Critiques pour l'événement Aglaé
13 déc. 2018
9/10
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Au Rond-Point, nous est donnée la reprise d'un spectacle qui va droit aux putes.

A une seule pute, plus exactement.
Mais quelle Pute ! Avec un P majuscule !
Une Dame, avec un grand A. Le A de Aglaé.

Cette dame de petite vertu, elle existe vraiment. Elle est maintenant âgée de soixante-dix ans, et l'auteur-metteur en scène Jean-Michel Rabeux l'a rencontrée assez récemment pour de vrai, par hasard, à Marseille. Une rencontre fortuite.

Elle travaille toujours, même si elle a fait fortune.
Elle lui a raconté sa vie, avec lucidité, humour, le sens des formules et l'accent parigot. Elle est de Sarcelles.

Ce qu'il a entendu, ce qu'elle lui a révélé et qu'il nous restitue, c'est un témoignage.

Une pute, certes, mais Aglaé est avant tout une femme. Une femme libre, jamais « maquée » (à une exception près...), qui a choisi ce métier, et qui l'assume complètement. Elle a commencé à 12 ans, avec les copains de ses frères qu'elle « branlottait contre cent balles », un franc d'alors.
Elle ne nous cache rien, Aglaé.

Les ficelles du métier, ses motivations, le SM arrivé « grâce » ou « à cause » d'un client qui l'a battue, (elle a découvert qu'elle pouvait aimer ça), les clients trop riches, des salauds, ceux qui sont trop pauvres. Et puis les pratiques « trop », comme elle dit, et j'en passe. Aglaé a tout déballé à l'auteur.

Alors, évidemment, pour jouer un tel rôle, il faut une sacrée comédienne, capable de faire passer à la fois une émotion infinie, un humour vache et souvent noir, très noir. Une comédienne qui soit en permanence sur le fil, en instabilité, une comédienne qui en impose également par ses seuls physique et charisme.

Cette comédienne-là, c'est Claude Degliame.
Ce qu'elle réalise sous nous yeux force l'admiration !

Elle arrive en nuisette à dentelles de soie noire, bas et bottines assortis. Et des lunettes... Comment dire... Elton John adorerait !
Elle arrivera d'ailleurs de là où personne ne l'attend, la disposition de la salle et des sièges étant tout à fait particulière. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes. La mise en scène de l'auteur est fort réussie et pleine d'à-propos.

De sa voix rauque montant parfois dans les aigus pour un effet humoristique, elle va nous dire les mots d'Aglaé.
Elle va nous raconter une vie extra-ordinaire, au sens littéral du terme.
Et de quelle façon ! Devant nous, il n'y a plus de comédienne. Il y a cette héroïne, cette femme étonnante, hors normes.
A tel point qu'un jeune homme recevant de sa part un verre à boire deviendra plus rouge qu'une pivoine. C'est vous dire la justesse et le talent de la comédienne !

Elle sera très proche de nous autres spectateurs. On pourrait la toucher, on respire son capiteux parfum.

Tout au long de l'heure que dure ce seule-en-scène, Melle Degliame sera bouleversante, et ce, dans bien des registres.
Mais que d'émotions elle nous procure ! Comme un leit-motiv, Aglaé nous parle de son fils, un capitaine de gendarmerie (si si...) de façon très drôle et souvent cassante, provocante.

Elle ne l'aime pas son fils, elle trouve qu'il est « con ». Et pourtant elle n'arrêtera pas d'en parler. Durant ces moments, je peux vous dire que je n'en menais pas large, devant la phénoménale prestation de la comédienne.

Elle nous livrera également les profondes réflexions d'Aglaé concernant l'Amour, le métier de prostituée à son compte, la dure et terrible réalité de ses consœurs qui ne le sont pas, à leur compte, qui sont à l'abattage, elles, entre les mains de salopards.

Il y a également une dimension sociologique dans tout ça.

Il y a une vérité.
C'est cette vérité-là qui fait aussi de cette heure un moment de théâtre passionnant et bouleversant.

Claude Degliame sort de scène marquée par son admirable prestation, tellement elle a donné.
Nous autres applaudissons à tout rompre et en rythme.
Bravo ! Vraiment !