Critiques pour l'événement Avant de s'envoler, Robert Hirsch
Quand le rideau se lève, il est de dos, regardant par une fenêtre, muré dans un mutisme agacé qui le rend sourd aux questions qu’on lui pose. Il est de dos, muet, mais sa main, qui finit par s’agiter, et son dos, nerveusement, se balancer, lèveraient le doute (s’il y en avait un), sur son identité. Quand le rideau se lève, Robert Hirsch est déjà en scène. Reconnaissable entre mille, à cette façon qu’il a de rester impatiemment immobile. Et la salle frémit qui, pardon pour les autres comédiens présents sur le plateau, est venue, avant tout, pour lui.
Pas même deux ans après l’avoir quitté – le temps de grandes vacances – voici donc Robert Hirsch de retour au théâtre. Ça tombe bien. Les planches lui manquaient. Et lui, l’interprète majuscule, manquait à son public. Lui, sa présence, sa diction, son phrasé, ses emportements, sa perspicacité, sa « vis comica », son talent, sa gestuelle (en apparence si désordonnée), les tressaillements de son visage, son intelligence des textes, et son engagement total dans ses rôles.
Le voici revenu, donc, dans une pièce que Florian Zeller a écrite pour lui. C’est la seconde. Avant, il y avait eu « le Père » (le portrait bouleversant d’un père qui perd la mémoire). Aujourd’hui il y a « Avant de s’envoler ». Sous ce titre magnifiquement évocateur, on découvre un texte sur la peur qui étreint un vieil homme face à l’éventualité de se voir « quitté » par sa femme, après cinquante ans d’un amour fusionnel.
Dans cette pièce, il y a un homme au soir de sa vie (Robert Hirsch), son épouse adorée ( Isabelle Sadoyan), leurs deux filles (Anne Loiret et Léa Bréban), une amie de la famille (Claire Nadeau), et un agent immobilier assez menaçant (François Feroleto). Florian Zeller a fait du vieil époux au bord du grand sommeil, le centre de sa pièce. Les autres personnages vont graviter autour de lui, l’écouter exprimer son angoisse de se retrouver seul, si sa femme venait à disparaître avant lui. Que feraient les enfants d’un père dévasté par le chagrin, démuni à cause de son grand âge ?
Les scènes se suivent, sans ordre rationnel. Elles sont parfois obscures. Certaines relèvent peut-être du rêve. On ne sait pas. On s’y perd donc un peu. Mais qu’importe! On se promène, avec émotion, dans ce texte nostalgique et cruel, qui navigue, avec poésie, entre tragédie et cocasserie aussi, car l’auteur Zeller connaît bien le penchant de l’acteur Hirsch pour la douce dinguerie.
A 91 ans, ce dernier semble défier le temps qui passe, le conjurant sans doute par son art, qu’il continue d’exercer au plus haut, de sa manière incomparable. Sur le plateau, il a du répondant. Ses partenaires sont tous parfaits. Notamment Isabelle Sadoyan, illuminée par la tendresse, et Anne Loiret, d’une subtilité toute de douceur et de compassion. C’est Ladislas Chollat, un metteur en scène à la fois très précis et très à l’écoute, qui les a dirigés. A la fin, les spectateurs se lèvent, n’en finissent pas d’applaudir. Robert Hirsch salue. On dirait un enfant facétieux qui vient, encore une fois, de nous jouer un bon tour. (Théâtre de l’Oeuvre - Paris).
Pas même deux ans après l’avoir quitté – le temps de grandes vacances – voici donc Robert Hirsch de retour au théâtre. Ça tombe bien. Les planches lui manquaient. Et lui, l’interprète majuscule, manquait à son public. Lui, sa présence, sa diction, son phrasé, ses emportements, sa perspicacité, sa « vis comica », son talent, sa gestuelle (en apparence si désordonnée), les tressaillements de son visage, son intelligence des textes, et son engagement total dans ses rôles.
Le voici revenu, donc, dans une pièce que Florian Zeller a écrite pour lui. C’est la seconde. Avant, il y avait eu « le Père » (le portrait bouleversant d’un père qui perd la mémoire). Aujourd’hui il y a « Avant de s’envoler ». Sous ce titre magnifiquement évocateur, on découvre un texte sur la peur qui étreint un vieil homme face à l’éventualité de se voir « quitté » par sa femme, après cinquante ans d’un amour fusionnel.
Dans cette pièce, il y a un homme au soir de sa vie (Robert Hirsch), son épouse adorée ( Isabelle Sadoyan), leurs deux filles (Anne Loiret et Léa Bréban), une amie de la famille (Claire Nadeau), et un agent immobilier assez menaçant (François Feroleto). Florian Zeller a fait du vieil époux au bord du grand sommeil, le centre de sa pièce. Les autres personnages vont graviter autour de lui, l’écouter exprimer son angoisse de se retrouver seul, si sa femme venait à disparaître avant lui. Que feraient les enfants d’un père dévasté par le chagrin, démuni à cause de son grand âge ?
Les scènes se suivent, sans ordre rationnel. Elles sont parfois obscures. Certaines relèvent peut-être du rêve. On ne sait pas. On s’y perd donc un peu. Mais qu’importe! On se promène, avec émotion, dans ce texte nostalgique et cruel, qui navigue, avec poésie, entre tragédie et cocasserie aussi, car l’auteur Zeller connaît bien le penchant de l’acteur Hirsch pour la douce dinguerie.
A 91 ans, ce dernier semble défier le temps qui passe, le conjurant sans doute par son art, qu’il continue d’exercer au plus haut, de sa manière incomparable. Sur le plateau, il a du répondant. Ses partenaires sont tous parfaits. Notamment Isabelle Sadoyan, illuminée par la tendresse, et Anne Loiret, d’une subtilité toute de douceur et de compassion. C’est Ladislas Chollat, un metteur en scène à la fois très précis et très à l’écoute, qui les a dirigés. A la fin, les spectateurs se lèvent, n’en finissent pas d’applaudir. Robert Hirsch salue. On dirait un enfant facétieux qui vient, encore une fois, de nous jouer un bon tour. (Théâtre de l’Oeuvre - Paris).
Florian Zeller ou l'invitation à se perdre dans plusieurs trames narratives...
Dépasser la réalité.
Transcender le vrai, le faux.
C'est à nouveau à ce genre de rendez-vous que nous sommes conviés.
Cette fois-ci encore, la recherche de la vérité (et quelle vérité ? ) se fait toute relative.
André et Madeleine, ce vieux couple, nous perdent dans les méandres de tous les possibles.
Quel passé ont ces personnages, dans cette petite maison à la campagne ?
Quel avenir ont-ils ?
Qui est vivant, qui ne l'est pas ?
Leurs enfants, pourquoi donc ont-ils décidé de leur rendre visite ?
Leur maison sera-t-elle vendue, pourquoi le gendre agent immobilier est-il ici ?
André intègrera-t-il la maison de retraite, avec le parc et le lac aux canards ?
La réponse à ces questions nous est bien indifférente, finalement.
Ce qui compte, ce sont les émotions.
Et les émotions, croyez-moi, elles sont là !
Dès le lever du torchon.
Il est là. Sur la scène.
Le jeune homme de 91 ans.
Il nous tourne le dos, en gilet et en pantalon de velours côtelé.
Lui, c'est évidemment Robert Hirsch.
La pièce commence, il n'a pas tout de suite de texte. Il écoute sa partenaire.
Et puis tout à coup, sa voix s'élève.
Cette voix aisément identifiable entre toutes.
Intacte. Envoutante. Puissante. Emouvante.
Tout au long de cette heure et demie, il sera extraordinaire, et le mot est bien faible.
Il est bouleversant, dans son rôle de vieil écrivain acariâtre. (Non, ce n'est pas la suite de « Père » du même Florian Zeller.)
Il est lui. Robert Hirsch.
Le monstre sacré.
Qui n'a rien perdu de son immense talent, et qui m'a une nouvelle fois fasciné.
Mais il ne faudrait pas oublier le reste de la distribution.
Isabelle Sadoyan (Madeleine) est elle aussi formidable.
Elle m'a beaucoup touchée, c'est peut-être elle qui a la partition la plus difficile, dans son rôle d'épouse.
Claire Nadeau, épatante, égale à elle même, campe avec brio et drôlerie cette étrange femme en manteau fuchsia, pour qui tout semble aller de soi.
Les « petits jeunes » sont à l'avenant.
Ils assurent, Anne Loiret, Lena Breban (les deux filles), et François Feroleto (l'agent immobilier, chéri de la cadette.)
La mise en scène de Ladislas Chollat a totalement et efficacement intégré cet apparent manque de logique dans les différentes narrations parallèles.
Il nous balade, aidé en cela par les jolies lumières d'Alban Sauvé.
« Au plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C'est l'oiseau inconnu. Il chante avant de s'envoler. »
Voici le poème de René Char qui a donné son titre là aussi plein d'émotion (et pour cause...) à cette pièce.
Cette pièce-là, très forte, très habile nous déstabilise en permanence.
C'est sa grande force.
Au final, nous aussi, nous nous sommes envolés.
Quelque part.
Ailleurs.
Puis, nous sommes redescendus. Il a bien fallu...
Bouleversés.
Je ne voudrais pas terminer sans évoquer le merveilleux clin d'oeil en forme d'hommage à Robert Hirsch que Zeller a glissé dans son texte.
A un moment, on apporte un beau bouquet.
Dans ce bouquet, le personnage de Robert Hirsch constate qu'il n'y a pas de carte.
Ca ne vous rappelle rien ?
Dépasser la réalité.
Transcender le vrai, le faux.
C'est à nouveau à ce genre de rendez-vous que nous sommes conviés.
Cette fois-ci encore, la recherche de la vérité (et quelle vérité ? ) se fait toute relative.
André et Madeleine, ce vieux couple, nous perdent dans les méandres de tous les possibles.
Quel passé ont ces personnages, dans cette petite maison à la campagne ?
Quel avenir ont-ils ?
Qui est vivant, qui ne l'est pas ?
Leurs enfants, pourquoi donc ont-ils décidé de leur rendre visite ?
Leur maison sera-t-elle vendue, pourquoi le gendre agent immobilier est-il ici ?
André intègrera-t-il la maison de retraite, avec le parc et le lac aux canards ?
La réponse à ces questions nous est bien indifférente, finalement.
Ce qui compte, ce sont les émotions.
Et les émotions, croyez-moi, elles sont là !
Dès le lever du torchon.
Il est là. Sur la scène.
Le jeune homme de 91 ans.
Il nous tourne le dos, en gilet et en pantalon de velours côtelé.
Lui, c'est évidemment Robert Hirsch.
La pièce commence, il n'a pas tout de suite de texte. Il écoute sa partenaire.
Et puis tout à coup, sa voix s'élève.
Cette voix aisément identifiable entre toutes.
Intacte. Envoutante. Puissante. Emouvante.
Tout au long de cette heure et demie, il sera extraordinaire, et le mot est bien faible.
Il est bouleversant, dans son rôle de vieil écrivain acariâtre. (Non, ce n'est pas la suite de « Père » du même Florian Zeller.)
Il est lui. Robert Hirsch.
Le monstre sacré.
Qui n'a rien perdu de son immense talent, et qui m'a une nouvelle fois fasciné.
Mais il ne faudrait pas oublier le reste de la distribution.
Isabelle Sadoyan (Madeleine) est elle aussi formidable.
Elle m'a beaucoup touchée, c'est peut-être elle qui a la partition la plus difficile, dans son rôle d'épouse.
Claire Nadeau, épatante, égale à elle même, campe avec brio et drôlerie cette étrange femme en manteau fuchsia, pour qui tout semble aller de soi.
Les « petits jeunes » sont à l'avenant.
Ils assurent, Anne Loiret, Lena Breban (les deux filles), et François Feroleto (l'agent immobilier, chéri de la cadette.)
La mise en scène de Ladislas Chollat a totalement et efficacement intégré cet apparent manque de logique dans les différentes narrations parallèles.
Il nous balade, aidé en cela par les jolies lumières d'Alban Sauvé.
« Au plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C'est l'oiseau inconnu. Il chante avant de s'envoler. »
Voici le poème de René Char qui a donné son titre là aussi plein d'émotion (et pour cause...) à cette pièce.
Cette pièce-là, très forte, très habile nous déstabilise en permanence.
C'est sa grande force.
Au final, nous aussi, nous nous sommes envolés.
Quelque part.
Ailleurs.
Puis, nous sommes redescendus. Il a bien fallu...
Bouleversés.
Je ne voudrais pas terminer sans évoquer le merveilleux clin d'oeil en forme d'hommage à Robert Hirsch que Zeller a glissé dans son texte.
A un moment, on apporte un beau bouquet.
Dans ce bouquet, le personnage de Robert Hirsch constate qu'il n'y a pas de carte.
Ca ne vous rappelle rien ?
Madeleine et André vivent le bonheur de conjuguer la vie à deux depuis plus de cinquante ans. Un jour survient où un grain de sable porté par un vent mauvais vient se coincer là, au creux de leur vie. Grippant les rouages de leurs habitudes, ébranlant leur quiétude. On ne se passe pas d’un si puissant amour, on s’en prélasse, on s’y délasse, il est indéfectible. Alors malgré la maladie de l’un et le décès de l’autre, ils restent inséparables. Leurs deux filles les soutiennent et les accompagnent dans cette dernière ligne droite qu'ils empruntent tous les deux avant de s’envoler.
Entre rêves et réalité, nous nous laissons porter par des séquences éblouissantes, calmes ou ravageuses, dans un temps qui nous échappe. Nous cheminons parmi les souvenirs familiaux, les réminiscences du bonheur perdu et les confusions liées à la maladie. Le passé et le présent, le désir et la mémoire, la douleur et la joie, tout cela cohabite, se juxtapose, se confronte et se contredit. Mais il reste toujours cette cruelle absence, cet impossible manque.
À nouveau, l’écriture de Floran Zeller nous parle avec précision de l’humain. Il excelle dans la description des sentiments dilués dans les situations et dans les répliques. Il dépeint des personnages crédibles et sait flouter à merveille la réalité qu’ils vivent. La mise en scène de Ladislas Chollat sert le texte avec simplicité, le veloutant presque pour le montrer habilement. Cette histoire d’amour qui ne tarit pas nous cueille dès le début. La tension et l’émotion submergent la pièce. Nous nous sommes laissés prendre.
La pièce a été écrite en pensant à Robert Hirsch pour ce rôle explosant de tendresse et implosant de douleur. Criant de vérité et de justesse, il nous offre-là une nouvelle leçon de théâtre magistrale et mémorable. Il incarne André comme si les frontières entre le personnage et le comédien n’existaient pas. Isabelle Sadoyan est magnifique. Elle nous présente une Madeleine adorable et chaleureuse, nous faisant comprendre qu'on ne puisse qu'aimer une femme comme elle. Elle apporte sa part de délicatesse dans ce couple d’amoureux.
Anne Loiret et Léna Bréban sont remarquables. Entre la dignité meurtrie de l'une et l'effondrement éperdu de l'autre, elles réussissent toutes les deux à nous faire partager la souffrance des deux enfants qui entourent leurs parents, prenant soin d’eux jusqu’au bout. François Feroleto, dans un emploi peu aisé, marche vite et sourit beaucoup. Nous savourons la truculence de Claire Nadeau dont ne sait jamais par quel bout elle va nous entreprendre, nous saisissant à chaque fois.
Un spectacle très bien écrit, débordant d’humanité, dont nous sortons touchés. Un moment très intense.
Entre rêves et réalité, nous nous laissons porter par des séquences éblouissantes, calmes ou ravageuses, dans un temps qui nous échappe. Nous cheminons parmi les souvenirs familiaux, les réminiscences du bonheur perdu et les confusions liées à la maladie. Le passé et le présent, le désir et la mémoire, la douleur et la joie, tout cela cohabite, se juxtapose, se confronte et se contredit. Mais il reste toujours cette cruelle absence, cet impossible manque.
À nouveau, l’écriture de Floran Zeller nous parle avec précision de l’humain. Il excelle dans la description des sentiments dilués dans les situations et dans les répliques. Il dépeint des personnages crédibles et sait flouter à merveille la réalité qu’ils vivent. La mise en scène de Ladislas Chollat sert le texte avec simplicité, le veloutant presque pour le montrer habilement. Cette histoire d’amour qui ne tarit pas nous cueille dès le début. La tension et l’émotion submergent la pièce. Nous nous sommes laissés prendre.
La pièce a été écrite en pensant à Robert Hirsch pour ce rôle explosant de tendresse et implosant de douleur. Criant de vérité et de justesse, il nous offre-là une nouvelle leçon de théâtre magistrale et mémorable. Il incarne André comme si les frontières entre le personnage et le comédien n’existaient pas. Isabelle Sadoyan est magnifique. Elle nous présente une Madeleine adorable et chaleureuse, nous faisant comprendre qu'on ne puisse qu'aimer une femme comme elle. Elle apporte sa part de délicatesse dans ce couple d’amoureux.
Anne Loiret et Léna Bréban sont remarquables. Entre la dignité meurtrie de l'une et l'effondrement éperdu de l'autre, elles réussissent toutes les deux à nous faire partager la souffrance des deux enfants qui entourent leurs parents, prenant soin d’eux jusqu’au bout. François Feroleto, dans un emploi peu aisé, marche vite et sourit beaucoup. Nous savourons la truculence de Claire Nadeau dont ne sait jamais par quel bout elle va nous entreprendre, nous saisissant à chaque fois.
Un spectacle très bien écrit, débordant d’humanité, dont nous sortons touchés. Un moment très intense.
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