Ses critiques
4 critiques
6/10
Depuis le 25 octobre, la comédie musicale de David Bowie, Lazarus, mise en orbite auparavant à Broadway, à New York et mise en scène par Ivo Van Hove, a atterri dans la ville natale du chanteur, à Londres, au King's Cross Theatre, théâtre qui ressemble à une tente géante parqué en face de gare de King's Cross.
Comme je le disais ici, à Londres (Paris aussi avec Les Damnés, the Fountainhead et Vu du Pont) 2016-2017 c'est l'année (scolaire) Ivo Van Hove ! Pas moins de 6 spectacles mis en scène par le Belge se jouent entre 2016 et septembre 2017 dans la capitale britannique.
Le plateau forme une sorte de boite en carton géante et présente l'intérieur d'un appartement design dont les couleurs rappellent le papier kraft ou le carton, puisque le taupe, le beige (dont est vêtu Michael C. Hall qui incarne le personnage principal Thomas Newton) dominent ainsi que les couleurs bleu et rose/violine pastel. Un lit double est installé côté jardin à l'avant scène, un écran gigantesque au centre et un frigo côté cour. Deux ouvertures vitrées laissent entrevoir les musiciens et un espace scénique, qui sera utilisé pendant le spectacle pour certaines scènes conférant ainsi une certaine distance. Ces immenses baies vitrées évoquent les vues imprenables au sommet d'une tour d'une magalopole ou bien, me rappelle une boîte de papier carton qui permettrait d'observer l'évolution du personnage de Thomas Newton comme on étudie un petit animal.
Michael C. Hall, connu pour ses interprétations brillantes dans les séries Six feet under et Dexter, y joue le rôle de Thomas Newton qui noie son chagrin de ne pouvoir quitter la Terre dans le gin (des bouteilles peuplent son frigo), les twinkies (petits gâteaux à la crème) et reste hanté par son ancien amour, ayant des visions de celle-ci sur son écran géant qui l'hypnotise. Le spectateur suit les divagations de Newton, ou peut-être rencontre-t-il vraiment ces différents personnages ? Son assistante, nouvellement embauchée, Elly, Cristin Milioti, le décrit à son mari comme " une homme triste, reclus comme seul peuvent l'être les hommes riches et excentriques", un portrait assez négatif et proche de ce qu'en dit Newton lui-même (à l'image de l'alien que D. Bowie campait dans son film The Man Who Fell to Earth) : "I'm a dying man who can't die", "je suis un mourant qui ne peut mourir".
Un soir (ou peut-être est-ce le jour ? Newton lui-même ne le sait plus), une sorte d'ange aux cheveux blond platine, sort de l'immense écran de télévision que Newton passe son temps à contempler, incarnée par Sophia Anne Caruso, et tente d'arracher Newton à sa déprime ; elle décidera plus tard, afin de le ramener sur sa planète, de construire une fusée imaginaire. Un autre personnage, Valentine, Michael Esper, surgit également de nulle part et sème la terreur autour de lui, tuant à tour de bras (les amants, l'ange qui ne se souvient pas de son nom etc). Deux autres personnages, Ben et Maemi, incarnant l'amour absolu et passionnel apparaissent et disparaissent (ainsi que les principaux) pour être finalement assassinés par Valentine.
Pour couronner le tout, Elly, l'assistante de Newton, qui se révèle bipolaire ou schizophrénique, obsédée par l'unique amour de Newton, sombre peu à peu dans la folie, revêtant les habits que ce dernier a conservé religieusement, adoptant la même coiffure qu'elle. Au milieu de tout ce beau monde, intervient un choeur qui commente, entre en interaction avec l'ange aux cheveux blond platine. L'intrigue est finalement assez décousue, mais au fond cela importe peu tant il s'agit d'un voyage insensé au coeur de l'univers de Bowie. Le spectateur vadrouille de chanson en chanson intégrée dans ce spectacle chaotique visuellement et plastiquement très recherché, ponctué de moments forts.
Différentes caméras donnent des perspectives nouvelles sur la scène en train de se jouer (angle différent, décalage avec la scène en jeu, accent mis sur un seul personnage etc.) et offrent à l'ensemble une vision hallucinée, comme une sorte de voyage sous acide, un peu bordélique. Certaines scènes sont saisissantes comme celle où Michael C. Hall se trouve dans la fusée tracée au scotch au sol, tandis que d'autres laissent de marbre car j'ai trouvé que le sentimentalisme était trop forcé ou trop cliché à mon goût notamment à la toute fin (trop "cheesy" comme disent les anglo-saxons), un peu kitsch. Ainsi, le film où la jeune fille aux cheveux platine repars en arrière, projeté sur l'écran alors qu'elle est morte pour bien faire comprendre au spectateur qu'elle est repartie m'a semblé superflu, de même que sa mort baignant dans un bain non de sang mais de substance semblable à du lait (innocence, sang alien etc), inutile, redondant et brisant le charme.
Je ne suis pas du tout sensible aux comédies musicales bien que certaines ici, à Londres, m'aient, à mon grand étonnement, enthousiasmée (je dois encore écrire un article dessus, si cela vous intéresse) mais l'écueil de Lazarus réside également dans le fait que les chansons, même si elle sont magnifiquement interprétées, m'ont surtout donné l'envie de réécouter la version de chantée par David Bowie, l'unique et l'irremplaçable.
Le spectacle fonctionne malgré tout, et assez étrangement dans une sorte d'extravagance compliquée, mesurée et parfois sans réelle cohérence car il s'agit tout d'abord d'une expérience, un long périple fantasmagorique, d'une des dernières créations de Bowie, mais aussi et surtout parce que sa réussite tient aux musiciens, aux comédiens sur scène et à certains aspects de la scénographie. Ainsi, pouvoir voir les musiciens, les jeux entre scène et musique, l'espace scénique étendu aux "coulisses" où se trouvaient les musiciens et aux videos offrant un décalage temporel et spatial, brisant les frontières de la représentation ont été une belle réussite.
Comme je le disais ici, à Londres (Paris aussi avec Les Damnés, the Fountainhead et Vu du Pont) 2016-2017 c'est l'année (scolaire) Ivo Van Hove ! Pas moins de 6 spectacles mis en scène par le Belge se jouent entre 2016 et septembre 2017 dans la capitale britannique.
Le plateau forme une sorte de boite en carton géante et présente l'intérieur d'un appartement design dont les couleurs rappellent le papier kraft ou le carton, puisque le taupe, le beige (dont est vêtu Michael C. Hall qui incarne le personnage principal Thomas Newton) dominent ainsi que les couleurs bleu et rose/violine pastel. Un lit double est installé côté jardin à l'avant scène, un écran gigantesque au centre et un frigo côté cour. Deux ouvertures vitrées laissent entrevoir les musiciens et un espace scénique, qui sera utilisé pendant le spectacle pour certaines scènes conférant ainsi une certaine distance. Ces immenses baies vitrées évoquent les vues imprenables au sommet d'une tour d'une magalopole ou bien, me rappelle une boîte de papier carton qui permettrait d'observer l'évolution du personnage de Thomas Newton comme on étudie un petit animal.
Michael C. Hall, connu pour ses interprétations brillantes dans les séries Six feet under et Dexter, y joue le rôle de Thomas Newton qui noie son chagrin de ne pouvoir quitter la Terre dans le gin (des bouteilles peuplent son frigo), les twinkies (petits gâteaux à la crème) et reste hanté par son ancien amour, ayant des visions de celle-ci sur son écran géant qui l'hypnotise. Le spectateur suit les divagations de Newton, ou peut-être rencontre-t-il vraiment ces différents personnages ? Son assistante, nouvellement embauchée, Elly, Cristin Milioti, le décrit à son mari comme " une homme triste, reclus comme seul peuvent l'être les hommes riches et excentriques", un portrait assez négatif et proche de ce qu'en dit Newton lui-même (à l'image de l'alien que D. Bowie campait dans son film The Man Who Fell to Earth) : "I'm a dying man who can't die", "je suis un mourant qui ne peut mourir".
Un soir (ou peut-être est-ce le jour ? Newton lui-même ne le sait plus), une sorte d'ange aux cheveux blond platine, sort de l'immense écran de télévision que Newton passe son temps à contempler, incarnée par Sophia Anne Caruso, et tente d'arracher Newton à sa déprime ; elle décidera plus tard, afin de le ramener sur sa planète, de construire une fusée imaginaire. Un autre personnage, Valentine, Michael Esper, surgit également de nulle part et sème la terreur autour de lui, tuant à tour de bras (les amants, l'ange qui ne se souvient pas de son nom etc). Deux autres personnages, Ben et Maemi, incarnant l'amour absolu et passionnel apparaissent et disparaissent (ainsi que les principaux) pour être finalement assassinés par Valentine.
Pour couronner le tout, Elly, l'assistante de Newton, qui se révèle bipolaire ou schizophrénique, obsédée par l'unique amour de Newton, sombre peu à peu dans la folie, revêtant les habits que ce dernier a conservé religieusement, adoptant la même coiffure qu'elle. Au milieu de tout ce beau monde, intervient un choeur qui commente, entre en interaction avec l'ange aux cheveux blond platine. L'intrigue est finalement assez décousue, mais au fond cela importe peu tant il s'agit d'un voyage insensé au coeur de l'univers de Bowie. Le spectateur vadrouille de chanson en chanson intégrée dans ce spectacle chaotique visuellement et plastiquement très recherché, ponctué de moments forts.
Différentes caméras donnent des perspectives nouvelles sur la scène en train de se jouer (angle différent, décalage avec la scène en jeu, accent mis sur un seul personnage etc.) et offrent à l'ensemble une vision hallucinée, comme une sorte de voyage sous acide, un peu bordélique. Certaines scènes sont saisissantes comme celle où Michael C. Hall se trouve dans la fusée tracée au scotch au sol, tandis que d'autres laissent de marbre car j'ai trouvé que le sentimentalisme était trop forcé ou trop cliché à mon goût notamment à la toute fin (trop "cheesy" comme disent les anglo-saxons), un peu kitsch. Ainsi, le film où la jeune fille aux cheveux platine repars en arrière, projeté sur l'écran alors qu'elle est morte pour bien faire comprendre au spectateur qu'elle est repartie m'a semblé superflu, de même que sa mort baignant dans un bain non de sang mais de substance semblable à du lait (innocence, sang alien etc), inutile, redondant et brisant le charme.
Je ne suis pas du tout sensible aux comédies musicales bien que certaines ici, à Londres, m'aient, à mon grand étonnement, enthousiasmée (je dois encore écrire un article dessus, si cela vous intéresse) mais l'écueil de Lazarus réside également dans le fait que les chansons, même si elle sont magnifiquement interprétées, m'ont surtout donné l'envie de réécouter la version de chantée par David Bowie, l'unique et l'irremplaçable.
Le spectacle fonctionne malgré tout, et assez étrangement dans une sorte d'extravagance compliquée, mesurée et parfois sans réelle cohérence car il s'agit tout d'abord d'une expérience, un long périple fantasmagorique, d'une des dernières créations de Bowie, mais aussi et surtout parce que sa réussite tient aux musiciens, aux comédiens sur scène et à certains aspects de la scénographie. Ainsi, pouvoir voir les musiciens, les jeux entre scène et musique, l'espace scénique étendu aux "coulisses" où se trouvaient les musiciens et aux videos offrant un décalage temporel et spatial, brisant les frontières de la représentation ont été une belle réussite.
8/10
Actuellement en tournée, Karamazov mis en scène par Jean Bellorini a beaucoup fait parler de lui au festival d'Avignon et a été retransmis en direct sur arte cet été. Lorsque l'on relit les frères Karamazov, et même si l'on connaît la difficulté d'adapter un roman fleuve, nous pouvons constater à quel point la force des descriptions, l'épaisseur des personnages, les analyses psychologiques fines de Dostoïevski sur ses personnages, et les liens que tissent les personnages entre eux, subtilement suggérés, ajoutent à la complexité de mettre en scène, un roman aussi dense et pétri de strates interprétatives. Un beau défi. Mais aussi, et surtout, l'intervention du narrateur/auteur qu'il faut réussir à traduire sur scène rend la chose d'autant plus ardue.
Personnellement, j'ai toujours un peu de mal à apprécier les adaptations romanesques, car les romans, et plus particulièrement ceux de Dostoïevski, qui comptent parmi mes favoris, me semblent si riches, que le transport de la lecture est, à mon sens, difficilement transposable sur scène. C'est donc un peu rétive que j'ai assisté aux 5 heures de spectacle.
Le parti pris désarçonne d'emblée. La présence forte de l'auteur en tant que narrateur dans La note de l'auteur, où il se présente comme biographe mais aussi comme l'auteur en tant que tel, note particulièrement bien représentée sous la forme d'un personnage, plus ou moins travesti, qui prend en charge le récit. Ce narrateur a une fonction également comique dans la pièce : il zézaie, amuse le public et, par là même, rend les commentaires sarcastiques du narrateur dans le début de l'oeuvre. Il introduit ainsi l'une des particularités des oeuvres dostoievskienne : une atmosphère roman très sombre mais oscillant malgré tout entre gai délire et profondeur métaphysique. Des morceaux du texte se retrouve dans la tirade du narrateur.
L'intrigue du roman tourne autour d'une famille particulière les Karamazov : le père Fiodor Pavlovitch, homme sans foi ni loi, a eu trois fils de femmes différentes Alexei, Ivan, Dimitri et sans doute, le bâtard Smerdiakov apparemment du viol d'une servante muette et qu'il emploie comme domestique. Le personnage de Fiodor Pavlovitch est particulièrement détestable et l'intrigue tourne autour du parricide, et plus ou moins de la résolution de cette intrigue devenue policière. Il semble que ce n'est pas tant qui a tué Fiodor Pavlovitch que le rapport des frères et du père à la foi, au pays et aux grandes questions métaphysiques et entre eux qui importe. Un peu comme dans Crime et Châtiment.
Ainsi, sur scène Ivan, le révolté, perdant tout contrôle de lui-même l'exprimera de cette manière : "ce n'est pas Dieu que je n'accepte pas. C'est le monde qu'il a crée."Chacun des fils incarnant un rapport à Dieu, Aliocha la foi sereine, Dimitri homme écartelé entre vice et vertu.
Le plateau, immense dans la Carrière Boulbon, à la scénographie assez rudimentaire de prime abord, deux chaises une table, un fauteuil à bascule, une immense Isba (maison traditionnelle russe). Ici, la video ne sert qu'à portraiturer les personnages. Tout est finalement comme un théâtre à machine. Avec l'authenticité des musiciens. La scénographie se révèle inventive, bien plus complexe qu'elle n'y paraît à première vue et très bien exploitée. Ainsi, une cabine/cage vitrée montée sur des rails et roulante passe au bout des premiers instants. Il s'agit en fait de deux rails permettant le transport de deux structures coulissantes modulables, ou plutôt de deux mini-plateaux, ce qui permet d'alterner en direct décors, lieux ou encore de faire se rejoindre deux amants et de matérialiser leur séparation. L'espace théâtral devient, par là-même, circonscrit au beau milieu du plateau lors du passage de ces mini décors ambulant, comme dans un autre espace plus intime, c'est le cas lorsque Fiodor Pavlovitch entre chez lui et qu'il neige, que le plateau ne peut qu'enserrer; ces cages vitrées permettent également à d'autres moments du spectacle à diverses temporalité de s'entrechoquer (retour en arrière sur la rencontre entre Dimitri et Katerina Ivanovna). Toute l'ingéniosité de la mise en scène s'en ressent, puisque le roman alterne espace intime et espace social mais se meut en un moyen dramatique ingénieux, qui permet de présenter le retour en arrière du récit sur scène.
La pièce est elle-même découpée en jours : jour premier, jour second ce qui permet de bien repérer l'évolution de l'intrigue et la ramification des relations entre les personnages. Le texte lui-même est repris dans tout son tragique, presque comme une métaphore de la condition humaine et ses belles antithèses comme : "la beauté est une chose affreuse et indéfinissable" comme le chante Mitia (Dimitri). Des musiciens se trouvent sur scène et les chants, ainsi que la musique, ponctuent le récit, concourant à la création d'une atmosphère hallucinatoire fidèle à ma première, et jeune, impression de lecture du roman.
Le toit immense de l'isba est également exploité en étant au service de l'intrigue . Ces différents niveaux, structures coulissantes, structure rectangulaire ainsi que certains aménagements (des personnages sont présents sur scènes en bord de scène déroulant des scènes silencieuses ) sont à l'image du roman à tiroirs, comme cela a été dit de Dostoïevski. La lumière extrêmement travaillées rend la noirceur du roman face à la pureté de certains personnages, comme le jeune Aliocha.
Les frères Karamazov, dernière oeuvre de Dostoievski, dans laquelle se condense toute son obsession, pari risqué que Jean Bellorini et sa troupe ont su relever en donnant toute leur dimension aux personnages et en offrant au spectateurs la mise à nue de strates de lecture d'une oeuvre aussi complexe. 5h de pure bonheur rendant fidèlement l'atmosphère à la fois mystique, sombre et si inextricablement fine sur les relations humaines, non seulement grâce à la mise en scène mais aussi grâce aux comédiens particulièrement sensibles et vivants. Un travail de troupe. On y croit et on en redemande.
Personnellement, j'ai toujours un peu de mal à apprécier les adaptations romanesques, car les romans, et plus particulièrement ceux de Dostoïevski, qui comptent parmi mes favoris, me semblent si riches, que le transport de la lecture est, à mon sens, difficilement transposable sur scène. C'est donc un peu rétive que j'ai assisté aux 5 heures de spectacle.
Le parti pris désarçonne d'emblée. La présence forte de l'auteur en tant que narrateur dans La note de l'auteur, où il se présente comme biographe mais aussi comme l'auteur en tant que tel, note particulièrement bien représentée sous la forme d'un personnage, plus ou moins travesti, qui prend en charge le récit. Ce narrateur a une fonction également comique dans la pièce : il zézaie, amuse le public et, par là même, rend les commentaires sarcastiques du narrateur dans le début de l'oeuvre. Il introduit ainsi l'une des particularités des oeuvres dostoievskienne : une atmosphère roman très sombre mais oscillant malgré tout entre gai délire et profondeur métaphysique. Des morceaux du texte se retrouve dans la tirade du narrateur.
L'intrigue du roman tourne autour d'une famille particulière les Karamazov : le père Fiodor Pavlovitch, homme sans foi ni loi, a eu trois fils de femmes différentes Alexei, Ivan, Dimitri et sans doute, le bâtard Smerdiakov apparemment du viol d'une servante muette et qu'il emploie comme domestique. Le personnage de Fiodor Pavlovitch est particulièrement détestable et l'intrigue tourne autour du parricide, et plus ou moins de la résolution de cette intrigue devenue policière. Il semble que ce n'est pas tant qui a tué Fiodor Pavlovitch que le rapport des frères et du père à la foi, au pays et aux grandes questions métaphysiques et entre eux qui importe. Un peu comme dans Crime et Châtiment.
Ainsi, sur scène Ivan, le révolté, perdant tout contrôle de lui-même l'exprimera de cette manière : "ce n'est pas Dieu que je n'accepte pas. C'est le monde qu'il a crée."Chacun des fils incarnant un rapport à Dieu, Aliocha la foi sereine, Dimitri homme écartelé entre vice et vertu.
Le plateau, immense dans la Carrière Boulbon, à la scénographie assez rudimentaire de prime abord, deux chaises une table, un fauteuil à bascule, une immense Isba (maison traditionnelle russe). Ici, la video ne sert qu'à portraiturer les personnages. Tout est finalement comme un théâtre à machine. Avec l'authenticité des musiciens. La scénographie se révèle inventive, bien plus complexe qu'elle n'y paraît à première vue et très bien exploitée. Ainsi, une cabine/cage vitrée montée sur des rails et roulante passe au bout des premiers instants. Il s'agit en fait de deux rails permettant le transport de deux structures coulissantes modulables, ou plutôt de deux mini-plateaux, ce qui permet d'alterner en direct décors, lieux ou encore de faire se rejoindre deux amants et de matérialiser leur séparation. L'espace théâtral devient, par là-même, circonscrit au beau milieu du plateau lors du passage de ces mini décors ambulant, comme dans un autre espace plus intime, c'est le cas lorsque Fiodor Pavlovitch entre chez lui et qu'il neige, que le plateau ne peut qu'enserrer; ces cages vitrées permettent également à d'autres moments du spectacle à diverses temporalité de s'entrechoquer (retour en arrière sur la rencontre entre Dimitri et Katerina Ivanovna). Toute l'ingéniosité de la mise en scène s'en ressent, puisque le roman alterne espace intime et espace social mais se meut en un moyen dramatique ingénieux, qui permet de présenter le retour en arrière du récit sur scène.
La pièce est elle-même découpée en jours : jour premier, jour second ce qui permet de bien repérer l'évolution de l'intrigue et la ramification des relations entre les personnages. Le texte lui-même est repris dans tout son tragique, presque comme une métaphore de la condition humaine et ses belles antithèses comme : "la beauté est une chose affreuse et indéfinissable" comme le chante Mitia (Dimitri). Des musiciens se trouvent sur scène et les chants, ainsi que la musique, ponctuent le récit, concourant à la création d'une atmosphère hallucinatoire fidèle à ma première, et jeune, impression de lecture du roman.
Le toit immense de l'isba est également exploité en étant au service de l'intrigue . Ces différents niveaux, structures coulissantes, structure rectangulaire ainsi que certains aménagements (des personnages sont présents sur scènes en bord de scène déroulant des scènes silencieuses ) sont à l'image du roman à tiroirs, comme cela a été dit de Dostoïevski. La lumière extrêmement travaillées rend la noirceur du roman face à la pureté de certains personnages, comme le jeune Aliocha.
Les frères Karamazov, dernière oeuvre de Dostoievski, dans laquelle se condense toute son obsession, pari risqué que Jean Bellorini et sa troupe ont su relever en donnant toute leur dimension aux personnages et en offrant au spectateurs la mise à nue de strates de lecture d'une oeuvre aussi complexe. 5h de pure bonheur rendant fidèlement l'atmosphère à la fois mystique, sombre et si inextricablement fine sur les relations humaines, non seulement grâce à la mise en scène mais aussi grâce aux comédiens particulièrement sensibles et vivants. Un travail de troupe. On y croit et on en redemande.
9,5/10
Après avoir vu la mise en scène participative d'Un ennemi du peuple d'Ibsen, le pop-rock Richard III, et surtout l'improbable Hamlet, il me tardait de découvrir La Mouette,Tchekov comptant parmi mes dramaturges préférés, mis en scène par Thomas Ostermeier.
La grande surprise fut pour moi non pas le parti pris de contextualiser l'œuvre en se référant à la Syrie ou aux autres problèmes mondiaux, ainsi que d'égratigner la scène actuelle et par là-même se tourner en dérision, dans un prologue fait maison, mais l'absence de miracle théâtral qui se produisit sur le coup, alors que je m'attendais à un éblouissement des sens, une scénographie spectaculaire de Jan Pappelbaum, complice habituel d'Ostermeier. Ce ne fut pas le cas. Du moins pas sur le moment
Je dois dire que c'est plus tard en y réfléchissant, en me rappelant l'émotion fugace procurée, mais non identifiée, au cours d'une discussion avec des amis, et à la relecture de la pièce, que j'ai commencé à comprendre que ma surprise ne résidait pas dans la scénographie mais bien dans la résonance qu'Ostermeier avait su donner au texte de Tchekhov dans notre contemporaneité. La Mouette avait, en effet, choqué les contemporains de Tchekhov car il ne s'y passait rien. Ou si peu. Et pourtant tout s'y déroule : l'amour sous diverses nuances, un monde qui s'écroule, la volonté de rénover l'art.
Quand Thomas Ostermeier fait s'entrechoquer notre monde à celui de Tchekhov, cela donne les Doors, David Bowie, les Velvet Underground en bande-son, frottés à la traduction/adaptation d'Olivier Cadiot, un monde en déclin en vase clos, celui des nantis, une volonté farouche de renouveau artistique, un parler d'amour dans toutes les langues.
Le plateau est d'ailleurs assez dénudé, et s'ouvre sur un grand mur gris, projetant une photo démesurée, en noir et blanc, d'un homme au visage grave, prise au bagne de l'île de Sakhaline, où Tchekhov avait passé trois mois, pour soigner les bagnards en 1890, une citation en exergue : " Qui est allé en enfer, voit le monde et les hommes autrement ". Ce mur sera investi, pendant le spectacle, par l'artiste Marine Dillard, qui peindra une immense fresque, une sorte de paysage, un peu comme une rêverie, une mouette, un lac, une montagne ou bien nous pourrions y voir, tels des enfants face à des nuages, d'autres formes au fur et à mesure de l'avancée du drame.
La scène ressemble à une sorte de rectangle gris, avec en ses côtés des bancs de bois vissés au mur qui servent aux comédiens de coulisses, rompant avec l'illusion théâtrale en un jeu de mise abîme avec un petite scène, rectangle de bois intégré à ce plateau désert. Celui-ci devient tour à tour la scène sur laquelle Treplev déroule son spectacle novateur, le ponton sur lequel se prélassent Arkadina, Tregorine et les autres sous une chaleur écrasante. En début de pièce, un micro se dresse à cet endroit et de là les comédiens improvisent un prologue, sous forme presque de harangues et longues tirades, et le spectacle débute sur cette parenthèse.
L'un des sujets de La Mouette est le renouveau des formes artistiques théâtrales, et le problème de la création pour l'artiste. Ainsi, Treplev cherche à briller par lui-même, à renouveler le théâtre dans ses formes alors que sa mère Arkadina est une actrice révérée de ses contemporains. La scénographie permet de présenter la volonté d'innovation de ce fils de (à moins qu'il ne soit qu'un raté) dans une scène reprenant les sacrifices antiques. Ici, le renouveau de l'art, symbolisé par Treplev, se frotte à l'institution que représente sa mère, actrice adulée, narcissique et victime de jeunisme, ayant une liaison avec Trigorine, écrivain à la mode. Trigorine lui aussi présentera les problématiques liées à l'écriture littéraire et la confrontation de l'écrivain à la page blanche.
Nina, quant à elle, est une jeune campagnarde qui rêve de devenir actrice et joue dans la petite scène de Treplev. La déclinaison du sentiment amoureux n'est pas non plus en reste puisqu'alors que Nina est aimée de Treplev, Trigorine en tombe amoureux et réciproquement jusqu'à ce que Nina ne soit consommée par ses passions.
Différentes aspirations amoureuses sont ainsi nouées : Arkadina, vénérée par le médecin Dorn, aime Trigorine qui tombe un temps amoureux de Nina, Treplev, amant délaissé par Nina, est lui-même aimé de Macha fille de l'intendant de Sorine (frère de l'actrice Arkadina et maître des lieux) qui finit par épouser un instituteur, fou d'elle. Tous les personnages sont confrontés à la désillusion amoureuse ou artistique. Nina est cette mouette qui sera tuée par un homme (idée que Trigorine aura pour écrire un récit, alors que Treplev a tué une mouette et l'a donnée à Nina). La désillusion amoureuse qui pose la question de l'être et du rapport à la vie, tout en entretenant des liens très étroits avec l'art. Ainsi, la jeune actrice explique à Treplev que : "Dans une pièce, il doit y avoir forcément de l'amour." La vie comme une œuvre d'art, c'est bien ce que Tchekhov nous donne à voir emboîté par Ostermeier, dont la technique de storytelling, non sans rappeler la technique stanislavskienne permet de faire affleurer un peu de la vie réelle du comédien pour nourrir son personnage, et ce que la simplicité de la mise en scène permet de mettre à jour : le tragique de la vie et la beauté des rapports humains ou artistiques, en respectant, non pas de façon scrupuleuse le texte, mais la conception de Tchekhov pour son art qui commandait, selon sa formule célèbre : " on ne met pas un fusil chargé sur la scène, si personne ne va s'en servir". Cette formule donne la prégnance au sens textuel et permet de préparer le paroxysme tragique avec lesquels les personnages se débattent; ce tragique du quotidien qui étreint de bout en bout les personnages, et dont la crise ne trouve jamais, chez Tchekhov, d'aboutissement, tant la pièce est construite sur un effet d'écho.
La grande surprise fut pour moi non pas le parti pris de contextualiser l'œuvre en se référant à la Syrie ou aux autres problèmes mondiaux, ainsi que d'égratigner la scène actuelle et par là-même se tourner en dérision, dans un prologue fait maison, mais l'absence de miracle théâtral qui se produisit sur le coup, alors que je m'attendais à un éblouissement des sens, une scénographie spectaculaire de Jan Pappelbaum, complice habituel d'Ostermeier. Ce ne fut pas le cas. Du moins pas sur le moment
Je dois dire que c'est plus tard en y réfléchissant, en me rappelant l'émotion fugace procurée, mais non identifiée, au cours d'une discussion avec des amis, et à la relecture de la pièce, que j'ai commencé à comprendre que ma surprise ne résidait pas dans la scénographie mais bien dans la résonance qu'Ostermeier avait su donner au texte de Tchekhov dans notre contemporaneité. La Mouette avait, en effet, choqué les contemporains de Tchekhov car il ne s'y passait rien. Ou si peu. Et pourtant tout s'y déroule : l'amour sous diverses nuances, un monde qui s'écroule, la volonté de rénover l'art.
Quand Thomas Ostermeier fait s'entrechoquer notre monde à celui de Tchekhov, cela donne les Doors, David Bowie, les Velvet Underground en bande-son, frottés à la traduction/adaptation d'Olivier Cadiot, un monde en déclin en vase clos, celui des nantis, une volonté farouche de renouveau artistique, un parler d'amour dans toutes les langues.
Le plateau est d'ailleurs assez dénudé, et s'ouvre sur un grand mur gris, projetant une photo démesurée, en noir et blanc, d'un homme au visage grave, prise au bagne de l'île de Sakhaline, où Tchekhov avait passé trois mois, pour soigner les bagnards en 1890, une citation en exergue : " Qui est allé en enfer, voit le monde et les hommes autrement ". Ce mur sera investi, pendant le spectacle, par l'artiste Marine Dillard, qui peindra une immense fresque, une sorte de paysage, un peu comme une rêverie, une mouette, un lac, une montagne ou bien nous pourrions y voir, tels des enfants face à des nuages, d'autres formes au fur et à mesure de l'avancée du drame.
La scène ressemble à une sorte de rectangle gris, avec en ses côtés des bancs de bois vissés au mur qui servent aux comédiens de coulisses, rompant avec l'illusion théâtrale en un jeu de mise abîme avec un petite scène, rectangle de bois intégré à ce plateau désert. Celui-ci devient tour à tour la scène sur laquelle Treplev déroule son spectacle novateur, le ponton sur lequel se prélassent Arkadina, Tregorine et les autres sous une chaleur écrasante. En début de pièce, un micro se dresse à cet endroit et de là les comédiens improvisent un prologue, sous forme presque de harangues et longues tirades, et le spectacle débute sur cette parenthèse.
L'un des sujets de La Mouette est le renouveau des formes artistiques théâtrales, et le problème de la création pour l'artiste. Ainsi, Treplev cherche à briller par lui-même, à renouveler le théâtre dans ses formes alors que sa mère Arkadina est une actrice révérée de ses contemporains. La scénographie permet de présenter la volonté d'innovation de ce fils de (à moins qu'il ne soit qu'un raté) dans une scène reprenant les sacrifices antiques. Ici, le renouveau de l'art, symbolisé par Treplev, se frotte à l'institution que représente sa mère, actrice adulée, narcissique et victime de jeunisme, ayant une liaison avec Trigorine, écrivain à la mode. Trigorine lui aussi présentera les problématiques liées à l'écriture littéraire et la confrontation de l'écrivain à la page blanche.
Nina, quant à elle, est une jeune campagnarde qui rêve de devenir actrice et joue dans la petite scène de Treplev. La déclinaison du sentiment amoureux n'est pas non plus en reste puisqu'alors que Nina est aimée de Treplev, Trigorine en tombe amoureux et réciproquement jusqu'à ce que Nina ne soit consommée par ses passions.
Différentes aspirations amoureuses sont ainsi nouées : Arkadina, vénérée par le médecin Dorn, aime Trigorine qui tombe un temps amoureux de Nina, Treplev, amant délaissé par Nina, est lui-même aimé de Macha fille de l'intendant de Sorine (frère de l'actrice Arkadina et maître des lieux) qui finit par épouser un instituteur, fou d'elle. Tous les personnages sont confrontés à la désillusion amoureuse ou artistique. Nina est cette mouette qui sera tuée par un homme (idée que Trigorine aura pour écrire un récit, alors que Treplev a tué une mouette et l'a donnée à Nina). La désillusion amoureuse qui pose la question de l'être et du rapport à la vie, tout en entretenant des liens très étroits avec l'art. Ainsi, la jeune actrice explique à Treplev que : "Dans une pièce, il doit y avoir forcément de l'amour." La vie comme une œuvre d'art, c'est bien ce que Tchekhov nous donne à voir emboîté par Ostermeier, dont la technique de storytelling, non sans rappeler la technique stanislavskienne permet de faire affleurer un peu de la vie réelle du comédien pour nourrir son personnage, et ce que la simplicité de la mise en scène permet de mettre à jour : le tragique de la vie et la beauté des rapports humains ou artistiques, en respectant, non pas de façon scrupuleuse le texte, mais la conception de Tchekhov pour son art qui commandait, selon sa formule célèbre : " on ne met pas un fusil chargé sur la scène, si personne ne va s'en servir". Cette formule donne la prégnance au sens textuel et permet de préparer le paroxysme tragique avec lesquels les personnages se débattent; ce tragique du quotidien qui étreint de bout en bout les personnages, et dont la crise ne trouve jamais, chez Tchekhov, d'aboutissement, tant la pièce est construite sur un effet d'écho.
8/10
À Paris, la pièce Place des Héros de Thomas Bernhard à la mise en scène émouvante de Krystian Lupa et interprétée brillamment par la troupe du Théâtre National de Lithuanie (4h en lithuanien), donnée au Théâtre de la Colline a été acclamée en décembre dernier et, avait été ovationnée en Avignon.
Je dirais d'emblée que j'ai surtout été touchée par le texte si simple et pourtant si prenant qui résonnait singulièrement en ces temps troublés d'avènement de Trump et d'attentats.
Le parti-pris du célèbre Krytian Lupa, a été de placer ce texte dans l'univers froid et sobre d'un plateau à l'espace épuré, aux camaïeux de gris avec quelques touches d'ocre. En cela l'éclairage faisait à certains passages penser à des tableaux de Latour ou de Rembrandt. Lupa est coutumier de ce qu'il nomme lui-même : "la réalité théâtrale du rang le plus bas". Ainsi, la scénographie qu'il crée est une réutilisation d'objets défraîchis, portes d'entrée usées etc, qu'il emploie à nouveau au fil des spectacles, à l'égal de la pièce de Thomas Bernhard, nous sommes en présence d'une archéologie du passé au sein même de la scénographie.
Place des Héros est une commande du Burgtheater de Vienne à Thomas Bernhard qui a fait scandale lors de sa première. Thomas Bernhard meurt et laisse dans son testament la consigne de ne jamais jouer ses oeuvres sur un théâtre autrichien. La Place des Héros est celle où Hitler proclama l'Anschluss (l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne le 11 mars 1938) devant une foule en délire. Le texte y montre comment la seconde guerre, l'antisémitisme, l'absurdité du monde de 1988, et après, restent ancrées dans les esprits hantant les familles juives ou pas, et dénonce l'absence de réconciliation entre l'Autriche et son passé funeste.
La pièce s'ouvre sur l'appartement appartenant au célèbre professeur Schuster et à sa femme donnant sur la Place des Héros, en mars 1988. Ce couple était parti vivre en Angleterre, à Oxford, pendant dix ans : la femme de Schuster était prise d'hallucinations auditives, entendait les clameurs de la foule nazie et sombrait peu à peu dans la folie. Schuster et sa femme étaient revenus habiter leur appartement viennois, mais le professeur avait dû céder aux hallucinations de sa femme, qui lui rejouaient à nouveau le brouhaha et les clameurs enthousiastes de la foule lors de l'annexion de l'Autriche par Hitler, et s'apprêtait à quitter, encore une fois, ce lieu cher à son coeur. Les hallucinations, les difficultés de survivre à l'horreur, aux nazis, malgré tout, présents partout, l'impossibilité de vivre ont poussé le vieil homme au suicide ; c'est au lendemain de ce suicide que la pièce débute ; les spectateurs assistent aux préparatifs des funérailles et au lendemain de ces mêmes funérailles, l'occasion de montrer la difficulté de vivre dans notre monde actuel et de revenir sur une certaine vision du théâtre puisque le Burgtheater hante tous les discours.
Krystian Lupa et Thomas Bernhard nous font entrer par la porte de l'intime pour évoquer cet après. A l'entrée des spectateurs, un premier tableau montre deux domestiques s'affairant sur scène pour arranger les objets du défunt professeur Schuster, la gouvernante, Mme Zittel, dresse le portrait du défunt tandis que Herta cire ses chaussures pour passer le temps, près d'une immense fenêtre donnant sur la Place des Héros d'où vient des chants d'oiseaux, des ambiances de rue, en rêvant de ce qu'aurait pu être sa vie sans la mort de son maître. Et finalement, c'est bien le temps et son écoulement, ponctué de silences, dont il est aussi question dans cette pièce, la vie du professeur que l'on efface avec la vente de l'appartement, les souvenirs qui s'égrènent et rappellent des temps plus sombres, et le choix de cette mise en scène au rythme lent, monotone, aux chuchotements comme par peur d'éveiller l'horreur. Le sujet est sombre le professeur est mort par défenestration, par impossibilité de vivre ici, près de la place des Héros ou ailleurs, loin de son pays natal. L'objet de toutes les discussions est bien entendu ce personnage absent qui apparaît vaguement en fond par de rapides projections dessinées (rappelant quelque peu le travail d'Ernest Pignon Ernest)
Plusieurs tableaux sont offerts au public et la scénographie, signée par Krystian Lupa ainsi que le travail de lumière délicat, aux couleurs grisâtres, murs ternis, ameublement fait de bric et de broc et aux dessins sombres, pourtant poétiques, et illustrée de vidéos, mettent en scène cette place des Héros en arrière fond, évoquent avec pudeur ces temps froid, aux hivers rigoureux d'oppression, et contrastant avec certaines répliques virulentes de T. Bernhard. Cet ensemble rappelle que le présent se construit sur un passé ineffable. Exit l'encombrement d'objets, tout comme les couleurs. Grises, neutres, taupes. Tout tend vers cette fin si brutale où un miroir (en video) se brise contre le mur en fin de tableau réveillant le spectateur à une brutalité certaine, une réalité glaçante. Si l'esthétisme et le traitement de la pièce m'ont séduite malgré le rythme doux et confiné (qui correspond justement au texte), la première question qui m'est, malgré tout, venue à l'esprit en sortant de ce spectacle était de savoir si, finalement, la force de cette pièce ne résidait pas uniquement dans le texte.
J'ai donc relu le texte, assez déprimant comme me le faisait remarquer une amie lorsque je lui ai dit me rendre à ce spectacle, et j'ai travaillé un petit peu sur l'esthétique de Lupa, qui revendique la beauté de l'image, du palimpseste théâtral d'un point de vue scénographique.
Oui, tout d'abord la force de ce texte m'est apparue non négligeable : la prise de position est claire, forte et il dépeint, déjà, un monde sans concession, mais il est vrai aussi que la création de Krystian Lupa réussit à souligner cette beauté, à montrer l'importance de ce propos. Ce qui est étrange, cependant, c'est que durant le spectacle, j'avais, à certains moments, une envie irrépressible de courir relire le texte, tant il m'est apparu vrai et je m'extrayais assez facilement du spectacle en lui-même.
Un mois et des poussières ont passé et des images fortes restent gravées dans ma mémoire, comme le tableau du repas, la tirade de l'oncle assis sur un banc bardé de grisaille et de tempête de neige éclairé d'un réverbère avec pour décors projeté sur des mur un paysage viennois, portant sur la montée de l'intolérance et la survivance du nazisme. Un texte au propos parfois virulent et comme colonne vertébrale de ce spectacle mais il est soutenu, permis, par une mise en scène fine, dont les attentions réside dans des détails (une ancienne croix gammées à peine visible, semi-effacée sur un meuble) et poétique, déployant doucement cette parole, tout comme le jeu tout en finesse des comédiens. J'oserais ajouter en reprenant les termes de Krystian Lupa qu'il a réussi une expérience de vie que la réalité à l'écho si particulier de nos temps troublés rattrape.
C'est de la dichotomie de la mise en scène délicate et forte, évoquant le noir et blanc des hivers rudes, mais aussi rappelant une sorte de théâtre d'ombres, rappelant parfois les romans graphiques aux estampes noires et blanches, il y a quelque chose de l'ordre de la bande dessinée, et d'un contraste de lumières, qui s'opposent à la vindicte du texte que cette pièce saisit le spectateur dans un contraste, délicat et singulier.
Après toute cette période de réflexion, j'aimerais pouvoir revoir de nouveau ce spectacle.
Je dirais d'emblée que j'ai surtout été touchée par le texte si simple et pourtant si prenant qui résonnait singulièrement en ces temps troublés d'avènement de Trump et d'attentats.
Le parti-pris du célèbre Krytian Lupa, a été de placer ce texte dans l'univers froid et sobre d'un plateau à l'espace épuré, aux camaïeux de gris avec quelques touches d'ocre. En cela l'éclairage faisait à certains passages penser à des tableaux de Latour ou de Rembrandt. Lupa est coutumier de ce qu'il nomme lui-même : "la réalité théâtrale du rang le plus bas". Ainsi, la scénographie qu'il crée est une réutilisation d'objets défraîchis, portes d'entrée usées etc, qu'il emploie à nouveau au fil des spectacles, à l'égal de la pièce de Thomas Bernhard, nous sommes en présence d'une archéologie du passé au sein même de la scénographie.
Place des Héros est une commande du Burgtheater de Vienne à Thomas Bernhard qui a fait scandale lors de sa première. Thomas Bernhard meurt et laisse dans son testament la consigne de ne jamais jouer ses oeuvres sur un théâtre autrichien. La Place des Héros est celle où Hitler proclama l'Anschluss (l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne le 11 mars 1938) devant une foule en délire. Le texte y montre comment la seconde guerre, l'antisémitisme, l'absurdité du monde de 1988, et après, restent ancrées dans les esprits hantant les familles juives ou pas, et dénonce l'absence de réconciliation entre l'Autriche et son passé funeste.
La pièce s'ouvre sur l'appartement appartenant au célèbre professeur Schuster et à sa femme donnant sur la Place des Héros, en mars 1988. Ce couple était parti vivre en Angleterre, à Oxford, pendant dix ans : la femme de Schuster était prise d'hallucinations auditives, entendait les clameurs de la foule nazie et sombrait peu à peu dans la folie. Schuster et sa femme étaient revenus habiter leur appartement viennois, mais le professeur avait dû céder aux hallucinations de sa femme, qui lui rejouaient à nouveau le brouhaha et les clameurs enthousiastes de la foule lors de l'annexion de l'Autriche par Hitler, et s'apprêtait à quitter, encore une fois, ce lieu cher à son coeur. Les hallucinations, les difficultés de survivre à l'horreur, aux nazis, malgré tout, présents partout, l'impossibilité de vivre ont poussé le vieil homme au suicide ; c'est au lendemain de ce suicide que la pièce débute ; les spectateurs assistent aux préparatifs des funérailles et au lendemain de ces mêmes funérailles, l'occasion de montrer la difficulté de vivre dans notre monde actuel et de revenir sur une certaine vision du théâtre puisque le Burgtheater hante tous les discours.
Krystian Lupa et Thomas Bernhard nous font entrer par la porte de l'intime pour évoquer cet après. A l'entrée des spectateurs, un premier tableau montre deux domestiques s'affairant sur scène pour arranger les objets du défunt professeur Schuster, la gouvernante, Mme Zittel, dresse le portrait du défunt tandis que Herta cire ses chaussures pour passer le temps, près d'une immense fenêtre donnant sur la Place des Héros d'où vient des chants d'oiseaux, des ambiances de rue, en rêvant de ce qu'aurait pu être sa vie sans la mort de son maître. Et finalement, c'est bien le temps et son écoulement, ponctué de silences, dont il est aussi question dans cette pièce, la vie du professeur que l'on efface avec la vente de l'appartement, les souvenirs qui s'égrènent et rappellent des temps plus sombres, et le choix de cette mise en scène au rythme lent, monotone, aux chuchotements comme par peur d'éveiller l'horreur. Le sujet est sombre le professeur est mort par défenestration, par impossibilité de vivre ici, près de la place des Héros ou ailleurs, loin de son pays natal. L'objet de toutes les discussions est bien entendu ce personnage absent qui apparaît vaguement en fond par de rapides projections dessinées (rappelant quelque peu le travail d'Ernest Pignon Ernest)
Plusieurs tableaux sont offerts au public et la scénographie, signée par Krystian Lupa ainsi que le travail de lumière délicat, aux couleurs grisâtres, murs ternis, ameublement fait de bric et de broc et aux dessins sombres, pourtant poétiques, et illustrée de vidéos, mettent en scène cette place des Héros en arrière fond, évoquent avec pudeur ces temps froid, aux hivers rigoureux d'oppression, et contrastant avec certaines répliques virulentes de T. Bernhard. Cet ensemble rappelle que le présent se construit sur un passé ineffable. Exit l'encombrement d'objets, tout comme les couleurs. Grises, neutres, taupes. Tout tend vers cette fin si brutale où un miroir (en video) se brise contre le mur en fin de tableau réveillant le spectateur à une brutalité certaine, une réalité glaçante. Si l'esthétisme et le traitement de la pièce m'ont séduite malgré le rythme doux et confiné (qui correspond justement au texte), la première question qui m'est, malgré tout, venue à l'esprit en sortant de ce spectacle était de savoir si, finalement, la force de cette pièce ne résidait pas uniquement dans le texte.
J'ai donc relu le texte, assez déprimant comme me le faisait remarquer une amie lorsque je lui ai dit me rendre à ce spectacle, et j'ai travaillé un petit peu sur l'esthétique de Lupa, qui revendique la beauté de l'image, du palimpseste théâtral d'un point de vue scénographique.
Oui, tout d'abord la force de ce texte m'est apparue non négligeable : la prise de position est claire, forte et il dépeint, déjà, un monde sans concession, mais il est vrai aussi que la création de Krystian Lupa réussit à souligner cette beauté, à montrer l'importance de ce propos. Ce qui est étrange, cependant, c'est que durant le spectacle, j'avais, à certains moments, une envie irrépressible de courir relire le texte, tant il m'est apparu vrai et je m'extrayais assez facilement du spectacle en lui-même.
Un mois et des poussières ont passé et des images fortes restent gravées dans ma mémoire, comme le tableau du repas, la tirade de l'oncle assis sur un banc bardé de grisaille et de tempête de neige éclairé d'un réverbère avec pour décors projeté sur des mur un paysage viennois, portant sur la montée de l'intolérance et la survivance du nazisme. Un texte au propos parfois virulent et comme colonne vertébrale de ce spectacle mais il est soutenu, permis, par une mise en scène fine, dont les attentions réside dans des détails (une ancienne croix gammées à peine visible, semi-effacée sur un meuble) et poétique, déployant doucement cette parole, tout comme le jeu tout en finesse des comédiens. J'oserais ajouter en reprenant les termes de Krystian Lupa qu'il a réussi une expérience de vie que la réalité à l'écho si particulier de nos temps troublés rattrape.
C'est de la dichotomie de la mise en scène délicate et forte, évoquant le noir et blanc des hivers rudes, mais aussi rappelant une sorte de théâtre d'ombres, rappelant parfois les romans graphiques aux estampes noires et blanches, il y a quelque chose de l'ordre de la bande dessinée, et d'un contraste de lumières, qui s'opposent à la vindicte du texte que cette pièce saisit le spectateur dans un contraste, délicat et singulier.
Après toute cette période de réflexion, j'aimerais pouvoir revoir de nouveau ce spectacle.