Ses critiques
1005 critiques
9/10
Sous le soleil des Tropis…
Ou quand Emmanuel Demarcy-Mota s’empare du texte de Vercors, qui signa lui-même l’adaptation théâtrale de son roman Les animaux dénaturés, pour nous proposer une vertigineuse réflexion quant à notre condition humaine.
Qu’est-ce qu’un Homme, après tout ? Qui peut bien répondre de façon claire et définitive à cette courte et tellement si profonde question ?
Quelle est la différence entre cet homme-là et un animal ?
Les Tropis, donc.
Les Paranthropus Erectus (invention de l’auteur), le chaînon manquant entre le singe et l’homme. L’être qui se situe à la grande fourche de l’arbre généalogique initial.
L’expédition du Professeur Greame l’a trouvé ce chaînon manquant-là. Avec en prime une idée soi-disant géniale : inséminer une femelle Tropi avec les gamètes du journaliste Douglas Templemore, pour voir si la descendance serait humaine. Ou pas.
Douglas Templemore, une fois le « bébé » né, va utiliser la strychnine pour mettre fin à la vie du petit être. Afin d’instaurer le débat.
Toute la question est donc de savoir s’il a tué un être humain ou d’un animal.
Nous allons donc assister à un procès d’assises : les jurés devront répondre à cette terrible question, afin d’accabler ou d’innocenter le journaliste.
Le verdict tombera à la presque toute fin de la pièce.
Plusieurs moments du procès vont nous être dévoilés, de façon à mettre en perspective toutes les implications de ce terrible événement.
Les dimensions philosophique, scientifique, morale, économique également seront évoquées.
La condition humaine sera auscultée à l’aune des avis d’un médecin de famille, d’un médecin légiste, d’un prêtre, d’une anthropologue, sans oublier celui d’un capitaine d’industrie ô combien capitaliste.
Avec ce roman écrit au sortir de la deuxième guerre mondiale, le résistant que fut Vercors entendait bien par là aborder la question de privation de cette condition humaine, la question de race, dont les théoriciens nazis avaient apporté les plus horribles des réponses.
Questionner et révéler pour ceux qui ignoraient encore, ou feignaient d’ignorer...
Aujourd'hui, cette pièce est une commande faite au patron du Théâtre de la ville par le Musée d’’Orsay, à l’occasion de l’exposition « Les origines du Monde ».
Quatre conseillers scientifiques ont apporté leur caution à cette entreprise artistique, afin de nous proposer de mettre en perspective ces interrogations par le prisme de notre contemporanéité et d’une projection dans l’avenir proche.
Le texte de Vercors est augmenté d’une scène, concernant notre statut actuel, et les bouleversements imminents qui nous attendent, faisant de nous un Homme « augmenté », ou un Homme 2.0 : que feront de nous les progrès de la médecine, des sciences, des techniques numériques et autres révolutions « GAFAïennes » ?
« Serons-nous encore des humains ? » nous lance à la figure un comédien...
Emmanuel Demacy-Mota a judicieusement choisi de nous plonger dans une obscure clarté, ou une pénombre lumineuse. Au choix.
Nous aurons l’impression d’être plutôt dans une salle de musée sombre que dans un prétoire, avec des éclairages très précis, très ciblés, avec de fins pinceaux lumineux ou des faisceaux latéraux éclairant dee façon très crue des petits coins de plateaux, ou seulement les personnages.
Il faut rendre hommage à Christophe Lemaire et Yves Collet, qui signent ces lumières pouvant donner un côté froid totalement assumé au spectacle.
Les faits, rien que les faits, les faits scientifiques dans leur intense révélation lumineuse.
Seul un fond vidéo orange apportera de vrais moments « chauds », correspondant aux flash-backs mettant en scène l’expédition scientifique mentionnée ci-dessus.
Les comédiens se détachent alors en contre-jour, un peu à la Bob Wilson. C’est très beau.
Autre parti pris scénographique très réussi : l’utilisation de projections video, en direct ou en images déjà enregistrées, sur un ou plusieurs rideaux de tulle, ce qui donne un effet de profondeur très réussi.
Les comédiens, donc.
Qui jouent, mais qui nous regardent, nous auscultent nous aussi.
Parce que nous serons les cobayes, les pris-à-témoins, les pris-à-partis, les sujets d’observation, également.
La scène aux lampes de poche est très réussie. Je n’en dis pas plus.
Parfois pourvus de très beaux masques animaliers que l’on doit à Anne Leray, ils sont qui les membres du jury, qui les magistrats, qui les scientifiques.
Irréprochables, les onze membres de la troupe du Théâtre de la Ville sont tous au service de ce texte étonnant.
Je n’aurai garde d’oublier de mentionner le magnifique son de Flavien Gaudon, qui utilise un logiciel de spatialisation et le système acoustique 7.0 de la salle pour nous plonger au cœur du sujet.
Nous entendons des cris d’animaux à cour, à jardin, derrière nous, ou bien nous "visualisons" avec nos oreilles le passage d’un avion de ligne.
Un travail de grande précision.
Lorsque vous réserverez vos places, essayez d’obtenir une place dans l’axe médian du plateau. C’est également un spectacle qui doit s’écouter attentivement.
Voici donc un impressionnant moment de théâtre, pleinement réussi tant sur la forme que sur le fond, et qui nous permet en ces temps difficiles de prendre un recul nécessaire et salvateur sur notre condition d’êtres humains.
Ou quand Emmanuel Demarcy-Mota s’empare du texte de Vercors, qui signa lui-même l’adaptation théâtrale de son roman Les animaux dénaturés, pour nous proposer une vertigineuse réflexion quant à notre condition humaine.
Qu’est-ce qu’un Homme, après tout ? Qui peut bien répondre de façon claire et définitive à cette courte et tellement si profonde question ?
Quelle est la différence entre cet homme-là et un animal ?
Les Tropis, donc.
Les Paranthropus Erectus (invention de l’auteur), le chaînon manquant entre le singe et l’homme. L’être qui se situe à la grande fourche de l’arbre généalogique initial.
L’expédition du Professeur Greame l’a trouvé ce chaînon manquant-là. Avec en prime une idée soi-disant géniale : inséminer une femelle Tropi avec les gamètes du journaliste Douglas Templemore, pour voir si la descendance serait humaine. Ou pas.
Douglas Templemore, une fois le « bébé » né, va utiliser la strychnine pour mettre fin à la vie du petit être. Afin d’instaurer le débat.
Toute la question est donc de savoir s’il a tué un être humain ou d’un animal.
Nous allons donc assister à un procès d’assises : les jurés devront répondre à cette terrible question, afin d’accabler ou d’innocenter le journaliste.
Le verdict tombera à la presque toute fin de la pièce.
Plusieurs moments du procès vont nous être dévoilés, de façon à mettre en perspective toutes les implications de ce terrible événement.
Les dimensions philosophique, scientifique, morale, économique également seront évoquées.
La condition humaine sera auscultée à l’aune des avis d’un médecin de famille, d’un médecin légiste, d’un prêtre, d’une anthropologue, sans oublier celui d’un capitaine d’industrie ô combien capitaliste.
Avec ce roman écrit au sortir de la deuxième guerre mondiale, le résistant que fut Vercors entendait bien par là aborder la question de privation de cette condition humaine, la question de race, dont les théoriciens nazis avaient apporté les plus horribles des réponses.
Questionner et révéler pour ceux qui ignoraient encore, ou feignaient d’ignorer...
Aujourd'hui, cette pièce est une commande faite au patron du Théâtre de la ville par le Musée d’’Orsay, à l’occasion de l’exposition « Les origines du Monde ».
Quatre conseillers scientifiques ont apporté leur caution à cette entreprise artistique, afin de nous proposer de mettre en perspective ces interrogations par le prisme de notre contemporanéité et d’une projection dans l’avenir proche.
Le texte de Vercors est augmenté d’une scène, concernant notre statut actuel, et les bouleversements imminents qui nous attendent, faisant de nous un Homme « augmenté », ou un Homme 2.0 : que feront de nous les progrès de la médecine, des sciences, des techniques numériques et autres révolutions « GAFAïennes » ?
« Serons-nous encore des humains ? » nous lance à la figure un comédien...
Emmanuel Demacy-Mota a judicieusement choisi de nous plonger dans une obscure clarté, ou une pénombre lumineuse. Au choix.
Nous aurons l’impression d’être plutôt dans une salle de musée sombre que dans un prétoire, avec des éclairages très précis, très ciblés, avec de fins pinceaux lumineux ou des faisceaux latéraux éclairant dee façon très crue des petits coins de plateaux, ou seulement les personnages.
Il faut rendre hommage à Christophe Lemaire et Yves Collet, qui signent ces lumières pouvant donner un côté froid totalement assumé au spectacle.
Les faits, rien que les faits, les faits scientifiques dans leur intense révélation lumineuse.
Seul un fond vidéo orange apportera de vrais moments « chauds », correspondant aux flash-backs mettant en scène l’expédition scientifique mentionnée ci-dessus.
Les comédiens se détachent alors en contre-jour, un peu à la Bob Wilson. C’est très beau.
Autre parti pris scénographique très réussi : l’utilisation de projections video, en direct ou en images déjà enregistrées, sur un ou plusieurs rideaux de tulle, ce qui donne un effet de profondeur très réussi.
Les comédiens, donc.
Qui jouent, mais qui nous regardent, nous auscultent nous aussi.
Parce que nous serons les cobayes, les pris-à-témoins, les pris-à-partis, les sujets d’observation, également.
La scène aux lampes de poche est très réussie. Je n’en dis pas plus.
Parfois pourvus de très beaux masques animaliers que l’on doit à Anne Leray, ils sont qui les membres du jury, qui les magistrats, qui les scientifiques.
Irréprochables, les onze membres de la troupe du Théâtre de la Ville sont tous au service de ce texte étonnant.
Je n’aurai garde d’oublier de mentionner le magnifique son de Flavien Gaudon, qui utilise un logiciel de spatialisation et le système acoustique 7.0 de la salle pour nous plonger au cœur du sujet.
Nous entendons des cris d’animaux à cour, à jardin, derrière nous, ou bien nous "visualisons" avec nos oreilles le passage d’un avion de ligne.
Un travail de grande précision.
Lorsque vous réserverez vos places, essayez d’obtenir une place dans l’axe médian du plateau. C’est également un spectacle qui doit s’écouter attentivement.
Voici donc un impressionnant moment de théâtre, pleinement réussi tant sur la forme que sur le fond, et qui nous permet en ces temps difficiles de prendre un recul nécessaire et salvateur sur notre condition d’êtres humains.
10/10
Laisse…
Un verbe à l’impératif. Un nom commun… Aussi.
Au bord. Une auteure. Un texte. Une comédienne.
Comme une incandescence, comme un fer rouge qui vous marque profondément. Pour longtemps.
Tout est parti d’une photo.
De celles qui vous marquent à jamais. De celles qui ne peuvent pas être superposées par d’autres et immédiatement oubliées après l’avoir vue pour la première fois.
Ce terrible et insupportable cliché a sauté à la figure, aux yeux, à l’esprit, au corps de Claudine Galéa en 2004.
Le Washington Post, puis Le Monde.
Une laisse. Avec deux personnes aux deux extrémités.
Une soldate US du côté de la poignée, un prisonnier irakien nu à terre, à l'autre bout, attaché à un collier au crochet métallique.
Au départ, cette photo n’a rien de « politique ». Il ne s’agit pas d’une photo prise par un correspondant de guerre en reportage à la prison d’Abou Ghraib.
Cette photo n’a pas été shootée pour témoigner de l’horreur de la torture. C’est l’un des premiers instantanés numériques, pris par un autre soldat, peut être un ou une pote de chambrée, pour rigoler, pour « immortaliser » un moment qu’il ou elle pensait sans doute être du dernier drôle.
Claudine Galea a évidemment perçu l’inhumanité émanant un d’être humain décidé à ôter cette même humanité à l’un de ses semblables, lui refusant le droit d’exister en tant qu’homme.
Si elle nous pousse à nous questionner sur le type de relation que nous pouvons avoir avec la chose imagée, elle parvient brillamment à dépasser tout ceci pour nous livrer une vertigineuse introspection.
Le personnage sur scène, ce sera elle. Elle qui nous raconte, qui se raconte. Elle qui se projette.
Elle qui nous informe des trente-neuf versions préalables de son texte définitif, du déclencheur final que fut la lecture du livre de Dominique Fourcade, En laisse.
Elle qui nous dit s’être retrouvée récemment « larguée » par une autre femme. Une blessure mettant fin dans la douleur à une forte relation amoureuse.
Ces deux axes vont donc déboucher sur une intense réflexion sur le désir amoureux, sur une projection incroyablement intime, sensuelle, érotique dans cette soldate.
En tant qu’auteure, Claudine Galea se projette dans ce bourreau féminin, mais tente également de la séduire et d’être séduite par elle.
C’est là le passionnant intérêt de cette entreprise dramaturgique qui n’aurait pas été écrite si le tortionnaire était un homme.
Un troisième angle consiste à nous dire en quoi une enfance et surtout une mère ont pu aboutir et en quelque sorte être responsables de la situation dans laquelle se retrouve l’auteure.
La voix.
Celle qui nous manquait tant, cette voix grave rauque, rocailleuse qui résonna si fortement et si brillamment sur les trois plateaux de la Comédie Française.
Une voix que votre serviteur avait hâte de retrouver !
Cécile Brune, mise en scène par Stanislas Nordey, va purement et simplement nous donner une grande et magistrale leçon de théâtre.
Elle est donc seule, au sein d’un espace oppressant, une sorte de cellule à deux niveaux, aux lignes de perspective prononcées.
La belle scénographie d’Emmanuel Clolus témoigne d’un enfermement spatial, certes, mais peut-être et avant tout d’un enfermement intérieur.
Elle apparaît perchée à jardin sur une table métallique, dès lors que le rideau sur laquelle a été progressivement dévoilée la photo en négatif ait été tiré.
Au milieu de cet espace très connoté, son chemisier turquoise sera la seule couleur, avec un rappel d’une une bande de cuir assortie sur les chaussures.
Comme pour nous dire que tout n’est pas perdu, cette couleur symbolisant le statut d’être humain du personnage au sein d’un espace déshumanisé.
La descente au plus profond de soi sera évoquée par une sorte de fenêtre-miroir lumineuse.
Le patron du TNS est parvenu faire en sorte que la comédienne donne une double dimension physique au personnage : elle est la fois « perdue » dans ce lieu angoissant, tout en étant éclatante de force et de présence.
Mademoiselle Brune va nous hypnotiser, à dire ce texte écrit au scalpel, un texte brut et sans concession, avec de longues tirades sans ponctuation, souvent lancinantes.
Elle insuffle ce texte un rythme, une pulsation et une respiration propres.
La comédienne use de son immense palette de jeu pour nous sidérer, nous horrifier, nous glacer, nous bouleverser, mais également pour nous faire comprendre de façon on ne peut plus précise la fascination au sens premier du terme de Claudine Gaea pour la soldate Lynndie England.
Je vous assure que l’entendre affirmer « La laisse va aux filles » vous procure des frissons dans le dos.
L’anaphore « Je pense que... » résonne comme une implacable litanie, déclarée alors que durant un long et imperceptible fade-out, l’obscurité envahit le plateau.
Et si cette plongée inéluctable dans le noir ne concernait pas seulement que la scène de La colline ?
Il faut absolument assister à la brillante et passionnante re-création de cette pièce, servie au mieux par une brûlante et bouleversante Cécile Brune.
C’est évidemment un spectacle incontournable de cette fin d’hiver !
Un verbe à l’impératif. Un nom commun… Aussi.
Au bord. Une auteure. Un texte. Une comédienne.
Comme une incandescence, comme un fer rouge qui vous marque profondément. Pour longtemps.
Tout est parti d’une photo.
De celles qui vous marquent à jamais. De celles qui ne peuvent pas être superposées par d’autres et immédiatement oubliées après l’avoir vue pour la première fois.
Ce terrible et insupportable cliché a sauté à la figure, aux yeux, à l’esprit, au corps de Claudine Galéa en 2004.
Le Washington Post, puis Le Monde.
Une laisse. Avec deux personnes aux deux extrémités.
Une soldate US du côté de la poignée, un prisonnier irakien nu à terre, à l'autre bout, attaché à un collier au crochet métallique.
Au départ, cette photo n’a rien de « politique ». Il ne s’agit pas d’une photo prise par un correspondant de guerre en reportage à la prison d’Abou Ghraib.
Cette photo n’a pas été shootée pour témoigner de l’horreur de la torture. C’est l’un des premiers instantanés numériques, pris par un autre soldat, peut être un ou une pote de chambrée, pour rigoler, pour « immortaliser » un moment qu’il ou elle pensait sans doute être du dernier drôle.
Claudine Galea a évidemment perçu l’inhumanité émanant un d’être humain décidé à ôter cette même humanité à l’un de ses semblables, lui refusant le droit d’exister en tant qu’homme.
Si elle nous pousse à nous questionner sur le type de relation que nous pouvons avoir avec la chose imagée, elle parvient brillamment à dépasser tout ceci pour nous livrer une vertigineuse introspection.
Le personnage sur scène, ce sera elle. Elle qui nous raconte, qui se raconte. Elle qui se projette.
Elle qui nous informe des trente-neuf versions préalables de son texte définitif, du déclencheur final que fut la lecture du livre de Dominique Fourcade, En laisse.
Elle qui nous dit s’être retrouvée récemment « larguée » par une autre femme. Une blessure mettant fin dans la douleur à une forte relation amoureuse.
Ces deux axes vont donc déboucher sur une intense réflexion sur le désir amoureux, sur une projection incroyablement intime, sensuelle, érotique dans cette soldate.
En tant qu’auteure, Claudine Galea se projette dans ce bourreau féminin, mais tente également de la séduire et d’être séduite par elle.
C’est là le passionnant intérêt de cette entreprise dramaturgique qui n’aurait pas été écrite si le tortionnaire était un homme.
Un troisième angle consiste à nous dire en quoi une enfance et surtout une mère ont pu aboutir et en quelque sorte être responsables de la situation dans laquelle se retrouve l’auteure.
La voix.
Celle qui nous manquait tant, cette voix grave rauque, rocailleuse qui résonna si fortement et si brillamment sur les trois plateaux de la Comédie Française.
Une voix que votre serviteur avait hâte de retrouver !
Cécile Brune, mise en scène par Stanislas Nordey, va purement et simplement nous donner une grande et magistrale leçon de théâtre.
Elle est donc seule, au sein d’un espace oppressant, une sorte de cellule à deux niveaux, aux lignes de perspective prononcées.
La belle scénographie d’Emmanuel Clolus témoigne d’un enfermement spatial, certes, mais peut-être et avant tout d’un enfermement intérieur.
Elle apparaît perchée à jardin sur une table métallique, dès lors que le rideau sur laquelle a été progressivement dévoilée la photo en négatif ait été tiré.
Au milieu de cet espace très connoté, son chemisier turquoise sera la seule couleur, avec un rappel d’une une bande de cuir assortie sur les chaussures.
Comme pour nous dire que tout n’est pas perdu, cette couleur symbolisant le statut d’être humain du personnage au sein d’un espace déshumanisé.
La descente au plus profond de soi sera évoquée par une sorte de fenêtre-miroir lumineuse.
Le patron du TNS est parvenu faire en sorte que la comédienne donne une double dimension physique au personnage : elle est la fois « perdue » dans ce lieu angoissant, tout en étant éclatante de force et de présence.
Mademoiselle Brune va nous hypnotiser, à dire ce texte écrit au scalpel, un texte brut et sans concession, avec de longues tirades sans ponctuation, souvent lancinantes.
Elle insuffle ce texte un rythme, une pulsation et une respiration propres.
La comédienne use de son immense palette de jeu pour nous sidérer, nous horrifier, nous glacer, nous bouleverser, mais également pour nous faire comprendre de façon on ne peut plus précise la fascination au sens premier du terme de Claudine Gaea pour la soldate Lynndie England.
Je vous assure que l’entendre affirmer « La laisse va aux filles » vous procure des frissons dans le dos.
L’anaphore « Je pense que... » résonne comme une implacable litanie, déclarée alors que durant un long et imperceptible fade-out, l’obscurité envahit le plateau.
Et si cette plongée inéluctable dans le noir ne concernait pas seulement que la scène de La colline ?
Il faut absolument assister à la brillante et passionnante re-création de cette pièce, servie au mieux par une brûlante et bouleversante Cécile Brune.
C’est évidemment un spectacle incontournable de cette fin d’hiver !
9/10
Un père et manques…
Tu quoque fili…
Une voix s’élève derrière un rideau blanc, alors que Pierre Lefrançois arrive en toute hâte du fond de la salle.
Cette voix, c’est celle de maître André Dubourg, notaire à Lisieux.
Un notaire qui va délivrer un stupéfiant message : il annonce la mort de Srul Sheinaog, alias Jacques Duflot.
Le père de M. Lefrançois.
Un père qu’il n’a pas revu depuis quarante-trois ans, suite à une brutale séparation, le jour de l’anniversaire de ses dix-sept ans.
Autre chose : ce père disparu de la circulation est juif.
Tel est le point de départ de cette pièce écrite, mise en scène et co-interprétée par Erwan Szejnok-Zamor.
Erwan Szejnok-Zamor, le petit-fils d’un homme passé au travers des rafles en 1942, un homme qui a perdu toute sa famille dans les camps que l’on sait, jusqu’ à se retrouver le dernier à en porter le nom.
Dans ce texte passionnant, mêlant le vrai de la réalité familiale à l’imagination de la fiction, il va nous faire partager son positionnement de descendant de troisième génération.
Comme pour nous dire le besoin de nous faire partager le fait d’être dépositaire de cette histoire-là.
Un fils qui doit veiller le corps paternel lors d’une veillée funèbre.
Un fils et un père qui grâce à un artifice théâtral vont pouvoir se parler pour la première fois depuis plus de quarante ans.
Un fils et un père qui vont devoir chacun faire un bout de chemin l’un vers l’autre, pour se comprendre.
Un fils qui pourra faire le deuil d’un père qui fut absent.
Le sujet est délicat, de ceux qui pourraient vite déraper dans un pathos de mauvais aloi.
Ici, ce n’est absolument pas le cas. Avec beaucoup de pudeur, d’émotion juste, mais aussi d’humour, nous est racontée l’histoire de ces deux hommes, qui démarre de l’intime pour aller l’universel.
© Droits réservés Fabienne Rappeneau
Srul-Jacques, c’est donc l’auteur.
Pierre est interprété par Jean-Philippe Bêche, bien connu des fidèles lecteurs de ce site.
Ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est l’apparence des deux personnages, complètement à l’opposée l’une de l’autre.
Le fils a un look très « belmondien », Jean-Philippe Bêche ayant opté pour le fameux triptyque jeans / blouson de cuir noir sur t-shirt blanc.
Le père quant lui fait penser à l’immense Popeck, petite veste sur gilet chemise-cravate, et surtout un petit chapeau à la drôle de forme.
Le duo Bêche/ Szejnok-Zamor va fonctionner à la perfection.
On croit tout à fait et instantanément aux deux personnages. Ces deux-là incarnent avec une irréprochable justesse ces deux personnages aussi attachants l’un que l’autre.
Ils nous font partir d’un grand contraste physique et psychologique pour faire subtilement évoluer les deux perceptions.
Jean-Philippe Bêche parvient de façon épatante à nous montrer l’évolution de son Pierre, qui part de très loin, qualifiant son père d’« Hébreu » (la scène est drôle, tout comme celle du saucisson-jambon. Et non, vous n’en saurez pas plus…).
Une kippa symbolisera de bien belle manière cette évolution-là.
Des scènes comportant beaucoup d’émotion juste nous attendent. Durant ces beaux moments, nous n’en menons pas large. Les deux comédiens sont alors bouleversants.
Cette pièce comporte une autre vertu, et qui mérite d’être vraiment soulignée, par les temps qui courent.
Erwan Szejnok-Zamor nous parle également de religion.
Et ce, de façon lucide et humaniste.
Je me suis parfaitement retrouvé dans son positionnement, moi l’athée complet mais qui ai compris pourquoi il était nécessaire de porter une kippa en pénétrant dans la synagogue et le cimetière de Cracovie.
Le judaïsme qu’il évoque est un judaïsme « au sens large », nous dit-il, une religion de tolérance.
D’ailleurs, son personnage nous le dit : « j’ai été juif et ceci… sans être religieux ».
Il est question de la place de l’Homme, au milieu « d’un grand tout » (autre citation du texte), un Homme dont le positionnement personnel dépend aussi de racines.
Il nous parlera des racines notamment grâce à sa clarinette, dont il tirera un magnifique morceau, nous renvoyant aux racines ashkénazes et au Yiddish, cette langue anéantie par les nazis, qui n’est plus parlée que par quelques rares communautés et un tout petit nombre d’« universitaires poussiéreux », pour reprendre l’expression de Jacques Fredj, le directeur du Mémorial de la Shoah.
Erwan Szejnok-Zamor est également très lucide sur le pathétique positionnement polonais lors de la terrible période qui a privé son grand-père des membres de sa famille. (Je rappelle d'ailleurs au passage que vous ne pouvez pas visiter le site d'Auschwitz sans un guide "officiel polonais", même si vous y allez comme ce fut toujours mon cas avec Tal Brutman, l'historien universitaire français spécialiste incontesté du terrible sujet. Je referme cette autre parenthèse...)
Je n’aurai garde d’oublier de mentionner les très beaux tableaux graphiques de Marion Ducasse et Maxime Richard, projetés au lointain, et qui illustrent de bien belle et bouleversante manière l’un des épisodes les plus sombres de notre histoire.
Vous l’aurez compris, j’ai assisté à un très beau moment de théâtre, que je vous conseille vivement. L'un de ceux qui vous interpellent en tant qu'individu appartenant à la fraternité humaine.
Vous aussi, allez faire le chemin.
Tu quoque fili…
Une voix s’élève derrière un rideau blanc, alors que Pierre Lefrançois arrive en toute hâte du fond de la salle.
Cette voix, c’est celle de maître André Dubourg, notaire à Lisieux.
Un notaire qui va délivrer un stupéfiant message : il annonce la mort de Srul Sheinaog, alias Jacques Duflot.
Le père de M. Lefrançois.
Un père qu’il n’a pas revu depuis quarante-trois ans, suite à une brutale séparation, le jour de l’anniversaire de ses dix-sept ans.
Autre chose : ce père disparu de la circulation est juif.
Tel est le point de départ de cette pièce écrite, mise en scène et co-interprétée par Erwan Szejnok-Zamor.
Erwan Szejnok-Zamor, le petit-fils d’un homme passé au travers des rafles en 1942, un homme qui a perdu toute sa famille dans les camps que l’on sait, jusqu’ à se retrouver le dernier à en porter le nom.
Dans ce texte passionnant, mêlant le vrai de la réalité familiale à l’imagination de la fiction, il va nous faire partager son positionnement de descendant de troisième génération.
Comme pour nous dire le besoin de nous faire partager le fait d’être dépositaire de cette histoire-là.
Un fils qui doit veiller le corps paternel lors d’une veillée funèbre.
Un fils et un père qui grâce à un artifice théâtral vont pouvoir se parler pour la première fois depuis plus de quarante ans.
Un fils et un père qui vont devoir chacun faire un bout de chemin l’un vers l’autre, pour se comprendre.
Un fils qui pourra faire le deuil d’un père qui fut absent.
Le sujet est délicat, de ceux qui pourraient vite déraper dans un pathos de mauvais aloi.
Ici, ce n’est absolument pas le cas. Avec beaucoup de pudeur, d’émotion juste, mais aussi d’humour, nous est racontée l’histoire de ces deux hommes, qui démarre de l’intime pour aller l’universel.
© Droits réservés Fabienne Rappeneau
Srul-Jacques, c’est donc l’auteur.
Pierre est interprété par Jean-Philippe Bêche, bien connu des fidèles lecteurs de ce site.
Ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est l’apparence des deux personnages, complètement à l’opposée l’une de l’autre.
Le fils a un look très « belmondien », Jean-Philippe Bêche ayant opté pour le fameux triptyque jeans / blouson de cuir noir sur t-shirt blanc.
Le père quant lui fait penser à l’immense Popeck, petite veste sur gilet chemise-cravate, et surtout un petit chapeau à la drôle de forme.
Le duo Bêche/ Szejnok-Zamor va fonctionner à la perfection.
On croit tout à fait et instantanément aux deux personnages. Ces deux-là incarnent avec une irréprochable justesse ces deux personnages aussi attachants l’un que l’autre.
Ils nous font partir d’un grand contraste physique et psychologique pour faire subtilement évoluer les deux perceptions.
Jean-Philippe Bêche parvient de façon épatante à nous montrer l’évolution de son Pierre, qui part de très loin, qualifiant son père d’« Hébreu » (la scène est drôle, tout comme celle du saucisson-jambon. Et non, vous n’en saurez pas plus…).
Une kippa symbolisera de bien belle manière cette évolution-là.
Des scènes comportant beaucoup d’émotion juste nous attendent. Durant ces beaux moments, nous n’en menons pas large. Les deux comédiens sont alors bouleversants.
Cette pièce comporte une autre vertu, et qui mérite d’être vraiment soulignée, par les temps qui courent.
Erwan Szejnok-Zamor nous parle également de religion.
Et ce, de façon lucide et humaniste.
Je me suis parfaitement retrouvé dans son positionnement, moi l’athée complet mais qui ai compris pourquoi il était nécessaire de porter une kippa en pénétrant dans la synagogue et le cimetière de Cracovie.
Le judaïsme qu’il évoque est un judaïsme « au sens large », nous dit-il, une religion de tolérance.
D’ailleurs, son personnage nous le dit : « j’ai été juif et ceci… sans être religieux ».
Il est question de la place de l’Homme, au milieu « d’un grand tout » (autre citation du texte), un Homme dont le positionnement personnel dépend aussi de racines.
Il nous parlera des racines notamment grâce à sa clarinette, dont il tirera un magnifique morceau, nous renvoyant aux racines ashkénazes et au Yiddish, cette langue anéantie par les nazis, qui n’est plus parlée que par quelques rares communautés et un tout petit nombre d’« universitaires poussiéreux », pour reprendre l’expression de Jacques Fredj, le directeur du Mémorial de la Shoah.
Erwan Szejnok-Zamor est également très lucide sur le pathétique positionnement polonais lors de la terrible période qui a privé son grand-père des membres de sa famille. (Je rappelle d'ailleurs au passage que vous ne pouvez pas visiter le site d'Auschwitz sans un guide "officiel polonais", même si vous y allez comme ce fut toujours mon cas avec Tal Brutman, l'historien universitaire français spécialiste incontesté du terrible sujet. Je referme cette autre parenthèse...)
Je n’aurai garde d’oublier de mentionner les très beaux tableaux graphiques de Marion Ducasse et Maxime Richard, projetés au lointain, et qui illustrent de bien belle et bouleversante manière l’un des épisodes les plus sombres de notre histoire.
Vous l’aurez compris, j’ai assisté à un très beau moment de théâtre, que je vous conseille vivement. L'un de ceux qui vous interpellent en tant qu'individu appartenant à la fraternité humaine.
Vous aussi, allez faire le chemin.
10/10
« Je suis une légende ».
Seule la modestie et la gentillesse bien connues de cet homme l’empêchent de prononcer la précédente phrase.
Oui, cet homme est une véritable légende dans le monde du jazz et du funk en général, et dans la communauté des amateurs de notes graves en particulier, que ce soient les amoureux de la contrebasse ou de la basse électrique.
Christian Mc Bride, celui qui a participé à l’enregistrement de plus de deux mille albums. Oui, vous avez bien lu. Plus de deux mille...
Celui-là a en effet joué aux côtés de Isaac Hayes, Pat Metheny, Chick Corea, Stevie Wonder, James BrownSting, Sonny Rollins, Paul Mc Cartney, Herbie Hancock, Queen Latifah, pour ne citer qu’eux…
Christian Mc Bride, le contrebassiste virtuose !
Lors de sa dernière tournée, avant la pandémie que l’on sait, il était aux commandes d’un groupe très funk, avec notamment à ses côtés la célèbre pianiste et claviériste Miss Patrice Rushen.
Il était d’ailleurs passé par le festival Django Reinhardt de Fontainebleau.
Depuis, il a eu la très bonne idée de reformer le quintet Inside Straight, qui enchanta les aficionados dans le début des années 2000, et qui inaugura sa collaboration avec le label Mack Avenue Records.
Inside straight ! Droit devant et retour aux sources !
Un jazz véritablement passionnant, un bop et un swing dits classiques, qui vont enthousiasmer le public du magnifique auditorium de la Seine musicale la sublime acoustique.
Cette reformation est accompagnée d’un magnifique nouvel album, le douzième enregistré en son nom propre.
Un enregistrement live capté au mythique club new-yorkais de la 7ème Avenue, le Village Vanguard, qui rappelle par ailleurs l’infatigable engagement du contrebassiste en faveur des droits civiques et de la place musicale des Afro-Américains.
Pas étonnant donc que l’un des titres s’intitule Ms. Angelou.
A ses côtés, quatre autres maîtres en leur domaine.
Nous allons vite nous en rendre compte dans les deux premiers morceaux, une composition du patron et puis Sweat Bread qui ouvre l’album live. Deux pièces qui vont permettre de mettre immédiatement en place un postulat : nous allons en prendre plein des oreilles et nous allons assister à un grand concert.
Il faut signaler que Christian Mc Bride n’occupe pas le devant de la scène. Il est au cœur du plateau, bien au centre des débats, laissant énormément de place à la fois topographique et musicale à ses quatre compères.
Au vibraphone, l’excellent Warren Wolf, remarqué par Mr Mc Bride, alors qu’il était encore étudiant. Mister Wolf signe plusieurs compositions de l’album évoqué plus haut, dont ce Sweat Bread.
Peter Martin est au piano, grand complice de longue date.
Le saxophoniste alto et soprano Jaleel Shaw et Carl Allen à la batterie complètent la petite troupe.
Chacun d’entre eux va pouvoir s’exprimer intensément, avant que la contrebasse chante ! Et de quelle façon !
Deux questions se posent une nouvelle fois à propos de Christian Mc Bride : ce type est-il humain , pour jouer de la sorte ? Aurait-il plus de doigts aux mains que vous et moi ?
Encore et toujours, l’immense musicien sidère le public par sa virtuosité et sa capacité à jouer avec une vitesse, une technique fulgurantes et une précision fascinante autant de notes, avec toujours autant de lyrisme, de sensibilité et de délicatesse.
C’est bien simple, c’est un véritable éventail de ce qu’il est possible de jouer avec cet instrument.
Ah ! Ces walking-bass, cette façon de jouer en accords, ces positions incroyables au bas du manche, ces cordes pincées tout près du haut de la touche... Hallucinant...
De grands moments, de très grands moments nous attendent.
© Photo Sandrine Poey
Dans Gang gang et dans une reprise de Weaver of Dreams, du trompettiste Freddie Hubard, nous assistons émerveillés à deux chases, deux dialogues passionnants : Warren Wolf croisera le fer des lames de son vibraphone avec le cuivre du sax de Jaleel Shaw, puis le bois et les cordes de Peter Martin.
Une incroyable complicité lie tout ce petit monde.
Les cinq musiciens s’amusent, échangent moult sourires, rires, plaisanteries, notamment quand l’impressionnant Carl Allen rattrape au vol l’une de ses baguettes, que sa manche de sweat-shirt soudainement redescendue avait envoyé voler…
Mais c’est bien la version de Sophisticated Lady qui va plonger la Seine musicale dans un véritable état de grâce.
Ou comment faire en sorte que tous les spectateurs se retrouvent bouche bée !
Christian Mc Bride à l’archet est alors bouleversant de lyrisme et de musicalité.
Le célèbre thème de Duke Ellington développé de façon magistrale fait monter les larmes aux yeux, devant tellement de beauté et d’émotion. Ô temps, tu as alors suspendu ton vol…
Bouleversant, vous dis-je...
Hommage sera également rendu à Chick Corea, dont on se souvient du fameux trio à la philharmonie de Paris, avec le contrebassiste aux sept Grammy Awards et Brian Blade aux drums.
Nous nous quitterons en beauté avec deux rappels, dont The shape of the Cedar Tree, dans lequel une dernière fois les cinq immenses et passionnants musiciens nous enchantent et nous envoûtent !
Ce concert fait partie de ceux dont vous sortez en pensant : « je pourrais dire que j’y étais » !
Deux heures de grâce et de bonheur.
Et par les temps qui courent, qu’est-ce que ça fait du bien !
« Je suis une légende ».
Seule la modestie et la gentillesse bien connues de cet homme l’empêchent de prononcer la précédente phrase.
Oui, cet homme est une véritable légende dans le monde du jazz et du funk en général, et dans la communauté des amateurs de notes graves en particulier, que ce soient les amoureux de la contrebasse ou de la basse électrique.
Christian Mc Bride, celui qui a participé à l’enregistrement de plus de deux mille albums. Oui, vous avez bien lu. Plus de deux mille...
Celui-là a en effet joué aux côtés de Isaac Hayes, Pat Metheny, Chick Corea, Stevie Wonder, James BrownSting, Sonny Rollins, Paul Mc Cartney, Herbie Hancock, Queen Latifah, pour ne citer qu’eux…
Christian Mc Bride, le contrebassiste virtuose !
Lors de sa dernière tournée, avant la pandémie que l’on sait, il était aux commandes d’un groupe très funk, avec notamment à ses côtés la célèbre pianiste et claviériste Miss Patrice Rushen.
Il était d’ailleurs passé par le festival Django Reinhardt de Fontainebleau.
Depuis, il a eu la très bonne idée de reformer le quintet Inside Straight, qui enchanta les aficionados dans le début des années 2000, et qui inaugura sa collaboration avec le label Mack Avenue Records.
Inside straight ! Droit devant et retour aux sources !
Un jazz véritablement passionnant, un bop et un swing dits classiques, qui vont enthousiasmer le public du magnifique auditorium de la Seine musicale la sublime acoustique.
Cette reformation est accompagnée d’un magnifique nouvel album, le douzième enregistré en son nom propre.
Un enregistrement live capté au mythique club new-yorkais de la 7ème Avenue, le Village Vanguard, qui rappelle par ailleurs l’infatigable engagement du contrebassiste en faveur des droits civiques et de la place musicale des Afro-Américains.
Pas étonnant donc que l’un des titres s’intitule Ms. Angelou.
A ses côtés, quatre autres maîtres en leur domaine.
Nous allons vite nous en rendre compte dans les deux premiers morceaux, une composition du patron et puis Sweat Bread qui ouvre l’album live. Deux pièces qui vont permettre de mettre immédiatement en place un postulat : nous allons en prendre plein des oreilles et nous allons assister à un grand concert.
Il faut signaler que Christian Mc Bride n’occupe pas le devant de la scène. Il est au cœur du plateau, bien au centre des débats, laissant énormément de place à la fois topographique et musicale à ses quatre compères.
Au vibraphone, l’excellent Warren Wolf, remarqué par Mr Mc Bride, alors qu’il était encore étudiant. Mister Wolf signe plusieurs compositions de l’album évoqué plus haut, dont ce Sweat Bread.
Peter Martin est au piano, grand complice de longue date.
Le saxophoniste alto et soprano Jaleel Shaw et Carl Allen à la batterie complètent la petite troupe.
Chacun d’entre eux va pouvoir s’exprimer intensément, avant que la contrebasse chante ! Et de quelle façon !
Deux questions se posent une nouvelle fois à propos de Christian Mc Bride : ce type est-il humain , pour jouer de la sorte ? Aurait-il plus de doigts aux mains que vous et moi ?
Encore et toujours, l’immense musicien sidère le public par sa virtuosité et sa capacité à jouer avec une vitesse, une technique fulgurantes et une précision fascinante autant de notes, avec toujours autant de lyrisme, de sensibilité et de délicatesse.
C’est bien simple, c’est un véritable éventail de ce qu’il est possible de jouer avec cet instrument.
Ah ! Ces walking-bass, cette façon de jouer en accords, ces positions incroyables au bas du manche, ces cordes pincées tout près du haut de la touche... Hallucinant...
De grands moments, de très grands moments nous attendent.
© Photo Sandrine Poey
Dans Gang gang et dans une reprise de Weaver of Dreams, du trompettiste Freddie Hubard, nous assistons émerveillés à deux chases, deux dialogues passionnants : Warren Wolf croisera le fer des lames de son vibraphone avec le cuivre du sax de Jaleel Shaw, puis le bois et les cordes de Peter Martin.
Une incroyable complicité lie tout ce petit monde.
Les cinq musiciens s’amusent, échangent moult sourires, rires, plaisanteries, notamment quand l’impressionnant Carl Allen rattrape au vol l’une de ses baguettes, que sa manche de sweat-shirt soudainement redescendue avait envoyé voler…
Mais c’est bien la version de Sophisticated Lady qui va plonger la Seine musicale dans un véritable état de grâce.
Ou comment faire en sorte que tous les spectateurs se retrouvent bouche bée !
Christian Mc Bride à l’archet est alors bouleversant de lyrisme et de musicalité.
Le célèbre thème de Duke Ellington développé de façon magistrale fait monter les larmes aux yeux, devant tellement de beauté et d’émotion. Ô temps, tu as alors suspendu ton vol…
Bouleversant, vous dis-je...
Hommage sera également rendu à Chick Corea, dont on se souvient du fameux trio à la philharmonie de Paris, avec le contrebassiste aux sept Grammy Awards et Brian Blade aux drums.
Nous nous quitterons en beauté avec deux rappels, dont The shape of the Cedar Tree, dans lequel une dernière fois les cinq immenses et passionnants musiciens nous enchantent et nous envoûtent !
Ce concert fait partie de ceux dont vous sortez en pensant : « je pourrais dire que j’y étais » !
Deux heures de grâce et de bonheur.
Et par les temps qui courent, qu’est-ce que ça fait du bien !
9/10
Celui qu’il aime prendra le train…
Celui qu’Hélios Azoulay a un jour eu la grande surprise de rencontrer dans un train, alors qu’il allait aux toilettes.
La surprise, oui, véritablement, car celui qu’il rencontre n’est autre que son père.
Un père décédé depuis trente-cinq ans.
Vous avouerez que comme rencontre, celle-ci n’est pas banale.
Il est des histoires qu’un beau jour, un homme qui fut naguère petit garçon ressent le besoin viscéral de raconter.
De raconter aux autres, mais peut-être et surtout de se raconter à soi-même.
C’est le cas d’Hélios Azoulay, qui, grâce à l’adaptation de son roman éponyme, nous dit cette impérieuse nécessité de nous faire partager son enfance, quasiment confisquée par le destin.
Dans ce titre, en effet, « Moi aussi, j’ai vécu », dans ces cinq mots, les deux plus importants sont « Moi aussi ».
Un pronom personnel et un adverbe. Lourds de sens. Très lourds.
Dire, redire cette impression d’avoir existé, malgré le décès de deux hommes de la famille, malgré la perte de deux êtres chers qui vous quittent avant d’avoir terminé la transmission.
Nul ne guérit de son enfance, chantait naguère Jean Ferrat.
Ce spectacle résonne comme un devoir de mémoire, ressenti à un moment où un fils devient plus âgé que son papa au moment de son départ définitif.
Peut-être même une catharsis personnelle. Ecrire et dire pour exorciser et peut-être guérir, ou tenter de guérir le mieux possible.
Le noir tombe sur la salle Jean-Topor.
Le son doux et velouté d’une clarinette se lève dans l’obscurité, des volutes musicales évoquant l’orient, le soleil, la nostalgie.
Il arrive du fond de la salle, Hélios Azoulay, avec le smoking de mariage de son pépé, un costume aux manches trop courtes, à la doublure du dos décousue.
Jouant de la clarinette Mib, elle aussi ayant appartenu à son grand-père, musicien de jazz contrarié par une « pleureuse », apprendrons-nous, en l’occurrence son épouse.
Un instrument assez rare, que l’auteur-comédien a d'ailleurs eu du mal à faire restaurer.
Sous le coude, son doudou d’enfant.
Il se plante à jardin derrière une servante de théâtre. Une petite lumière lourde de sens.
A ses cotés, un meuble lui aussi très signifiant : un confident, un fauteuil double où deux sièges se font face.
Il va nous dire ses mots.
Dès les premiers, il nous attire dans ses rêts narratifs pour ne plus nous lâcher.
Ce qu’il nous raconte, et la façon dont il le raconte va nous envoûter.
D’une voix douce et feutrée, dans un premier temps, à l’image de son instrument de prédilection couleur d’ébène.
L’écriture est ciselée, incisive et très évocatrice.
Nous les avons devant nous ce père, cet hôtel de Mumbaï, ce couloir d’hôpital, nous vivons ces souvenirs avec celui qui nous les narre, nous voyons purement et simplement ce grand-père si important.
Bien souvent, Hélios Azoulay nous bouleverse, tellement ce besoin de se souvenir est important, tellement cette volonté d’exprimer son existence enfantine propre est vitale.
Ce hurlement « Moi aussi, j’ai vécu ! », sur le Pont des Arts, est déchirant !
Steve Suissa, qui a lu le livre de son comédien dès sa parution est à la mise en scène.
Suissa, qui est à la direction d’acteur ce que l’anche est à la clarinette : un élément essentiel, que l’on ne voit pas, mais à qui l’on doit une grande partie de la réussite du processus artistique.
Suissa qui sait placer comme personne un acteur sur plateau, et surtout, qui sait lui faire occuper l’espace. Tout l’espace.
Ici, sa mise en scène repose en grande partie sur la collaboration avec Jacques Rouveyrollis, l’immense créateur-lumières que l’on sait.
Différents espaces seront matérialisés par des projecteurs à découpe ou encore des modèles à gobos.
Le comédien se déplace au fur et à mesure que les espaces apparaissent.
Le procédé est très judicieux et fonctionne à la perfection.
Les souvenirs se succèdent, l’émotion va croissant, et l’on comprend bien cette nécessité de nous faire partager tout ça.
Un magnifique solo vient conclure ce spectacle, avec un retour derrière la servante.
La musique de l’important compositeur qu’est Hélios Azoulay m’a fait frissonner, notamment avec un growl merveilleux, un mélange de voix et de musique, témoignant s’il en était encore besoin de la virtuosité du musicien.
Hélios Azoulay, un homme qui arrive là où l’on ne l’attend pas.
Musicien, compositeur, directeur musical de l’Ensemble de Musique Incidentale, personnalité souvent assez extravertie-extravagante et passionnante, il ajoute ici une nouvelle corde à son arc qui en compte déjà beaucoup.
Cette plongée dans des souvenirs enfantins est à la fois passionnante et bouleversante.
Une évocation magistrale d’une enfance non pas volée, mais en tout cas d’un moment d’une jeune vie que celui devenu adulte revendique avoir vécu.
Lui aussi !
Il faut aller voir et écouter Hélios Azoulay !
Celui qu’Hélios Azoulay a un jour eu la grande surprise de rencontrer dans un train, alors qu’il allait aux toilettes.
La surprise, oui, véritablement, car celui qu’il rencontre n’est autre que son père.
Un père décédé depuis trente-cinq ans.
Vous avouerez que comme rencontre, celle-ci n’est pas banale.
Il est des histoires qu’un beau jour, un homme qui fut naguère petit garçon ressent le besoin viscéral de raconter.
De raconter aux autres, mais peut-être et surtout de se raconter à soi-même.
C’est le cas d’Hélios Azoulay, qui, grâce à l’adaptation de son roman éponyme, nous dit cette impérieuse nécessité de nous faire partager son enfance, quasiment confisquée par le destin.
Dans ce titre, en effet, « Moi aussi, j’ai vécu », dans ces cinq mots, les deux plus importants sont « Moi aussi ».
Un pronom personnel et un adverbe. Lourds de sens. Très lourds.
Dire, redire cette impression d’avoir existé, malgré le décès de deux hommes de la famille, malgré la perte de deux êtres chers qui vous quittent avant d’avoir terminé la transmission.
Nul ne guérit de son enfance, chantait naguère Jean Ferrat.
Ce spectacle résonne comme un devoir de mémoire, ressenti à un moment où un fils devient plus âgé que son papa au moment de son départ définitif.
Peut-être même une catharsis personnelle. Ecrire et dire pour exorciser et peut-être guérir, ou tenter de guérir le mieux possible.
Le noir tombe sur la salle Jean-Topor.
Le son doux et velouté d’une clarinette se lève dans l’obscurité, des volutes musicales évoquant l’orient, le soleil, la nostalgie.
Il arrive du fond de la salle, Hélios Azoulay, avec le smoking de mariage de son pépé, un costume aux manches trop courtes, à la doublure du dos décousue.
Jouant de la clarinette Mib, elle aussi ayant appartenu à son grand-père, musicien de jazz contrarié par une « pleureuse », apprendrons-nous, en l’occurrence son épouse.
Un instrument assez rare, que l’auteur-comédien a d'ailleurs eu du mal à faire restaurer.
Sous le coude, son doudou d’enfant.
Il se plante à jardin derrière une servante de théâtre. Une petite lumière lourde de sens.
A ses cotés, un meuble lui aussi très signifiant : un confident, un fauteuil double où deux sièges se font face.
Il va nous dire ses mots.
Dès les premiers, il nous attire dans ses rêts narratifs pour ne plus nous lâcher.
Ce qu’il nous raconte, et la façon dont il le raconte va nous envoûter.
D’une voix douce et feutrée, dans un premier temps, à l’image de son instrument de prédilection couleur d’ébène.
L’écriture est ciselée, incisive et très évocatrice.
Nous les avons devant nous ce père, cet hôtel de Mumbaï, ce couloir d’hôpital, nous vivons ces souvenirs avec celui qui nous les narre, nous voyons purement et simplement ce grand-père si important.
Bien souvent, Hélios Azoulay nous bouleverse, tellement ce besoin de se souvenir est important, tellement cette volonté d’exprimer son existence enfantine propre est vitale.
Ce hurlement « Moi aussi, j’ai vécu ! », sur le Pont des Arts, est déchirant !
Steve Suissa, qui a lu le livre de son comédien dès sa parution est à la mise en scène.
Suissa, qui est à la direction d’acteur ce que l’anche est à la clarinette : un élément essentiel, que l’on ne voit pas, mais à qui l’on doit une grande partie de la réussite du processus artistique.
Suissa qui sait placer comme personne un acteur sur plateau, et surtout, qui sait lui faire occuper l’espace. Tout l’espace.
Ici, sa mise en scène repose en grande partie sur la collaboration avec Jacques Rouveyrollis, l’immense créateur-lumières que l’on sait.
Différents espaces seront matérialisés par des projecteurs à découpe ou encore des modèles à gobos.
Le comédien se déplace au fur et à mesure que les espaces apparaissent.
Le procédé est très judicieux et fonctionne à la perfection.
Les souvenirs se succèdent, l’émotion va croissant, et l’on comprend bien cette nécessité de nous faire partager tout ça.
Un magnifique solo vient conclure ce spectacle, avec un retour derrière la servante.
La musique de l’important compositeur qu’est Hélios Azoulay m’a fait frissonner, notamment avec un growl merveilleux, un mélange de voix et de musique, témoignant s’il en était encore besoin de la virtuosité du musicien.
Hélios Azoulay, un homme qui arrive là où l’on ne l’attend pas.
Musicien, compositeur, directeur musical de l’Ensemble de Musique Incidentale, personnalité souvent assez extravertie-extravagante et passionnante, il ajoute ici une nouvelle corde à son arc qui en compte déjà beaucoup.
Cette plongée dans des souvenirs enfantins est à la fois passionnante et bouleversante.
Une évocation magistrale d’une enfance non pas volée, mais en tout cas d’un moment d’une jeune vie que celui devenu adulte revendique avoir vécu.
Lui aussi !
Il faut aller voir et écouter Hélios Azoulay !