- Théâtre contemporain
- Théâtre national de la Colline
- Paris 20ème
A la Trace

- Nathalie Richard
- Judith Henry
- Liza Blanchard
- Maryvonne Schiltz
- Théâtre national de la Colline
- 15, rue Malte-Brun
- 75020 Paris
- Gambetta (l.3)
Suite à une série de conversations menées avec Anne Théron autour de la maternité, Alexandra Badea écrit À la trace d’un geste, témoignant à la fois d’elle-même et d’une génération de femmes, faisant de l’écriture une eau qui révèle les dessins invisibles tracés au jus aigre des silences.
Au décès de son père, événement qui réveille un pan anesthésié de mémoire, Clara découvre un sac de femme dans ses affaires. À l’intérieur, peu de choses : quelques objets anodins et une carte d’électeur au nom d’Anna Girardin. Rien de plus, mais suffisamment pour que Clara décide d’enquêter.
Tout en subtilité, le récit déploie une intimité inscrite dans le réel : chacun des personnages que Clara croise sur son chemin mène une vie « normale » tout en semblant être adossé à un mur en train de s’effondrer. Leur chute pourra-t-elle être salvatrice s’ils parviennent à être lucides sur leur rapport au monde ? À la trace explore la manière avec laquelle la société finit par pervertir, défaire ou rendre plus troubles les liens que chacun entretient avec ses proches et sa propre vie.
Au cours des prochaines années, Alexandra Badea sera régulièrement présente à La Colline, à travers ses textes, des laboratoires, des rencontres et des cartes blanches. À l’automne 2018 nous la retrouvons avec la création du premier volet de sa trilogie Points de non-retour.
Je suis très partagée sur ce spectacle. J’ai eu du mal à m’intéresser vraiment à cette histoire de famille qui me paraissait assez surfaite : sans vouloir divulgacher certains rebondissements (qu’on voit venir assez rapidement cela dit), le texte est quand même empreint de clichés et le côté mélo-dramatique de ces trois générations qui se cherchent autant qu’elles cherchent à nous tirer des larmes me laisse les yeux bien secs. Cependant, une force mystérieuse m’a maintenue dans le spectacle et malgré mon intuition sur sa fin j’ai suivi le spectacle avec plus de curiosité que je ne voudrais l’avouer.
Cette force, je pense pouvoir l’imputer à la scénographie renversante de Barbara Kraft. Le décor est un terrain de jeu incroyable : 6 cases empilées les unes sur les autres sur trois niveaux, chaque scène se déroulant dans une case spécifique. Seul défaut : une réelle distance est imposée entre les personnages et le spectateur, ce qui a certainement participé à me laisser de côté. Néanmoins, visuellement, ce dispositif est une belle réussite. Les interactions entre Anna Girardin et ses différents hommes suivent ainsi toujours la même forme : elle, dans une case, ou parfois sur le plateau, et son interlocuteur projeté sur le décor, conversant avec cette inconnue.
Ce sont les scènes les plus prenantes du spectacle : omniprésence des réseaux sociaux, soutien évident que les conversations peuvent représenter mais également distanciation imposée par de tels dispositifs, le sujet est primordial pour moi et j’y ai sans doute plaqué beaucoup de personnel mais il m’a littéralement happée. Lorsque le film est diffusé sur plus d’une case, projetant une tête sur très grand écran, cela jure avec la petitesse d’Anna alors présente sur le plateau, et je n’ai pu refouler cette image de Black Mirror dans laquelle un personnage est introduit physiquement dans le cerveau d’un autre et lui parle jusqu’à ce que celui qui a gardé son corps décide de lui couper la parole, de le mettre sur off, et ainsi de l’empêcher d’exister. Brillant.
Un texte assez creux soutenu par un dispositif percutant, je m’étonne moi-même d’avoir tenu le choc. Je salue quand même cette pièce qui emploie quatre comédiennes sur le plateau, chose qui n’est que trop rare au théâtre. Parmi elle, Judith Henry m’a particulièrement marquée. Elle incarne à elle seule les différentes « fausses » Anna Girardin que Clara rencontre et il serait réducteur de se contenter de dire qu’elle les incarne toutes différemment. Ce ne sont pas seulement des caractères changés qu’elle propose, mais littéralement des femmes spécifiques, avec des histoires qui leur sont propres. Sur le plateau, elle rayonne, si bien qu’à aucun moment son personnage ne peut être considéré comme secondaire. Des quatre personnages présents sur le plateau, en considérant que toutes ses Anna Girardin n’en font qu’un, elle est celle qui a le mieux transcrit sa part de mystère, en ne cherchant à aucun moment à le souligner.