Critiques pour l'événement Tu te souviendras de moi
12 nov. 2018
9/10
17
On nous inquiète en long, en large et en travers à propos de la menace que représente la maladie d'Alzheimer.

François Archambault a renversé les codes. Certes Edouard, prestigieux professeur d’histoire à l’université, a perdu la faculté de la mémoire de court terme mais rien de sa capacité d'analyse et a des éclairs de perspicacité. Lorsque son gendre prétend avoir pris une année sabbatique il rétorque qu'à quarante ans on appelle cela un burn-out. Certes il entre dans des furies mais il offre de beaux moments de complicité. Il faut le voir faire griller des chamallows. Certes il est souvent fatigué et prompt à divaguer dans la campagne mais il sait écouter les confidences. Certes il a des pensées obsessionnelles mais il peut concéder leur remise en question.

Les caractéristiques médicales de la maladie d'Alzheimer sont présentes. Mais il est tout de même amusant de noter que lorsqu'elle touche une personne extrêmement cultivée (ici un professeur d’histoire à l’université) les dégâts sont moins visibles puisqu'elle n'altère pas la faculté d'entretenir une conversation qui peut avoir du sens. L'homme a une phénoménale mémoire des dates et il est capable de tenir des heures sur des sujets comme le règne d'Akhenaton, marqué par la révolution des dogmes égyptiens ancestraux.

Si le patient fait preuve d'un certain humour comme c'est aussi le cas d'Edouard, on peut goûter de savoureux moments, par exemple lorsqu'il raconte sa première journée d'enseignant à l'université. Et si l'individu fait preuve aussi d'un minimum de malice il usera de je ne sais pas pour faire passer ce qu'il ne veut pas, en vertu de l'adage qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Patrick Chesnais est confondant de naturel et le public se régale à suivre ses joutes oratoires. L'homme s'exprime désormais sans filtre et la vérité sort brutalement de sa bouche. Il nous livre une interprétation toute en tendresse de cet homme qui oublie qui il est mais pas ce qu’il est.

Il n'a pas tort bien sur. Nous sommes nombreux à estimer comme lui que les gens ne lisent plus et ne réfléchissent plus. Que les sensations ont supplanté la réflexion. On like à tour de pouce, sans songer aux conséquences et si on n'existe pas si on n'est pas sur Amstragram (on rit de la confusion avec Instagram). On partage son opinion : la révolution est devenue numérique.

Comme il est malin d'avancer l'hypothèse que son cerveau aurait peut-être tiré le rideau face à la bêtise humaine.

Le sujet n'est pas nouveau mais il est traité avec une certaine originalité à la manière d'un thriller psychologique avec une direction d'acteurs très fine que l'on doit à Daniel Benoin. Madeleine (Nathalie Roussel), son épouse, craque et réclame le droit à prendre de l'air, avec le risque qu'elle ne finisse par respirer définitivement ailleurs, ce qui, après tout ne serait pas une mauvaise chose tant elle est effrayante quand elle exprime ses pulsions négatives à l'égard de son mari : j'ai juste envie qu'il meure, j'ai hâte qu'il crève !

La fille (Emilie Chesnais) prend le relai car le bonhomme, bien que n'ayant rien perdu de son intelligence, a besoin d'une surveillance étroite. Elle aussi a sa vie à mener et son aide est loin d'être sans faille. Alors elle délègue à Patrick (Frédéric de Goldfiem), son nouveau compagnon, plein de bonne volonté mais vite repris par ses démons, à savoir sa passion du jeu. Il va donc devoir s'appuyer sur une personne ressource et ne trouve rien de mieux que de demander à sa fille (Fanny Valette), laquelle est en difficulté d'insertion professionnelle, de jouer la baby-sitter, ce qu'elle accepte contre de l'argent.

Ce jeu de balle chaude donnerait le tournis à quelqu'un de bien portant. Edouard fait heureusement preuve d'une certaine placidité et accepte de bon coeur la valse de ses accompagnateurs. Sa mémoire étant défaillante chaque instant est nouveau et il faut souvent reprendre les présentations. On appréciera le second degré quand Edouard, Patrick dans la vraie vie, ne parvient pas à mémoriser le prénom de l'ami de sa fille, alors que c'est le même que le sien. Egalement de voir Patrick et Emilie père et fille sur scène comme dans la vraie vie.

L'auteur établit un parallèle intéressant entre la propagation de la culture de masse, étouffante, et celle du phragmite commun, une grande graminée robuste et traçante, extrêmement colonisante qui tue la diversité de la flore partout où il s'installe. Le plateau est d'ailleurs littéralement envahi par ces roseaux qui jouent le rôle d'une métaphore esthétique. Et l'usage de la vidéo renforce le phénomène.

La bande son agit finement. On entendrait presque fredonner retiens la vie au lieu de Retiens la nuit à chaque fois que résonne la musique du grand succès de Johnny Hallyday.

Ce qui est original c'est qu'il n'y a pas de vrai rôle principal. Chaque personnage compte et tente d'être maitre de sa trajectoire.

Rien ne se passe donc comme le spectateur imagine jusqu'à la fin où Edouard accepte la situation sans plus en souffrir, allant jusqu'à cette confidence à la jeune fille dont il s'est fait une amie et qui aurait pu être son enfant : Je m'excuse d'avoir essayé d'arrêter de penser à toi.

Son dernier cri : Je m'en fous ! J'ai envie d'oublier de toute façon, peut être entendu comme un signe de sagesse ... Entre rires et larmes, tu te souviendras de moi, nous raconte que même lorsque la mémoire s’efface, le principal reste.
13 sept. 2018
8,5/10
10
... Une pièce au sujet traité avec élégance et discrétion. Un spectacle agréable où le rire se fait sourire et où l’émotion jaillit par moments, admirablement interprété.
13 sept. 2018
8/10
67
Il a la mémoire qui flanche,
Il n'se souvient plus très bien !
Et pour cause...

Le personnage principal de cette comédie douce-amère de Patrick Archambault, adaptée par Philippe Caroit, c'est la maladie.
Alzheimer.

Edouard est ce célèbre professeur d'université, historien émérite à la retraite, bourru, un rien cynique, misanthrope, qui ne comprend pas tellement le monde actuel.

La mondialisation, Facebook, Youtube, « Am stram gram », très peu pour lui.

Lui, il n'a pas son pareil pour retenir les dates, les dates de guerre, surtout.
En revanche, le reste, tout le reste, le quotidien, tout se délite...
Sa mémoire le lâche, irrémédiablement, définitivement, insidieusement, en raison de la dégénérescence du tissu cérébral.

Edouard, c'est Patrick Chesnais.
Autant l'écrire tout de suite, la pièce est bâtie autour de lui.

D'ailleurs le public n'est pas dupe. Témoin cette spectatrice, devant moi, dans le hall du éthâtre des Variétés : « Nous, on vient pour Patrick Chesnais ! ».

C'est un bonheur de le voir interpréter cet homme qui petit à petit, perd la faculté de se projeter dans le passé et le futur.
Je n'apprendrai rien à personne, son jeu, ses intonations, ses ruptures, son air de personnage faussement dilettante, tout ceci relève du grand art.

Daniel Denoin, le metteur en scène, annonce tout de suite la couleur.
M. Chesnais et Nathalie Roussel, qui incarne son épouse, apparaissent face au public, avec pour tout décor des cyclos blancs dans le dos.
Cette scène d'exposition, (dont je me garderai bien de révéler la teneur), très pertinente, très maligne, va permettre d'exposer et de comprendre la problématique.
Son évocation reviendra tout au long de la pièce, comme un leit-motiv.

Cette problématique principale, c'est l'oubli.
L'oubli dû à cette saleté de maladie.

Certes. Mais pas que.

Certains oublis sont volontaires.
Des oublis plus ou moins assumés, parce qu'un drame familial est survenu, et qu'il est souvent pratique de vouloir tenter de l'effacer de ses neurones, ce drame.
L'oubli permanent qui affecte de plus en plus nos sociétés que l'on dit, que l'on croit modernes.
L'info qui en chasse une autre, immédiatement, effaçant la précédente.
Oui, ce thème est omniprésent dans cette pièce.

Outre celle de Patrick Chesnais, j'ai beaucoup aimé l'interprétation de Fanny Valette.
La comédienne insuffle à ce personnage de toute jeune fille qu'est Bérénice (et là non plus, ne comptez pas sur moi pour vous révéler les liens qui l'unissent aux autres rôles), elle insuffle donc une vraie fraîcheur, un dynamisme, une ingénuité certaine mais aussi une forme de rouerie.
Elle est épatante.

Alors oui, nous rions beaucoup.
Parce que bien des situations découlant d'Alzheimer s'y prêtent.
Mais souvent, beaucoup d'émotion se dégage.
Patrick Chesnais déclenche souvent l'hilarité de la salle, mais ils est également et très souvent bouleversant.

Bien entendu, la double énonciation fonctionne à merveille : combien sommes-nous à nous dire « Mais qu'est-ce que je ferais, moi, si ce drame frappait un membre de ma famille ? ».

La représentation est saluée d'applaudissements nourris, et ce n'est que justice.

Au fait, les phragmites, qu'est-ce que c'est ?
Au fait, on s'connaît ?