Ses critiques
2 critiques
8/10
Christophe Perton fait de la pièce de Thomas Bernhard, jouée au Théâtre de Poche jusqu’au 5 novembre prochain, un écrin dans lequel Dominique Valadié déploie son talent. Ce texte, qui mêle relation entre une mère et sa fille, regard sur le théâtre et critique de l’univers bourgeois, dénonce, comme souvent chez l’auteur autrichien, l’hypocrisie et la mesquinerie de la société.
La pièce débute avec une femme seule assise sur un divan qui retarde le paiement d’un obélisque sur la tombe de son mari, puis elle poursuit son monologue au sujet d’une pièce vue la veille et dont elle interroge les raisons du succès, enfin elle ordonne à sa fille de lui préparer du thé. Ces premières minutes posent d’emblée le sujet d’Au but : le dénigrement et l’adoration de la fille, du théâtre et de la bourgeoisie par la mère. Le personnage incarné par Dominique Valadié oscille en effet tout au long de la pièce entre diatribes violentes et amours éperdus. Vis-à-vis de la bourgeoisie, ses conventions, ses habitudes et ses expressions, qu’elle reconnait avoir absolument voulu intégrer en se mariant avec un homme qu’elle n’aimait pas. Vis-à-vis du théâtre, un art menteur qui ne donne à voir que les saletés des hommes, mais qui la fascine tant qu’elle a invité sur un coup de tête un auteur dramatique à succès à venir passer quelques jours de vacances chez elle. Par rapport à sa fille enfin, dont elle a fait sa bonne mais sans laquelle elle reconnait qu’elle ne pourrait pas vivre.
Cette ambivalence est incarnée à merveille par Dominique Valadié qui hésite sans cesse et avec brio entre les vestiges d’une fragilité d’enfant racontant une jeunesse pauvre, difficile et sans avenir, la force d’une femme qui s’est construite et imposée dans la violence pour préserver une certaine part d’elle-même, et la monstruosité d’une mère tyran qui réduit sa fille en esclavage. La mère se contredit ainsi en permanence, dans un besoin de tout rejeter et de tout réunir, et cache et exhibe tout à la fois sa fragilité dans une consommation excessive de cognac. C’est une femme complexe, à la fois dehors et dedans, critique d’une société dans laquelle elle est aussi pleinement partie prenante, ce qui d’ailleurs la dépasse par moment, qu’incarne Dominique Valadié. La comédienne réalise tout au long du spectacle le tour de force de « comprendre ce qu’elle joue », comme elle le dit elle-même, . Ainsi lorsqu’elle bute sur un mot, le spectateur n’a pas l’impression d’une hésitation de texte mais plutôt qu’elle poursuit le fil de la pensée de son personnage. Si toute la pièce se déploie autour d’elle, la prestation de Léna Brénan dans le rôle de la fille est également à souligner, à la fois tout en retenue et en éclats de violence.
Malheureusement, le spectacle s’épuise peu à peu après une première partie très impressionnante et pleine de tension. Tout semble avoir été dit et l’arrivé de l’auteur dramatique et le changement de lieu ne renouvellent pas le sujet. De plus, la mise en scène perd également en concentration, l’espace réduit de la scène semble trop petit pour les trois comédiens qui n’arrivent pas à y déployer leur jeu et la multiplication des déplacements, sans doute pour tenter de déjouer cette difficulté, contribue également à diluer les enjeux.
La pièce débute avec une femme seule assise sur un divan qui retarde le paiement d’un obélisque sur la tombe de son mari, puis elle poursuit son monologue au sujet d’une pièce vue la veille et dont elle interroge les raisons du succès, enfin elle ordonne à sa fille de lui préparer du thé. Ces premières minutes posent d’emblée le sujet d’Au but : le dénigrement et l’adoration de la fille, du théâtre et de la bourgeoisie par la mère. Le personnage incarné par Dominique Valadié oscille en effet tout au long de la pièce entre diatribes violentes et amours éperdus. Vis-à-vis de la bourgeoisie, ses conventions, ses habitudes et ses expressions, qu’elle reconnait avoir absolument voulu intégrer en se mariant avec un homme qu’elle n’aimait pas. Vis-à-vis du théâtre, un art menteur qui ne donne à voir que les saletés des hommes, mais qui la fascine tant qu’elle a invité sur un coup de tête un auteur dramatique à succès à venir passer quelques jours de vacances chez elle. Par rapport à sa fille enfin, dont elle a fait sa bonne mais sans laquelle elle reconnait qu’elle ne pourrait pas vivre.
Cette ambivalence est incarnée à merveille par Dominique Valadié qui hésite sans cesse et avec brio entre les vestiges d’une fragilité d’enfant racontant une jeunesse pauvre, difficile et sans avenir, la force d’une femme qui s’est construite et imposée dans la violence pour préserver une certaine part d’elle-même, et la monstruosité d’une mère tyran qui réduit sa fille en esclavage. La mère se contredit ainsi en permanence, dans un besoin de tout rejeter et de tout réunir, et cache et exhibe tout à la fois sa fragilité dans une consommation excessive de cognac. C’est une femme complexe, à la fois dehors et dedans, critique d’une société dans laquelle elle est aussi pleinement partie prenante, ce qui d’ailleurs la dépasse par moment, qu’incarne Dominique Valadié. La comédienne réalise tout au long du spectacle le tour de force de « comprendre ce qu’elle joue », comme elle le dit elle-même, . Ainsi lorsqu’elle bute sur un mot, le spectateur n’a pas l’impression d’une hésitation de texte mais plutôt qu’elle poursuit le fil de la pensée de son personnage. Si toute la pièce se déploie autour d’elle, la prestation de Léna Brénan dans le rôle de la fille est également à souligner, à la fois tout en retenue et en éclats de violence.
Malheureusement, le spectacle s’épuise peu à peu après une première partie très impressionnante et pleine de tension. Tout semble avoir été dit et l’arrivé de l’auteur dramatique et le changement de lieu ne renouvellent pas le sujet. De plus, la mise en scène perd également en concentration, l’espace réduit de la scène semble trop petit pour les trois comédiens qui n’arrivent pas à y déployer leur jeu et la multiplication des déplacements, sans doute pour tenter de déjouer cette difficulté, contribue également à diluer les enjeux.
9/10
« Traviata, Vous méritez un avenir meilleur » fait l’ouverture, jusqu’au 30 septembre, de la saison des Bouffes du Nord dans une formidable adaptation de l’opéra de Verdi entre chant et théâtre.
Cette Traviata est un projet élaboré à trois par Judith Chemla qui en est à l’origine, Benjamin Lazar qui l’a mis en scène, et Florent Hubert qui a adapté la musique, préservant la trame narrative de l’opéra de Verdi ainsi que les grands airs, pour aboutir à un superbe moment qui met en valeur des comédiens, chanteurs et musiciens de talent.
Les trois acolytes se sont notamment attachés à construire un spectacle qui relève tant du théâtre que de l’opéra, loin des mélodies chantonnées par certains comédiens et des jeux d’acteurs parfois caricaturaux des chanteurs d’opéra. Ici les comédiens chantent, les chanteurs jouent la comédie le tout dans le même temps, donnant ainsi une grande finesse à des airs parfois trop bien connus.
Les comédiens et les musiciens, tous formidables, se mêlent dans une distinction brouillée des rôles : les musiciens chantent, les chanteurs font de la musique et tout le monde joue la comédie. Car si la Traviata rassemble d’habitude orchestre symphonique et chœurs en plus des chanteurs principaux, ils sont ici huit musiciens et cinq chanteurs-acteurs chacun occupant le plateau et le récit de manière totale.
Benjamin Lazar a élaboré une mise en scène dépouillée qui s’organise autour de quelques objets, fleurs, chaises et tréteaux, réagencés au fil des actes. Ce dépouillement c’est l’envers cette petite société mondaine dans laquelle évolue Violetta et qui risque à tout moment de se fracasser sur la réalité du manque d’argent, de la maladie et de l’absence de sentiment. C’est aussi l’illustration de la vie de Violetta qui n’a rien au monde au début du spectacle que les paillettes et la fête. Le dépouillement c’est enfin le cœur du récit qui met en scène le dépouillement de l’héroïne de son amour, de son honneur puis de sa vie.
Le spectacle joue également avec et autour du temps. Il replace ainsi Violetta dans son époque à travers l’évocation de certains de ses nombreux amants dont Franz Liszt et Théophile Gautier mais aussi Alexandre Dumas lui-même. Cette époque, c’est celle d’Alphonsine Plessis, célèbre courtisane parisienne des années 1840, rebaptisée par elle-même Marguerite Duplessis et devenue Marguerite Gautier sous la plume d’Alexandre Dumas, celle également de la création de l’opéra original et du roman de Dumas La Dame aux camélias.
Mais plutôt que de verser dans une représentation trop historique à travers notamment des fêtes où le champagne coulerait à flots, Benjamin Lazar fait le choix d’une transposition moderne dans une prise de drogue effrénée. Ce faisant, il brouille les pistes temporelles, comme si Violetta et ses proches étaient les fantômes du Paris de 1840 revenus dans notre siècle chercher « un avenir meilleur » qu’ils ne trouveront pas.
Cette Traviata joue également sur la frontière entre récit et imaginaire : un pied dans la fiction, en se saisissant de l’opéra de Verdi, lui-même adapté du roman de Dumas, et l’autre dans l’Histoire lorsqu’est projeté sur les murs des Bouffes du Nord, en lieu et place des surtitres, une liste d’effets personnels (jupons, robes, nappes…) issue de la vente aux enchères des bien de Marie Duplessis après sa mort.
Enfin, Judith Chemla étincelle en Violetta, à la fois tout en retenue et en explosion. L’ancienne pensionnaire de la Comédie Française est en effet tout à la fois une grande actrice et une très belle soprano qui fait entrer le spectateur dans l’intimité de Violetta. Elle en fait non pas une « femme perdue » (la signification de traviata en italien) mais une femme sacrifiée tout à la fois par l’injustice d’une société qui l’a faite courtisane, par le père d’Alfredo qui la conduit à sacrifier son bonheur pour l’honneur de son fils et enfin par son amant même qui l’humilie publiquement.
Cette Traviata est un projet élaboré à trois par Judith Chemla qui en est à l’origine, Benjamin Lazar qui l’a mis en scène, et Florent Hubert qui a adapté la musique, préservant la trame narrative de l’opéra de Verdi ainsi que les grands airs, pour aboutir à un superbe moment qui met en valeur des comédiens, chanteurs et musiciens de talent.
Les trois acolytes se sont notamment attachés à construire un spectacle qui relève tant du théâtre que de l’opéra, loin des mélodies chantonnées par certains comédiens et des jeux d’acteurs parfois caricaturaux des chanteurs d’opéra. Ici les comédiens chantent, les chanteurs jouent la comédie le tout dans le même temps, donnant ainsi une grande finesse à des airs parfois trop bien connus.
Les comédiens et les musiciens, tous formidables, se mêlent dans une distinction brouillée des rôles : les musiciens chantent, les chanteurs font de la musique et tout le monde joue la comédie. Car si la Traviata rassemble d’habitude orchestre symphonique et chœurs en plus des chanteurs principaux, ils sont ici huit musiciens et cinq chanteurs-acteurs chacun occupant le plateau et le récit de manière totale.
Benjamin Lazar a élaboré une mise en scène dépouillée qui s’organise autour de quelques objets, fleurs, chaises et tréteaux, réagencés au fil des actes. Ce dépouillement c’est l’envers cette petite société mondaine dans laquelle évolue Violetta et qui risque à tout moment de se fracasser sur la réalité du manque d’argent, de la maladie et de l’absence de sentiment. C’est aussi l’illustration de la vie de Violetta qui n’a rien au monde au début du spectacle que les paillettes et la fête. Le dépouillement c’est enfin le cœur du récit qui met en scène le dépouillement de l’héroïne de son amour, de son honneur puis de sa vie.
Le spectacle joue également avec et autour du temps. Il replace ainsi Violetta dans son époque à travers l’évocation de certains de ses nombreux amants dont Franz Liszt et Théophile Gautier mais aussi Alexandre Dumas lui-même. Cette époque, c’est celle d’Alphonsine Plessis, célèbre courtisane parisienne des années 1840, rebaptisée par elle-même Marguerite Duplessis et devenue Marguerite Gautier sous la plume d’Alexandre Dumas, celle également de la création de l’opéra original et du roman de Dumas La Dame aux camélias.
Mais plutôt que de verser dans une représentation trop historique à travers notamment des fêtes où le champagne coulerait à flots, Benjamin Lazar fait le choix d’une transposition moderne dans une prise de drogue effrénée. Ce faisant, il brouille les pistes temporelles, comme si Violetta et ses proches étaient les fantômes du Paris de 1840 revenus dans notre siècle chercher « un avenir meilleur » qu’ils ne trouveront pas.
Cette Traviata joue également sur la frontière entre récit et imaginaire : un pied dans la fiction, en se saisissant de l’opéra de Verdi, lui-même adapté du roman de Dumas, et l’autre dans l’Histoire lorsqu’est projeté sur les murs des Bouffes du Nord, en lieu et place des surtitres, une liste d’effets personnels (jupons, robes, nappes…) issue de la vente aux enchères des bien de Marie Duplessis après sa mort.
Enfin, Judith Chemla étincelle en Violetta, à la fois tout en retenue et en explosion. L’ancienne pensionnaire de la Comédie Française est en effet tout à la fois une grande actrice et une très belle soprano qui fait entrer le spectateur dans l’intimité de Violetta. Elle en fait non pas une « femme perdue » (la signification de traviata en italien) mais une femme sacrifiée tout à la fois par l’injustice d’une société qui l’a faite courtisane, par le père d’Alfredo qui la conduit à sacrifier son bonheur pour l’honneur de son fils et enfin par son amant même qui l’humilie publiquement.