Ses critiques
20 critiques
8,5/10
Au comptoir, quelques jeunes personnes attendent la représentation.
- Je crois que je comprends rien à ces histoires de retraite, et puis je m’en branle un peu. Mais les mecs sont chauds quand même.
Vêtu de noir, comme tout bon élève en architecture, Bastien a l’avis prolixe. Il reprend Johanna, culpabilisateur.
- C’est ton avenir qui se joue, tu ne peux décemment pas ignorer ce combat.
Heureux du sujet abordé, il enchaîne et ressert, allègre, les arguments jetés à son paternel pour le poulet dominical. Chouïa emphatique !
- C’est tout un système qui s’engage. Une bataille sur le fond. Le capital attaque les derniers bastions de nos modèles sociaux de société. A ce propos, tu devrais lire ce qu’a dit…
Johanna s’échappe, rêveuse. Elle feint l’intérêt, lui jette de petits hochements
- Hmmm
Loin, elle est partie au soleil. Sa blondeur travaille. Elle imagine la sensation de chaud sur son corps, une marche longue, un accent espagnol mignon mais imbitable. Elle imagine les panneaux qui défilent : CARACAS, LIMA, MONTEVIDEO, BOGOTA, etc…
- Et cette conne de borne, mouton de panurge d’une structure pénitente…
Les saveurs, l’odeur du gazole d’un vieux bus, la sueur salant la peau, le chimi churi, le mescal, …
- Il faut qu’on y aille Bastien.
Johanna avait découvert cet artiste pendant le confinement, heureuse de le voir enfin. Elle s’installe, encore légère de ses évasions, elle observe. Bastien, frénétique, remue, souffle. Il consulte les informations, trépigne. L’adolescent peu inspiré n’est pas très loin.
Le spectacle commence alors, Thomas entame par une jeune femme, un brin militante. Elle reviendra. Car, tout à tour, il incarne, avec une profonde justesse, des personnages improbables.
Bastien se détend, le rire claque, souvent.
Thomas l’a chopé, lui a soudoyé la curiosité. Dans une quête de biographe, Bastien ausculte, tente de discerner le vrai du faux, le réel de l’imaginé. Il est monté à bord d’un spectacle virevoltant. Les personnages, précis, enchantent. Certaines postures sont de vraies trouvailles.
Et puis, ce noir profond, entre chaque « caractère », laisse du temps libre. Pour penser au prochain, pour regarder Johanna hilare, pour ressasser le précédent.
C’est savamment intime, souvent drôle, tellement drôle.
Thomas a gagné. Bastien a laissé tomber ses perruques.
- Je crois que je comprends rien à ces histoires de retraite, et puis je m’en branle un peu. Mais les mecs sont chauds quand même.
Vêtu de noir, comme tout bon élève en architecture, Bastien a l’avis prolixe. Il reprend Johanna, culpabilisateur.
- C’est ton avenir qui se joue, tu ne peux décemment pas ignorer ce combat.
Heureux du sujet abordé, il enchaîne et ressert, allègre, les arguments jetés à son paternel pour le poulet dominical. Chouïa emphatique !
- C’est tout un système qui s’engage. Une bataille sur le fond. Le capital attaque les derniers bastions de nos modèles sociaux de société. A ce propos, tu devrais lire ce qu’a dit…
Johanna s’échappe, rêveuse. Elle feint l’intérêt, lui jette de petits hochements
- Hmmm
Loin, elle est partie au soleil. Sa blondeur travaille. Elle imagine la sensation de chaud sur son corps, une marche longue, un accent espagnol mignon mais imbitable. Elle imagine les panneaux qui défilent : CARACAS, LIMA, MONTEVIDEO, BOGOTA, etc…
- Et cette conne de borne, mouton de panurge d’une structure pénitente…
Les saveurs, l’odeur du gazole d’un vieux bus, la sueur salant la peau, le chimi churi, le mescal, …
- Il faut qu’on y aille Bastien.
Johanna avait découvert cet artiste pendant le confinement, heureuse de le voir enfin. Elle s’installe, encore légère de ses évasions, elle observe. Bastien, frénétique, remue, souffle. Il consulte les informations, trépigne. L’adolescent peu inspiré n’est pas très loin.
Le spectacle commence alors, Thomas entame par une jeune femme, un brin militante. Elle reviendra. Car, tout à tour, il incarne, avec une profonde justesse, des personnages improbables.
Bastien se détend, le rire claque, souvent.
Thomas l’a chopé, lui a soudoyé la curiosité. Dans une quête de biographe, Bastien ausculte, tente de discerner le vrai du faux, le réel de l’imaginé. Il est monté à bord d’un spectacle virevoltant. Les personnages, précis, enchantent. Certaines postures sont de vraies trouvailles.
Et puis, ce noir profond, entre chaque « caractère », laisse du temps libre. Pour penser au prochain, pour regarder Johanna hilare, pour ressasser le précédent.
C’est savamment intime, souvent drôle, tellement drôle.
Thomas a gagné. Bastien a laissé tomber ses perruques.
8,5/10
Quelle droiture.
Victor est installé à ma gauche dans ce petit troquet. Un calepin à spirales posé sous son stylo pendant qu’il dîne. Un calepin avec les spirales du haut, celles du vieux colombo. Il dîne un juteux « comme d’habitude Victor » (et oui, tu es vif, c’est comme ça que je connais son prénom). Il n’a pas échangé un seul mot, pas un seul sourire. Sa chemise aussi est pincée.
De temps en temps, il s’arrête pour prendre une note. Je tente vainement d’en comprendre le sens. Il écrit comme un cochon. Mais le geste, en revanche, est travaillé, usuel. Le serveur lui sert de l’eau et me jette une œillade. Il me dit clairement « moi pas comprendre lui » avec ses yeux qui tentent de toucher ses sourcils.
J’imagine alors Victor intime. Je le vois comme le genre d’hommes qui possède à la fois un pyjama, une robe de chambre et un porte-toasts. J’ai toujours eu envie de rencontrer un homme qui range ses toasts. Par curiosité surtout.
Je quitte ce chaud comptoir pour le théâtre. J’arrive totalement ignorante sur ce que je vais voir, une copine m’a donné sa place. Et là, je me fais choper ! C’est en fait un spectacle de Danse, il n’y aura que peu de mots. Je me fais choper par la lumière d’abord. Somptueuse. Des jeux de contrastes permanents, tellement habiles qu’ils masquent les ressorts techniques des performances successives. C’est d’une grâce, d’une beauté rare, balancé par une musique précise. C’est en plus intrigant.
Quel bonheur que d’imaginer que son voisin y voit des hypothèses différentes. Et ce surtout avec la même joie, la même âme vagabonde. Chacun son histoire. Belle. Chacun sa belle histoire. Et cette lumière… L’émerveillement en fût.
De ce petit nuage, je retombe doucement, secouée par la frénésie des applaudissements. Au moment où je quitte finalement ma rangée, j’aperçois, plus haut, Victor. Seul, le regard dans le vide, il a les joues rosies par l’émotion.
Le toast n’était pas une biscotte.
Victor est installé à ma gauche dans ce petit troquet. Un calepin à spirales posé sous son stylo pendant qu’il dîne. Un calepin avec les spirales du haut, celles du vieux colombo. Il dîne un juteux « comme d’habitude Victor » (et oui, tu es vif, c’est comme ça que je connais son prénom). Il n’a pas échangé un seul mot, pas un seul sourire. Sa chemise aussi est pincée.
De temps en temps, il s’arrête pour prendre une note. Je tente vainement d’en comprendre le sens. Il écrit comme un cochon. Mais le geste, en revanche, est travaillé, usuel. Le serveur lui sert de l’eau et me jette une œillade. Il me dit clairement « moi pas comprendre lui » avec ses yeux qui tentent de toucher ses sourcils.
J’imagine alors Victor intime. Je le vois comme le genre d’hommes qui possède à la fois un pyjama, une robe de chambre et un porte-toasts. J’ai toujours eu envie de rencontrer un homme qui range ses toasts. Par curiosité surtout.
Je quitte ce chaud comptoir pour le théâtre. J’arrive totalement ignorante sur ce que je vais voir, une copine m’a donné sa place. Et là, je me fais choper ! C’est en fait un spectacle de Danse, il n’y aura que peu de mots. Je me fais choper par la lumière d’abord. Somptueuse. Des jeux de contrastes permanents, tellement habiles qu’ils masquent les ressorts techniques des performances successives. C’est d’une grâce, d’une beauté rare, balancé par une musique précise. C’est en plus intrigant.
Quel bonheur que d’imaginer que son voisin y voit des hypothèses différentes. Et ce surtout avec la même joie, la même âme vagabonde. Chacun son histoire. Belle. Chacun sa belle histoire. Et cette lumière… L’émerveillement en fût.
De ce petit nuage, je retombe doucement, secouée par la frénésie des applaudissements. Au moment où je quitte finalement ma rangée, j’aperçois, plus haut, Victor. Seul, le regard dans le vide, il a les joues rosies par l’émotion.
Le toast n’était pas une biscotte.
8/10
- Elle est un peu con ta mère quand même.
Grinçante, Anémone apostrophe sa petite fille et se glisse le fond de son verre de chardonnay.
- Non, je te provoque. Mais c’est indéniable pour moi, il y a un avant et un après ORPEA. Ma vie est transformée. Exit l’EPAD et regarde depuis : Appartement dans Paris, budget illimité, carte uber eats, abonnement à l’hippodrome, à Netflix et au théâtre… Qu’est-ce que c’est beau la culpabilité !
- C’est vrai qu’elle a sacrément bougé le curseur. Je soupçonne un petit effet ménopause non ?
- Oh que c’est vilain ça ! Mais c’est possible oui. C’est même plutôt probable maintenant que tu le dis…
Anna, un peu coupable, se veut plus tendre, et tente de faire le lien entre sa mère et sa grand-mère :
- En fait, je pense que c’est par amour. Elle vient de s’apercevoir qu’elle t’aimait. Non, non écoute moi. Elle réalise, à 52 ans, ce que tu as fait pour elle. Enfin libre de ses enfants, elle comprend l’ingratitude des partants. Et cela la rend aimante, un peu coupable, mais profondément aimante de ce que tu es.
Anémone, un peu gênée par l’hypothèse, tente une virgule pour éviter de trop penser à Annie, sa fille.
- Tu crois que ça va parler de ce type d’amour ce soir ?
- Je doute. Il y a du Fado prévu…
- Ah oui, c’est juste.
C’est en sortant qu’elles pourraient répondre à la question. Nous les retrouvons, émues, 1h30 plus tard.
- Je crois que j’ai raté quelques phrases. Cette traduction allait parfois un peu vite pour moi. Mais surtout, je crois que je ne le regardais plus souvent, totalement absorbée par la scène.
- Quelle beauté, quelle élégance. Et tu as vu les acteurs ? Que des gueules incroyables. Pas des gens à la plastique parfaite. Mais des gueules, des gens habités, beaux d’une âme supposée.
- Et ce rouge, ces jeux sur la teinture, cette lumière et ses jeux d’ombres permanent, c’était vraiment superbe.
- Et ce fado, oh putain ce fado Mamie ! Je suis lisboète, je veux Lisbonne, je veux porto, je veux aimer. Je suis amoureuse de sa voix, de ses guitares. Je veux faire l’amour en portugais, sur une guitare sèche. Je veux faire l’amour mélancolique, voir mon ombre sur le mur. Je veux pleurer…
- Oui c’était superbe. Je crois que je vais en parler à ta mère
Grinçante, Anémone apostrophe sa petite fille et se glisse le fond de son verre de chardonnay.
- Non, je te provoque. Mais c’est indéniable pour moi, il y a un avant et un après ORPEA. Ma vie est transformée. Exit l’EPAD et regarde depuis : Appartement dans Paris, budget illimité, carte uber eats, abonnement à l’hippodrome, à Netflix et au théâtre… Qu’est-ce que c’est beau la culpabilité !
- C’est vrai qu’elle a sacrément bougé le curseur. Je soupçonne un petit effet ménopause non ?
- Oh que c’est vilain ça ! Mais c’est possible oui. C’est même plutôt probable maintenant que tu le dis…
Anna, un peu coupable, se veut plus tendre, et tente de faire le lien entre sa mère et sa grand-mère :
- En fait, je pense que c’est par amour. Elle vient de s’apercevoir qu’elle t’aimait. Non, non écoute moi. Elle réalise, à 52 ans, ce que tu as fait pour elle. Enfin libre de ses enfants, elle comprend l’ingratitude des partants. Et cela la rend aimante, un peu coupable, mais profondément aimante de ce que tu es.
Anémone, un peu gênée par l’hypothèse, tente une virgule pour éviter de trop penser à Annie, sa fille.
- Tu crois que ça va parler de ce type d’amour ce soir ?
- Je doute. Il y a du Fado prévu…
- Ah oui, c’est juste.
C’est en sortant qu’elles pourraient répondre à la question. Nous les retrouvons, émues, 1h30 plus tard.
- Je crois que j’ai raté quelques phrases. Cette traduction allait parfois un peu vite pour moi. Mais surtout, je crois que je ne le regardais plus souvent, totalement absorbée par la scène.
- Quelle beauté, quelle élégance. Et tu as vu les acteurs ? Que des gueules incroyables. Pas des gens à la plastique parfaite. Mais des gueules, des gens habités, beaux d’une âme supposée.
- Et ce rouge, ces jeux sur la teinture, cette lumière et ses jeux d’ombres permanent, c’était vraiment superbe.
- Et ce fado, oh putain ce fado Mamie ! Je suis lisboète, je veux Lisbonne, je veux porto, je veux aimer. Je suis amoureuse de sa voix, de ses guitares. Je veux faire l’amour en portugais, sur une guitare sèche. Je veux faire l’amour mélancolique, voir mon ombre sur le mur. Je veux pleurer…
- Oui c’était superbe. Je crois que je vais en parler à ta mère
3,5/10
- Mais quelle belle idée Josiane. Aller au théâtre, enfin. C’est vrai qu’avec toutes ces contraintes, et l’élection en plus, j’ai l’impression de ne pas être sorti depuis une éternité.
C’est sur ce mot, toujours risqué pour une personne âgée, que René s’installait dans son fauteuil face à la scène.
- Et puis la douceur du titre… je vous le dis, vous m’avez eu avec le titre. Même pas besoin de parler de contenu, des acteurs, de la mise en scène, tout ça. Pour tout vous dire, cela fait 3 semaines que je me réjouis. Un peu comme une fenêtre que l’on ouvre sur l’océan, dans une maison inconnue, le réveil d’une matinée de ski, un enfant avant Noël. Ah oui, voilà, comme un minot devant le sapin !
Prenant à peine sa respiration, René est enthousiaste mais tellement bavard. Josiane commence à prier pour que ce ne soit que temporaire.
- Et le sujet m’enchante. Quel heureux présage que nous parlions d’amour. Je vais vous avouer quelque chose, Josiane : J’ai autant hâte d’en parler avec vous que de découvrir la pièce.
Si Josiane a bien quelques tentatives pour freiner l’emphatique, elle se dit qu’il a l’air particulièrement heureux. « Honnête et réjouit, voilà une soirée qui s’annonce heureuse » pense Josiane. « Il ne semble même pas subir cette personne, devant, trop grande. Et au parfum trop présent. Ah oui, une pub décatie pour cheveux de riches. C’est quand même dingue ces mecs qui s’accrochent au souvenir de leur toison. Leur dernier concours de kekette. »
Josiane vagabonde pendant que René disserte. Elle se prend à sourire sur cette dernière pensée. Il le constate heureux.
- Vraiment quel enchantement Josiane.
Il pose sa main sur celle de Josiane. La lumière s’estompe doucement sur leurs heureux visages.
Bienvenue en ENFER. 1h30 d’aigreurs, rancœurs et moquerie. 1h 30 d’agressives horreurs. Tout est bruit. Tout est sur un ton qui abîme. Une forme d’échange de déjections de l’âme.
A chaque nouveau hurlement, René se recroqueville. Ses épaules se contractent. Il espère, encaisse, en imaginant un moment un peu tendre. La fin au moins qui parle d’amour ? Donnez-moi une fin heureuse. Ses ongles y passent. Les jambes croisées, il tente en vain de s’endormir. Systématiquement ramené au réel par une nouvelle éructation.
Sur la table de son chiropracteur, il conclut son histoire.
- Vous voyez, docteur, de l’amour, il n’y en avait que dans le titre.
C’est sur ce mot, toujours risqué pour une personne âgée, que René s’installait dans son fauteuil face à la scène.
- Et puis la douceur du titre… je vous le dis, vous m’avez eu avec le titre. Même pas besoin de parler de contenu, des acteurs, de la mise en scène, tout ça. Pour tout vous dire, cela fait 3 semaines que je me réjouis. Un peu comme une fenêtre que l’on ouvre sur l’océan, dans une maison inconnue, le réveil d’une matinée de ski, un enfant avant Noël. Ah oui, voilà, comme un minot devant le sapin !
Prenant à peine sa respiration, René est enthousiaste mais tellement bavard. Josiane commence à prier pour que ce ne soit que temporaire.
- Et le sujet m’enchante. Quel heureux présage que nous parlions d’amour. Je vais vous avouer quelque chose, Josiane : J’ai autant hâte d’en parler avec vous que de découvrir la pièce.
Si Josiane a bien quelques tentatives pour freiner l’emphatique, elle se dit qu’il a l’air particulièrement heureux. « Honnête et réjouit, voilà une soirée qui s’annonce heureuse » pense Josiane. « Il ne semble même pas subir cette personne, devant, trop grande. Et au parfum trop présent. Ah oui, une pub décatie pour cheveux de riches. C’est quand même dingue ces mecs qui s’accrochent au souvenir de leur toison. Leur dernier concours de kekette. »
Josiane vagabonde pendant que René disserte. Elle se prend à sourire sur cette dernière pensée. Il le constate heureux.
- Vraiment quel enchantement Josiane.
Il pose sa main sur celle de Josiane. La lumière s’estompe doucement sur leurs heureux visages.
Bienvenue en ENFER. 1h30 d’aigreurs, rancœurs et moquerie. 1h 30 d’agressives horreurs. Tout est bruit. Tout est sur un ton qui abîme. Une forme d’échange de déjections de l’âme.
A chaque nouveau hurlement, René se recroqueville. Ses épaules se contractent. Il espère, encaisse, en imaginant un moment un peu tendre. La fin au moins qui parle d’amour ? Donnez-moi une fin heureuse. Ses ongles y passent. Les jambes croisées, il tente en vain de s’endormir. Systématiquement ramené au réel par une nouvelle éructation.
Sur la table de son chiropracteur, il conclut son histoire.
- Vous voyez, docteur, de l’amour, il n’y en avait que dans le titre.
9/10
« Alors petit, raconte un peu »
C’est par ces mots que mon patron grisonnant m’accueillait toujours les soirs de première. Presque allongé derrière son bureau, un cubano à la bouche, il avait un désir de réel, de verbatim. Il appelait ça son micro-foutoir.
Je suis à Paris depuis 2 mois seulement. De mon Ariège natale, je me retrouve serveur dans le bar d’un théâtre tendance. Ça me plaît. Ça paye mon dermato et me fait bouffer. Je croise du monde, et en plus, c’est moi qui donne la température au boss. Il me l’a dit d’ailleurs : « Titouan, tu es mon thermomètre préféré ». Il est flatteur le bougre.
Et donc, hier soir, suite à la représentation, j’ai commencé le rapport, méthodique.
« Table 33 : 4 personnnes. 1 hommes, 3 femmes, environ 30 ans.
Ils dissertent. L’opinion qui semble l’emporter est celle de Vanessa. Elle parle de rêve. Elle aurait vu un rêve, une quête inaboutie, une succession d’épisode, pas tous cohérents, mais auxquels on peut trouver une finalité partagée. »
- Mmmh fit le boss
« A La 22, 2 personnes. 1 vieux beau et une jeune éprise. 47, 23.
Vincent attaque Gentiane par la philo : A mon avis, c’est une fine allégorie des néo-anthropologues. Notre quête d’immortalité nous mène inexorablement à notre perte. Les robots, simples mortels nous sauverons, si nous n’oublions pas de programmer leur obsolescence. »
- Mmmh bisse le boss
« A la 66, 2 femmes. 25 ans.
Blénoragie et clamidya (je suis étudiant en médecine, quand je ne connais pas les prénoms, je révise) sont unanimes :
- Tu as compris quelque chose toi ?
- Rien. Mais que c’était beau…
- Comment je peux arriver à raconter ça.. ?
- Oh tu nous fais chier, y a plus que ta mère et toi sur instagram »
- Mmmh trisse Mario (le bros)
« A la 55, il y avait un monsieur tout seul. Environ 38 ans. Petit, même râblais. Une moustache fine. Hercule Poirot mais en moins sympa. Il devait être français. Et il écrivait. J’ai pris une photo par-dessus son épaule. Je vais voir si je peux le relire. Il écrivait comme un pharmacien :
Sans doute l’une des propositions les plus belles, les plus précises qu’il m’ait été donné de voir. Du décor à la mise en scène, que de trouvailles, que de justesse. Le sens ? On peut s’en foutre du sens, quand cela est grand.
Là, on prend un vrai pied à supputer, à imaginer. Là, la théorie sur le loup que nous sommes pour nous-mêmes, là sur la vaniteuse quête de pouvoir. Un cheminement onirique teinté de références, de clins d’oeil. Un vrai rêve. De ceux qui mêlent, personnages connus et petits nouveaux, moments calmes et vortex total, nostalgie et angoisses mortelles… C’est souvent drôle. Sculptural et infiniment beau. Quel désir artistique, quel engagement. Bravo. »
Je marque un temps. Il est figé, un peu loin dans ses pensées.
- A demain patron ? Ah oui, et pour Instagram, c'est pas vrai ce qu'elle a dit...
C’est par ces mots que mon patron grisonnant m’accueillait toujours les soirs de première. Presque allongé derrière son bureau, un cubano à la bouche, il avait un désir de réel, de verbatim. Il appelait ça son micro-foutoir.
Je suis à Paris depuis 2 mois seulement. De mon Ariège natale, je me retrouve serveur dans le bar d’un théâtre tendance. Ça me plaît. Ça paye mon dermato et me fait bouffer. Je croise du monde, et en plus, c’est moi qui donne la température au boss. Il me l’a dit d’ailleurs : « Titouan, tu es mon thermomètre préféré ». Il est flatteur le bougre.
Et donc, hier soir, suite à la représentation, j’ai commencé le rapport, méthodique.
« Table 33 : 4 personnnes. 1 hommes, 3 femmes, environ 30 ans.
Ils dissertent. L’opinion qui semble l’emporter est celle de Vanessa. Elle parle de rêve. Elle aurait vu un rêve, une quête inaboutie, une succession d’épisode, pas tous cohérents, mais auxquels on peut trouver une finalité partagée. »
- Mmmh fit le boss
« A La 22, 2 personnes. 1 vieux beau et une jeune éprise. 47, 23.
Vincent attaque Gentiane par la philo : A mon avis, c’est une fine allégorie des néo-anthropologues. Notre quête d’immortalité nous mène inexorablement à notre perte. Les robots, simples mortels nous sauverons, si nous n’oublions pas de programmer leur obsolescence. »
- Mmmh bisse le boss
« A la 66, 2 femmes. 25 ans.
Blénoragie et clamidya (je suis étudiant en médecine, quand je ne connais pas les prénoms, je révise) sont unanimes :
- Tu as compris quelque chose toi ?
- Rien. Mais que c’était beau…
- Comment je peux arriver à raconter ça.. ?
- Oh tu nous fais chier, y a plus que ta mère et toi sur instagram »
- Mmmh trisse Mario (le bros)
« A la 55, il y avait un monsieur tout seul. Environ 38 ans. Petit, même râblais. Une moustache fine. Hercule Poirot mais en moins sympa. Il devait être français. Et il écrivait. J’ai pris une photo par-dessus son épaule. Je vais voir si je peux le relire. Il écrivait comme un pharmacien :
Sans doute l’une des propositions les plus belles, les plus précises qu’il m’ait été donné de voir. Du décor à la mise en scène, que de trouvailles, que de justesse. Le sens ? On peut s’en foutre du sens, quand cela est grand.
Là, on prend un vrai pied à supputer, à imaginer. Là, la théorie sur le loup que nous sommes pour nous-mêmes, là sur la vaniteuse quête de pouvoir. Un cheminement onirique teinté de références, de clins d’oeil. Un vrai rêve. De ceux qui mêlent, personnages connus et petits nouveaux, moments calmes et vortex total, nostalgie et angoisses mortelles… C’est souvent drôle. Sculptural et infiniment beau. Quel désir artistique, quel engagement. Bravo. »
Je marque un temps. Il est figé, un peu loin dans ses pensées.
- A demain patron ? Ah oui, et pour Instagram, c'est pas vrai ce qu'elle a dit...