Critiques pour l'événement La Musica deuxième
20 mars 2016
0,5/10
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On connait la chanson avec Duras : un hôtel, un homme, une femme, une rupture, du désir. Des ingrédients immuables qui traversent sa production littéraire. En fervent admirateur de la « Beckett en jupe », Anatoli Vassiliev monte un éprouvant diptyque en trois actes de La Musica/La Musica deuxième à la Comédie-Française. Le Russe y retrouve Florence Viala et Thierry Hancisse qu’il a déjà dirigés dans ces murs. Autant l’affirmer d’emblée : cette nouvelle création est une catastrophe, indigne de la maison de Molière. La mise en scène poussiéreuse et anxiogène date d’un autre siècle ; le pauvre couple y est malmené de long en large et le leitmotiv de la variation paraît si infime qu’il en devient anecdotique et franchement très pénible. Au bout de trois heures trente interminables, le public est enfin libéré de cet enfer sans queue ni tête.

Fraîchement divorcés, Anne-Marie et Michel se retrouvent dans un bar d’hôtel à Évreux pour se revoir une dernière fois. Les meubles jonchent la pièce, les souvenirs rejaillissent. Deux êtres en souffrance qui cachent leur chagrin à travers une légèreté affichée. Mais on n’oublie pas une histoire d’amour en un claquement de doigts…

Les deux Musica ne font clairement pas partie du panthéon théâtral de Duras : dialogues insipides, routine dramaturgique, répétitions qui tournent à vide… Bref, une Marguerite en mode mineur. Pourtant, elle en a écrit des pépites sur ce thème inépuisable comme La Maladie de la mort ou Le Navire Night. Vassiliev a été attiré dans ce diptyque par le motif musical de l’écho et de l’altération. Souhaitant insuffler une technique d’interprétation différente pour chacun des trois actes, il s’englue malencontreusement dans une série de clichés qui raviront les détracteurs de Duras.

À commencer par une volonté de distanciation à faire frémir d’effroi. On passera sur les longs silences ; beaucoup moins sur la diction à couper au couteau. On-dé-ta-che-bi-en-les-sy-llabes-pour-mon-trer-qu’-on-joue-du-Du-ras. En 2016, c’est juste impensable d’envisager d’interpréter Duras ainsi. Le couple ressemble à deux attardés ayant des problèmes d’élocution. On souffre pour eux. D’autant qu’on adore tellement Florence Viala d’habitude. Elle semble ici complètement perdue, à côté de ses chaussures à talons hauts. Thierry Hancisse, plus terrien, est plus ancré dans la réalité mais peine aussi à rendre son personnage intéressant. Les deux sont à l’évidence mal dirigés. Jouer Duras peut s’apparenter à une mission-suicide.

Duras, la mal-aimée
Le gaz soporifique du Russe étend son champ d’action sur l’ensemble de la salle : comme les personnages, on attend désespérément la fin du naufrage, rivés à nos montres. Vassiliev s’amuse comme un fou à jouer avec nos nerfs et notre perception temporelle. Le tic-tac régulier d’une horloge présente sur le décor nous nargue d’ailleurs. En parlant de scénographie, il est frappant de constater à quel point elle meuble littéralement la vacuité de l’intrigue. Véritable cabinet de curiosités rempli de gadgets (un fil téléphonique dix fois trop long ; un combiné en hauteur), l’espace dessiné insiste sur le vide et le plein. Encombré de chaises en tout genre, le plateau possède aussi deux escaliers en colimaçons invisibles aux yeux du public. Nos deux comédiens vont les emprunter sans cesse, histoire sans doute de se muscler les mollets. Ces déplacements se transforment en tics vite agaçants car mécaniques : idem pour ces verres remplis ou ces chaises constamment déplacées, pliées, repliées. On meuble comme on peut ! Et que dire de cette volière remplie d’affreux pigeons, à part qu’on aurait bien aimé qu’ils se soulagent sur scène, histoire d’apporter un peu de piment à une histoire bien plate…

Ce ne sont pas les changements de costumes (ensemble gris/petite robe Courrèges orange vitaminé/tailleur noir/combi sexy en cuir) qui parviendront à tromper sur la marchandise ou à matérialiser une quelconque variation. De toutes les manières, on dort déjà lorsque la partie métaphysique émerge de l’iceberg.

En somme, La Musica/La Musica deuxième ne rend vraiment pas justice à la Comédie-Française. Vassiliev parodie tellement Duras qu’on en vient à émettre un petit rire gênant et surtout lassé au bout de cette représentation fatigante. On plaint surtout Florence Viala et Thierry Hancisse, condamnés à jouer ce calvaire pendant un mois et demi pratiquement tous les soirs… Bon courage à eux.