins inconnues : Igor + Aïda + Paul = Philippe.
Assis sur leur muret, les trois vont évoquer avant tout la famille !
Et quelle famille ! De celles que l’on ne choisit pas, de celles que l’on subit.
Une grand-mère qui fait des bruits de bouche, un père boucher sous l’influence d’une épouse et mère pharmacienne. Et quelle mère ! De celles que l’on n’a pas forcément envie de connaître…
Ces enfants vont faire preuve d’une lucidité certaine. Ils vont raconter ce qu’ils ont déjà vécu, et leur vie actuelle.
Et nous de côtoyer entre autres Fanfan, la tante Adeline, l’autre tante Emeline qui n’a aucun goût, Sylvain Groscaillou, Henri la fois navigateur et connard, un couple d'instits, ou encore Le petit Kévin unijambiste.
Et puis ils vont se projeter dans le futur, dans un avenir fantasmé et rêvé.
On connaît l’écriture de Philippe Minyana, précise, la fois puissante et évocatrice au possible, faite de formules dont il a le secret, formules qui provoquent les sourires et rires du public.
Ici, dans cette pièce intime, intimiste et d’une certaine manière nostalgique, au sens premier du terme, s’invite une certaine forme de poésie. De celle que l’on pouvait trouver dans Les 400 coups, ou L’argent de poche, de Truffaut.
Ici, le monde de l’enfance est particulièrement bien saisi, et surtout retranscrit. Pas de mièvrerie, pas de pathos de mauvais aloi, bien au contraire.
Une vérité émane de ce texte, que le comédiens vont se faire un plaisir de nous délivrer.
Le metteur en scène est Igor. Aïda est interprétée par Pauline Lorillard, et Pierre Moure joue donc le rôle de Paul, le cadet.
Le caractère intimiste évoqué plus haut est matérialisé par un judicieux parti-pris : les trois vont évoluer dans un premier temps dans un espace fait de caisses en bois, de celles que l’on pourrait trouver dans un grenier, remplies de souvenirs ou de fringues au rebut, avec des lampes de chevet ou des lampadaires qu’ils allumeront tour tour.
Au dessus d’eux, un dispositif scénique évoque la maison, la terrasse, l’extérieur…
C’est très malin, je n’en dis pas plus pour vous laisser la surprise.
Sur ce plateau « mouvant », les caisses et les lampes sont faites pour être déplacées, les comédiens nous la disent, cette vérité réelle ou cette vérité arrangée par leurs soins.
Laurent Charpentier nous fait rire, avec ses tirades définitives, de celles qui ne souffrent aucune contestation, avec sa façon pour son personnage de se comporter en « frater familias », celui qui pense détenir la vérité ultime.
Les deux autres comédiens sont eux aussi parfaits.
Il est à noter en ce lendemain de la journée internationale des droits des femmes, que c’est Melle Lorillard qui se colle à la cuisine et à l’aspirateur...
De grands moments nous attendent, comme ce pique-nique dans les bois, où la bière coule à flots, ou encore cette nuit de camping.
Mais vous savez ce que c’est… Les enfants grandissent, et deviennent adultes puis vieillards…
Ce sera alors le temps de l’analyse, du retour sur soi, le moment de faire le bilan.
Là encore, je vous laisse découvrir par vous mêmes.
Il me faut mentionner les très belles et fort délicates lumières de Faïs Foulc, qui elles aussi participent pleinement à la réussite de cette entreprise artistique.
C’est donc un bien beau moment de théâtre qui vous attend au Théâtre de la ville (Espace Cardin), de ceux qui nous forcent vous aussi à effectuer ce retour en arrière, cette introspection vers ce monde commun à tous : l’enfance.
Soyez rassuré, M. Minyana. Je pourrais dire : « J’y étais » !
9,5/10
Dix personnages en quête de changement.
Serait-ce maintenant, le changement, comme disait qui vous savez, avec le résultat que l’on connaît ?
Changer…
Le verbe phare qui sous-tend tout le travail de Christiane Jatahy : comment changer, comment nous changer, comment changer une histoire et peut-être et surtout comment changer le monde dans lequel nous vivons…
C’est en tout cas ce que se proposent d’expérimenter ces gens qui nous attendent sur le plateau.
Des hommes, des femmes, sous la houlette de Tom, qui s’adresse à nous.
Il a un projet, Tom : montrer à nous autres, qui sommes devant lui, que ses camarades et lui-même vont pouvoir proposer une autre fin au film Dogville, de Lars von Trier.
Une démarche que n’aurait pas reniée Pirandello...
Au fond, avec ce nouvel opus, la dramaturge brésilienne a entrepris et réussi une méta-création, à partir de cette œuvre du septième art, que, je le confesse sans autre forme de procès, je n’ai jamais vu. (Et c’est peut-être tant mieux ainsi, pour cet exercice de critique.)
Celle qui a déjà travaillé notamment à partir de Tchékhov, Homère, Jean Renoir, Strindberg, Shakespeare, continue d’approfondir les relations entre théâtre et cinéma, et sans doute réciproquement.
Elle a transposé ici de nos jours le contexte américain des années 30 du film, en examinant la situation politique de son pays d’origine, le Brésil.
Les Brésiliens, après avoir connu une dictature militaire de trente-six ans puis une période démocratique, sont en train de rejouer la même partition, à savoir retomber dans une période fascisante, avec l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.
Comment tout ceci a-t-il été rendu possible, la montée des extrême-droites (suivez mon regard) malgré toute notre connaissance du passé, tout ceci est-il inéluctable ?
N’y a-t-il pas moyen de s’affranchir de ce passé afin de rendre le présent et surtout le futur acceptables ?
Changer…
Ces neuf personnes sur le plateau formant une communauté apparemment soudée, et après s’être toutes présentées, vont donc se livrer à une expérience concernant l’acceptation.
Celle d’une étrangère au groupe, en provenance du Brésil, recherchée et poursuivie par une milice locale. Elle cherche asile et protection.
Elle est déjà installée dans les travées du public. Elle, c’est Graça, interprétée par la comédienne alter-ego de Christiane Jatahy, Julia Bernat.
Le spectacle comportera trois grandes parties.
Dans la première, tous vont s’empresser de l’accueillir bras ouverts, pétris de bonnes intentions et de bons sentiments.
Pourtant, un malaise sourd règne. D’ailleurs, l’un des personnages ne lit-il pas Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, dans lequel un type ordinaire devenu un véritable bourreau nazi raconte de l’intérieur les horreurs générées par le fascisme ?
La fin de cette première partie est matérialisée par une véritable cène, tout près des spectateurs.
Un repas sacrificiel, dans lequel le sort de Graça sera scellé.
Un message arrive en effet sur un téléphone portable, révélant sa supposée implication dans un tragique événement dans le pays qu’elle a fui.
Fake news ? Un autre thème cher Melle Jatahy résonne fortement : la frontière entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. La vérité et le mensonge.
A partir de cette pseudo-révélation, c’est la descente aux enfers.
Adieu bons sentiments, adieu fraternité.
L’acception cède la place au rejet. L’Autre est vécu comme un étranger, une menace, un danger.
Graça devient purement et simplement une esclave de la communauté, et subit ce qu’aucune femme ne devrait subir.
L’expérience sur le changement a fait long feu…
CQFD. Hélas...
En guise d’épilogue, Graça-Christiane-Julia viendra devant nous, et nous dira de façon bouleversante, en brésilien, la situation mortifère de son pays en particulier, pour en tirer une généralité et des interrogations douloureuses.
En ce qui concerne la forme, une nouvelle fois, Christiane démontre sa virtuosité à mélanger théâtre et images filmées, restituées sur un grand écran au lointain..
Des images filmées en direct par les comédiens eux-mêmes ou préenregistrées.
Et surtout, des images montées.
Le montage a ici une énorme importance. L’un des personnages dispose d’ailleurs d’un banc de montage côté cour, avec lequel il peut mixer toutes les sources video à sa disposition.
Un méticuleux travail d’orfèvre a été réalisé en amont, et il est parfois difficile de se rendre compte si ce que nous voyons sur l’écran est la réalité du plateau ou si l’on regarde une séquence déjà filmée. Les premiers mélanges et mixages sont très troublants.
Mais où est la caméra, mais d’où sortent ces personnages qui ne sont pas sur le plateau ?
La frontière. Encore et toujours.
Une véritable chorégraphie est mise en œuvre pour que tous les plans et les scènes soient raccord, pour que les différents angles et rythmes soient respectés.
C’est véritablement un magnifique travail.
La petite troupe, emmenée par Julia Bernat, Philippe Duclos et Matthieu Sampeur, sera très applaudie lors des saluts.
Des applaudissements qui évidemment saluent également le beau travail de Christiane Jatahy.
Je vous conseille vivement ce spectacle qui mêle de façon épatante théâtre, cinéma et vidéo, au service d’une implacable et féroce démonstration.
Serait-ce maintenant, le changement, comme disait qui vous savez, avec le résultat que l’on connaît ?
Changer…
Le verbe phare qui sous-tend tout le travail de Christiane Jatahy : comment changer, comment nous changer, comment changer une histoire et peut-être et surtout comment changer le monde dans lequel nous vivons…
C’est en tout cas ce que se proposent d’expérimenter ces gens qui nous attendent sur le plateau.
Des hommes, des femmes, sous la houlette de Tom, qui s’adresse à nous.
Il a un projet, Tom : montrer à nous autres, qui sommes devant lui, que ses camarades et lui-même vont pouvoir proposer une autre fin au film Dogville, de Lars von Trier.
Une démarche que n’aurait pas reniée Pirandello...
Au fond, avec ce nouvel opus, la dramaturge brésilienne a entrepris et réussi une méta-création, à partir de cette œuvre du septième art, que, je le confesse sans autre forme de procès, je n’ai jamais vu. (Et c’est peut-être tant mieux ainsi, pour cet exercice de critique.)
Celle qui a déjà travaillé notamment à partir de Tchékhov, Homère, Jean Renoir, Strindberg, Shakespeare, continue d’approfondir les relations entre théâtre et cinéma, et sans doute réciproquement.
Elle a transposé ici de nos jours le contexte américain des années 30 du film, en examinant la situation politique de son pays d’origine, le Brésil.
Les Brésiliens, après avoir connu une dictature militaire de trente-six ans puis une période démocratique, sont en train de rejouer la même partition, à savoir retomber dans une période fascisante, avec l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.
Comment tout ceci a-t-il été rendu possible, la montée des extrême-droites (suivez mon regard) malgré toute notre connaissance du passé, tout ceci est-il inéluctable ?
N’y a-t-il pas moyen de s’affranchir de ce passé afin de rendre le présent et surtout le futur acceptables ?
Changer…
Ces neuf personnes sur le plateau formant une communauté apparemment soudée, et après s’être toutes présentées, vont donc se livrer à une expérience concernant l’acceptation.
Celle d’une étrangère au groupe, en provenance du Brésil, recherchée et poursuivie par une milice locale. Elle cherche asile et protection.
Elle est déjà installée dans les travées du public. Elle, c’est Graça, interprétée par la comédienne alter-ego de Christiane Jatahy, Julia Bernat.
Le spectacle comportera trois grandes parties.
Dans la première, tous vont s’empresser de l’accueillir bras ouverts, pétris de bonnes intentions et de bons sentiments.
Pourtant, un malaise sourd règne. D’ailleurs, l’un des personnages ne lit-il pas Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, dans lequel un type ordinaire devenu un véritable bourreau nazi raconte de l’intérieur les horreurs générées par le fascisme ?
La fin de cette première partie est matérialisée par une véritable cène, tout près des spectateurs.
Un repas sacrificiel, dans lequel le sort de Graça sera scellé.
Un message arrive en effet sur un téléphone portable, révélant sa supposée implication dans un tragique événement dans le pays qu’elle a fui.
Fake news ? Un autre thème cher Melle Jatahy résonne fortement : la frontière entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. La vérité et le mensonge.
A partir de cette pseudo-révélation, c’est la descente aux enfers.
Adieu bons sentiments, adieu fraternité.
L’acception cède la place au rejet. L’Autre est vécu comme un étranger, une menace, un danger.
Graça devient purement et simplement une esclave de la communauté, et subit ce qu’aucune femme ne devrait subir.
L’expérience sur le changement a fait long feu…
CQFD. Hélas...
En guise d’épilogue, Graça-Christiane-Julia viendra devant nous, et nous dira de façon bouleversante, en brésilien, la situation mortifère de son pays en particulier, pour en tirer une généralité et des interrogations douloureuses.
En ce qui concerne la forme, une nouvelle fois, Christiane démontre sa virtuosité à mélanger théâtre et images filmées, restituées sur un grand écran au lointain..
Des images filmées en direct par les comédiens eux-mêmes ou préenregistrées.
Et surtout, des images montées.
Le montage a ici une énorme importance. L’un des personnages dispose d’ailleurs d’un banc de montage côté cour, avec lequel il peut mixer toutes les sources video à sa disposition.
Un méticuleux travail d’orfèvre a été réalisé en amont, et il est parfois difficile de se rendre compte si ce que nous voyons sur l’écran est la réalité du plateau ou si l’on regarde une séquence déjà filmée. Les premiers mélanges et mixages sont très troublants.
Mais où est la caméra, mais d’où sortent ces personnages qui ne sont pas sur le plateau ?
La frontière. Encore et toujours.
Une véritable chorégraphie est mise en œuvre pour que tous les plans et les scènes soient raccord, pour que les différents angles et rythmes soient respectés.
C’est véritablement un magnifique travail.
La petite troupe, emmenée par Julia Bernat, Philippe Duclos et Matthieu Sampeur, sera très applaudie lors des saluts.
Des applaudissements qui évidemment saluent également le beau travail de Christiane Jatahy.
Je vous conseille vivement ce spectacle qui mêle de façon épatante théâtre, cinéma et vidéo, au service d’une implacable et féroce démonstration.
10/10
Ah Bal ! Ohé Ohé !
La grâce ! Un pur moment de grâce !
Ou quand trois compères aux cheveux poivre et sel plongent le public du Bal Blomet dans une véritable félicité.
L'un de ces moments qui font du bien, mais alors beaucoup de bien, en ces temps moroses…
C’est la première fois que Marc Berthoumieux jouait en tant que leader dans cette magnifique salle.
Certes, on l’avait déjà entendu ici même, mais c’était son « baptême du lieu » en tant que « patron » d’une formation.
Mais est-on vraiment « patron », lorsque pour sidemen, on a à ses côtés les magnifiques André Charlier et Benoît Sourisse ?
Trois copains, trois potes, trois frères en jazz, trois grands maîtres de leurs instruments respectifs.
Marc Berthoumieux à l’accordéon à la fois chromatique et numérique, André Charlier à la batterie, deux ou quatre baguettes (si si…) et Benoît Sourisse à l’orgue Hammond.
Trois musiciens qui allient une virtuosité de tous les instants à la plus grande des sensibilités.
Ce sont donc des compositions personnelles issues des six albums de l’autre grand nom français du piano à bretelles jazz (Richard Galliano étant l’autre), que nous allons découvrir dans cette configuration trio.
Il a fallu « refaçonner le répertoire », nous dira M. Berthoumieux.
Onze titres au total en comptant les rappels nous attendent.
Le set commence tout en délicatesse avec une magnifique introduction à l’accordéon solo pour Le bal du temple.
Les deux autres ne tardent pas à entrer en lice.
Ce qui frappe immédiatement, outre cette virtuosité (mais ça, ça fait un moment qu’on la connaît), c’est l’immense complicité qui les lie ainsi que le plaisir de jouer ensemble, le fait de s’amuser sur le plateau. Les trois vont beaucoup rire durant ces presque deux heures.
Complicité et complémentarité.
La rythmique est assurée évidemment par la batterie mais aussi par la main gauche de l’organiste, qui distille les fondamentales graves ou des walking-bass très inspirées.
Le son de l’orgue Hammond (la main droite se charge des lignes mélodiques, de l’accompagnement ou des incroyables solos), ce son se révèle être en totale osmose avec celui de l’accordéon.
Nous nous en rendrons compte notamment dans Le bal des mondes, dans lequel les deux musiciens se livreront un vertigineux chase, un somptueux dialogue musical.
Marc Berthoumieux démontre une nouvelle fois son immense talent d’instrumentiste, certes, mais surtout à mon sens, son art de composer des pièces très abouties, très précises harmoniquement parlant et toujours aussi passionnantes.
Une certaine «joyeuse nostalgie » émane de ces titres, qui évoquent des mondes proches ou lointains. Nous aurons droit une magnifique version du morceau très brésilien Victoria, ou encore un bouleversant hommage à Piazolla dans El Astor.)
L’accordéon permet parfaitement, même et peut-être surtout dans un registre jazz, de faire voyager un public ici et là. Des voyages à la fois géographiques et intérieurs.
Le dernier accord note de ce titre « très argentin » en Mi mineur, cette note bleue, ce Ré bémol procure beaucoup de délicieux frissons !
Dans cette pièce, El Astor, André Charlier aura droit à son premier solo.
Charlier ou la force tranquille, Charlier qui semble nous dire en permanence que jouer de la batterie est d’une facilité déconcertante.
Et pourtant, quelle technique, quelle propension à délivrer des rythmes et une pulsation de braise !
Nous nous en apercevrons dans le magnifique Ostinato, extrait de l’album Le bal des mondes.
Pour cet ostinato bourdonnant, Marc Berthoumieux utilise les ressources techniques contemporaines à sa disposition, à savoir déclencher un sample donnant cette impression que d’autre musiciens ont rejoint les trois artistes.
Nous retrouvons ainsi la spécificité de ce titre, tel qu’il est gravé sur l’album.
Nous serons invités à chanter le thème, ce dont nous ne nous priverons pas !
Voici une reprise ! Et quelle reprise !
Ce sera Have you heard, de Pat Metheny. Accordéon et guitare même combat.
Une salve d’applaudissements salue les premières notes.
Et puis une véritable surprise nous attend.
Ou comment faire de La claire fontaine une bossa nova très jazzy. Et nous de chanter encore !
Voici venir Les couleurs d’ici.
Benoît Sourisse va se déchaîner à nous démontrer les possibilités techniques de son instrument, jouant des drawbars (les tirettes harmoniques) et du rotor de sa cabine Leslie de façon merveilleuse.
Un autre très grand moment du concert !
Le temps des rappels arrive. Trop vite.
Ce sera Vent d’Ouest, puis l’envoûtant Belakatun, qui vous reste en tête et dont vous fredonnez encore le thème une fois rentrés chez vous.
Je ne voudrais pas terminer ce papier sans mentionner le « quatrième » homme du concert, à savoir l’ingénieur du son FOH maison, Roman Zaborski, qui, comme à l’accoutumée, nous a concocté un très beau son, lui aussi tout en précision. Un grand merci lui !
Une soirée placée sous le signe de la grâce, vous dis-je !
A l’issue du concert, Benoît Sourisse, avec sa modestie légendaire, me confiait à ce propos :
« Oui, il y a eu quelque chose, ce soir... »
La grâce ! Un pur moment de grâce !
Ou quand trois compères aux cheveux poivre et sel plongent le public du Bal Blomet dans une véritable félicité.
L'un de ces moments qui font du bien, mais alors beaucoup de bien, en ces temps moroses…
C’est la première fois que Marc Berthoumieux jouait en tant que leader dans cette magnifique salle.
Certes, on l’avait déjà entendu ici même, mais c’était son « baptême du lieu » en tant que « patron » d’une formation.
Mais est-on vraiment « patron », lorsque pour sidemen, on a à ses côtés les magnifiques André Charlier et Benoît Sourisse ?
Trois copains, trois potes, trois frères en jazz, trois grands maîtres de leurs instruments respectifs.
Marc Berthoumieux à l’accordéon à la fois chromatique et numérique, André Charlier à la batterie, deux ou quatre baguettes (si si…) et Benoît Sourisse à l’orgue Hammond.
Trois musiciens qui allient une virtuosité de tous les instants à la plus grande des sensibilités.
Ce sont donc des compositions personnelles issues des six albums de l’autre grand nom français du piano à bretelles jazz (Richard Galliano étant l’autre), que nous allons découvrir dans cette configuration trio.
Il a fallu « refaçonner le répertoire », nous dira M. Berthoumieux.
Onze titres au total en comptant les rappels nous attendent.
Le set commence tout en délicatesse avec une magnifique introduction à l’accordéon solo pour Le bal du temple.
Les deux autres ne tardent pas à entrer en lice.
Ce qui frappe immédiatement, outre cette virtuosité (mais ça, ça fait un moment qu’on la connaît), c’est l’immense complicité qui les lie ainsi que le plaisir de jouer ensemble, le fait de s’amuser sur le plateau. Les trois vont beaucoup rire durant ces presque deux heures.
Complicité et complémentarité.
La rythmique est assurée évidemment par la batterie mais aussi par la main gauche de l’organiste, qui distille les fondamentales graves ou des walking-bass très inspirées.
Le son de l’orgue Hammond (la main droite se charge des lignes mélodiques, de l’accompagnement ou des incroyables solos), ce son se révèle être en totale osmose avec celui de l’accordéon.
Nous nous en rendrons compte notamment dans Le bal des mondes, dans lequel les deux musiciens se livreront un vertigineux chase, un somptueux dialogue musical.
Marc Berthoumieux démontre une nouvelle fois son immense talent d’instrumentiste, certes, mais surtout à mon sens, son art de composer des pièces très abouties, très précises harmoniquement parlant et toujours aussi passionnantes.
Une certaine «joyeuse nostalgie » émane de ces titres, qui évoquent des mondes proches ou lointains. Nous aurons droit une magnifique version du morceau très brésilien Victoria, ou encore un bouleversant hommage à Piazolla dans El Astor.)
L’accordéon permet parfaitement, même et peut-être surtout dans un registre jazz, de faire voyager un public ici et là. Des voyages à la fois géographiques et intérieurs.
Le dernier accord note de ce titre « très argentin » en Mi mineur, cette note bleue, ce Ré bémol procure beaucoup de délicieux frissons !
Dans cette pièce, El Astor, André Charlier aura droit à son premier solo.
Charlier ou la force tranquille, Charlier qui semble nous dire en permanence que jouer de la batterie est d’une facilité déconcertante.
Et pourtant, quelle technique, quelle propension à délivrer des rythmes et une pulsation de braise !
Nous nous en apercevrons dans le magnifique Ostinato, extrait de l’album Le bal des mondes.
Pour cet ostinato bourdonnant, Marc Berthoumieux utilise les ressources techniques contemporaines à sa disposition, à savoir déclencher un sample donnant cette impression que d’autre musiciens ont rejoint les trois artistes.
Nous retrouvons ainsi la spécificité de ce titre, tel qu’il est gravé sur l’album.
Nous serons invités à chanter le thème, ce dont nous ne nous priverons pas !
Voici une reprise ! Et quelle reprise !
Ce sera Have you heard, de Pat Metheny. Accordéon et guitare même combat.
Une salve d’applaudissements salue les premières notes.
Et puis une véritable surprise nous attend.
Ou comment faire de La claire fontaine une bossa nova très jazzy. Et nous de chanter encore !
Voici venir Les couleurs d’ici.
Benoît Sourisse va se déchaîner à nous démontrer les possibilités techniques de son instrument, jouant des drawbars (les tirettes harmoniques) et du rotor de sa cabine Leslie de façon merveilleuse.
Un autre très grand moment du concert !
Le temps des rappels arrive. Trop vite.
Ce sera Vent d’Ouest, puis l’envoûtant Belakatun, qui vous reste en tête et dont vous fredonnez encore le thème une fois rentrés chez vous.
Je ne voudrais pas terminer ce papier sans mentionner le « quatrième » homme du concert, à savoir l’ingénieur du son FOH maison, Roman Zaborski, qui, comme à l’accoutumée, nous a concocté un très beau son, lui aussi tout en précision. Un grand merci lui !
Une soirée placée sous le signe de la grâce, vous dis-je !
A l’issue du concert, Benoît Sourisse, avec sa modestie légendaire, me confiait à ce propos :
« Oui, il y a eu quelque chose, ce soir... »
9/10
Mademoiselle, l’addiction, s’il vous plaît !
Oui, l’addiction, l’assuétude. La maladie.
Ne jamais l’oublier : la dépendance à l’alcool est une maladie.
« Toute maladie a sa noblesse, la vôtre autant qu’une autre », nous dit Anne Sultan qui a écrit ce captivant monologue pour deux corps.
L’adagio, une indication de mouvement musical, entre lento (lentement) et andante (en marchant).
Un adagio, c’est un trajet, donc. Avant tout.
Ici, ce sera le cheminement de cette maladie qu’est l’alcoolisme en général, et l’alcoolisme d’une femme en particulier.
Des premiers symptômes à la capitulation de la dépendance. Parce que ce trajet, cette route, c’est avant tout un combat, une guerre.
L’auteure de ce remarquable texte va nous disséquer au moyen d’un scalpel des plus acérés ainsi qu’une écriture on ne peut plus incisive et tranchante, un moment très particulier de vie, psychologique et physique.
Les deux dimensions seront intimement liées.
Cette écriture passionnante ne nous laissera aucun répit, ce récit fait de mots on ne peut plus réalistes et évocateurs va à la fois nous captiver et nous édifier, au sens premier du terme.
Parce que, d’une façon ou d’une autre, ce qui nous est raconté est bien évidemment arrivé. On ne peut décrire aussi précisément ce qui est raconté sans avoir côtoyé ce cheminement alcoolisé-là.
Les mots seront mis bout à bout, souvent avec une grammaire et une syntaxe propres, parfois déroutantes mais tellement nécessaires, nous faisant immanquablement ressentir les effets de la dépendance.
Les situations évoquées sont parfois tragiques, parfois drôles, les lieux souvent glaçants, les urgences, les couloirs d’hôpital….
Une voix off nous fera comprendre de l’intérieur, nous dira au nom de celles pour qui c’est arrivé la dimension psychologique de ce voyage intérieur.
Heidi-Eva Clavier a complètement réussi à traduire sur le plateau les tenants et les aboutissants dramaturgiques de cette pièce.
Ici, les mots vont compter, bien entendu, mais les corps auront eux aussi toute leur importance.
Melle Clavier nous propose en effet une vraie chorégraphie, à la fois délicate et féroce, douce et intense.
Elle a réalisé un très important travail, plaçant le corps au centre des parti-pris, le corps avec ses déplacements, ses hésitations, ses allers-retours, ses tremblements, sans jamais outrepasser l’exacte position du curseur.
Les corps d’une comédienne et d’une musicienne.
Lola Felouzis est cette jeune femme, ce personnage en quête de hauteur.
Melle Clavier et elle se connaissent bien, elles étaient ensemble élèves à l’Académie de la Comédie-Française.
La comédienne va nous subjuguer, à dire les mots de l’auteure, à les mettre en images et en gestes.
Il est impossible de la lâcher, tellement la plus grande des vérités émane de ce qu’elle nous dit et nous montre.
Pas de grands effets, pas de « gadgets » scénographiques à la mode.
Non, ici, il est question de dire un texte, de nous faire certes comprendre le déroulé de ces cinq années en question, mais également de nous confronter subtilement au fait que cette addiction n’arrive pas qu’aux autres.
Lola Felouzis, grave et légère à la fois, interprète ce personnage avec beaucoup de conviction et d’engagement.
Elle n’est donc pas seule, puisque le plus souvent à jardin, Marie Tournemouly interprète au violoncelle ses compositions.
Le duo va fonctionner à la perfection.
Les notes et les mots vont se succéder ou bien se superposer tout naturellement, avec justesse et propos.
L’adagio maladie-mélodie sera également musical.
Melle Tournemouly est une excellente instrumentiste. Ses créations, à l’archet ou en pizzicati, et ce, quels que soient les registres, ses créations sont elles aussi passionnantes et contribuent à illustrer fort joliment le propos général.
J’ai beaucoup apprécié les cordes frottées très près du chevalet, produisant des sons un peu distordus et criards, en total accord avec certains passages plus tragiques.
La violoncelliste se déplacera elle-aussi pour donner une dimension très humaine à son instrument.
Là encore, le parti-pris est très judicieux. Et je n’en dis pas plus.
Il me faut également mentionner les délicates et subtiles lumières de Philippe Lagrue, qui mit en scène naguère Melle Clavier dans une magnifique version des Cuisinières de Carlo Goldoni.
Cette entreprise artistique très réussie, cet Adagio maladie est le premier volet d’une trilogie consacrée à des parcours féminins. C'est un très beau moment de théâtre.
Je ne doute pas un seul instant que ces trois créations d’un soir chacune au théâtre El Duende seront prochainement reprises ici ou là.
Nous en reparlerons en temps voulu.
Oui, l’addiction, l’assuétude. La maladie.
Ne jamais l’oublier : la dépendance à l’alcool est une maladie.
« Toute maladie a sa noblesse, la vôtre autant qu’une autre », nous dit Anne Sultan qui a écrit ce captivant monologue pour deux corps.
L’adagio, une indication de mouvement musical, entre lento (lentement) et andante (en marchant).
Un adagio, c’est un trajet, donc. Avant tout.
Ici, ce sera le cheminement de cette maladie qu’est l’alcoolisme en général, et l’alcoolisme d’une femme en particulier.
Des premiers symptômes à la capitulation de la dépendance. Parce que ce trajet, cette route, c’est avant tout un combat, une guerre.
L’auteure de ce remarquable texte va nous disséquer au moyen d’un scalpel des plus acérés ainsi qu’une écriture on ne peut plus incisive et tranchante, un moment très particulier de vie, psychologique et physique.
Les deux dimensions seront intimement liées.
Cette écriture passionnante ne nous laissera aucun répit, ce récit fait de mots on ne peut plus réalistes et évocateurs va à la fois nous captiver et nous édifier, au sens premier du terme.
Parce que, d’une façon ou d’une autre, ce qui nous est raconté est bien évidemment arrivé. On ne peut décrire aussi précisément ce qui est raconté sans avoir côtoyé ce cheminement alcoolisé-là.
Les mots seront mis bout à bout, souvent avec une grammaire et une syntaxe propres, parfois déroutantes mais tellement nécessaires, nous faisant immanquablement ressentir les effets de la dépendance.
Les situations évoquées sont parfois tragiques, parfois drôles, les lieux souvent glaçants, les urgences, les couloirs d’hôpital….
Une voix off nous fera comprendre de l’intérieur, nous dira au nom de celles pour qui c’est arrivé la dimension psychologique de ce voyage intérieur.
Heidi-Eva Clavier a complètement réussi à traduire sur le plateau les tenants et les aboutissants dramaturgiques de cette pièce.
Ici, les mots vont compter, bien entendu, mais les corps auront eux aussi toute leur importance.
Melle Clavier nous propose en effet une vraie chorégraphie, à la fois délicate et féroce, douce et intense.
Elle a réalisé un très important travail, plaçant le corps au centre des parti-pris, le corps avec ses déplacements, ses hésitations, ses allers-retours, ses tremblements, sans jamais outrepasser l’exacte position du curseur.
Les corps d’une comédienne et d’une musicienne.
Lola Felouzis est cette jeune femme, ce personnage en quête de hauteur.
Melle Clavier et elle se connaissent bien, elles étaient ensemble élèves à l’Académie de la Comédie-Française.
La comédienne va nous subjuguer, à dire les mots de l’auteure, à les mettre en images et en gestes.
Il est impossible de la lâcher, tellement la plus grande des vérités émane de ce qu’elle nous dit et nous montre.
Pas de grands effets, pas de « gadgets » scénographiques à la mode.
Non, ici, il est question de dire un texte, de nous faire certes comprendre le déroulé de ces cinq années en question, mais également de nous confronter subtilement au fait que cette addiction n’arrive pas qu’aux autres.
Lola Felouzis, grave et légère à la fois, interprète ce personnage avec beaucoup de conviction et d’engagement.
Elle n’est donc pas seule, puisque le plus souvent à jardin, Marie Tournemouly interprète au violoncelle ses compositions.
Le duo va fonctionner à la perfection.
Les notes et les mots vont se succéder ou bien se superposer tout naturellement, avec justesse et propos.
L’adagio maladie-mélodie sera également musical.
Melle Tournemouly est une excellente instrumentiste. Ses créations, à l’archet ou en pizzicati, et ce, quels que soient les registres, ses créations sont elles aussi passionnantes et contribuent à illustrer fort joliment le propos général.
J’ai beaucoup apprécié les cordes frottées très près du chevalet, produisant des sons un peu distordus et criards, en total accord avec certains passages plus tragiques.
La violoncelliste se déplacera elle-aussi pour donner une dimension très humaine à son instrument.
Là encore, le parti-pris est très judicieux. Et je n’en dis pas plus.
Il me faut également mentionner les délicates et subtiles lumières de Philippe Lagrue, qui mit en scène naguère Melle Clavier dans une magnifique version des Cuisinières de Carlo Goldoni.
Cette entreprise artistique très réussie, cet Adagio maladie est le premier volet d’une trilogie consacrée à des parcours féminins. C'est un très beau moment de théâtre.
Je ne doute pas un seul instant que ces trois créations d’un soir chacune au théâtre El Duende seront prochainement reprises ici ou là.
Nous en reparlerons en temps voulu.
9/10
Le Schmitt de Sisyphe ?
Le Schmitt d’Icare, celui de la caverne ?
Non ! On a dit Bélier ! Ou le contraire, finalement !
Reprise au Théâtre Edouard VII de cette pièce créée en 2009 au théâtre de la Madeleine.
Richard Berry et Raphaëline Goupilleau ont cédé leur rôle à Stéphane De Groodt et Valérie Bonneton. A la mise en scène, en 2022, après José Paul, c’est Jean-Louis Benoît qui s’y colle.
Sébastien Thierry a imaginé le sujet de cette farce burlesque et surréaliste en somnolant lors de la représentation d’une pièce de théâtre. On imagine qu’il n’était pas plus captivé que cela…
Une sonnerie sur scène le tira alors de sa torpeur.
Il tenait son idée !
Que se passerait-il si vous réalisiez subitement que vous n’étiez pas celui que vous pensez être depuis toujours ?
C’est ce qui arrive à ce pauvre Jean-Claude Bélier, ophtalmologue de son état, qui voit se liguer contre lui sa femme, un policier, un médecin et son fils : tous l’assurent qu’il est en fait Henri Schmitt, dermato luxembourgeois.
Sébastien Thiéry est coutumier de ces débuts de sujet dignes d’Ionesco et de son théâtre de l’absurde.
Ici, il va étirer un postulat simple, très étrange, mystérieux même, en en développant le thème par de multiples variations, pour nous livrer une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît sur l’identité propre de chaque individu, un individu amené à répondre à la question fondamentale de savoir qui il est est.
Pas facile de savoir qui on est vraiment, non ?
Durant un peu plus d’une heure et demie, nous allons rire. Beaucoup.
D’abord en raison du texte lui-même.
A partir d’une situation surréaliste de départ (un téléphone sonne chez un couple qui n’a aucun abonnement téléphonique), l’auteur va enclencher une succession de situations toutes plus drôles les unes que les autres, de manière à créer un tourbillon dramaturgique désopilant.
Une logique infernale va s’emparer des personnages pour aboutir à une conclusion plutôt inattendue.
On sait la belle propension de Sébastien Thiéry à concocter des dialogues percutants, avec quantité de formules hilarantes qui font mouche à chaque fois...
Ici nombre de tirades sont drôlissimes. (Celle concernant la fiscalité est magnifique ! Je n’en dis pas plus !)
Un quintet de comédiens épatants sert au mieux ce texte.
A commencer par Stéphane De Groodt, qui se démène comme un beau diable, à incarner de façon jouissive ce type qui ne comprend rien à ce qui lui arrive.
Adoptant souvent une posture et des faux airs du très regretté Jean-Pierre Bacri, il provoque énormément de fou-rires, faisant de son personnage une espèce de type complètement halluciné, perdu, se demandant en permanence ce qui lui arrive.
Ses double-takes, ses ruptures, sa gestuelle (il adopte quantité de tics, comme se gratter intensément), ses mimiques désabusées ou ses runing-gags sont purement et simplement jubilatoires.
Valérie Bonneton ne donne évidemment pas sa part au chat chien.
Elle aussi nous amuse énormément, avec cependant un rôle plus ambigu, moins linéaire que le personnage de son mari.
De sa voix parfois rauque, avec ses airs d’accepter finalement l’inacceptable, elle aussi fait fonctionner à plein régime nos zygomatiques.
Chick Ortega est un policier comment dire… un policier brave, Steven Dragou est le fils-fiscaliste imperturbable du couple Bélier-Schmitt, et Alain Doutey, qu’on a toujours autant de plaisir à retrouver sur un plateau, campe un médecin-psychiatre étonnant.
Sa scène du ballon est un modèle de scène de comédie.
Et puis, il y a Jean-Louis Benoît aux manettes !
On connaît mon admiration pour le cofondateur du Théâtre de l’Aquarium, aussi à l’aise pour monter Goldoni, (Ah ! Ces Rustres à la Comédie-française et ces Jumeaux vénitiens à Hébertot !), Sartre, (Ah ! Ce Huis-clos en ce moment même au théâtre de l’œuvre !) Tchekhov ( Ah ! Cette Demande en Mariage au Poche-Montparnasse !), Labiche, Molière, Isabelle le Nouvel, Shakespeare et tant d’autres.
Il retrouve pour l’occasion Sébastien Thiéry avec qui il avait travaillé pour la pièce Tilt !, avec Bruno Solo.
Jean-Louis Benoît fait partie de ces finalement assez rares metteurs en scène qui ont l’art de faire oublier leur travail.
Je me dis à chaque fois que j’assiste à l’une de ses mises en scène que rien ne pourrait se passer autrement sur le plateau, tellement tout est naturel, fluide, à sa juste place, tellement la direction d’acteurs est précise, comme une évidence pourtant très travaillée.
C’est un metteur en scène qui sait sublimer la vis comica de ses comédiens, et de tirer parti au mieux de leurs capacités à faire rire un public.
Jean-Louis Benoît, l’art de faire oublier son art.
Voici donc une épatante mécanique dramaturgique, une comédie très réussie et surtout très drôle, qui permet de rire très sainement en ces temps de plus en plus troublés !
Mais je me demande soudain si Madame Martine Schommer, actuelle Ambassadrice extraordinaire et plénipotentiaire du Luxembourg en poste à Paris a été invitée à assister à ce spectacle...
Le Schmitt d’Icare, celui de la caverne ?
Non ! On a dit Bélier ! Ou le contraire, finalement !
Reprise au Théâtre Edouard VII de cette pièce créée en 2009 au théâtre de la Madeleine.
Richard Berry et Raphaëline Goupilleau ont cédé leur rôle à Stéphane De Groodt et Valérie Bonneton. A la mise en scène, en 2022, après José Paul, c’est Jean-Louis Benoît qui s’y colle.
Sébastien Thierry a imaginé le sujet de cette farce burlesque et surréaliste en somnolant lors de la représentation d’une pièce de théâtre. On imagine qu’il n’était pas plus captivé que cela…
Une sonnerie sur scène le tira alors de sa torpeur.
Il tenait son idée !
Que se passerait-il si vous réalisiez subitement que vous n’étiez pas celui que vous pensez être depuis toujours ?
C’est ce qui arrive à ce pauvre Jean-Claude Bélier, ophtalmologue de son état, qui voit se liguer contre lui sa femme, un policier, un médecin et son fils : tous l’assurent qu’il est en fait Henri Schmitt, dermato luxembourgeois.
Sébastien Thiéry est coutumier de ces débuts de sujet dignes d’Ionesco et de son théâtre de l’absurde.
Ici, il va étirer un postulat simple, très étrange, mystérieux même, en en développant le thème par de multiples variations, pour nous livrer une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît sur l’identité propre de chaque individu, un individu amené à répondre à la question fondamentale de savoir qui il est est.
Pas facile de savoir qui on est vraiment, non ?
Durant un peu plus d’une heure et demie, nous allons rire. Beaucoup.
D’abord en raison du texte lui-même.
A partir d’une situation surréaliste de départ (un téléphone sonne chez un couple qui n’a aucun abonnement téléphonique), l’auteur va enclencher une succession de situations toutes plus drôles les unes que les autres, de manière à créer un tourbillon dramaturgique désopilant.
Une logique infernale va s’emparer des personnages pour aboutir à une conclusion plutôt inattendue.
On sait la belle propension de Sébastien Thiéry à concocter des dialogues percutants, avec quantité de formules hilarantes qui font mouche à chaque fois...
Ici nombre de tirades sont drôlissimes. (Celle concernant la fiscalité est magnifique ! Je n’en dis pas plus !)
Un quintet de comédiens épatants sert au mieux ce texte.
A commencer par Stéphane De Groodt, qui se démène comme un beau diable, à incarner de façon jouissive ce type qui ne comprend rien à ce qui lui arrive.
Adoptant souvent une posture et des faux airs du très regretté Jean-Pierre Bacri, il provoque énormément de fou-rires, faisant de son personnage une espèce de type complètement halluciné, perdu, se demandant en permanence ce qui lui arrive.
Ses double-takes, ses ruptures, sa gestuelle (il adopte quantité de tics, comme se gratter intensément), ses mimiques désabusées ou ses runing-gags sont purement et simplement jubilatoires.
Valérie Bonneton ne donne évidemment pas sa part au chat chien.
Elle aussi nous amuse énormément, avec cependant un rôle plus ambigu, moins linéaire que le personnage de son mari.
De sa voix parfois rauque, avec ses airs d’accepter finalement l’inacceptable, elle aussi fait fonctionner à plein régime nos zygomatiques.
Chick Ortega est un policier comment dire… un policier brave, Steven Dragou est le fils-fiscaliste imperturbable du couple Bélier-Schmitt, et Alain Doutey, qu’on a toujours autant de plaisir à retrouver sur un plateau, campe un médecin-psychiatre étonnant.
Sa scène du ballon est un modèle de scène de comédie.
Et puis, il y a Jean-Louis Benoît aux manettes !
On connaît mon admiration pour le cofondateur du Théâtre de l’Aquarium, aussi à l’aise pour monter Goldoni, (Ah ! Ces Rustres à la Comédie-française et ces Jumeaux vénitiens à Hébertot !), Sartre, (Ah ! Ce Huis-clos en ce moment même au théâtre de l’œuvre !) Tchekhov ( Ah ! Cette Demande en Mariage au Poche-Montparnasse !), Labiche, Molière, Isabelle le Nouvel, Shakespeare et tant d’autres.
Il retrouve pour l’occasion Sébastien Thiéry avec qui il avait travaillé pour la pièce Tilt !, avec Bruno Solo.
Jean-Louis Benoît fait partie de ces finalement assez rares metteurs en scène qui ont l’art de faire oublier leur travail.
Je me dis à chaque fois que j’assiste à l’une de ses mises en scène que rien ne pourrait se passer autrement sur le plateau, tellement tout est naturel, fluide, à sa juste place, tellement la direction d’acteurs est précise, comme une évidence pourtant très travaillée.
C’est un metteur en scène qui sait sublimer la vis comica de ses comédiens, et de tirer parti au mieux de leurs capacités à faire rire un public.
Jean-Louis Benoît, l’art de faire oublier son art.
Voici donc une épatante mécanique dramaturgique, une comédie très réussie et surtout très drôle, qui permet de rire très sainement en ces temps de plus en plus troublés !
Mais je me demande soudain si Madame Martine Schommer, actuelle Ambassadrice extraordinaire et plénipotentiaire du Luxembourg en poste à Paris a été invitée à assister à ce spectacle...