Critiques pour l'événement Les Palmiers Sauvages
9 déc. 2018
8,5/10
37
Chavrier vainqueure par chaos !

Séverine Chavrier, par ailleurs Directrice du CDN Orléans / Centre-Val de Loire, s'est emparée du roman de William Faulkner pour en faire une tornade dramaturgique, un ouragan scénique, un typhon théâtral.

Ici, le chaos sera amoureux, passionnel !
Faulkner nous décrit en effet une véritable descente aux enfers pour ces deux amants qui décident de tout quitter.
Charlotte Rottenmeyer abandonne mari et enfants, Harry Wilbourne, interne hospitalier, délaisse ses études.
Ces deux-là fichent le camp, laissant le train-train petit bourgeois et la conformité sociale. Ils fuient le passé mais peut-être aussi l'avenir, pour reprendre les mots de Faulkner.

Leur amour sera passion. Une passion brutale, entière, fatale.
Il faudra payer le prix.

Se déroulera devant nos yeux un road-movie devenant une impitoyable descente aux enfers sans espoir de retour.

Ce qui va se jouer est une sorte de maelström initiatique, à destination de ceux qui qui voudraient aimer passionnément, entièrement.

Deborah Rouach est Charlotte. Laurent Papot incarne Harry.
Ces deux-là vont se mettre à nu, au propre comme au figuré.

Ici, pas d'ellipses. L'amour fou sera avant tout charnel, très physique.
Nous assistons à de furieuses chorégraphies faites de chair, de furie, de bruit.
Ayant pour tout costume la petite ceinture contenant l'émetteur de leur micro HF, les deux comédiens sont deux amants extrêmes, d'une certaine façon maudits, mais qui ne le savent pas encore.

Sur le plateau, nous découvrons un capharnaüm composé de paillasses, de boîtes de conserve sur une gigantesque étagère, des palettes, des caisses de bière vides, des fringues éparses...

Flashes de lumière, bande son hurlante, éléments vidéo projetés au Lointain, lits métalliques servant de trampoline, tapis de matelas, et surtout des comédiens complètement investis, tout concourt à ce déferlement de passion sauvage, aussi sauvage que les palmiers du même nom.

La descente aux enfers peut commencer. Sous une pluie de feuilles mortes.
« Je t'aime et j'en ai peur », nous clame Harry.
Cette peur va anéantir le couple. Usure du temps, intransigeance des deux, absence de concessions, remords, peut-être, nous assistons à l'inexorable destruction de cette relation.

Tout comme nous assistons à la destruction progressive de pans entiers de décors, créant sur le plateau un incommensurable désordre.

Et puis, la fin arrivera, brutale, fatale et paroxystique.

On l'aura compris, les deux comédiens, qui disent le texte de Faulkner et parfois improvisent, réalisent une véritable performance. Cette performance n'est pas gratuite, tout comme les parti-pris scénographiques et dramaturgiques de Séverine Chavrier.

Oui, ça déménage, oui, nous en aurons plein les yeux, plein les oreilles. Oui, ça va crier, hurler, murmurer, oui ça va nous secouer ! Je suis sorti du Montfort abasourdi mais enthousiasmé.

C'est un spectacle qui nous montre la vie dans ce qu'elle a de plus absolu, de plus jusqu'au-boutiste.

--------
Cette pièce, qui est une reprise, fut donnée à l'Odéon en 2016. L'exploitation fut perturbée par une grève nationale des intermittents du spectacle, suivie par une partie des personnels.

Hier, ce fut pour moi une séance de rattrapage. Un spectacle que je tenais vraiment à voir !

j'en garde un souvenir violent mais à tout niveau... je préfère le chocolat !

1
Lundi 10 décembre 2018
5 juin 2016
8,5/10
109
Des néons clignotent au dessus du plateau. Dehors, nous entendons la pluie tomber. L’effet stroboscopique nous laisse apparaître un homme en caleçon blanc et une femme aux seins nus. En perpétuel mouvement, ils changent de lits et se lancent dans des dialogues de séductions naïfs et enfantins dans l’obscurité totale.

Puis la lumière se fait sur Charlotte et Harry. Elle a trente-cinq ans (mais tout le monde pense qu’elle en a dix-sept et demi), un mari et deux petites filles. Lui est seul pour son anniversaire. Ils se rencontrent dans un coup de tonnerre qui sonne comme un coup de foudre. Ils travaillent à aimer comme le suggère le titre du premier acte projeté sur l’écran en fond de scène. Charlotte quitte sa famille pour Harry qui lui, abandonne son internat de médecine afin de s’enfuir avec la jeune fille et de découvrir l’amour.
« L’amour et la souffrance ne sont qu’une même chose » peut-on entendre.

En effet, leur voyage initiatique qui les mènera de la Nouvelle-Orléans à Chicago en passant par le Wisconsin, d’un chalet à un bungalow sur la plage en passant par le bord d’un lac, est une partition de deux êtres humains où le torride se fond dans le terrible. Une histoire d’amour qui ne peut que finir mal. Sur le plateau, c’est l’expression d’une passion fusionnelle sans retour possible, d’un amour absolu, celui qui dévaste tout sur son passage comme un ouragan et qui nous pousse dans une vertigineuse descente aux enfers. Dans le bruit du vent, le chaos de leur amour trouve un terrain de jeu risqué où les deux protagonistes s’aiment jusqu’à se perdre eux-mêmes et perdre l’autre. Mais qu’est-ce que s’aimer, espérer, faire l’amour ? Ils s’aiment comme des enfants mais se perdent comme des adultes.

Avec beaucoup de musicalité (y compris dans les titres des actes puisque le premier, Travailler à aimer est associé à Charlotte et au tempo agitato tandis que le deuxième, Aimer travailler, consacré à Harry, est plutôt andante ma non troppo), Séverine Chavrier transcrit un érotisme fulgurant avec rythme et intensité. Cependant, l’utilisation des micros HF mettent une barrière entre la salle et le plateau et l’émotion se retrouve prisonnière d’un côté sans parvenir à traverser la salle pour nous atteindre. Pourtant, le texte est fort et il ne manque qu’un jeu plus nuancé pour nous faire chavirer. Vu le talent de Laurent Papot, nul doute qu’il aurait pu nous faire basculer en quelques minutes dans les abymes émotionnelles au lieu de nous laisser sur le rivage à cause de l’amplification sonore de ses paroles via le micro.

Si Les Palmiers sauvages parviennent à secouer et à lever une tempête théâtrale, le tsunami émotionnel n’arrive pas à s’imposer pour nous dévaster entièrement. « Le cœur peut supporter n’importe quoi » mais le théâtre demande une ou deux exigences supplémentaires. Cependant, même si nous retrouvons les mêmes défauts scéniques que dans Nous sommes repus mais pas repentis, Séverine Chavrier s’impose comme l’une des plus belles découvertes de la saison 15-16 du Théâtre de l’Odéon en portant sur scène des œuvres littéraires déchirantes et mettant en lumière la difficulté d’aimer.