Critiques pour l'événement Papa va bientôt rentrer
28 févr. 2018
8,5/10
182
Desperate housewives, 1967

Papa, c’est ou plutôt ce sont ces soldats américains partis au Vietnam : Jean Franco s’est inspiré des Flat daddies des années 2000, des silhouettes à plat sur lesquelles étaient collées des photos des soldats (hommes ou femmes) et offertes à leurs familles, notamment aux enfants pour combler l’absence de l’être cher pendant la guerre en Afghanistan. Mais ici nous sommes en 1967 dans une banlieue un peu cossue dans le Maine. Mia et Suzan sont amies et attendent le retour de leurs maris partis au Vietnam. Deux desperate housewives qui attendent leur retour du héros. Un jour, un déserteur vient se réfugier chez Mia et l’on apprendra vite que s’il vient chez Mia, ce n’est pas par hasard.

Une comédie drôle, mais pas que.

Jean Franco signe ici une comédie ravissante, tout aussi drôle que touchante. Au-delà de l’histoire de ces deux jeunes et désœuvrées épouses viennent affleurer des sujets plus profonds comme le sens que l’on a donné à sa vie, les idéaux que l’on a abandonnés trop facilement ou trop paresseusement, la loyauté amicale et les amours perdues. Bien sûr, le ton reste léger, on rit souvent, mais d’un rire touché, jamais gratuit. Bien sûr, le tout aurait pu être encore plus creusé, fouillé, mais ce n’est pas un souci tant la mise en scène de José Paul, toute en vivacité et sans excès d’énergie ou de volte-face inutiles et gratuits laisse les comédiens s’amuser et amuser le public. En premier lieu, les deux comédiennes se complètent parfaitement : Marie-Julie Baup est une Mia subtile qui, derrière la façade de gentille épouse va dévoiler une facette plus trouble de jeune femme partagée entre ses convictions de jeunesse et son statut de jeune maman. Lisiane Meys réussit à donner à Suzan, la gentille épouse un peu (beaucoup) naïve, une sensibilité et une clairvoyance inattendues. Benoît Moret saura donner à Isaac la couleur nécessaire pour exister face à ces deux personnages féminins et former un trio ultra attachant.

Un vrai moment de plaisir, donc, qui ravit autant qu’il touche. Courez-y, mais courez-y vite : la pièce s’arrêtera le 11 mars, plus tôt que prévu. Faute de spectateurs, parait-il ? C’est bizarre : hier, la salle a beaucoup ri, beaucoup applaudi, beaucoup aimé. Il y avait dans ces rires la spontanéité d’un public qui s’abandonne au plaisir mais savoure la subtilité, des rires émus mais pas gras, des rires sincères, joyeux, touchés. Le mien en faisait partie.
18 févr. 2018
9/10
162
J’ai sauté de joie à l’annonce de ce spectacle. Retrouver Lysiane Meis aux côtés de Marie-Julie Baup, ce sont deux univers théâtraux que j’adore et qui se rencontrent pour mon plus grand plaisir. Ajoutons à cela une mise en scène de José Paul et je n’étais pas loin d’être comblée. Ma seule crainte résidait dans le texte. Je ne connaissais pas l’auteur, l’affiche me rebutait un peu et j’avais peur de me retrouver face à un texte aux résonances trop américaines à mon goût. J’ai découvert en Jean Franco une plume fine au sujet plutôt original, un propos intéressant, un texte tout à fait dramatique et mené de main de maître par ces trois comédiens. Une soirée à ne pas manquer.

Tout est parti de l’anecdote des Flat daddies, reproductions en cartons de leurs maris partis à la guerre d’Afghanistan, que l’on offrait aux épouses restées à la maison afin de pallier la longue absence de l’époux-soldat. Ces « papas plats » ont été offerts à Mia et Suzan, ces deux voisines qui attendent le retour de Paul et Richard, partis combattre au Vietnam. Une excuse pour se retrouver, se serrer les coudes, discuter de tout, de rien, de leur rôle de femme, d’épouse, de la vie, de leurs combats, de leurs attentes. Un train de vie qui va se retrouver chamboulé par le retour d’Isaac, un ex de Mia qui a déserté l’armée et vient se réfugier chez elle.

J’ai été très agréablement surprise par l’écriture éminemment dramatique de Jean Franco. L’histoire se déroule de manière très fluide et aborde de nombreux sujets avec beaucoup de cohérence et d’intelligence. Il faut dire qu’il est merveilleusement servi par les trois comédiens qui portent ce spectacle. Tous trois dans des tons différents et complémentaires, on sent une direction d’acteur au cordeau, mais également sensible et bienveillante. Benoît Moret compose un Isaac aux allures d’homme dans cette enveloppe d’adolescent. A la fois attendrissant et agaçant, il livre son message avec beaucoup d’humanité.

Mais ce sont les femmes qui sont particulièrement mises en lumière dans ce spectacle. On retrouve chez Marie-Julie Baup cette interprétation à fleur de peau, où soudain la réplique la plus banale nous touche au coeur et nous fait monter les larmes aux yeux. Sa sincérité, sa sensibilité sans artifice émeuvent à plusieurs reprises et sous la femme forte qu’elle compose on sent des failles qui pourraient la détruire. Celle qui dit assumer les choix qu’elle a portés a dans les yeux un voile qui semble la démentir aussitôt. En face, Lysiane Meis n’est pas en reste. A cette composition un peu nunuche qui lui va si bien, elle ajoute d’autres facettes : sa loyauté envers Mia est touchante, sa lucidité poignante et l’évolution de son personnage, pleine d’espoir.

La mise en scène de José Paul est impeccable. Dès les premières notes du spectacle, on est happé par un rythme qui ne se tarira à aucun moment. Il s’est débarrassé des effets inutiles qui alourdissent souvent les spectacles aujourd’hui et chez lui, chaque détail compte : très vite, avant même que le noir se fasse, on comprend que l’horloge jouera son rôle dans le spectacle. Les lumières sont également pensées de manière très fine, dupant notre cerveau qui soudain transforme cette ombre provenant d’une simple reproduction en carton en un réel personnage présent autour de la table. Perturbant.
26 janv. 2018
9/10
58
Rentré en France tout récemment, je ne m'attendais pas à être autant dépaysé en remettant les pieds dans un théâtre parisien. Quel bonheur de se plonger au cœur des années soixante américaines avec ce texte original, drôle, percutant, servi par un duo de comédiennes pétillant, tellement juste, piquant et émouvant, accompagnées d'un non moins juste comédien. On se laisse prendre à ces conversations qui semblent futiles et qui ne le sont pas tant que ça, exactement comme on se laisse prendre par un tableau d'Edward Hopper. Et on plisse les yeux de plaisir.

Je conseille très vivement d'aller découvrir si Papa va rentrer.
20 janv. 2018
8,5/10
67
Une comédie légère et souriante aux allures décalées de la dérision où les répliques fusent et les situations croustillent.

Susan et Mia sont les épouses de soldats partis faire la guerre du Vietnam. Mia s’occupe de son nourrisson mais l’attente l’ennuie et elle s’ennuie d'attendre. Papa va-t-il bientôt rentrer ? Voisines devenues amies, elles passent beaucoup de temps ensemble, le temps que viennent des permissions et que la guerre finisse.

Ce jour-là, le quartier est en effervescence. Un déserteur se cache à proximité, liguant le voisinage, effrayant notre Susan qui vient se réfugier plus souvent qu’à son tour chez Mia.

Qui est ce déserteur ? Que va-t-il déclencher ?

Joliment écrit par Jean Franco et Jean-Yves Roan, le texte dépeint avec un humour décapant, un rien moqueur, l’American way of life des années 60. Mia, l’ancienne progressiste façon Agitprop devenue sage comme une lionne au repos et Susan, conservatrice, plus tu meurs, façon Betty Boop Style désopilante. L’écart entre les deux personnages permettra tous les possibles et les auteurs ne s’en privent pas. Le déserteur viendra lui aussi déranger le bon ordre, comme un nuage de popcorns dans un jeu de quilles.

C’est drôle et touchant, bien ficelé et très efficace.

La mise en scène alerte de José Paul rythme la pièce allegro ma non troppo, ménageant des moments d’émotion parmi les situations parfois totalement barrées.

La distribution très en verve tire la pièce vers le haut. Tout est maîtrisé avec délicatesse et avec une adresse réussie. Les morceaux « de bravoure » fonctionnent à merveille. Marie-Julie Baup est une adorable Mia, caustique et passionnée. Lysiane Meis donne à Susan une vis comica détonante. Benoit Moret joue Isaac, le déserteur qui embobine son monde, avec élégance et sincérité.

Un trio d’enfer pour une pièce où l’on rit beaucoup et on s’amuse franchement mais pas que… ! Un spectacle pour la détente. Du théâtre de plaisir.