- Théâtre contemporain
- Vingtième Théâtre
- Paris 20ème
Pédagogies de l'échec

- Salim Kechiouche
- Olivia Côte
- Vingtième Théâtre
- 7, rue des Plâtrières
- 75020 Paris
- Ménilmontant (l.2)
Au septième étage, dans des bureaux dont il ne reste rien, ni cloisons ni fenêtres, deux individus se plient aux lois de la hiérarchie. Tout autour d’eux est tombé, un tremblement de terre, une catastrophe ou un conflit mondial, peu importe.
Un monde en ruines et dépeuplé. Mais ils sont là, ils poursuivent, ils continuent le travail, tentent de produire du travail dans le vide et entourés de trous. Ils se soumettent aux rôles professionnels, le pouvoir et l’immunité de la supérieure, et la servilité et l’irresponsabilité du subalterne.
Avec mauvaise foi, rancœurs, jeux d’humiliations, mises à l’épreuve, jalousies, désirs, aspirations. En bas, on monte des échafaudages, dont le coût de la location a précipité dans la faillite la boîte qui les a loués pour une reconstruction hypothétique. C’est dans cette boîte précisément que travaillent les deux individus, mais à présent désœuvrés, sans objectif, ni projet, si ce n’est celui de «continuer toujours à travailler ».
Pédagogies de l’échec, c’est une comédie féroce de la vanité de l’action et des rôles imposés, de la théâtralité des catégories socioprofessionnelles, qui veulent tenir le coup, encore et malgré tout, dans un univers aveugle quant à sa propre érosion, sa pathétique dégringolade.
Ils nous expliquent que cela pourrait se passer dans n’importe quel lieu mais là où tout serait tombé. Il ne s’agit pas ici d’un doux euphémisme puisque, lorsque le noir se fait et que les deux acteurs s’éclipsent, nous les retrouvons sur une sorte de radeau-bureau, errant et dérivant sur l’océan des ruines de la société pour laquelle ils travaillaient. Isolés sur cette planche de salut de moins de quatre mètres de côté, ils sont les deux seuls survivants, les deux naufragés d’une entreprise qui n’est plus. Autour d’eux, leur monde s’est écroulé mais il faut tenter de continuer à vivre. Aussi absurde et inquiétant que cela puisse paraître, ils ont l’obsession, le besoin de poursuivre leur travail malgré tout, en conservant cependant un ordre hiérarchique immuable en toute circonstance, dans lequel elle reste la cadre légèrement autoritaire et lui l’employé dévoué de bonne composition.
Avec une écriture vive et tranchante, Pierre Notte nous plonge sans ménagement dans une satire du monde de l’entreprise avec ce huis-clos absurde et surréaliste mais captivant où la volonté de continuer à faire comme avant est la plus forte. Sauver les apparences coûte que coûte devient leur objectif alors qu’autour, il n’y a plus rien à quoi se raccrocher. Avec un procédé de plancher qui s’incline peu à peu jusqu’à être en position quasi verticale, rappelant également la scénographie du Faiseur d’Honoré de Balzac par Emmanuel Demarcy-Motta, l’équilibre instable, fragile et précaire des deux protagonistes est mis en péril. La chute est mise en scène par Alain Timár de manière époustouflante grâce également à une scénographie spectaculaire, utilisée à bon escient et qui fonctionne parfaitement. Olivia Côte et Salim Kechiouche offrent une prestation physique exemplaire et à couper le souffle, donnant de leur personne jusqu’à finir sans pantalon, sur fond de rapports de force et de domination, sève de cette vie de bureau qui se poursuit, tant bien que mal, comme un fil suspendu au vide ambiant où même passer à l’acte sexuel de façon bestiale ne peut se faire, dans un souci de notion de subalterne. « Nous sommes finis, que voulez-vous achever de plus ? » déclarent-ils, comme résignés.
La direction d’acteurs, au cordeau, souligne un ensemble juste et cohérent avec une partition subtile dans la lignée des textes de Ionesco dont Pierre Notte n’a rien à envier, comme dans l’absurde scène du stylo, le tout ponctué par les notes de Bartók au piano, symbolisant le temps qui passe et l’inclinaison grandissante de plus en plus menaçante. Et nous tremblons pour eux face à l’inévitable chute.
Sur scène, deux personnages sur une petite surface de l’immeuble où ils travaillent. Tout autour d'eux s'est écroulé, plus de cuisine, plus de toilette, plus de bureau de chef, plus d'étages de RH... Juste eux deux. Une femme cadre, responsable et un subalterne, homme vont devoir partager le dernier espace non détruit autour. Mais voilà, l'équilibre du sol doucement vacille tout comme la raison de nos héros.
La frontière sociale se rappelle à eux comme la mer qui s'écrase contre les rochers. Même quand les armes se baissent, cette question se position revient. Pourquoi pas faire l'amour ? Ils se mettent d'accord mais la question se qui va dessus se pose et personne ne veut être en dessous. Finalité, chacun repars dans son coin avec la peur et l'inquiétude au coeur de l'estomac. Pas pour très longtemps car les circonstances vont devoir les rapprocher pour mieux se critiquer, se jauger, s'apprécier....
Le travail ne peut pas se poursuivre. Il faut l'accepter. Une chose horrible est arrivée, il faut l'accepter. Il faut passer au dessus des rumeurs, des obsessions, des rancoeurs, de la violence des rapports hiérarchiques et l'absurdité de certaines tâches ou contrat. Une porte de sortie s'offre à eux quand des hommes montant des échafaudages arrivent. Ce n'est pas pour les sauver, cela fait partie du contrat passé qui va ruiner l'entreprise. Le budget n'était pas suffisant pour construire.
Tout cela vous semble absurde comme histoire? Cela tombe bien puisque c'est le cas. D'ailleurs, c'est la marque de fabrique de Pierre Notte. Bien entendu, cela fait référence à notre monde qui aime continuer à faire semblant de ne pas voir les problèmes. Sauf qu'à un moment, il faut faire avec et choisir d'avancer ou pas. Cette chute se montre visuellement puisque au fur et à mesure, la scène surélevée sur laquelle se trouve nos deux comédiens s'incline les poussant à trouver un difficile équilibre. Étrangement, on rit de la cruauté de la situation et des situations cocasses. Un sentiment partagé m'a habité en sortant du spectacle. Très bien écrit et terriblement bien joué, mais quelque chose dérange. Était-ce le sujet ? La façon dont c'était présenté ? La mise en scène ? Une certitude, je ne suis pas prêt d'oublier cette prestation hors du commun.
Un huit-clos totalement surréaliste où deux personnes ont du mal à affronter la réalité d'une situation catastrophique. Un spectacle particulier, interprété avec un talent fou plongeant le spectateur dans sa propre confusion. Vous voulez être surpris ? Dirigez-vous au Vingtième Théâtre.
Deux salariés se retrouvent les seuls survivants sur le septième étage, suite à l'écroulement de leur immeuble, il ne reste qu'un siège, un astucieux caisson de rangement et un bout de bibliothèque. Tout le reste s'est effondré y compris les cloisons. Que vont faire ces deux là ?
On assiste à un duo qui alterne entre l'affrontement hiérarchique et le rapprochement du à l'inconfortable situation et c'est vraiment réussi.
Les comédiens sont superbes dans leur numéro d'équilibristes tout en s'envoyant des répliques décapantes.
Le spectacle est à la fois drole et dérangeant.