Critiques pour l'événement Pompier(s)
Je ne savais pas que je pouvais ne pas vouloir.
Au départ, ce qu'on appelle un "fait divers" lu par Jean-Benoît Patricot dans un journal en 2001, puis oublié, repris des années plus tard, déjà monté au Théâtre du Balcon au festival d'Avignon en 2016.
Un pompier peu scrupuleux abuse de la faiblesse d’une jeune femme pour assouvir ses désirs. Il finit par la transformer en objet sexuel qu’il partage volontiers avec ses collègues. La jeune femme en parle à une assistante sociale qui, horrifiée, dénonce le crime. La pièce commence quand les deux protagonistes se trouvent face à face avant le jugement alors qu'ils ne devraient pas communiquer ensemble.
Au tout début il ne fait aucun doute qu'il a abusé honteusement d'elle. Il est haïssable. La magie de la direction d'acteurs est de faire en sorte qu'elle ne soit pas si faible qu'elle en a l'air, ou du moins que la confrontation lui permette -à elle- de comprendre ce qui s'est joué entre eux. Jusqu'à traduire plus fermement ce qui n'était qu'une défense (Je ne savais pas que je pouvais ne pas vouloir) en une véritable affirmation : je ne savais pas que je pouvais dire non.
Evidemment le texte prend une force supplémentaire depuis le mouvement #metoo et toutes les dénonciations de violence faites aux femmes. Il faut l'écouter attentivement. Car les personnages n'ont pas d'identité. Ce sont "un homme" et "une fille", autrement dit cela pourrait être n'importe qui, et cela fait peur. L'intention de l'auteur est de donner du poids aux mots. Par exemple quand il cherche à minimiser leur relation : Tu m’as donné du plaisir, elle réplique : Tu m’as donnée… C’est tout.
On pourrait multiplier ces moments où elle prend le dessus, intellectuellement, elle que l'on dit simplette. Parce que ses sentiments sont purs. Elle a tant besoin d'amour qu'elle pourrait faire n'importe quoi si elle pense qu'on va l'aimer.
Elle se souvient de toute leur histoire, numérotée jusqu'à 21. Et l'homme n'aura grâce de rien. Il pense parvenir à la faire fléchir mais à la fin le spectateur pourrait penser que l'inverse s'est produit.
Elle sait bien que pour être aimée il faut dire oui. Alors elle n'a pas osé (se) refuser. C'est pourtant en affirmant non que peut-être elle sera aimée. Mais avant cela il faudra qu'il ait mal pour ce qu'il a fait, nous sommes bien d'accord.
La mise en scène de Catherine Schaub est si simple qu'on ne la voit pas. Elle est au service du texte, de ce qui est dit et surtout de ce qui est suggéré. Est-ce que les mêmes mots ont le même sens pour chacun ? Est-ce dire oui que ne pas dire non ? C'est du très grand théâtre, servi par deux comédiens exceptionnels, Géraldine Martineau et Antoine Cholet. On sort de la salle extrêmement secoué.
Je rappellerai que Géraldine Martineau était déjà extraordinaire dans Dormir cent ans de Pauline Bureau (Molière du spectacle jeune public 2017) et que je l'ai énormément appréciée aussi cet été dans Déglutis ça ira mieux d’Andréa Bescond et Éric Metayer. On espère que la pièce sera jouée bientôt sur une scène parisienne. C'est encore elle qui avait signé la très sensible mise en scène de La Mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck à la Tempête en 2017.
Au départ, ce qu'on appelle un "fait divers" lu par Jean-Benoît Patricot dans un journal en 2001, puis oublié, repris des années plus tard, déjà monté au Théâtre du Balcon au festival d'Avignon en 2016.
Un pompier peu scrupuleux abuse de la faiblesse d’une jeune femme pour assouvir ses désirs. Il finit par la transformer en objet sexuel qu’il partage volontiers avec ses collègues. La jeune femme en parle à une assistante sociale qui, horrifiée, dénonce le crime. La pièce commence quand les deux protagonistes se trouvent face à face avant le jugement alors qu'ils ne devraient pas communiquer ensemble.
Au tout début il ne fait aucun doute qu'il a abusé honteusement d'elle. Il est haïssable. La magie de la direction d'acteurs est de faire en sorte qu'elle ne soit pas si faible qu'elle en a l'air, ou du moins que la confrontation lui permette -à elle- de comprendre ce qui s'est joué entre eux. Jusqu'à traduire plus fermement ce qui n'était qu'une défense (Je ne savais pas que je pouvais ne pas vouloir) en une véritable affirmation : je ne savais pas que je pouvais dire non.
Evidemment le texte prend une force supplémentaire depuis le mouvement #metoo et toutes les dénonciations de violence faites aux femmes. Il faut l'écouter attentivement. Car les personnages n'ont pas d'identité. Ce sont "un homme" et "une fille", autrement dit cela pourrait être n'importe qui, et cela fait peur. L'intention de l'auteur est de donner du poids aux mots. Par exemple quand il cherche à minimiser leur relation : Tu m’as donné du plaisir, elle réplique : Tu m’as donnée… C’est tout.
On pourrait multiplier ces moments où elle prend le dessus, intellectuellement, elle que l'on dit simplette. Parce que ses sentiments sont purs. Elle a tant besoin d'amour qu'elle pourrait faire n'importe quoi si elle pense qu'on va l'aimer.
Elle se souvient de toute leur histoire, numérotée jusqu'à 21. Et l'homme n'aura grâce de rien. Il pense parvenir à la faire fléchir mais à la fin le spectateur pourrait penser que l'inverse s'est produit.
Elle sait bien que pour être aimée il faut dire oui. Alors elle n'a pas osé (se) refuser. C'est pourtant en affirmant non que peut-être elle sera aimée. Mais avant cela il faudra qu'il ait mal pour ce qu'il a fait, nous sommes bien d'accord.
La mise en scène de Catherine Schaub est si simple qu'on ne la voit pas. Elle est au service du texte, de ce qui est dit et surtout de ce qui est suggéré. Est-ce que les mêmes mots ont le même sens pour chacun ? Est-ce dire oui que ne pas dire non ? C'est du très grand théâtre, servi par deux comédiens exceptionnels, Géraldine Martineau et Antoine Cholet. On sort de la salle extrêmement secoué.
Je rappellerai que Géraldine Martineau était déjà extraordinaire dans Dormir cent ans de Pauline Bureau (Molière du spectacle jeune public 2017) et que je l'ai énormément appréciée aussi cet été dans Déglutis ça ira mieux d’Andréa Bescond et Éric Metayer. On espère que la pièce sera jouée bientôt sur une scène parisienne. C'est encore elle qui avait signé la très sensible mise en scène de La Mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck à la Tempête en 2017.
Limitée intellectuellement, elle le rencontre au bal du 14 juillet de la caserne où il exerce. Si pour elle il s'agit d'un coup de foudre, pour lui c'est un moyen facile d'assouvir ses pulsions sexuelles. Cette relation en décalage basée sur une méprise lui fait tout accepter de cet homme qui n'hésite pas à la partager avec certains de ses collègues pompier(s).
A quelques minutes du procès qui les oppose, dans une salle où ils n'auraient jamais dû se croiser, ils vont se confronter, s'affronter. Elle qui ne sait pas très bien s'exprimer car les mots restent souvent bloqués, lui manipulateur, sans scrupules, qui essaye de la convaincre de revenir sur ses déclarations. N'était elle pas consentante puisque elle n'a jamais dit non ?
La pièce de Jean-Benoît Patricot est inspirée d'un fait divers datant de 2001. En une heure vingt, avec force, sécheresse, crudité, son texte dit tout de l'ignominie, servi par la mise en scène toute en sobriété de Catherine Schaub.
le spectacle est remarquablement interprété. Pas facile de jouer le handicap, Géraldine Martineau y parvient avec une grande justesse et beaucoup d'émotion. Un beau rôle pour une grande comédienne. Quant à Antoine Cholet il est avec beaucoup de subtilité ce pompier macho, ignoble et lâche qui dit ne rien avoir à se reprocher mais qui dissimule peut-être quelques failles.
Un spectacle choc et dérangeant, qui évoque les abus sexuels et les violences faites aux femmes.
A voir absolument.
Ah et puis, le soir où j'y suis allé, le public était à 80% féminin, mais c'était peut-être un hasard, oui sûrement un hasard (ou pas?).
A quelques minutes du procès qui les oppose, dans une salle où ils n'auraient jamais dû se croiser, ils vont se confronter, s'affronter. Elle qui ne sait pas très bien s'exprimer car les mots restent souvent bloqués, lui manipulateur, sans scrupules, qui essaye de la convaincre de revenir sur ses déclarations. N'était elle pas consentante puisque elle n'a jamais dit non ?
La pièce de Jean-Benoît Patricot est inspirée d'un fait divers datant de 2001. En une heure vingt, avec force, sécheresse, crudité, son texte dit tout de l'ignominie, servi par la mise en scène toute en sobriété de Catherine Schaub.
le spectacle est remarquablement interprété. Pas facile de jouer le handicap, Géraldine Martineau y parvient avec une grande justesse et beaucoup d'émotion. Un beau rôle pour une grande comédienne. Quant à Antoine Cholet il est avec beaucoup de subtilité ce pompier macho, ignoble et lâche qui dit ne rien avoir à se reprocher mais qui dissimule peut-être quelques failles.
Un spectacle choc et dérangeant, qui évoque les abus sexuels et les violences faites aux femmes.
A voir absolument.
Ah et puis, le soir où j'y suis allé, le public était à 80% féminin, mais c'était peut-être un hasard, oui sûrement un hasard (ou pas?).
Elle est drôle et entière, touchante et fragile. On a de la compassion pour elle et l’envie de la protéger de ce qui l’a déjà détruite par le passé et de ce qui va, on le sent, forcément la blesser au cours de la pièce.
Lui est froid, sans émotion aucune (à peine la peur d’être jugé coupable). Il est sûr de son bon droit : c’est le méchant.
C’est une relation plutôt simple entre les deux protagonistes qui est présentée dans cette version. Le doute n’est pas permis, dès le début, chacun est à sa place (un peu trop ?) le bon contre le mauvais, l’innocence contre la perversion.
Le texte de Jean-Benoît Patricot est fort et profond, plein de nuances et de subtilité. Jusqu’où peut-on abuser de quelqu’un, le manipuler afin d’obtenir ce que l’on souhaite ? Qu’en est-il du consentement ? Du discernement entre l’acceptation et le souhait ?
Une réflexion très intéressante.
Géraldine Martineau est réceptive, vivante et vibrante, elle nous démontre encore une fois son incroyable talent de comédienne.
Lui est froid, sans émotion aucune (à peine la peur d’être jugé coupable). Il est sûr de son bon droit : c’est le méchant.
C’est une relation plutôt simple entre les deux protagonistes qui est présentée dans cette version. Le doute n’est pas permis, dès le début, chacun est à sa place (un peu trop ?) le bon contre le mauvais, l’innocence contre la perversion.
Le texte de Jean-Benoît Patricot est fort et profond, plein de nuances et de subtilité. Jusqu’où peut-on abuser de quelqu’un, le manipuler afin d’obtenir ce que l’on souhaite ? Qu’en est-il du consentement ? Du discernement entre l’acceptation et le souhait ?
Une réflexion très intéressante.
Géraldine Martineau est réceptive, vivante et vibrante, elle nous démontre encore une fois son incroyable talent de comédienne.
Elle : elle aime l’homme et il l’aime évidemment car il lui a donné le plus intime. C’est qu’elle croit car enfin comment donner l’intime si n’est pas intime ?
Lui : mais elle ne disait rien, elle venait... je ne l’ai forcé à rien, elle ne disait rien !
L’homme, pompier, aurait abusé d’elle avec ses collègues mais si le corps de la fille a 25 ans, dans sa tête, ce n’est pas la même chanson…
Pompier(s) est un texte de Jean-Benoît Patricot où se livre un duel de deux voix qui ne se comprennent pas dans une salle de tribunal avant la comparution dans un premier temps,…
La metteure en scène Catherine Schaub organise le huis clos avec une tension palpable qui pose une question importante : comment ne pas dépasser les limites des uns et des autres si on ne se comprend pas ? Pourtant ils parlent la même langue mais la compréhension n’est pas la même… Et chaque spectateur trouvera que les arguments des uns et des autres vacilleront chacun à leur tour… On ne sait sous quel angle se positionner pour aborder ce qu’il s’est passé.
C’est une pièce coup de cœur et coup de poing sur une thématique qui plane dans notre actualité.
Et puis il y a Géraldine Martineau qui est la fille… troublante de simplicité et naïveté. Elle est magnifique ! Face à elle, c’est Antoine Cholet qui est le pompier et son interprétation fait basculer notre jugement à plusieurs reprises tellement les arguments sont assénés avec force.
Lui : mais elle ne disait rien, elle venait... je ne l’ai forcé à rien, elle ne disait rien !
L’homme, pompier, aurait abusé d’elle avec ses collègues mais si le corps de la fille a 25 ans, dans sa tête, ce n’est pas la même chanson…
Pompier(s) est un texte de Jean-Benoît Patricot où se livre un duel de deux voix qui ne se comprennent pas dans une salle de tribunal avant la comparution dans un premier temps,…
La metteure en scène Catherine Schaub organise le huis clos avec une tension palpable qui pose une question importante : comment ne pas dépasser les limites des uns et des autres si on ne se comprend pas ? Pourtant ils parlent la même langue mais la compréhension n’est pas la même… Et chaque spectateur trouvera que les arguments des uns et des autres vacilleront chacun à leur tour… On ne sait sous quel angle se positionner pour aborder ce qu’il s’est passé.
C’est une pièce coup de cœur et coup de poing sur une thématique qui plane dans notre actualité.
Et puis il y a Géraldine Martineau qui est la fille… troublante de simplicité et naïveté. Elle est magnifique ! Face à elle, c’est Antoine Cholet qui est le pompier et son interprétation fait basculer notre jugement à plusieurs reprises tellement les arguments sont assénés avec force.
... Un moment fort à la théâtralité intrusive et prégnante. Un sujet délicat et indispensable à la pensée du théâtre contemporain tant sa portée politique et sociétale crient l’évidence. Magnifiquement interprété, ce spectacle est incontournable.
« Jocelyne ? Jocelyne ? Viens voir… »
Jocelyne était occupée à trier et nettoyer de nouveaux cendriers qu’elle avait chiné ce week-end. Sa marotte. Elle passe la tête à l’extérieur, et voit ses 2 hommes assis autour de la table, un apéritif à la main.
- Tu savais toi que le petit était au théâtre ce soir ? Bon, à tous les coups, il avait dû te le dire. Mais il t’a dit ce qu’il allait voir ?
Jocelyne s’approche d’eux, une grenouille avaleuse de mégots et un chiffon dans la main.
- Oui, une pièce qui s’appelle d’un nom de métier, je crois. Les infirmiers ou un truc dans le genre...
- Presque Maman, ça s’appelle Pompiers.
- Et il t’a dit ton fils le thème de la pièce ?
- Non. Pourquoi ?
- Ah voilà ! Dis à ta mère ce que tu viens de me raconter. Assieds-toi, Jocelyne. Tu vas voir, ça secoue !
Pendant que Bernard sert un verre de vin à sa femme, leur fils attaque :
- Bon, Maman, l’histoire c’est celle d’une femme, qui doit avoir entre 20 et 25 ans. Elle est limitée mentalement et se fait violer en réunion par des pompiers.
Jocelyne ne s’attendait pas à ça. Elle déglutit longuement, on dirait qu’elle avale un mégot. Elle ressemble à sa grenouille, les yeux exorbités et vides. Elle interroge : « Mais pourquoi es-tu allé voir un truc pareil ?
- Ah ça ! Mais elle est marrante ta question ! D’habitude, vous me demandez simplement si la pièce était bonne, non ? Qu’est-ce qui vous prend aujourd’hui ?
Alors, pour vous répondre, j’ai passé un bon moment. Ne serait-ce que le fait de réfléchir à ces sujets auxquels je n’avais jamais pensé.
- Il est curieux ton drôle (il n’est plus son fils quand il le trouve trop citadin), maintenant, il lui suffit de penser à un truc inconnu pour être intéressé. C’est complètement con. Regarde, ce matin, le facteur m’a dit que le voisin se cognait son âne. Je n’y avais jamais pensé mais ça n’en fait pas un sujet intéressant pour autant… Surtout quand tu connais le facteur.
- Tu as raison, p’pa. C’est un peu con, et un peu pompeux en plus. Bon, en fait, déjà, j’ai trouvé la pièce vraiment bien foutue. Le personnage de cette femme est vraiment très juste, dans le texte et dans le jeu de l’actrice. Elle est vraiment superbe, légère.
Ensuite, et c’est là que c’est original : Cette femme éprouve le désir d’aimer et aime. Mais, elle ne sait pas concevoir que l’on puisse lui faire l’amour sans l’aimer en retour. On l’aime forcément. Par amour alors, elle cède à toutes les « outrances » de son pompier d’un soir qui l’offre trop souvent à ses camarades de caserne. Mais sans qu’elle consente, sans qu’elle le veuille.
Le fils fait une pause pour une gorgée de Ricard. Il croise le regard de son père, amorphe. Imaginons que la grenouille de sa femme ait couché avec l’âne du voisin ? l’image est parlante ?
Le fils tente de le récupérer :
- C’est là que l’auteur est bien meilleur que moi pour raconter tout cela ! C’est un peu complexe. Mais finalement, le plus choquant dans cette pièce, ce n’est pas l’ambiguïté de la situation ou les scènes douloureuses que l’on imagine. Le plus choquant, c’est le déni du pompier, son incapacité à assumer. L’homme fort à l’image inaltérable, culturellement encensée, qui devient sombre, apeuré. C’est l’absence perceptible de remords qui est insupportable. Sa candeur à elle est belle, aussi belle que la lâcheté de cet homme est difficilement tolérable.
Bref, vous voyez, j’ai gambergé, j’ai ri, j’ai eu les yeux embués, j’ai eu envie de me battre. C’est pas mal pour une soirée non ?
- Jocelyne, c’est beau, ça me rappelle notre mariage…
Jocelyne était occupée à trier et nettoyer de nouveaux cendriers qu’elle avait chiné ce week-end. Sa marotte. Elle passe la tête à l’extérieur, et voit ses 2 hommes assis autour de la table, un apéritif à la main.
- Tu savais toi que le petit était au théâtre ce soir ? Bon, à tous les coups, il avait dû te le dire. Mais il t’a dit ce qu’il allait voir ?
Jocelyne s’approche d’eux, une grenouille avaleuse de mégots et un chiffon dans la main.
- Oui, une pièce qui s’appelle d’un nom de métier, je crois. Les infirmiers ou un truc dans le genre...
- Presque Maman, ça s’appelle Pompiers.
- Et il t’a dit ton fils le thème de la pièce ?
- Non. Pourquoi ?
- Ah voilà ! Dis à ta mère ce que tu viens de me raconter. Assieds-toi, Jocelyne. Tu vas voir, ça secoue !
Pendant que Bernard sert un verre de vin à sa femme, leur fils attaque :
- Bon, Maman, l’histoire c’est celle d’une femme, qui doit avoir entre 20 et 25 ans. Elle est limitée mentalement et se fait violer en réunion par des pompiers.
Jocelyne ne s’attendait pas à ça. Elle déglutit longuement, on dirait qu’elle avale un mégot. Elle ressemble à sa grenouille, les yeux exorbités et vides. Elle interroge : « Mais pourquoi es-tu allé voir un truc pareil ?
- Ah ça ! Mais elle est marrante ta question ! D’habitude, vous me demandez simplement si la pièce était bonne, non ? Qu’est-ce qui vous prend aujourd’hui ?
Alors, pour vous répondre, j’ai passé un bon moment. Ne serait-ce que le fait de réfléchir à ces sujets auxquels je n’avais jamais pensé.
- Il est curieux ton drôle (il n’est plus son fils quand il le trouve trop citadin), maintenant, il lui suffit de penser à un truc inconnu pour être intéressé. C’est complètement con. Regarde, ce matin, le facteur m’a dit que le voisin se cognait son âne. Je n’y avais jamais pensé mais ça n’en fait pas un sujet intéressant pour autant… Surtout quand tu connais le facteur.
- Tu as raison, p’pa. C’est un peu con, et un peu pompeux en plus. Bon, en fait, déjà, j’ai trouvé la pièce vraiment bien foutue. Le personnage de cette femme est vraiment très juste, dans le texte et dans le jeu de l’actrice. Elle est vraiment superbe, légère.
Ensuite, et c’est là que c’est original : Cette femme éprouve le désir d’aimer et aime. Mais, elle ne sait pas concevoir que l’on puisse lui faire l’amour sans l’aimer en retour. On l’aime forcément. Par amour alors, elle cède à toutes les « outrances » de son pompier d’un soir qui l’offre trop souvent à ses camarades de caserne. Mais sans qu’elle consente, sans qu’elle le veuille.
Le fils fait une pause pour une gorgée de Ricard. Il croise le regard de son père, amorphe. Imaginons que la grenouille de sa femme ait couché avec l’âne du voisin ? l’image est parlante ?
Le fils tente de le récupérer :
- C’est là que l’auteur est bien meilleur que moi pour raconter tout cela ! C’est un peu complexe. Mais finalement, le plus choquant dans cette pièce, ce n’est pas l’ambiguïté de la situation ou les scènes douloureuses que l’on imagine. Le plus choquant, c’est le déni du pompier, son incapacité à assumer. L’homme fort à l’image inaltérable, culturellement encensée, qui devient sombre, apeuré. C’est l’absence perceptible de remords qui est insupportable. Sa candeur à elle est belle, aussi belle que la lâcheté de cet homme est difficilement tolérable.
Bref, vous voyez, j’ai gambergé, j’ai ri, j’ai eu les yeux embués, j’ai eu envie de me battre. C’est pas mal pour une soirée non ?
- Jocelyne, c’est beau, ça me rappelle notre mariage…
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