- Classique
- Comédie Française - Salle Richelieu
- Paris 1er
Jean Baptiste, Madeleine Armande et les autres
- Serge Bagdassarian
- Elsa Lepoivre
- Adeline d'Hermy
- Pauline Clément
- Comédie Française - Salle Richelieu
- 2, rue de Richelieu
- 75001 Paris
- Palais Royal (l.1, l.7)
Pour sa troisième création avec la Troupe, après Vania et Fanny et Alexandre, Julie Deliquet met en scène l’émulation artistique qui anima la vie de Molière et des siens. Elle se concentre sur les années 1662-1663 quand le succès de L’École des femmes au Palais-Royal entraîne une cabale à laquelle l’auteur réplique avec La Critique de L’École des femmes, où il raille ses détracteurs dans un salon aux débats endiablés, puis L’Impromptu de Versailles où il se montre lui-même dirigeant une répétition.
Cette matière textuelle croisée à des données historiques offre un riche maillage aux Comédiens- Français d’aujourd’hui pour inventer le quotidien de leurs aïeuls. Au sein d’une sorte d’auberge théâtrale où sphères publique et privée se rejoignent, ils incarnent Jean-Baptiste, à l’heure où il épouse Armande Béjart, mais aussi la fidèle Madeleine, le renommé Brécourt, Mlle Du Parc, future maîtresse de Racine, ainsi que Mlle de Brie, Ducroisy et Lagrange – qui deviendront les premiers sociétaires de la Comédie- Française. La Salle Richelieu se dévoile ainsi dans le décor d’un espace communautaire, une mini-société au coeur de la France du xviie siècle formée par ces fortes personnalités qui se retrouvent chez eux après avoir joué, parfois encore en costumes de scène. Les portes s’ouvrent sur des moments de partage et de doutes, entre les amours naissantes et les enfants qui grandissent. Avec ce spectacle qui brouille les limites entre réalité et fiction, la Troupe rend un hommage intime à son patron, chef de file d’un des premiers collectifs de théâtre.
L'AVIS DE LA REDACTION : 9,5/10
Le théâtre est une grande famille !
Ils sont là les grands de la troupe de Molière.
Dans ce décor merveilleux d'auberge espagnole ils répètent, se disputent, s'aiment et vivent ensemble.
Ils sont là ceux de la troupe du "Français".
Qui rendent hommage à leur Patron.
Florence, Elsa, Adeline, Pauline, Serge, Hervé, Sébastien, Clément .....et les autres.
Qui eux aussi vivent ensemble, s'aiment, répètent et se disputent.
Et nous offrent cet hommage époustouflant à la grande famille du théâtre, au travers de son plus célèbre auteur.
Nous sommes en 1662. Jean Baptiste a 40 ans. Il vient d'épouser Armande.
Les "Précieuses" l'ont propulsé au rang de vedette.
"L'école des femmes" fait un tabac, mais crée aussi une cabale à laquelle il faut répondre.
Avec "La Critique de l'école des femmes" bien sûr !
Chacun y va de son avis, mais malgré les désaccords, c'est l'esprit de troupe qui l'emporte.
La voix d'Alceste résonne déjà, le Tartuffe sera bientôt interdit.
Tout Molière est là, dans cet incroyable ballet que nous offre Julie Deliquet et avec elle la Comédie Française.
Scénographie, lumières, costumes, tout est parfait, mouvementé, pittoresque, incarné.
Jules Renard a dit " Nous voulons de la vie au théâtre et du théâtre dans la vie "
Tout y est !
Sylvie Tuffier
Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres est une pièce chorale ; elle met en scène les acteurs de la troupe de Molière, cités dans le titre.
Ces personnages aux tempéraments aussi différenciés que possibles sont la plupart du temps ensemble et « en même temps », formant ainsi un ballet élégant de corps et de voix qui s’entrecroisent tout au long.
Outre les mérites nombreux qu’offre cette pièce – un des tours de force a été de mêler et finalement de brouiller l’individualité des personnages de la troupe dans celle de certains des personnages phares du théâtre de Molière – c’est dans le plaisir du jeu des personnages, le plaisir de voir des individualités campées et incarnées aussi naturellement que dans la vie, que se trouve le sel du spectacle.
Sans imposer au lecteur un fastidieux passage en revue des personnages, c’est en donnant l’idée de chacun, de son esthétique et de la place qu’il occupe dans le manège général qu’on peut le mieux rendre compte de cette expérience de théâtre.
La pièce débute tambour battant : toute la troupe rentre d’une représentation de "L’école des femmes" ; le scandale est à la mesure du succès. L’excitation des acteurs encore attifés est palpable. On discute alors de la pièce et des réactions du public ; chacun y va de son avis, Madeleine, puis Charles, puis Jean-Baptiste (Molière), et puis un peu tous les autres. On se plait à rejouer certaines scènes de L’école des femmes, puis à imaginer en parodiant les détracteurs, ce que pourrait être une suite, en forme de Critique de l’école des femmes, et puis peut-être une suite encore, qu’il faudra présenter au roi, qui s’appellera L’impromptu de Versailles. Au fil de la pièce, cahin-caha, on voit donc que la joyeuse troupe joue les intertextes de la fameuse Querelle de L’école des femmes. Voilà la pièce à grands traits résumée.
Qui sont-ils ?
Madeleine tout d’abord. Madeleine est, avec Jean-Baptiste, le plus ancien membre de la troupe, ayant vécu avec lui les longues années de tournée en province qui ont établi la réputation de la troupe et du théâtre de Molière. C’est une grande et belle dame à la prestance joyeuse et calme. C’est la plus retenue, la plus tranquillement juste des membres de ce groupe dont elle est, si l’on veut, la mémoire sacerdotale, gardienne du bon sens et des bonnes valeurs quand Molière serait le garant du génie créatif. À l’écart des petites querelles, elle ne prend sa part que dans les grandes – pour la défense de L’école des femmes notamment – et donne toujours des phrases pleines de sens, élégantes et pleines.
Catherine est un joli printemps, au beau minois, légère comme une plume, au visage clair et frais autant qu’on s’imagine celui d’Agnès qu’elle interprète dans L’école des femmes. Elle sait prendre pour mieux s’en moquer des airs de petite mijaurée à l’éventail et aux yeux qui roulent. Elle est naïve ou ne l’est pas, comme Agnès ; elle est un peu la petite dernière ; elle a ses fâcheries à elle, ses avis propres, badineries ou grands sujets et elle se fait entendre. Tant mieux se dit-on : voilà de l’eau au moulin des discussions.
Marquise-Thérèse, ou l’un ou l’autre des deux prénoms, est la dernière du trio de tête des actrices de la troupe. Elle entre dans la pièce par un caprice, tenu de concert avec Guillaume, qui paradoxalement ne pourrait être homme plus éloigné d’elle en tempérament. Altière dans ses bons jours, hautaine dans ses mauvais, la marquise du Parc a des façons de diva ; elle est mécontente, tout au long de la pièce, soit que Molière lui donne le mauvais rôle, soit qu’il ne lui en donne pas, soit carrément du théâtre que conçoit Molière, qu’elle considère au fond comme une farce avec des jolis mots, mais qui ne s’occupe guère ou alors qui s’occupe mal des grands sujets.
Philibert est un joyeux monsieur plein de gracieuse aménité. Comme tous les gens assez débonnaires, il n’a pas besoin de s’arroger autant de place que les autres pour être bien là où il est. Il choque moins que Guillaume, il amuse moins que Charles, mais il est sans doute plus agréable que l’un et l’autre.
Partageant avec Philibert ce grand second plan, il y a Armande, la vigoureuse femme de Jean-Baptiste. Forte tête, un peu rombière, on retient surtout d’elle quelques bruyants simagrées au deuxième acte (assez admirablement rendus, comme tout ce qui touche au jeu des acteurs dans cette pièce).
Nous arrivons à Guillaume, étoile en plâtre au sein de cette troupe théâtre. C’est un homme assez court et replet, moins doué pour le théâtre dont il s’occupe avec tout le zèle sérieux dont il est capable – mais au fond assez platement – que pour les joies simples de la vie de troupe, ses chaleureux instants de camaraderie, les amusettes créatives des soirées d’anniversaire, les répétitions où l’on n’oublie pas de plaisanter, pour ces instants qui sont la respiration naturelle du théâtre, son souffle quotidien. Guillaume est tout l’inverse d’un solitaire : c’est foncièrement un homme de troupe, un caractère qui trouve dans le cercle du groupe un billet pour la vie elle-même. Il y a un peu chez lui quelque chose du bon vieux soldat de troupe, un peu râleur, un peu lourdaud, et surtout fier de son matricule. Guillaume n’est pas au théâtre ou à la vie, un homme qui tombe juste : une notable exception concerne son humour, sorte de détachement mi-naïf mi-narquois, quasi permanent chez lui et qui compte peut-être comme sa façon foncière de penser. Un retentissant « Mourir écrasé quand on est portier de théâtre, cela fait partie des risques du métier » lâché haut et fort à la cantonade donne quelque idée du ton de ce plaisant trublion. Le touchant chez lui est de voir combien ce maladroit veut être sagement et précisément consciencieux dans son métier, non pas tellement pour Molière dont il n’est pas sûr de saisir le génie transgressif, mais par un naturel et simple amour du théâtre.
Par le tempérament comme par la physionomie, Charles tient les contraires de Guillaume. Au lieu du troupier bougon et immature, Charles est le brigadier au plastron brillant, charismatique et droit. Parce que la pièce par son principe même nous y invite, nous cédons à cette facilité qui consiste à faire du rôle un reflet déformé de l’acteur. D’ailleurs, Charles lui-même, dans un moment de semi-plaisanterie, se compare à l’Horace de L’école des femmes : « Un jeune homme galant, élégant et doté d’une certaine prestance », dit-il en pointant plaisamment vers lui-même. Charles est assurément brillant acteur, à l’esprit bien fait, de ceux qui savent camper rapidement un rôle. Il est à peu près le seul – avec Molière – à savoir correctement son texte dans la répétition chaotique de L’impromptu de Versailles. C’est surtout un naturel enjoué, heureux dans le plaisir et le divertissement. Il n’a pas son pareil dans ce registre, quand il s’agit de tromper l’ennui avec une guitare et une chansonnette, de jouer au jeu des imitations, ou de badiner plaisamment sur les sous-entendus polissons de L’école des femmes.
Venons-en à Molière, enfin. Il résume et contient à lui tout seul la troupe, la pièce, et jusqu’à l’esprit du théâtre même. Il est dans cette pièce assez semblable au génie d’Aladin lorsqu’il lui apparait pour la première fois au fond la grotte : un éventail presque infini de personnages, soit qu’ils soient égrenés les uns après les autres dans une succession bigarrée de jeux de rôles, ou alors qu’ils soient tous confondus dans le même instant, dans un mélange qui fait oublier où se trouve Molière, les rôles qu’il joue et sa parodie. Car nous voyons bien que le personnage de Molière et ses avatars confondus sont une sorte de miroir pour la pièce elle-même : Molière sur scène est tour à tour, ou bien en même temps Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et puis tous les autres. Porté à son paroxysme, nous voyons ce phénomène au deuxième acte, alors que toute la troupe est réunie afin de répéter tant bien que mal L’impromptu de Versailles. Molière décrit à chacun son rôle, pour finir en fin de compte par les jouer complètement à leur place, se donnant ainsi la réplique à lui-même. « Jean-Baptiste, tu aurais dû écrire une pièce pour toi seul » remarque la cinglante Armande. Mais dans la troupe de Molière, Molière déteint sur les autres : il n’est pas le seul à « faire des rôles ». Toute la pièce joue sur ce décalage que les personnages prennent avec eux-mêmes, lorsqu’ils choisissent d’utiliser non pas leurs propres mots, mais précisément ceux de Molière : Armande se dédouble en Arnolphe devant un Jean-Baptiste trépidant devenu Agnès ; on ne sait pas si la fausse naïveté d’Agnès a jamais quitté Caroline ; on ne sait pas si toute la troupe reprenant les répliques cultes de L’école des femmes, de La critique de l’école des femmes, et de L’impromptu de Versailles ne sont pas tellement fondus dans la procuration des personnages qu’ils citent, qu’ils sont devenus, pour ainsi dire, moitié théâtre, moitié soi. « Ce n’est que du théâtre » dit Jean-Baptiste dans ce qui est presque la dernière réplique de la pièce. Oui, mais il est infusé partout, chez tous, et ne les quitte à aucun instant.
Et pour la dernière scène de la pièce, alors que tout le monde est parti, apparaissent à tâtons les deux enfants de la troupe ; ils disent très peu, ou vraiment pas grand-chose ; ils viennent simplement pour dire que c’est fini, achevant cette grande mélodie chorale comme deux jolies et brèves notes de musique.
Ils sont là les grands de la troupe de Molière.
Dans ce décor merveilleux d'auberge espagnole ils répètent, se disputent, s'aiment et vivent ensemble.
Ils sont là ceux de la troupe du "Français".
Qui rendent hommage à leur Patron.
Florence, Elsa, Adeline, Pauline, Serge, Hervé, Sébastien, Clément .....et les autres.
Qui eux aussi vivent ensemble, s'aiment, répètent et se disputent.
Et nous offrent cet hommage époustouflant à la grande famille du théâtre, au travers de son plus célèbre auteur.
Nous sommes en 1662. Jean Baptiste a 40 ans. Il vient d'épouser Armande.
Les "Précieuses" l'ont propulsé au rang de vedette.
"L'école des femmes" fait un tabac, mais crée aussi une cabale à laquelle il faut répondre.
Avec "La Critique de l'école des femmes" bien sûr !
Chacun y va de son avis, mais malgré les désaccords, c'est l'esprit de troupe qui l'emporte.
La voix d'Alceste résonne déjà, le Tartuffe sera bientôt interdit.
Tout Molière est là, dans cet incroyable ballet que nous offre Julie Deliquet et avec elle la Comédie Française.
Scénographie, lumières, costumes, tout est parfait, mouvementé, pittoresque, incarné.
Jules Renard a dit " Nous voulons de la vie au théâtre et du théâtre dans la vie "
Tout y est !