Critiques pour l'événement Histoire(s) de France
9 avr. 2022
9/10
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Ils sont fous, ces Rom... Profs !



Ne voilà-t-il pas que l’une d’entre elles s’est mise en tête d’enseigner l’Histoire de façon différente à une classe de 6ème !
Les collégiens devront choisir des scènes de l’histoire de France et les jouer devant leurs camarades.



(Je ne suis pas certain que M. Blanquer priserait l’exercice. Un Inspecteur Pédagogique Régional serait dépêché sur place séance tenante ! )


En tout cas, tel est le défi qui attend un trio de potes, Camille, Arthur et Ibrahim.

Oui, un véritable défi ! Et ce, à plusieurs titres.
Il faudra débord choisir quelles périodes montrer, et surtout, comment les montrer.

Bien d’autres interrogations vont se poser à elle et à eux...

Qu’évoquent « nos ancêtres les Gaulois » pour ces enfants en général et pour Ibrahim en particulier, lui dont les deux parents sont algériens ?
Comment représenter César, Vercingétorix, Louis XVI, Marie-Antoinette ? Quelles images ont en têtes ces trois collégiens ?

Qui doit jouer qui ? Camille, la collégienne peut-elle interpréter le rôle du chef des Gaulois ?

Ibrahim peut-il jouer la reine ?

Amine Adjina a écrit un spectacle pour les jeunes qu’il serait vraiment dommage de laisser aux seules têtes plus ou moins blondes.

Durant une heure et quart, il va être question de mettre en perspective notre Histoire de France.
Nos histoires de France.
Ici, pas de place pour ce qu’il est convenu d’appeler le Roman national.

A l’inverse de certaines pratiques de certains candidate et candidat d’extrême-droite à la présidentielle, il n’y aura aucune récupération de figures historiques fantasmées, idéalisées, mises à des sauces plus ou moins nauséabondes.
Ici, le seul Z qui comptera et aura du poids sera celui de Zidane.

A ce titre l’entreprise d’Amine Adjina est des plus salutaires.
Tout comme beaucoup de jeunes historiens de plus en plus nombreux, il se penche véritablement les représentations que nous pouvons avoir de ces personnages du passé.


Ces trois collégiens vont questionner nos rapports aux récits, et vont le déconstruire, ce Roman national, avec leurs moyens, avec leur vécu et leur imaginaire.
Pour eux, l’important sera de faire, de réinvestir à leur façon les connaissances déjà acquises.

C’est ainsi qu’une succulente scène mettre aux prises le druide Abdallah et une Vercingétorix à forte poitrine, sous les yeux d’un Jules César en veste de costume et jupette plissée.
La scène est très drôle et fonctionne admirablement.
Bien d’autres du même registre nous feront également bien rire.

Quand j’étais gamin, feux Roger Pierre et Jean-Marc Thibault proposaient un feuilleton intitulé « Les maudits rois fainéants ». J’ai retrouvé sur le plateau ces décalages, ces anachronismes hilarants, ces costumes faits de bric et de broc.

Sauf qu’en ce qui concerne ce spectacle, un vrai propos « politique », au sens premier et noble du terme règne en permanence.


En se focalisant sur trois périodes historiques, et pas des moindres (la conquête de la Gaule, la révolution française et la victoire des Bleus lors de la coupe du monde de 1998), l’auteur questionne notre vivre-ensemble, notre conception d’appartenance à une même communauté humaine.

Sans oublier d’autres thèmes très forts, destinés à faire réfléchir petits et grands.
La question du genre, celle des rapports filles-garçons ou des rapports amoureux, mais aussi l’engagement, la volonté de changer ou de faire évoluer le monde seront également abordés de bien subtile façon.

Et surtout d’une façon très vraie, très saine.
Grâce à une écriture ultra-contemporaine qui fait mouche et qui touche profondément les plus jeunes spectateurs, (les réactions à la sortie de la salle sont unanimes et très éloquentes), ces questions essentielles sont abordées avec une grande intelligence et une très fine pertinence.

Sur le plateau, une comédienne et deux comédiens seront ces trois gamins.
Oui, nous allons complètement y croire.

La co-directrice artistique de la compagnie Le double, Emilie Prévosteau, Mathias Bentahar et Romain Dutheil nous embarquent sans problème dans cette fresque, avec un engagement et une vis comica de tous les instants.

Le trio nous tire bien des rires, mais nous procure également beaucoup d’émotion. A un certain moment, les larmes ne sont pas loin…

Par les temps qui courent, ce spectacle fait partie de ceux qui font beaucoup de bien.
Une grande humanité, un sentiment de vraie fraternité se dégagent de cette entreprise artistique.
Tout ce dont nous avons tellement besoin actuellement.

Allez donc au Théâtre 13-Bibliothèque, même si vous n’avez sous la main ni enfants, ni neveux ou filleuls.

Histoire(s) d’assister à un spectacle des plus réussis.