Critiques pour l'événement C'est un métier d'homme
17 nov. 2022
9/10
7
Cela fait 50 ans que l’OuLiPo joue avec les mots et cela continue aujourd’hui dans la salle Tardieu du Théâtre du Rond-Point
Nous assistons à une vingtaine d’autoportraits écrits comme une variation d’un même texte, L’Autoportrait du Descendeur de Paul Fournel. Les récits vantent les hautes performances de ces hommes, jusqu’à l’aveu de leur aveu de ratage et leur constat d’échec.

Un exercice étonnant et joyeux porté avec fierté et ridicule par deux comédiens irrésistibles. David Migeot et Denis Fouquereau s’en donnent en effet à cœur joie, tantôt facétieux, prétentieux, un peu triste aussi parfois. Autant de finesse, de diversité et de virtuosité est à saluer, ils sautent d’un personnage à l’autre, changent de costumes et se transforment tour à tour en descendeur, buveur, séducteur, écrivain, psychanalyste… Ils nous embarquent dans des histoires invraisemblables et burlesques, ils se moque de tout et c’est une réussite.

La mise en scène intelligente évite l’ennuie, elle alterne des scènes jouées sur le plateau, des sons et des vidéos. Dès que l’on s’interroge si cela ne devient pas lassant d’entendre à quelques variations près le même texte, la pièce se réinvente et propose quelque chose de nouveau et d’original.
C’est subtil et plein d’humour, les textes sont jouissifs, irrévérencieux et désopilants.
On se laisser surprendre avec plaisir.

Bref on passe une excellente soirée avec ses deux hurluberlus !
17 nov. 2022
9/10
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Un spectacle très drôle aux nombreux rebonds décalés et aux allants ubuesques. Nous retrouvons avec bonheur l’esprit saccageur de l’Oulipo, « Ouvroir de Littérature Potentielle (au début, une dizaine d’écrivains et de mathématiciens réunis en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais, s’inventent des contraintes pour atteindre une fantaisie poétique illimitée) ».

Hervé Le Tellier réunit ici une équipe d’autrices et d’auteurs de combat pour notre plus grand plaisir. Les récits abracadabrantesques qui n’auraient rien à envier d'un surréalisme mélangé à une sauce farce façon roublarde, regorgent de propos piqués et piquants, à côté ou dedans c’est selon, mais qui nous percutent toujours dans le mile.

« Une salle de conférences, joyeux capharnaüm de bric et de broc : deux drôles de zèbres se targuent de mille qualités, tour à tour champion de ski ou psychanalyste, buveur ou « terminateur de spectacle », mais toujours sur le même modèle vingt fois décliné : ’’Mon métier consiste à…’’. Ils alignent avec fierté et ridicule autant d’autoportraits burlesques de « métiers d’homme » et trébuchent depuis le piédestal de leur mégalomanie. »

C’était à prévoir, ce spectacle oulipien se gausse de la normalité. Y compris de celle qu'il confère à son apparence. La duperie récurrente et manifeste ne s'épargne pas elle-même, brouillant les codes de la sémantique. L’abattage se fait féroce, par moments sauvage voire barbare et disons-le tout net, au topissime de l’irrévérence de l'académisme ordinaire… Et que c’est bon !

Le loufoque se glisse tout partout : Dans le décalage entre le dit et le vu ; dans le comique de répétition qui devient un acte de contrition solidaire dont nous nous faisons volontiers complices ; dans le dérapage contrôlé sur le sens des situations ainsi détourées. Délicieusement dérangeants, les propos nous enchantent, les formules ricochent et les mots jonglent avec les images (au sens propre comme au figuré).

L’autodérision règne jusqu’à tâter l’homme dans sa virilité érigée en totem de la masculinité. Le « plus fort » en maths, en gym et en bassesse mégalomaniaque grandiloquente ; le « plus beau » et le « plus performant » bien sûr. De ceux qu’on met sur orbite et qui ne finiront jamais de tourner.

Admirables comédiens, Denis Fouquereau et David Migeot ont tout compris de l’alphabet oulipien. Ils se délectent, et nous avec, de cet univers fantasmagorique et fantastiquement drôle, qu’ils ont conçu et qu’ils interprètent avec excellence. C’est un buffet de délices qu’ils ont concocté et nous offrent là.

Ce spectacle est sans nul doute exemplaire de l’art de l’Oulipo. Les textes sont superbement léchés, jouant avec réussite le jeu démoniaque des contraintes. La conception finement ficelée et la mise en vie attractive et adroite, réalisées par les deux comédiens sont tout simplement remarquables. Plus je dors, plus je mange, plus j’y pense, plus je suis convaincu que ce spectacle est incontournable. Courez-y !