Critiques pour l'événement Le Temps et la Chambre
Elles sont finalement assez rares les pièces contemporaines pour lesquelles une évidence vous saute aux yeux : le texte vous emporte et vous emmène loin, dans un espace à la fois totalement circonscrit mais tellement intérieur, dans un temps si contraint mais tellement universel.
Ici, c'est le cas.
Botho Strauss, admirablement servi par Alain Françon, va nous forcer à nous sortir du banal quotidien pour nous embarquer dans une pièce-puzzle.
A nous de recoller les morceaux, à nous de nous laisser aller, de nous laisser happer par les comédiens.
Le public une fois installé, une musique électro assourdissante retentit.
Puis, c'est le noir.
Lumière.
Julius (Jacques Weber) et Olaf (Gilles Privat) sont installés dans deux fauteuils, dans une chambre donnant sur la rue au moyen de trois grandes fenêtres.
Ces deux fauteuils et une table basse seront les seuls meubles de cette pièce.
Un peu plus au lointain, une imposante colonne rouge vermillon, avec un chapiteau ionique.
Julius regarde par la fenêtre. Il aperçoit une femme en pull, jupe courte et collants.
Aussitôt qu'il nous a décrit cette femme dans la rue, elle entre (c'est Georgia Scalliet) dans la chambre.
Tout de suite, nous comprenons que le temps de Botho Strauss va être un temps distordu.
Non seulement le temps, mais l'espace.
Dans ces deux domaines, ce sera à nous de remettre au bon endroit et au bon moment les morceaux du puzzle.
La direction d'acteurs de M. Françon est ici lumineuse.
Comment dire....
Cette impression que pas un geste, pas un déplacement, pas une intonation n'est gratuite, n'est de trop.
C'est vraiment de la belle ouvrage. J'ai été subjugué par ce véritable art de la mise en scène : un cadre très intimiste se transforme en gigantesque terrain qui va nous permettre de nous interroger sur nos névroses, nos obsessions et nos pulsions.
Mais pas d'inquiétude : Alain Françon a bien compris que Strauss est quand même l'un des spécialistes de la description de la solitude humaine.
Bon, d'accord.
Il a à sa disposition des pointures.
Weber et Privat en imposent vraiment, avec de grands « morceaux de bravoure ».
Mais ici, on sent évidemment qu'ils sont au service du texte et du propos. Pas question de tirer la couverture à soi.
Et puis, elle aussi est là.
La toute nouvelle 531ème sociétaire de la Comédie française, en escapade à la Colline.
Georgia Scalliet.
D'une façon magistrale, elle va nous parler d'amour, de désir...
Elle est souvent bouleversante, en Marie Stauber, qui incarne à travers elle l'image et la condition féminine universelle.
Elle est bouleversant, certes, mais elle nous fait rire, également.
Tout comme les autres comédiens. (Le reste de la distribution est aussi de très haut niveau, il faut les citer, Wladimir Yordanoff, Dominique Valadié, Charlie Nelson, Renaud Triffault, Antoine Mathieu et Aurélie Reinhorn.)
Car ne nous y trompons pas.
Le temps et la chambre est une pièce souvent drôlissime. On rit beaucoup et à maintes reprises.
Alain Françon a bien entendu compris l'humour inhérent au texte. Des scènes sont purement et simplement hilarantes.
(Le tableau des trois cadres masculins en attente d'un entretien d'embauche surpris par Melle Scalliet est véritablement un moment digne d'un slapstick.)
Un autre thème important de la pièce est celui du couple.
L'auteur allemand dresse comme un catalogue de la sociologie du couple.
Couple d'amoureux, couple qui se déchire, qui se cherche, couple de copains, couple d'amants, couple patron-employé, j'en passe et non des moindres.
La solitude au sain du couple, être deux dans une totale solitude, tout est dit.
Il faut bien entendu rendre hommage au traducteur de la pièce, Michel Vinaver, le célèbre dramaturge, le papa d'Anouk Grinberg qui créa le rôle de Marie Stauber en France en 1991, dans une mise en scène de Patrice Chéreau, à l'Odéon.
Clin d'oeil d'Alain Françon : la voix off de la colonne est précisément celle d'Anouk Grinberg.
Ce soir-là, à la Colline, je me suis aperçu une nouvelle fois que parfois, mais assez rarement, finalement, il n'y avait absolument rien à changer dans ce que nous proposait ce spectacle : l'harmonie, la beauté, le propos, le texte, la grâce, l'art, tout était là.
Merci beaucoup, Messieurs Strauss et Françon !
Merci beaucoup, Mesdemoiselles et Messieurs les comédiens !
Ici, c'est le cas.
Botho Strauss, admirablement servi par Alain Françon, va nous forcer à nous sortir du banal quotidien pour nous embarquer dans une pièce-puzzle.
A nous de recoller les morceaux, à nous de nous laisser aller, de nous laisser happer par les comédiens.
Le public une fois installé, une musique électro assourdissante retentit.
Puis, c'est le noir.
Lumière.
Julius (Jacques Weber) et Olaf (Gilles Privat) sont installés dans deux fauteuils, dans une chambre donnant sur la rue au moyen de trois grandes fenêtres.
Ces deux fauteuils et une table basse seront les seuls meubles de cette pièce.
Un peu plus au lointain, une imposante colonne rouge vermillon, avec un chapiteau ionique.
Julius regarde par la fenêtre. Il aperçoit une femme en pull, jupe courte et collants.
Aussitôt qu'il nous a décrit cette femme dans la rue, elle entre (c'est Georgia Scalliet) dans la chambre.
Tout de suite, nous comprenons que le temps de Botho Strauss va être un temps distordu.
Non seulement le temps, mais l'espace.
Dans ces deux domaines, ce sera à nous de remettre au bon endroit et au bon moment les morceaux du puzzle.
La direction d'acteurs de M. Françon est ici lumineuse.
Comment dire....
Cette impression que pas un geste, pas un déplacement, pas une intonation n'est gratuite, n'est de trop.
C'est vraiment de la belle ouvrage. J'ai été subjugué par ce véritable art de la mise en scène : un cadre très intimiste se transforme en gigantesque terrain qui va nous permettre de nous interroger sur nos névroses, nos obsessions et nos pulsions.
Mais pas d'inquiétude : Alain Françon a bien compris que Strauss est quand même l'un des spécialistes de la description de la solitude humaine.
Bon, d'accord.
Il a à sa disposition des pointures.
Weber et Privat en imposent vraiment, avec de grands « morceaux de bravoure ».
Mais ici, on sent évidemment qu'ils sont au service du texte et du propos. Pas question de tirer la couverture à soi.
Et puis, elle aussi est là.
La toute nouvelle 531ème sociétaire de la Comédie française, en escapade à la Colline.
Georgia Scalliet.
D'une façon magistrale, elle va nous parler d'amour, de désir...
Elle est souvent bouleversante, en Marie Stauber, qui incarne à travers elle l'image et la condition féminine universelle.
Elle est bouleversant, certes, mais elle nous fait rire, également.
Tout comme les autres comédiens. (Le reste de la distribution est aussi de très haut niveau, il faut les citer, Wladimir Yordanoff, Dominique Valadié, Charlie Nelson, Renaud Triffault, Antoine Mathieu et Aurélie Reinhorn.)
Car ne nous y trompons pas.
Le temps et la chambre est une pièce souvent drôlissime. On rit beaucoup et à maintes reprises.
Alain Françon a bien entendu compris l'humour inhérent au texte. Des scènes sont purement et simplement hilarantes.
(Le tableau des trois cadres masculins en attente d'un entretien d'embauche surpris par Melle Scalliet est véritablement un moment digne d'un slapstick.)
Un autre thème important de la pièce est celui du couple.
L'auteur allemand dresse comme un catalogue de la sociologie du couple.
Couple d'amoureux, couple qui se déchire, qui se cherche, couple de copains, couple d'amants, couple patron-employé, j'en passe et non des moindres.
La solitude au sain du couple, être deux dans une totale solitude, tout est dit.
Il faut bien entendu rendre hommage au traducteur de la pièce, Michel Vinaver, le célèbre dramaturge, le papa d'Anouk Grinberg qui créa le rôle de Marie Stauber en France en 1991, dans une mise en scène de Patrice Chéreau, à l'Odéon.
Clin d'oeil d'Alain Françon : la voix off de la colonne est précisément celle d'Anouk Grinberg.
Ce soir-là, à la Colline, je me suis aperçu une nouvelle fois que parfois, mais assez rarement, finalement, il n'y avait absolument rien à changer dans ce que nous proposait ce spectacle : l'harmonie, la beauté, le propos, le texte, la grâce, l'art, tout était là.
Merci beaucoup, Messieurs Strauss et Françon !
Merci beaucoup, Mesdemoiselles et Messieurs les comédiens !
Nous entrons dans ce spectacle à pas de loup, soucieux de ne pas déranger l’échange entre Julius et Olaf. Nous sommes dans une grande pièce, comme l’antichambre d’une chambre d’hôtel. Ces deux hommes entre cinquante et soixante ans, habillés en costumes trois pièces, ressemblent à deux bourgeois dignes et calmes.
Ils sont assis dans des fauteuils de cuir près d’une table basse posée juste dans le coin, à côté des fenêtres donnant sur la rue. Ils devisent ensemble. Julius parle beaucoup, avec éloquence et précision. Il se lève souvent pour observer par la fenêtre. Olaf est attentif, il ne dit mot encore mais son langage corporel nous montre qu’il écoute et réagit. Ils semblent jauger ce qui se passe dehors, par habitude peut-être, pour tuer le temps sans doute, quiets comme un vieux couple complice et serein, n’attendant rien d’autre que vivre ce moment ensemble.
Tout à coup Julius s’exclame et signale que dehors une femme se distingue par son attitude, la stigmatisant un peu. Quelques secondes plus tard, elle entre dans la pièce, invectivant les deux hommes en reprenant les propos tenus par Julius. C’est Marie Steuber.
Que se passe-t-il ? Où sommes-nous ? De quoi s’agit-il ? Qui sont ces gens ?... Pas le temps de répondre, pas le temps de comprendre, à peine arrivée, Marie Steuber va occuper l’espace comme s’il lui était familier. Les échanges entre Julius et Marie laissent à penser qu’ils se connaissent peut-être et que… Mais non, tout s’enchaine, pas le temps d’y réfléchir, pas le temps de comprendre…
Une quinzaine de personnages entrent et sortent inopinément, avec la rapidité du temps qui presse, comme des vertiges d’instants suspendus. Cet espace qui est au début une chambre, ils vont le transformer au gré des moments en salon, en bureau pour en refaire une chambre à la fin.
Ils se retrouvent seuls, par deux ou plus, jouant ou rejouant une situation qui les concerne, se parlant ou non mais toujours avec une attention dont l’intensité troublante enrichit chaque fois l’instant. De toute évidence, ils se connaissent ou se reconnaissent. Ils semblent que des liens forts ou ténus les associent là maintenant ou peut-être avant, on ne sait pas. Le temps est étiré parfois précipité, comme dans un songe.
L’auteur Botho Strauss se joue des conventions théâtrales. Pas de fil narratif, de linéarité apparente, tout est dans le présent. Avec une écriture d’une précision ciselée, parsemée de pointes d’humour, cette pièce est comme un puzzle aux morceaux retirés ou perdus grâce auquel le spectateur compose sa propre histoire. Avec ce qu’il voit et ce qu’il entend, il ajoute immanquablement un peu de lui-même, de sa mémoire, de ses fantasmes et de ses désirs. La compréhension du spectateur est mise à rude épreuve. Elle ne trouve du sens qu’en convoquant son imaginaire et avec lui, ses bagages.
« Le théâtre n'est pas la démonstration analytique de notre condition, il est le chant dithyrambique de nos désirs profonds ou de nos railleries. » dit Jean Vilar dans De la tradition théâtrale. Rien n’est moins vrai ici. Nous ne pouvons échapper à cette représentation de nous-même tant tout ceci nous parait finalement sortir de nos pensées, de celles qui surgissent tout à coup au détour de moments solitaires, comme autant d’instants volés à nos rêveries.
La présence du personnage de Marie Steuber, ses différentes vies probables, nous confrontent à nos images de la Femme, de tous les âges, de toutes les postures sociales. Ses amours et ses souvenirs heureux ou non, dans lesquels nous nous retrouvons peut-être. Le couple d’Olaf et Julius nous conduit à interroger le bonheur conjugué à deux, ses affres et ses douceurs.
Tiens, Vilar aurait-il raison ?
La mise scène d’Alain Françon centre notre attention sur ce qui est dit et vu, en soignant la précision et la justesse des répliques pour ce qu’elles évoquent alors, sans nous donner ni d’avant ni d’après dans les jeux. Les personnages semblent se rencontrer à chaque fois sans se découvrir, sans sous-entendus, se parlant d’évidence.
Les comédiens nous servent un grand jeu. Nous sommes dans la finesse du travail d’orfèvre. Tout glisse, tout passe, tout s’installe sans s’occuper de démontrer quoique ce soit. L’intensité apportée à chaque instant est remarquable. Aucun silence qui ne soit chargé. Aucun mouvement qui ne soit rempli. Aucune réplique qui ne soit sincère. Du bel ouvrage, du grand art.
Un spectacle incontournable dont la réalisation restera sans doute mémorable.
Ils sont assis dans des fauteuils de cuir près d’une table basse posée juste dans le coin, à côté des fenêtres donnant sur la rue. Ils devisent ensemble. Julius parle beaucoup, avec éloquence et précision. Il se lève souvent pour observer par la fenêtre. Olaf est attentif, il ne dit mot encore mais son langage corporel nous montre qu’il écoute et réagit. Ils semblent jauger ce qui se passe dehors, par habitude peut-être, pour tuer le temps sans doute, quiets comme un vieux couple complice et serein, n’attendant rien d’autre que vivre ce moment ensemble.
Tout à coup Julius s’exclame et signale que dehors une femme se distingue par son attitude, la stigmatisant un peu. Quelques secondes plus tard, elle entre dans la pièce, invectivant les deux hommes en reprenant les propos tenus par Julius. C’est Marie Steuber.
Que se passe-t-il ? Où sommes-nous ? De quoi s’agit-il ? Qui sont ces gens ?... Pas le temps de répondre, pas le temps de comprendre, à peine arrivée, Marie Steuber va occuper l’espace comme s’il lui était familier. Les échanges entre Julius et Marie laissent à penser qu’ils se connaissent peut-être et que… Mais non, tout s’enchaine, pas le temps d’y réfléchir, pas le temps de comprendre…
Une quinzaine de personnages entrent et sortent inopinément, avec la rapidité du temps qui presse, comme des vertiges d’instants suspendus. Cet espace qui est au début une chambre, ils vont le transformer au gré des moments en salon, en bureau pour en refaire une chambre à la fin.
Ils se retrouvent seuls, par deux ou plus, jouant ou rejouant une situation qui les concerne, se parlant ou non mais toujours avec une attention dont l’intensité troublante enrichit chaque fois l’instant. De toute évidence, ils se connaissent ou se reconnaissent. Ils semblent que des liens forts ou ténus les associent là maintenant ou peut-être avant, on ne sait pas. Le temps est étiré parfois précipité, comme dans un songe.
L’auteur Botho Strauss se joue des conventions théâtrales. Pas de fil narratif, de linéarité apparente, tout est dans le présent. Avec une écriture d’une précision ciselée, parsemée de pointes d’humour, cette pièce est comme un puzzle aux morceaux retirés ou perdus grâce auquel le spectateur compose sa propre histoire. Avec ce qu’il voit et ce qu’il entend, il ajoute immanquablement un peu de lui-même, de sa mémoire, de ses fantasmes et de ses désirs. La compréhension du spectateur est mise à rude épreuve. Elle ne trouve du sens qu’en convoquant son imaginaire et avec lui, ses bagages.
« Le théâtre n'est pas la démonstration analytique de notre condition, il est le chant dithyrambique de nos désirs profonds ou de nos railleries. » dit Jean Vilar dans De la tradition théâtrale. Rien n’est moins vrai ici. Nous ne pouvons échapper à cette représentation de nous-même tant tout ceci nous parait finalement sortir de nos pensées, de celles qui surgissent tout à coup au détour de moments solitaires, comme autant d’instants volés à nos rêveries.
La présence du personnage de Marie Steuber, ses différentes vies probables, nous confrontent à nos images de la Femme, de tous les âges, de toutes les postures sociales. Ses amours et ses souvenirs heureux ou non, dans lesquels nous nous retrouvons peut-être. Le couple d’Olaf et Julius nous conduit à interroger le bonheur conjugué à deux, ses affres et ses douceurs.
Tiens, Vilar aurait-il raison ?
La mise scène d’Alain Françon centre notre attention sur ce qui est dit et vu, en soignant la précision et la justesse des répliques pour ce qu’elles évoquent alors, sans nous donner ni d’avant ni d’après dans les jeux. Les personnages semblent se rencontrer à chaque fois sans se découvrir, sans sous-entendus, se parlant d’évidence.
Les comédiens nous servent un grand jeu. Nous sommes dans la finesse du travail d’orfèvre. Tout glisse, tout passe, tout s’installe sans s’occuper de démontrer quoique ce soit. L’intensité apportée à chaque instant est remarquable. Aucun silence qui ne soit chargé. Aucun mouvement qui ne soit rempli. Aucune réplique qui ne soit sincère. Du bel ouvrage, du grand art.
Un spectacle incontournable dont la réalisation restera sans doute mémorable.
Inutile de tergiverser : Parce qu’elle bouscule les codes de la narration, ne fait appel à aucune émotion, et que ses « personnages » peuvent être considérés plus comme des « figures » que comme des êtres de chair et de sang, la pièce « Le Temps et la Chambre », signée du dramaturge allemand Botho Strauss et présentée en ce moment au théâtre de La Colline à Paris dans une mise en scène d’Alain Françon va soit, emballer les uns, soit rebuter les autres. Sans aucun compromis possible !
Quand le rideau (imaginaire) se lève au son d’une musique assez assourdissante, deux êtres de sexe masculin, Julius et Olaf (Jacques Weber et Gilles Privat) devisent sur ce qu’ils voient (croient voir), dans le contre-bas de la pièce où ils se trouvent, et qui est peut-être une chambre (comme le titre le suggère) ou un hall d’hôtel. Quoiqu’il en soit, ces deux là aperçoivent soudain une femme. A peine l’ont-ils décrite qu’elle apparaît comme par magie, dans le chambranle d’une porte… Cette femme (Giorgia Scalliet), nommée Marie Steuber par Botho Strauss, sera, à cet instant de son apparition, et jusqu’au baisser de rideau (toujours imaginaire), le pivot féminin de la pièce. Selon les figures masculines qui viendront se croiser dans ce lieu (on ne saura jamais ni comment ni pourquoi), cette Marie Steuber, sans âge ni biographie définie, apparaitra tour à tour, comme « une » représentation imaginaire possible de « la » femme, tour à tour, maitresse, voyageuse, putain, femme d’affaires, cliente d’hôtel, etc.
Toute la pièce va se jouer comme si tous ses « personnages » se rencontraient, se heurtaient, se frottaient, s’évitaient, ou se repoussaient de façon totalement aléatoire, un peu comme des particules prises dans un champ magnétique..
Aussi étrange que cela puisse paraître, au milieu de toutes ces rencontres, fragmentaires, parfois furtives, et qui arrivent et s’enchainent sans chronologie ni logique apparentes, « Le Temps et la Chambre » va réussir à donner une vision de la folie du monde d’aujourd’hui et de sa perte de repère. On ne comprend pas bien comment son auteur a construit son texte, mais le fait est qu’il arrive à dire, avec acuité et férocité, ce qu’est devenue la société occidentale, une société en perpétuel mouvement, mais qui s’agite de façon désordonnée ; qui croit penser et réfléchir, mais ne se comprend pas, une société aussi, dont les manques et les ratages fabriquent parfois de la cocasserie, de l’absurdité et une drôlerie à pleurer…
On devine que monter cette pièce, par moments d’un humour inattendu, doit être une entreprise exaltante pour un metteur en scène (Patrice Chéreau s’y était attelé en 1991, et son travail lui avait valu un Molière). Car il faut essayer de rendre « lisible » une pièce sans réelle temporalité, où circulent des figures masculines et féminines, comme sorties soudainement du néant (avant d’y retourner, tout aussi soudainement), et cela dans un lieu à la fois circonscrit (une chambre) et impersonnel. Pour ceux qui acceptent ce « voyage » spatio-temporel, Alain Françon a réussi son pari.
Le soir où je me suis embarquée pour ce « voyage » théâtral, un seul spectateur est parti, certains m’ont semblé s’assoupir, mais la majorité a paru subjuguée. Il faut dire que la traduction de Michel Vinaver est d’une fluidité remarquable, et que la distribution est parfaite, de Gilles Privat à Charlie Nelson, en passant par Wladimir Yordanoff. Mention spéciale pour la Marie Steuber de Giorgia Scalliet. L’interprétation de la jeune pensionnaire de la Comédie française a une grâce et une vitalité rares, un magnétisme impressionnant.
Quand le rideau (imaginaire) se lève au son d’une musique assez assourdissante, deux êtres de sexe masculin, Julius et Olaf (Jacques Weber et Gilles Privat) devisent sur ce qu’ils voient (croient voir), dans le contre-bas de la pièce où ils se trouvent, et qui est peut-être une chambre (comme le titre le suggère) ou un hall d’hôtel. Quoiqu’il en soit, ces deux là aperçoivent soudain une femme. A peine l’ont-ils décrite qu’elle apparaît comme par magie, dans le chambranle d’une porte… Cette femme (Giorgia Scalliet), nommée Marie Steuber par Botho Strauss, sera, à cet instant de son apparition, et jusqu’au baisser de rideau (toujours imaginaire), le pivot féminin de la pièce. Selon les figures masculines qui viendront se croiser dans ce lieu (on ne saura jamais ni comment ni pourquoi), cette Marie Steuber, sans âge ni biographie définie, apparaitra tour à tour, comme « une » représentation imaginaire possible de « la » femme, tour à tour, maitresse, voyageuse, putain, femme d’affaires, cliente d’hôtel, etc.
Toute la pièce va se jouer comme si tous ses « personnages » se rencontraient, se heurtaient, se frottaient, s’évitaient, ou se repoussaient de façon totalement aléatoire, un peu comme des particules prises dans un champ magnétique..
Aussi étrange que cela puisse paraître, au milieu de toutes ces rencontres, fragmentaires, parfois furtives, et qui arrivent et s’enchainent sans chronologie ni logique apparentes, « Le Temps et la Chambre » va réussir à donner une vision de la folie du monde d’aujourd’hui et de sa perte de repère. On ne comprend pas bien comment son auteur a construit son texte, mais le fait est qu’il arrive à dire, avec acuité et férocité, ce qu’est devenue la société occidentale, une société en perpétuel mouvement, mais qui s’agite de façon désordonnée ; qui croit penser et réfléchir, mais ne se comprend pas, une société aussi, dont les manques et les ratages fabriquent parfois de la cocasserie, de l’absurdité et une drôlerie à pleurer…
On devine que monter cette pièce, par moments d’un humour inattendu, doit être une entreprise exaltante pour un metteur en scène (Patrice Chéreau s’y était attelé en 1991, et son travail lui avait valu un Molière). Car il faut essayer de rendre « lisible » une pièce sans réelle temporalité, où circulent des figures masculines et féminines, comme sorties soudainement du néant (avant d’y retourner, tout aussi soudainement), et cela dans un lieu à la fois circonscrit (une chambre) et impersonnel. Pour ceux qui acceptent ce « voyage » spatio-temporel, Alain Françon a réussi son pari.
Le soir où je me suis embarquée pour ce « voyage » théâtral, un seul spectateur est parti, certains m’ont semblé s’assoupir, mais la majorité a paru subjuguée. Il faut dire que la traduction de Michel Vinaver est d’une fluidité remarquable, et que la distribution est parfaite, de Gilles Privat à Charlie Nelson, en passant par Wladimir Yordanoff. Mention spéciale pour la Marie Steuber de Giorgia Scalliet. L’interprétation de la jeune pensionnaire de la Comédie française a une grâce et une vitalité rares, un magnétisme impressionnant.
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