- En tournée
- En tournée dans toute la France
Vu du Pont

- Laurent Papot
- Alain Fromager
- Nicolas Avinée
- Charles Berling
- Pierre Berriau
- Pauline Cheviller
- Caroline Proust
- En tournée dans toute la France
Eddie est docker et fier de l’être.
Toute sa vie, il a lutté pour tenir sa promesse d’élever Catherine, la nièce de sa femme Béatrice, et de garantir un bel avenir à la petite orpheline. Voilà des années que cet homme de parole se saigne aux quatre veines pour tenir sa promesse en veillant sur elle, peut-être un peu trop jalousement.
Eddie n’a pas vu – n’a sans doute pas voulu voir – que l’enfant a grandi, qu’elle est devenue une femme. Et il ne voit que trop quels regards les hommes portent à présent sur elle.
Il y avait un avenir.
Vu de loin : un fait divers banal, de ceux qu’on oublie vite. Une histoire de gens modestes dans le New York prolétaire des années 1950, presque une enquête sociologique dans le milieu italo-américain des dockers du quartier de Red Hook, à l’ombre du colossal pont de Brooklyn.
Vu du pont : une tragédie aussi vieille que le conflit entre loi et justice, ou entre réalité et désir ; une version moderne du mythe du Paradis perdu. Du récit de quelques journées décisives dans la vie d’Eddie Carbone et de ses proches, Arthur Miller réussit à tirer la matière d’une intrigue immémoriale.
Pour cette pièce, Ivo Van Hove et Jan Versweyveld ont remporté le Triomphe AuBalcon de la mise en scène et de la scénographie (2016). Charles Berling a lui remporté le Molière 2016 du comédien de théâtre public.
La critique de la rédaction : 7.5/10. Pour un public averti. Une très belle pièce sur l’honneur, l'orgueil, l'autorité, les vieilles valeurs auxquelles on s'accroche. Mais ont-elles encore un sens aujourd'hui ? Ne nous font-elles pas courir à notre perte ?
Vu du Pont met du temps à démarrer, la première partie est très lente et nous ne comprenons pas bien les enjeux. Nous commençons même à nous ennuyer un peu.
Mais la mise en scène qui ralentie et intellectualise la pièce en première partie, permet avec les mêmes artifices de mieux savourer les scènes les plus intenses du second volet.
De sceptiques nous sommes devenus conquis. La scène dressée comme un ring au milieu des tribunes, la musique, la mise en lumière trouvent enfin un sens.
Au départ, nous n'aimions pas le personnage de la jeune fille légère, vu et revu au théâtre et avions du mal à croire à l'autorité du père. Pourtant, au fil de l'histoire, chacun des personnages s'impose, révèle la profondeur de sa personnalité. Chacun d’entre eux nous bluffe et nous émeut à sa façon.
C'est l'avocat que nous avons particulièrement aimé, avec son sens moral. Il ne cesse de rappeler que la loi n’encadre pas tout, elle ne se mêle pas des affaires de familles.
"Si tu te bats contre un fleuve, tu finiras noyé." Dans ce texte magnifique, de nombreuses répliques nous interpellent. Nous aurions aimé toutes les retenir pour les méditer.
Après un final époustouflant, nous sortons sans voix des Ateliers Berthier.
Me voila donc posée devant cette scène qui est au centre des gradins et qui m'a fait penser à un ring de boxe dès que je l'ai vue et quelque part c'est un combat auquel nous assistons avec son chauffeur de salle en la personne de l'avocat qui tourne autour et nous met l'eau à la bouche en plantant le contexte.
Alors, il y a Charles Berling, bouleversant d'humanité blessée, à vif, qui incarne l'oncle protecteur d'une jeune fille : Catherine innocente et vive (limite un peu énervante dans l'exubérance des premières scènes). Il incarne un docker oscillant dangereusement entre suivre son code d'honneur et un désir indicible qui nous conduira vers une fin de l'histoire tragique. Il est juste merveilleux !
Les autres comédiens sont tous très bien aussi, même si le personnage de Marco incarné par Laurent Papot est un peu trop en retrait à mon goût.
Et il y a cette mise en scène fabuleuse avec des idées originales et réussies jusqu'à la scène finale qui m'a laissée bouche bée. Ce qui est sur, c'est que je me souviendrai longtemps de cette pièce.
La mise en scène et le décor est tout aussi impeccable, sobre mais d’une redoutable efficacité tout comme les acteurs, quoique campant des personnages un poil archétypé, que l’on redécouvre (je pense notamment à Caroline Proust que je n’avais vu qu’en flic bourru dans « engrenages », l’opposé de ce rôle de gentil mère au foyer).
Que dire d'autre si ce n'est « Chef d'oeuvre » !
Pour la deuxième fois (c'est une reprise de la saison passée), je ne peux m'empêcher d'utiliser ce terme : Chef d'oeuvre !
Voir dans la même saison « Les damnés » et « Vu du pont » c'est se dire – une nouvelle fois s'il en était besoin – qu'Ivo Van Hove est l'un des deux plus grands metteurs en scène européens actuels.
En ce soir de première, il est d'ailleurs venu saluer le public pendant les nombreux rappels.
Alors évidemment, je vais développer un peu.
Miller. Arthur.
Pour beaucoup, c'est un dramaturge américain un peu oublié, accessoirement marié à Maryline Monroe, daté années 50/60, Actor's studio, qu'on ne joue plus beaucoup.
La version française de sa pièce a été créée en 1958 par un certain Peter Brook, dans une traduction-adaptation d'un certain... Marcel Aymé.
Qu'est-ce qui a donc poussé Ivo Van Hove à mettre en scène ce « Vu du Pont » ?
Assurément, c'est le fait de pouvoir ôter toute référence temporelle à la pièce et le fait de tendre vers une universalité.
Le théâtre est comme ces palimpsestes, ces parchemins médiévaux calligraphiés que les moines grattaient pour pouvoir réécrire dessus.
Ivo van Hove a bien compris cette dimension théâtrale. Une mise en scène est faite pour ré-écrire et ré-écrire encore la pièce.
Nous sommes ici dans le Mythe.
Nous sommes ici dans la Tragédie antique, celle d'Euripide, par exemple.
Ici, c'est un regard absolu et sans concession sur la condition humaine qui nous est proposé.
Oui, c'est une tragédie d'hommes et de femmes de tous les jours, des dockers, des sans-papiers, à laquelle nous assistons, et qui nous renvoie à nos propres turpitudes, nos propres faiblesses, à nos pauvres compromis.
Avec des archétypes, ces « modèles primitifs et idéaux », pour reprendre le sens étymologique du mot :
Le jeune héros, beau, jugé indigne par la figure du Père, accablé par la perte prochaine de la fille qui va vouloir voler de ses propres ailes.
La Mère, soumise au mari.
Le choeur, en l'occurence l'avocat-narrateur.
Des sentiments, des passions, des travers humains : l'honneur, l'amour, la jalousie, l'inceste, la révolte, la dénonciation, le meurtre.
Nous sommes vraiment dans l'Universel.
Pas besoin de décors, pas besoin de costumes sophistiqués, pas besoin de chaussures (les comédiens sont tous pieds-nus), le texte se suffit à lui-même (dans une nouvelle traduction du conseiller littéraire de l'Odéon, Daniel Loayza).
Le texte et la direction d'acteurs.
Ce qu'a demandé aux comédiens et ce qu'a obtenu le metteur en scène est purement et simplement prodigieux.
Prodigieux !
Une nouvelle fois, j'ai été stupéfait, bluffé, scotché par ce qui est demandé et ce que nous donnent les huit comédiens.
Au premier chef, bien entendu, Charles Berling.
Il est bouleversant d'humanité blessée, d'humanité douloureuse.
Il va faire porter à son personnage de façon grandiose le poids du destin, de la fatalité.
Bouleversant, vous dis-je.
Les autres sont à l'avenant et notamment la toute jeune Pauline Cheviller qui, en nièce orpheline recueillie par le personnage de Berling, crève littéralement le plateau.
Nicolas Avinée, qui lui est son amoureux sans-papiers, est également excellent.
Tout comme Alain Fromager interprétant l'avocat-narrateur, et qui m'a particulièrement enthousiasmé.
Et puis, il y a la scène finale, l'apothéose, le climax dramaturgique.
Une scène dont je ne peux parler.
Une scène finale inoubliable, tout comme celle des Damnés.
Une scène finale qui vous marque à jamais, dont vous savez qu'elle restera à vie dans votre mémoire.
Je ne crois pas m'avancer en pariant que cette mise en scène de « Vu du pont » fera évidemment date dans l'histoire théâtrale du XXIème siècle, et assurément dans l'histoire théâtrale tout court.
Heureusement, il y a d'excellents comédiens au service de ce texte. Car la montée en puissance du jeu, ainsi que l'intensité dramatique du texte, fait qu'à la fin j'étais totalement aspiré par tout ce qui se passait devant moi.
La disposition des spectateurs est assez atypique, car on est assez proche du plateau et ça donne l'impression d'un aquarium. La mise en scène en soit parait simple, car aucun décor, ni accessoires, juste un simple sol blanc. Et c'est tout l'intérêt de cette scénographie, car les comédiens doivent tout composer et faire imaginer ces différents lieux.
En résumé, un spectacle à voir absolument pour d'une part le texte d'Arthur Miller, mais surtout les comédiens qui se transforment et nous transportent avec eux dans cette magnifique pièce.
Il s’apprête à nous exposer le destin d’Eddie Carbone, un docker new-yorkais qui travaille dur pour élever Catherine, la nièce de sa femme Béatrice. Un destin qui va prendre la forme d’un véritable drame antique.
Ivo van Hove n’a-t-il pas lui-même déclaré s’être « attaqué » à la pièce d’Arthur Miller comme à une tragédie grecque? Très vite, on se sent happé par l’intensité des rapports unissant les six personnages. Chacun d’eux défend des enjeux considérables. L’apparent dénuement de la scénographie nous recentre sur l’essentiel : les différents combats qui se livrent sous nos yeux. Combat d’un homme fou d’adoration pour celle qu’il ne lui est justement pas permis d’aimer. Combat d’une femme pour son mari qu’elle voit s’éloigner, se détruire et se perdre. Combat de deux immigrés italiens qui luttent contre la pauvreté et la mise à l’écart.
Pour incarner ces combattants, ces guerriers, ces lutteurs aux pieds nus, Ivo van Hove a rassemblé une troupe d’exception. Charles Berling, troublant de désespoir, de sincérité, de colère rentrée, de passion jalouse, apparaît au sommet de son art. Face à lui, deux comédiennes se le disputent : une incroyable Caroline Proust – à mon sens trop rare sur les scènes de théâtre – et la jeune et prometteuse Pauline Cheviller. Nicolas Avinée, le plus jeune des frères italiens, impose également une remarquable et saisissante figure de héros. Chacun d’eux prend place dans l’arène façon ring de boxe proposée par Ivo van Hove. Une arène qui se déploie au coeur même des spectateurs, grâce à un dispositif trifrontal extrêmement approprié.
La scène finale est aussi belle que bouleversante, elle referme la page ouverte par Alfieri au tout début du spectacle. On comprend d’où vient cette pluie mystérieuse. On la voit après l’avoir entendue. Elle nous restera longtemps en mémoire. On sort de là un peu sonné, comme si l’on avait nous-mêmes pris place sur ce fameux ring. Personnellement, j’aurais bien prolongé par quelques rounds supplémentaires…