Ses critiques
343 critiques
6/10
Pour parvenir à supporter des pièces denses, ponctuées de tunnels, il faut des interprètes d’exception. Christophe Perton l’a bien compris en mettant en scène Au but, pièce confidentielle de Thomas Bernhard.
Dans l’écrin anxiogène de la petite salle du Poche, Dominique Valadié phagocyte l’espace telle une Méduse vampirique. À rôle-monstre, comédienne-monstre. Deux heures durant, elle soliloque avec majesté, déesse trônant sur son Olympe désabusé.
Au But est une histoire constante de « flux et de reflux ». La métaphore maritime, rappel du séjour annuel dans la petite station morne de Katwijk, évoque le « stream of consciousness ». Il n’y a pas d’action à proprement parler dans cette pièce caustique de Bernhard. Le verbe, le ressassement mémoriel, le souvenir d’une vie de frustration tiennent lieu de fil conducteur. Une mère et sa fille se disputent à propos d’une pièce : un jeune auteur dramatique tient le haut de l’affiche. À tort ou à raison ? La mère se rend compte en sortant du spectacle que le théâtre la dégoûte : elle n’en peut plus de cette « saleté ».
Fascinant monstre
Bernhard n’est pas tendre avec le théâtre : même Shakespeare ne trouve plus grâce à ses yeux. Comment faire théâtre en démolissant le théâtre ? Dominique Valadié cristallise ce paradoxe en funambule acariâtre. Son personnage de mère indigne et blessante s’avère particulièrement travaillé. Une partition idéale pour la bête de scène qu’est cette immense actrice. Sa voix de petite fille, un brin geignarde et caressante renvoie à une tendresse crispante. On rit jaune avec Madame Valadié. Ses petites piques assénées l’air de rien, avec la tranquillité d’une femme sûre d’elle ravissent. Les horreurs qu’elle adresse à sa fille, les évocations de son raté de mari dont le mantra Tout est bien qui finit bien résonne avec une ironie mordante, sont autant de signaux d’une vie ratée et pleine de rancœur. Le spectacle repose entièrement sur ses épaules. Il ne faut y aller que pour elle car avouons-le, le texte de Bernhard s’étire dans une logique de ressassement qui confine à l’ennui, surtout dans la deuxième partie de la pièce.
Difficile de marcher dans les pas de cette grande dame mais Léna Breban n’a pas à rougir de sa performance. Mutique, la jeune femme exprime une palette d’émotions colorées rien qu’avec son visage. Soumise, complexée, humiliée, révoltée : elle papillonne sans cesse avec sa foule d’habits et ses valises. Habile idée de Christophe Perton d’avoir joué sur l’opposition immobilité hiératique de la mère/agitation permanente de la fille. Malgré cette relation compliqué, les deux actrices savent communiquer une forme d’amour qui repose sur un non-dit. En revanche, Yannick Morzelle est plus vert dans son jeu, la faute à son rôle un peu ingrat de jeune auteur fougueux.
La scénographie élégante et géométrique de Christophe Perton et Barbara Creutz évoque un univers feutré et un brin aride. Un bar chic et aseptisé. Tout le contraire de la mère qui n’a pas sa langue dans sa poche mais qui portera jusqu’au bout les marques d’un engagement sincère et passionné.
Dans l’écrin anxiogène de la petite salle du Poche, Dominique Valadié phagocyte l’espace telle une Méduse vampirique. À rôle-monstre, comédienne-monstre. Deux heures durant, elle soliloque avec majesté, déesse trônant sur son Olympe désabusé.
Au But est une histoire constante de « flux et de reflux ». La métaphore maritime, rappel du séjour annuel dans la petite station morne de Katwijk, évoque le « stream of consciousness ». Il n’y a pas d’action à proprement parler dans cette pièce caustique de Bernhard. Le verbe, le ressassement mémoriel, le souvenir d’une vie de frustration tiennent lieu de fil conducteur. Une mère et sa fille se disputent à propos d’une pièce : un jeune auteur dramatique tient le haut de l’affiche. À tort ou à raison ? La mère se rend compte en sortant du spectacle que le théâtre la dégoûte : elle n’en peut plus de cette « saleté ».
Fascinant monstre
Bernhard n’est pas tendre avec le théâtre : même Shakespeare ne trouve plus grâce à ses yeux. Comment faire théâtre en démolissant le théâtre ? Dominique Valadié cristallise ce paradoxe en funambule acariâtre. Son personnage de mère indigne et blessante s’avère particulièrement travaillé. Une partition idéale pour la bête de scène qu’est cette immense actrice. Sa voix de petite fille, un brin geignarde et caressante renvoie à une tendresse crispante. On rit jaune avec Madame Valadié. Ses petites piques assénées l’air de rien, avec la tranquillité d’une femme sûre d’elle ravissent. Les horreurs qu’elle adresse à sa fille, les évocations de son raté de mari dont le mantra Tout est bien qui finit bien résonne avec une ironie mordante, sont autant de signaux d’une vie ratée et pleine de rancœur. Le spectacle repose entièrement sur ses épaules. Il ne faut y aller que pour elle car avouons-le, le texte de Bernhard s’étire dans une logique de ressassement qui confine à l’ennui, surtout dans la deuxième partie de la pièce.
Difficile de marcher dans les pas de cette grande dame mais Léna Breban n’a pas à rougir de sa performance. Mutique, la jeune femme exprime une palette d’émotions colorées rien qu’avec son visage. Soumise, complexée, humiliée, révoltée : elle papillonne sans cesse avec sa foule d’habits et ses valises. Habile idée de Christophe Perton d’avoir joué sur l’opposition immobilité hiératique de la mère/agitation permanente de la fille. Malgré cette relation compliqué, les deux actrices savent communiquer une forme d’amour qui repose sur un non-dit. En revanche, Yannick Morzelle est plus vert dans son jeu, la faute à son rôle un peu ingrat de jeune auteur fougueux.
La scénographie élégante et géométrique de Christophe Perton et Barbara Creutz évoque un univers feutré et un brin aride. Un bar chic et aseptisé. Tout le contraire de la mère qui n’a pas sa langue dans sa poche mais qui portera jusqu’au bout les marques d’un engagement sincère et passionné.
3,5/10
Un même sujet. Deux visions radicalement opposées.
Hasard du calendrier ou miroir consciemment réfléchi, la Comédie-Française a proposé pour cette saison 2016/2017 un diptyque autour de la montée du nazisme. Dégainant le premier, Ivo van Hove glaçait les esprits avec Les Damnés, une tragédie familiale éprouvante. Si sa mise en scène, un brin trop millimétrée, tenait en bride les émotions, il n’en demeurait pas moins qu’on sortait abasourdis de la salle Richelieu. Rien de tout cela avec La Résistible Ascension d’Arturo Ui. Katharina Thalbach, surdéterminée par l’ombre pesante de Brecht, se complaît dans un hommage en bonne et due forme à l’expressionnisme allemand. En ne prenant aucun risque, la metteur en scène ne cherche pas à aller au-delà de la reprise de codes vieillis et dépassés.
Un vent de crise souffle sur Chicago. La Grande Dépression a fait des ravages. Arturo Ui, un petit mafioso sans grande envergure, va prendre du galon en tirant adroitement parti de la situation. Écrite en 1941, la pièce transpose dans une Amérique fantasmée la montée en puissance fulgurante de Hitler.
On comprend qu’à l’époque de sa création, La Résistible Ascension d’Arturo Ui ait naturellement crée des ponts entre la fiction et le réel. Brecht dénonçait le régime nazi sous couvert d’une farce noire grinçante. Soixante-quinze ans après, la même lecture pose problème. Quel est l’intérêt en 2017 de présenter explicitement Ui sous les traits d’un Hitler chaplinesque ? Aucun. Thalbach, emprisonnée par l’héritage de sa mère (actrice dans la troupe du Berliner Ensemble) et de Brecht, ne présente rien de plus qu’un jeu de pantins macabres et bouffons qui reprend à bon compte les tics irritants de la fameuse distanciation de l’oncle Bertolt.
Hommage sans surprise
Le problème, c’est que cette mise à distance outrée désamorce toute tentative possible d’implication de la part du spectateur. Avouons que le canevas alambiqué de la pièce ne suscite guère l’enthousiasme. Idem pour la partition clownesque qui finit par lasser. Dans le genre faciès enfarinés pour Pierrots mabouls, Bob Wilson se montre plus convaincant. Quelques images sauvent la mise : cette imposante toile d’araignée d’abord, qui occupe la majorité de l’espace et qui concrétise l’aliénation mentale de ces populations embrigadées par les discours séduisants d’un bonimenteur. À la verticale ou penchée, cette toile offre d’impressionnants numéros d’acrobatie. Néanmoins, cette agitation perpétuelle peine à faire écran : on a la sensation d’une vacuité tenace qui ne nous quittera pas durant deux heures. Le spectacle a subi le poids des années.
Heureusement que le talent des comédiens du Français est inoxydable : méconaissables, ils s’engouffrent dans la brèche de la pantomime avec délectation. Laurent Stocker est à couper le souffle en despote moustachu et colérique. Ses mimiques et ses explosions complexifient son interprétation : aussi drôle que terrifiant. Jérémy Lopez n’en finit pas de nous surprendre : notre chouchou endosse ici le costume du bras droit de Ui au sourire machiavélique. La souplesse de Thierry Hancisse étonne ; d’une forme olympique. On retiendra également le jeu de Serge Bagdassarian toujours aussi caméléon en mafieux-chanteur. Dommage seulement que Florence Viala soit cantonnée à un rôle de godiche : elle mérite tellement mieux… !
En somme, monter La Résistible Ascension d’Arturo Ui tel que l’a imaginé Katharina Thalbach n’a pas grand sens en 2017. Sans doute en 1941. Mais les temps ont changé, d’autres dictatures ont pris le pas. À force de vouloir se soumettre à une figure tutélaire, sa mise en scène perd en authenticité et consistance. D’autant plus qu’elle souligne très lourdement les échos permanents entre la vie des gangsters et les exactions des nazis. Tout cela se veut bien trop didactique et redondant ; la pièce pêche déjà par excès de bavardage. Sans vouloir chercher à tout prix une modernisation parfois caduque, on attendait un parti pris plus radical et moins convenu. Ce sera pour une prochaine fois.
Hasard du calendrier ou miroir consciemment réfléchi, la Comédie-Française a proposé pour cette saison 2016/2017 un diptyque autour de la montée du nazisme. Dégainant le premier, Ivo van Hove glaçait les esprits avec Les Damnés, une tragédie familiale éprouvante. Si sa mise en scène, un brin trop millimétrée, tenait en bride les émotions, il n’en demeurait pas moins qu’on sortait abasourdis de la salle Richelieu. Rien de tout cela avec La Résistible Ascension d’Arturo Ui. Katharina Thalbach, surdéterminée par l’ombre pesante de Brecht, se complaît dans un hommage en bonne et due forme à l’expressionnisme allemand. En ne prenant aucun risque, la metteur en scène ne cherche pas à aller au-delà de la reprise de codes vieillis et dépassés.
Un vent de crise souffle sur Chicago. La Grande Dépression a fait des ravages. Arturo Ui, un petit mafioso sans grande envergure, va prendre du galon en tirant adroitement parti de la situation. Écrite en 1941, la pièce transpose dans une Amérique fantasmée la montée en puissance fulgurante de Hitler.
On comprend qu’à l’époque de sa création, La Résistible Ascension d’Arturo Ui ait naturellement crée des ponts entre la fiction et le réel. Brecht dénonçait le régime nazi sous couvert d’une farce noire grinçante. Soixante-quinze ans après, la même lecture pose problème. Quel est l’intérêt en 2017 de présenter explicitement Ui sous les traits d’un Hitler chaplinesque ? Aucun. Thalbach, emprisonnée par l’héritage de sa mère (actrice dans la troupe du Berliner Ensemble) et de Brecht, ne présente rien de plus qu’un jeu de pantins macabres et bouffons qui reprend à bon compte les tics irritants de la fameuse distanciation de l’oncle Bertolt.
Hommage sans surprise
Le problème, c’est que cette mise à distance outrée désamorce toute tentative possible d’implication de la part du spectateur. Avouons que le canevas alambiqué de la pièce ne suscite guère l’enthousiasme. Idem pour la partition clownesque qui finit par lasser. Dans le genre faciès enfarinés pour Pierrots mabouls, Bob Wilson se montre plus convaincant. Quelques images sauvent la mise : cette imposante toile d’araignée d’abord, qui occupe la majorité de l’espace et qui concrétise l’aliénation mentale de ces populations embrigadées par les discours séduisants d’un bonimenteur. À la verticale ou penchée, cette toile offre d’impressionnants numéros d’acrobatie. Néanmoins, cette agitation perpétuelle peine à faire écran : on a la sensation d’une vacuité tenace qui ne nous quittera pas durant deux heures. Le spectacle a subi le poids des années.
Heureusement que le talent des comédiens du Français est inoxydable : méconaissables, ils s’engouffrent dans la brèche de la pantomime avec délectation. Laurent Stocker est à couper le souffle en despote moustachu et colérique. Ses mimiques et ses explosions complexifient son interprétation : aussi drôle que terrifiant. Jérémy Lopez n’en finit pas de nous surprendre : notre chouchou endosse ici le costume du bras droit de Ui au sourire machiavélique. La souplesse de Thierry Hancisse étonne ; d’une forme olympique. On retiendra également le jeu de Serge Bagdassarian toujours aussi caméléon en mafieux-chanteur. Dommage seulement que Florence Viala soit cantonnée à un rôle de godiche : elle mérite tellement mieux… !
En somme, monter La Résistible Ascension d’Arturo Ui tel que l’a imaginé Katharina Thalbach n’a pas grand sens en 2017. Sans doute en 1941. Mais les temps ont changé, d’autres dictatures ont pris le pas. À force de vouloir se soumettre à une figure tutélaire, sa mise en scène perd en authenticité et consistance. D’autant plus qu’elle souligne très lourdement les échos permanents entre la vie des gangsters et les exactions des nazis. Tout cela se veut bien trop didactique et redondant ; la pièce pêche déjà par excès de bavardage. Sans vouloir chercher à tout prix une modernisation parfois caduque, on attendait un parti pris plus radical et moins convenu. Ce sera pour une prochaine fois.
7/10
« Un couple = une mort. » Ce sont sur ces mots glaçants que se termine Erich von Stroheim. Reformulons : un couple = 2 + 1 – 1. La pièce déroutante de Christophe Pellet réactualise au Rond-Point la fameuse triangulation du désir théorisée par René Girard. Stanislas Nordey donne vie au sujet, à l’objet et au médiateur en une série de brefs duels-ébats énigmatiques et brutaux. L’occasion d’interroger notre rapport à la jouissance, à la surconsommation, au sexe. Des dialogues cash et vifs pour des histoires d’amour qui se termineront dans la douleur et le renoncement.
Un éphèbe en tenue d’Adam nous accueille, confortablement installé sur un fauteuil. Il semble règner sur le plateau tel le propriétaire des lieux. L’Autre éveille les sens ; les regards convergent vers son corps délicatement sculpté. Des traits virils et affirmés s’opposent à des airs enfantins. Qui est-il ? Restera-t-il nu jusqu’à la fin de la représentation ? La réponse est oui mais loin de là l’idée d’un simple tic à la mode de mise en scène contemporaine. Ici, l’Autre offre continuellement une piqure de rappel : il sera question de corps, d’attirance, de dégoût mais finalement, peu de contacts. Paradoxalement, Erich von Stroheim se révèle une pièce du dire, une analyse de l’interdépendance à l’autre qui régit nos vies. L’incapacité de jouir de l’instant présent pour ne plus considérer le corps que comme le réceptacle de la procréation.
Besoin de rien, envie de toi (ou presque)
L’Autre est rejoint par Elle et L’Un. Elle est une redoutable femme d’affaires, ultra directive et très pressée. Elle aime le sexe rapide, elle prend les initiatives et mène à la baguette les deux mâles dans une relation SM étonnante, noire et tourmentée. L’Un est un acteur porno sur le déclin qui profite de ses dernières années dans le métier pour multiplier les performances. Il se rassure comme il peut mais il sent que son corps se périme. Il a besoin de pilules bleues pour rester dans le coup. Elle, telle une mante religieuse, se partage les deux hommes à l’envi. L’Un et l’Autre entretiennent une liaison. L’Autre est hypnotisé par Elle. Bref, trois personnages pour trois couples.
Les scènes s’enchaînent à la vitesse de l’éclair, tout comme la consommation effrénée de sexe à laquelle se livre le trio. La voix chaude et enveloppante de la Callas sur « Mon coeur s’ouvre à ta voix ». Ce timbre vibrant d’amour contraste avec l’immense décor impersonnel d’Emmanuel Clolus qui évoque furieusement Affabulazione. Un paravent constitué d’un trio de grands murs recèle et dévoile la parade des duos comme un écrin qui s’ouvre pour exhiber les complications des relations amoureuses.
Nordey a réuni une distribution d’habitués qu’il connaît bien et qu’il dirige avec sensibilité. Emmanuelle Béart est impériale en business-woman froide et couillue. Sa présence, très humaine, touche. Elle ne paraît pas jouer, elle est. Victor de Oliveira convainc dans la peau de l’acteur porno désabusé mais encore fougeux. Enfin, Thomas Gonzalez irradie en victime sacrificielle pétrie d’idéal : son retour final au sein d’une nature glaciale, entouré par la chaleur des animaux sauvage, émeut.
Un éphèbe en tenue d’Adam nous accueille, confortablement installé sur un fauteuil. Il semble règner sur le plateau tel le propriétaire des lieux. L’Autre éveille les sens ; les regards convergent vers son corps délicatement sculpté. Des traits virils et affirmés s’opposent à des airs enfantins. Qui est-il ? Restera-t-il nu jusqu’à la fin de la représentation ? La réponse est oui mais loin de là l’idée d’un simple tic à la mode de mise en scène contemporaine. Ici, l’Autre offre continuellement une piqure de rappel : il sera question de corps, d’attirance, de dégoût mais finalement, peu de contacts. Paradoxalement, Erich von Stroheim se révèle une pièce du dire, une analyse de l’interdépendance à l’autre qui régit nos vies. L’incapacité de jouir de l’instant présent pour ne plus considérer le corps que comme le réceptacle de la procréation.
Besoin de rien, envie de toi (ou presque)
L’Autre est rejoint par Elle et L’Un. Elle est une redoutable femme d’affaires, ultra directive et très pressée. Elle aime le sexe rapide, elle prend les initiatives et mène à la baguette les deux mâles dans une relation SM étonnante, noire et tourmentée. L’Un est un acteur porno sur le déclin qui profite de ses dernières années dans le métier pour multiplier les performances. Il se rassure comme il peut mais il sent que son corps se périme. Il a besoin de pilules bleues pour rester dans le coup. Elle, telle une mante religieuse, se partage les deux hommes à l’envi. L’Un et l’Autre entretiennent une liaison. L’Autre est hypnotisé par Elle. Bref, trois personnages pour trois couples.
Les scènes s’enchaînent à la vitesse de l’éclair, tout comme la consommation effrénée de sexe à laquelle se livre le trio. La voix chaude et enveloppante de la Callas sur « Mon coeur s’ouvre à ta voix ». Ce timbre vibrant d’amour contraste avec l’immense décor impersonnel d’Emmanuel Clolus qui évoque furieusement Affabulazione. Un paravent constitué d’un trio de grands murs recèle et dévoile la parade des duos comme un écrin qui s’ouvre pour exhiber les complications des relations amoureuses.
Nordey a réuni une distribution d’habitués qu’il connaît bien et qu’il dirige avec sensibilité. Emmanuelle Béart est impériale en business-woman froide et couillue. Sa présence, très humaine, touche. Elle ne paraît pas jouer, elle est. Victor de Oliveira convainc dans la peau de l’acteur porno désabusé mais encore fougeux. Enfin, Thomas Gonzalez irradie en victime sacrificielle pétrie d’idéal : son retour final au sein d’une nature glaciale, entouré par la chaleur des animaux sauvage, émeut.
8/10
Avec Songes et métamorphoses, Guillaume Vincent orchestre un bal onirique qui interroge les pouvoirs du théâtre. Lieu de tous les possibles et de toutes les transgressions, la scène épanche les envies les plus folles.
Aux Ateliers Berthier, le metteur en scène convoque une jeune troupe dynamique qui déclame son amour du théâtre avec une frénésie candide et ténébreuse de bon aloi. Les figures tutélaires d’Ovide et de Shakespeare se répondent en écho avec plus ou moins d’éclat mais toujours avec cette même énergie communicative.
Hommage aux anciens, le spectacle commence par actualiser plusieurs grandes métamorphoses ovidiennes. Toutes auront en commun l’altérité, le rapport à soi et au monde, la violence des liens humains et la question de la représentation. Premier ravissement avec l’histoire de Narcisse et Écho jouée par des écoliers . Le quatrième mur s’écroule et les bricolages naivement enfantins font mouche. Une girouette en aluminium représente le soleil et la lune, le carquois et les flèches de l’éphèbe sont en plastique… C’est adorable et ingénieux : l’effet truc et astuces souligne aussi et surtout la volonté de valoriser la pratique du théâtre amateur, qui permettra de faire le pont avec la pièce des artisans du Songe d’une nuit d’été.
L’entrée méta-théâtrale évoque le plaisir primitif qu’exerce l’art de la scène sur les gens, cette faculté de s’extirper de son être pour capter l’essence d’un personnage. Ce début alléchant dérive ensuite vers la fonction revendicatrice du théâtre. On retrouve le même professeur un peu dépassé par les événements (lunaire Gérard Watkins) qui enseigne cette fois-ci à des lycéens. Le ton monte : d’un côté le conservatisme prudent, de l’autre la jeunesse bouillonnante en soif d’aventures. Le mythe d’Iphis et Ianté, qui raconte des amours lesbiennes, cristallise les tensions. En imposant une interprétation pleine d’une gouaille libérée et naturelle, Vincent s’amuse à brouiller les pistes à l’envi entre fiction et réel : sommes-nous vraiment face à du théâtre ? Se moque-t-on de nous ? Brillant.
L’histoire incestueuse de Myrrha prend ensuite la relève : la transposition moderne fait penser à une comédie british pince-sans-rire avec ce dialogue surréaliste entre une fille ravagée par le désir, ronchonne et frustrée (épatante Elsa Agnès, impayable quand elle s’empiffre de corn-flakes) et un père embarrassé. En fin analyste des tabous, Ovide décortique les amours sulfuriques d’anti-héros n’ayant d’autre choix que de supplier une transformation, un entre-deux entre Eros et Thanatos, pour survivre.
Les Métamorphoses se concluent par un conte gothique à glacer d’effroi. Le mythe infanticide et anthropophage de Procné parachève en beauté cette première partie du spectacle. Exit la représentation en abyme choupinette du début en carton-pâte et place au film d’horreur gore. On admire les talents d’orfèvre de Vincent qui manipule les genres avec le doigté d’un magicien. Ce goût assumé pour l’hétéroclite insuffle une dynamique à l’ensemble et concourt à créer un sentiment d’étrangeté. Ici, le plateau est plongé dans la pénombre, un dîner se prépare. Procné est devenue une femme de ménage battue et qui a décidé de mettre un terme aux humiliations. La transposition sociale fonctionne à merveille et Émilie Incerti est fabuleuse en diabolique ogresse à la voix rauque et envoûtante. Déjà formidable dans Rendez-vous Gare de l’Est, la comédienne nous emporte dans cette implacable vengeance avec un sens consumé du suspense. Les coups de carabine éclatent, l’hémoglobine gicle… Le mauvais goût des films Z flirte dangereusement avec Hitchcock et le mélange est savoureux.
Féérie noire
Après l’entracte, c’est au tour du grand William de monter sur scène. Pièce baroque par excellence, Le Songe d’une nuit d’été exacerbe la puissance de la magie et des rêves tout en pointant du doigt les ravages de l’amour. Ici, le chant (Britten and cie) occupe une large place et le couple féerique campé par les superbes Candice Bouchet (Obéron) et Estelle Meyer (Titania) entame de saisissants oratorios. Les confettis métalliques pleuvent dans cette obscure forêt.
Vincent a su amplifier la détresse du quatuor amoureux en transformant le comique chassé-croisé sentimental en une terrifiante course-poursuite où l’amour entraîne aux plus sombres folies. Cette sève sexuelle qui ne cesse d’affoler les battements cardiaques des jeunes amants est transposée avec intelligence sous la forme d’une dégradation vestimentaire. Les magnifiques habits nobles sont progressivement déchirés et salis par la boue. Nulle trace de Fragonard ici, les dérèglements des sens s’avèrent crus et sales. On saluera l’emportement engagé et viscéral d’Elsa Agnès, Elsa Guedj (un nom à retenir), Hector Manuel et Makita Samba. On regrettera cependant l’étirement de cet arc de l’histoire qui aurait gagné à être dégraissi. Malus également pour le jeu cabotin de Gérard Watkins dans le rôle de Puck. Ses tics s’avèrent vite agaçants.
En revanche, ne boudons pas notre plaisir concernant le sketch dilué de la pièce des artisans : cette séance d’impro faussement improvisée est absolument phénoménale et l’on rit à gorge déployée. Un alignement de chaises pour des comédiens qui discutent de leur rôle avec plus ou moins de plaisir (Charles-Henri Wolff est irréstible en beauf à demi-chauve dans le rôle de Thisbé et que dire encore une fois d’Émilie Incerti en lionne pas effrayante pour un sou). Il faut tirer notre chapeau à Florence Janas, époustouflante en coach castratrice et barrée. Le méta fonctionne à plein tube et l’on se réjouit de vite repasser à cette partie centrale de l’intrigue. La pièce de Pyrame et Thisbé conclut en un feu d’artifice délirant cette longue épopée de quatre heures.
Guillaume Vincent nous aura donc rappelé à propos à quel point le théâtre offre l’occasion d’une démarche réflexive sur notre capacité à s’approprier les différents rôles de notre vie.
Aux Ateliers Berthier, le metteur en scène convoque une jeune troupe dynamique qui déclame son amour du théâtre avec une frénésie candide et ténébreuse de bon aloi. Les figures tutélaires d’Ovide et de Shakespeare se répondent en écho avec plus ou moins d’éclat mais toujours avec cette même énergie communicative.
Hommage aux anciens, le spectacle commence par actualiser plusieurs grandes métamorphoses ovidiennes. Toutes auront en commun l’altérité, le rapport à soi et au monde, la violence des liens humains et la question de la représentation. Premier ravissement avec l’histoire de Narcisse et Écho jouée par des écoliers . Le quatrième mur s’écroule et les bricolages naivement enfantins font mouche. Une girouette en aluminium représente le soleil et la lune, le carquois et les flèches de l’éphèbe sont en plastique… C’est adorable et ingénieux : l’effet truc et astuces souligne aussi et surtout la volonté de valoriser la pratique du théâtre amateur, qui permettra de faire le pont avec la pièce des artisans du Songe d’une nuit d’été.
L’entrée méta-théâtrale évoque le plaisir primitif qu’exerce l’art de la scène sur les gens, cette faculté de s’extirper de son être pour capter l’essence d’un personnage. Ce début alléchant dérive ensuite vers la fonction revendicatrice du théâtre. On retrouve le même professeur un peu dépassé par les événements (lunaire Gérard Watkins) qui enseigne cette fois-ci à des lycéens. Le ton monte : d’un côté le conservatisme prudent, de l’autre la jeunesse bouillonnante en soif d’aventures. Le mythe d’Iphis et Ianté, qui raconte des amours lesbiennes, cristallise les tensions. En imposant une interprétation pleine d’une gouaille libérée et naturelle, Vincent s’amuse à brouiller les pistes à l’envi entre fiction et réel : sommes-nous vraiment face à du théâtre ? Se moque-t-on de nous ? Brillant.
L’histoire incestueuse de Myrrha prend ensuite la relève : la transposition moderne fait penser à une comédie british pince-sans-rire avec ce dialogue surréaliste entre une fille ravagée par le désir, ronchonne et frustrée (épatante Elsa Agnès, impayable quand elle s’empiffre de corn-flakes) et un père embarrassé. En fin analyste des tabous, Ovide décortique les amours sulfuriques d’anti-héros n’ayant d’autre choix que de supplier une transformation, un entre-deux entre Eros et Thanatos, pour survivre.
Les Métamorphoses se concluent par un conte gothique à glacer d’effroi. Le mythe infanticide et anthropophage de Procné parachève en beauté cette première partie du spectacle. Exit la représentation en abyme choupinette du début en carton-pâte et place au film d’horreur gore. On admire les talents d’orfèvre de Vincent qui manipule les genres avec le doigté d’un magicien. Ce goût assumé pour l’hétéroclite insuffle une dynamique à l’ensemble et concourt à créer un sentiment d’étrangeté. Ici, le plateau est plongé dans la pénombre, un dîner se prépare. Procné est devenue une femme de ménage battue et qui a décidé de mettre un terme aux humiliations. La transposition sociale fonctionne à merveille et Émilie Incerti est fabuleuse en diabolique ogresse à la voix rauque et envoûtante. Déjà formidable dans Rendez-vous Gare de l’Est, la comédienne nous emporte dans cette implacable vengeance avec un sens consumé du suspense. Les coups de carabine éclatent, l’hémoglobine gicle… Le mauvais goût des films Z flirte dangereusement avec Hitchcock et le mélange est savoureux.
Féérie noire
Après l’entracte, c’est au tour du grand William de monter sur scène. Pièce baroque par excellence, Le Songe d’une nuit d’été exacerbe la puissance de la magie et des rêves tout en pointant du doigt les ravages de l’amour. Ici, le chant (Britten and cie) occupe une large place et le couple féerique campé par les superbes Candice Bouchet (Obéron) et Estelle Meyer (Titania) entame de saisissants oratorios. Les confettis métalliques pleuvent dans cette obscure forêt.
Vincent a su amplifier la détresse du quatuor amoureux en transformant le comique chassé-croisé sentimental en une terrifiante course-poursuite où l’amour entraîne aux plus sombres folies. Cette sève sexuelle qui ne cesse d’affoler les battements cardiaques des jeunes amants est transposée avec intelligence sous la forme d’une dégradation vestimentaire. Les magnifiques habits nobles sont progressivement déchirés et salis par la boue. Nulle trace de Fragonard ici, les dérèglements des sens s’avèrent crus et sales. On saluera l’emportement engagé et viscéral d’Elsa Agnès, Elsa Guedj (un nom à retenir), Hector Manuel et Makita Samba. On regrettera cependant l’étirement de cet arc de l’histoire qui aurait gagné à être dégraissi. Malus également pour le jeu cabotin de Gérard Watkins dans le rôle de Puck. Ses tics s’avèrent vite agaçants.
En revanche, ne boudons pas notre plaisir concernant le sketch dilué de la pièce des artisans : cette séance d’impro faussement improvisée est absolument phénoménale et l’on rit à gorge déployée. Un alignement de chaises pour des comédiens qui discutent de leur rôle avec plus ou moins de plaisir (Charles-Henri Wolff est irréstible en beauf à demi-chauve dans le rôle de Thisbé et que dire encore une fois d’Émilie Incerti en lionne pas effrayante pour un sou). Il faut tirer notre chapeau à Florence Janas, époustouflante en coach castratrice et barrée. Le méta fonctionne à plein tube et l’on se réjouit de vite repasser à cette partie centrale de l’intrigue. La pièce de Pyrame et Thisbé conclut en un feu d’artifice délirant cette longue épopée de quatre heures.
Guillaume Vincent nous aura donc rappelé à propos à quel point le théâtre offre l’occasion d’une démarche réflexive sur notre capacité à s’approprier les différents rôles de notre vie.
8,5/10
Les beaux jours recommencent à poindre le bout de leur nez sur la capitale. Un climat en parfaite adéquation avec la serre tropicale imaginée par Stéphane Braunschweig. Le nouveau directeur de l'Odéon inaugure sa première création avec Soudain l'été dernier de l'injustement boudé Tennessee Williams. En refusant de céder aux sirènes tentant d'un psychologisme terrien, le metteur en scène réussit cependant par un coup de baguette magique à offrir une solide densité à ses comédiens, teintée d'un onirisme moite. Luce Mouchel et Marie Rémond trônent au milieu des lianes telles des Amazones meurtries et vindicatives.
Si vous êtes amateur d'intrigue au théâtre, fuyez votre chemin. Soudain l'été dernier, comme la plupart des pièces de Williams, joue sur les réminiscences et les absences. En l'occurrence, celle de Sébastien Venable, un poète incompris brutalement assasssiné dans une station balnéaire populaire d'Espagne. Violette, sa mère surprotectrice, tient à conserver intacte la mémoire de son fils chéri. Pour cela, elle souhaite entendre de vive voix le témoignage de sa nièce Catherine, présente au moment du drame. Violette souhaite clouer le bec aux affabulations éhontées et scandaleuses de Catherine. Qui détient la vérité ? Le Docteur Sugar devra trancher.
Songe touffu
On nage ici constamment en eaux troubles. Comment démêler le vrai du faux ? Qui est la plus folle entre l'énigmatique Catherine et la castratrice Violette ? Braunschweig ne tranche jamais et grand bien lui en a pris. De fait, la complexité de la pièce éclate dans toute sa majesté : au public de se forger son opinion. Par ailleurs, le choix de conserver le mystère évanescent du souvenir de Sébastien en occultant tout recours à la vidéo s'avère judicieux. Nul besoin ici, la force d'évocation s'empare du plateau par la puissance de jeu des comédiens qui lui insuffle une consistance palpable.
Luce Mouchel est impériale en virago diminuée et obstinée. Son air narquois et enflammé de diva étouffante mérite le déplacement. Elle gouverne son petit monde à la baguette tout en découvrant les béances d'un deuil inconsolable. Face à elle, Marie Rémond papillonne sur scène dans sa robe fleurie : dans l'ailleurs et le maintenant, elle fait preuve d'une impétueuse dépossession. Femme-enfant qui se brûle les ailes à force de défendre mordicus sa vérité, elle a tout d'une héroïne tragique dont le destin atteint son acmé au moment où elle se lance dans le terrible récit de la mise à mort de Sébastien. Lors de ce pur moment de bravoure, les spectateurs retiennent leur souffle.
Ces formidables comédiens bénéficient de l'écrin vert émeraude splendide concocté par Braunschweig. Prenant littéralement au pied de la lettre les didascalies initiales, celui-ci déploie dans un décor grandeur nature les moiteurs d'une jungle luxuriante. Troncs d'arbre massifs et feuilles géantes enveloppent les personnages de leur présence paradoxalement très mentale. La scénographie permet donc elle aussi de brouiller les frontières entre ultra réalisme et percée psychique.
Si vous êtes amateur d'intrigue au théâtre, fuyez votre chemin. Soudain l'été dernier, comme la plupart des pièces de Williams, joue sur les réminiscences et les absences. En l'occurrence, celle de Sébastien Venable, un poète incompris brutalement assasssiné dans une station balnéaire populaire d'Espagne. Violette, sa mère surprotectrice, tient à conserver intacte la mémoire de son fils chéri. Pour cela, elle souhaite entendre de vive voix le témoignage de sa nièce Catherine, présente au moment du drame. Violette souhaite clouer le bec aux affabulations éhontées et scandaleuses de Catherine. Qui détient la vérité ? Le Docteur Sugar devra trancher.
Songe touffu
On nage ici constamment en eaux troubles. Comment démêler le vrai du faux ? Qui est la plus folle entre l'énigmatique Catherine et la castratrice Violette ? Braunschweig ne tranche jamais et grand bien lui en a pris. De fait, la complexité de la pièce éclate dans toute sa majesté : au public de se forger son opinion. Par ailleurs, le choix de conserver le mystère évanescent du souvenir de Sébastien en occultant tout recours à la vidéo s'avère judicieux. Nul besoin ici, la force d'évocation s'empare du plateau par la puissance de jeu des comédiens qui lui insuffle une consistance palpable.
Luce Mouchel est impériale en virago diminuée et obstinée. Son air narquois et enflammé de diva étouffante mérite le déplacement. Elle gouverne son petit monde à la baguette tout en découvrant les béances d'un deuil inconsolable. Face à elle, Marie Rémond papillonne sur scène dans sa robe fleurie : dans l'ailleurs et le maintenant, elle fait preuve d'une impétueuse dépossession. Femme-enfant qui se brûle les ailes à force de défendre mordicus sa vérité, elle a tout d'une héroïne tragique dont le destin atteint son acmé au moment où elle se lance dans le terrible récit de la mise à mort de Sébastien. Lors de ce pur moment de bravoure, les spectateurs retiennent leur souffle.
Ces formidables comédiens bénéficient de l'écrin vert émeraude splendide concocté par Braunschweig. Prenant littéralement au pied de la lettre les didascalies initiales, celui-ci déploie dans un décor grandeur nature les moiteurs d'une jungle luxuriante. Troncs d'arbre massifs et feuilles géantes enveloppent les personnages de leur présence paradoxalement très mentale. La scénographie permet donc elle aussi de brouiller les frontières entre ultra réalisme et percée psychique.