Critiques pour l'événement À rendre à M. Morgenstern en cas de demande
3 févr. 2023
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« A rendre à M. Morgenstern en cas de demande » de et mis en scène par Frédéric Moulin sur la scène du Studio Hébertot est une histoire vraie pour ne pas oublier l’effroyable, l’impensable, l’Histoire.

Deux familles sont à l’origine de cette histoire qui retient toute notre attention. Les Morgenstern d’une part et les Moulin d’autre part.

Frédéric Moulin est dans cette aventure non pas à la recherche du temps perdu, mais à la recherche de la vérité. Il s’est penché méthodiquement sur le contenu d’une boîte en carton bouilli, ovale dit-on dans les milieux bien informés, qui a fait couler beaucoup d’encre dans sa famille : quoi de plus normal pour une famille d’imprimeurs.

Il y a des vies qui au détour d’une lettre, d’un message, basculent dans l’inconnu, dans le fantastique ; celle de Frédéric Moulin lorsqu’il exhume les documents, tous authentiques, de cette boîte, prend un virage des plus vertigineux.

Des non-dits d’une famille brisée par un divorce des grands parents de Frédéric Moulin, dont son père avait perdu tout contact avec son père, un père qu’il n’a jamais appelé papa. Un petit-fils qui a grandi sans connaître son grand-père Louis, imprimeur à Lyon pendant la seconde guerre mondiale, choyé par une grand-mère marquée par ce divorce qu’il ne faut pas chagriner, ignorant un passé qu’il vaut mieux laisser là où il se trouve : pourquoi remuer la merde !

Dans cette histoire, Frédéric Moulin en digne enquêteur de police, tant les détails fourmillent dans le récit, a transformé son rôle d’instigateur en celui de Sabine, préférant pour sa part prendre du recul et donner vie à cette histoire en interprétant six rôles satellites qui viendront étoffer l’intrigue, dans des rencontres qui apporteront un peu d’humour, de joie, compensant la folie d’un régime qui encore de nos jours nous glace le sang.

Qui y avait-il dans cette boîte ?
Il aura fallu attendre le décès de la grand-mère pour enfin oser l’ouvrir et examiner son contenu.
Une centaine de papiers personnels de Léopold Morgenstern, réfugié ex-autrichien qui a fui en compagnie de son épouse, de sa fille et de son gendre la barbarie nazie en se réfugiant en Suisse. Une famille juive qui au fil du temps sera bien difficile à localiser, tant ses déplacements sont nombreux, pour permettre à Sabine de restituer à la descendance les documents (livrets de famille, passeports, photos, cartes d’identité, actes de naissance, certificats médicaux, assignations à résidence et autres papiers personnels) conservés précieusement dans la boîte.
Des documents enfermés dans un dossier gris sur lequel le grand-père a apposé une note écrite au crayon à papier : à rendre à M. Morgenstern en cas de demande.

Comment dans ces conditions respecter cette consigne quand on brûle de faire toute la lumière sur un passé cadenassé par des secrets de famille ?
Sabine, fascinée par ce qu’elle découvre, nous embarque dans la folie de son enquête qui la conduira sur les traces des multiples lieux que les Morgenstern ont fréquentés, assemblant avec détermination et minutie les pièces d’un puzzle d’une vie à la recherche de la liberté, dans une évasion rocambolesque, s’affranchissant de l’intolérance, la xénophobie, l’antisémitisme.

Cette pièce est un devoir de mémoire admirablement interprétée par deux comédiens d’exception. Dans un jeu fluide, intense, lumineux, et une mise en scène sobre, tout comme le décor de Caroline Garnier, éclairé par François Robert, qui nous laisse découvrir au fil de vidéos et d’images d’Anna Fuga et Lucas Moulin, la vie de cette famille fuyant un dictateur mégalomane à la démence meurtrière.

Frédéric Moulin et Sabine Moindrot sont bouleversants d’authenticité, notre regard est hypnotisé par la justesse de leur jeu, leur interprétation sans faille qui dans une émotion palpable nous cueille au plus profond de notre être.

Une petite histoire, à l’allure romanesque, qui rejoint celle que nous avons apprise sur les bancs de l’école, loin de toutes controverses stériles.
15 janv. 2023
8/10
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L’acteur et metteur en scène Frédéric Moulin a conçu un spectacle à partir de sa propre expérience. En 2018, il tombe sur une boite remplie de documents appartenant à un certain M. Morgenstern, israélite, datant de la seconde guerre mondiale. Des échanges administratifs, des demandes de permis de séjours, des actes de naissances… les derniers courriers datent de 1942, après, la piste est coupée. Il ne sait pas ce qu’est devenu ce monsieur et sa famille.

Cette pièce (et par conséquent l’histoire réelle) est une véritable aventure, suite de péripétie à la recherche de ce fameux M. Morgenstern. L’objectif de Frédéric Moulin est double, rendre à cette personne, ou plutôt à ses descendants, le dossier contenant ces traces de vie et comprendre la part qu’a joué son propre grand père. Celui-ci, par ailleurs alcoolique à la réputation plutôt mauvaise, imprimeur à Lyon, s’est retrouvé dépositaire de cette boite. Frédéric Moulin cherche à découvrir pourquoi, dans quelles circonstances et surtout s’il a aidé cette personne juive à s’enfuir, elle et pourquoi pas d’autres.

Frédéric Moulin a fait le choix intelligent de donner à un personnage féminin son propre rôle et d’endosser quant à lui toutes les personnes qu’il a rencontrées lors de sa quête. Sabine Moindrot est excellente et donne à la pièce beaucoup de sensibilité et de justesse.

Ce qui fascine et glace à la fois c’est la lecture de ces documents authentiques, si anodins et pourtant historiques, la rigueur et la froideur administrative dans le traitement de ces « étrangers », la persévérance de ce M. Morgenstern à tenter de rester, malgré tout, en règle. Parce que les écrits restent, la découverte et la communication de ce type d’archives sont indispensables. C’est un devoir de mémoire nécessaire. L’aspect très précis et matériel du texte, par exemple la lecture des vêtements laissés par la famille dans une gendarmerie permet de donner un éclairage très concret sur cette période de l’année que les jeunes générations ne doivent pas oublier.

Le soir où j’ai assisté à la pièce le hasard a fait qu’il y avait, à l’issue de la représentation, un « bord plateau » en présence entre autre du descendant de M. Morgenstern que l’auteur a finalement retrouvé il y a juste quelques mois et d’un responsable de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Forcément l’émotion était forte et la valeur historique de la pièce n’en était que plus concrète.