Libre arbitre

Berlin 2009. Championnat du monde d’athlétisme. Caster Semenya remporte la médaille d’or du 800 mètres femmes. Aussitôt, la jeune athlète sud-africaine éveille les soupçons de la Fédération internationale et doit se soumettre à un ”test de féminité”.

Plus de 10 ans après, cette sportive hors-norme est interdite de compétition et se bat toujours pour faire valoir ses droits auprès des instances juridiques.

Qu’est-ce qu’une « vraie » femme et pourquoi cette question ne cesse de hanter les grandes compétitions sportives ? À travers le parcours de Caster Semenya, Libre arbitre questionne la représentation du corps des femmes, son contrôle et les rapports de pouvoir à l’œuvre dans notre société.

 

Théâtre Dunois

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26 mai 2022
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Toubib hormone toubib ?


Impossible pour moi de ne pas débuter immédiatement et sans plus attendre ce papier en écrivant toute mon admiration et mon enthousiasme pour ce remarquable et on ne peut plus intelligent spectacle, qui, à partir d’un cas particulier, certes très signifiant, va déboucher sur une merveilleuse et universelle humanité.

19 août 2009.
Outre le fait que c’était mon anniversaire, (ce dont tout le monde se moque éperdument et ce, à raison…), se déroule ce jour-là à Berlin la finale féminine du 800m des championnats du monde d’athlétisme.
1 minute 55 secondes et 45 centièmes après le coup de feu du starter, l’athlète sud-africaine Caster Semenya franchit la première la ligne d’arrivée, avec une confortable avance sur ses adversaires.

Cette femme va se montrer suspecte aux yeux de la fédération internationale d’athlétisme : trop rapide, trop forte, trop « hors-norme », et surtout pas assez « féminine » !

Une athlète suspecte, douteuse, pour les instances dirigeantes (masculines, les instances…), qui vont donc lui imposer la passation de « tests de féminité » : analyses d’urines, analyse de sang, mais également taux de pénétration du vagin, ou encore mesure de la taille du clitoris…


Durant onze mois que prendront ces tests et la publication de leurs résultats, elle sera interdite de stade.
Il va s’avérer que Miss Semenya présente un taux élevé de testostérone, l’hormone masculine, comme 2 % de la population féminine mondiale, ce qui en fait une « personne intersexe », selon les normes définies par l’OMS.

Elle, elle refuse cette classification. Elle, elle se considère femme à part entière.
Cependant, elle sera contrainte de prendre un traitement hormonal aux effets secondaires affolants.
Elle saisira dans la foulée (si j’ose écrire…) le Tribunal Arbitral du Sport.

Léa Girardet et Julie Bertin, en portant cette histoire sur un plateau, vont poser, vont nous poser des questions essentielles.

La première est fondamentale, à la fois paradoxalement simple et complexe : qu’est-ce qu’une femme ?
D’autres viennent immédiatement se greffer à la première.
Pourquoi une femme devrait-elle justifier de ses avantages génétiques ?
Pourquoi personne n’a jamais demandé à des athlètes mâles des test de masculinité ? Bolt serait donc un demi-dieu et Semenya une paria ?
Comment nos sociétés perçoivent-elles encore la construction et la définition du genre ?

Les deux auteures ont donc choisi d’évoquer toutes ces questions à travers le prisme de cette histoire personnelle.
Leur propos n’est pas de nous confronter à un simple documentaire de ce qui s’est passé.
Il va s’agir véritablement de proposer une formidable dramaturgie se déroulant dans le milieu sportif et médical, qui va résonner à l’échelle de notre contemporanéité sociétale.

C’est bien simple, durant cette heure et quarante minutes, j’ai été captivé, passionné par ce que j’ai vu !
Sur la piste d’athlétisme bleue devant le public, Léa Girardet (qui joue donc également), Cléa Laizé, Juliette Speck et Julie Teuf mises en scène par Julie Bertin, m’ont enthousiasmé à interpréter la multitude de personnages de différents sexes que comporte cette histoire.

Au sein de l’épatante scénographie de Pierre Nouvel, (nous sommes vraiment dans le stade de Berlin, avec les couloirs, le chronomètre numérique, les plots, les boxes-vestiaires…), les quatre comédiennes vont faire se succéder des tableaux se déroulant dans de multiples lieux (je vous laisse découvrir), le tout avec une infaillible justesse et un engagement total, débouchant sur un phénoménal sentiment de vérité.



Les quatre comédiennes en permanence irréprochables sont totalement au service d’une remarquable et implacable démonstration. Elles vont nous bouleverser, nous faire rire, nous sidérer (au meilleur sens du terme), nous édifier, nous faire participer également à l’action (je n’en dis pas plus, mais j’en aurais très envie…), pour finalement nous subjuguer.
Je défie quiconque de se laisser distraire ne serait-ce qu’un seul instant de ce qu’elle nous disent et nous montrent !

Des scènes magistrales de comédie nous attendent, (celle de la rédaction d’un communiqué de presse à la Fédération est irrésistible de drôlerie).

Des scènes bouleversantes également, qui nous horrifient devant ce qu’a dû endurer Caster Semenya.
Des chorégraphies endiablées, un Rap drôle et spirituel, viennent émailler les cent minutes du spectacle.

Et puis la piste se change en salle d’audience. Le procès peut débuter.
Les petits boxes blancs deviennent judicieusement les meubles du prétoire, le chronomètre sert à tout autre chose.
Là encore, beaucoup d’intelligence dans les parti-pris mis en œuvre.

Dernière scène flash-back. Retour au 19 août 2009.
Dans un magnifique dispositif video en split-screen, nous assistons à la fameuse finale. En intégralité.

Et puis nous est révélé le prononcé du jugement. Un prononcé que je me garderai bien de vous dévoiler.

Je vous en conjure : ne manquez sous aucun prétexte ce spectacle où le fond se dispute à la forme en terme de totale réussite.

Il se jouera jusqu’au 28 mai au théâtre Dunois, puis jusqu’au 4 juin au Théâtre 13 (Bibliothèque).

Un spectacle qui assurément figure d’ores et déjà sur l’une des trois marches de mon podium personnel pour cette saison.
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Notes détaillées (pour les plus courageux)
Texte
Jeu des acteurs
Emotions
Intérêt intellectuel
Mise en scène et décor