Ses critiques
384 critiques
7/10
… Zabou Breitman partage sa passion pour Dorothy Parker dont elle raconte la rocambolesque aventure des pérégrinations de ses cendres avant d’incarner quelques-uns de ses textes. Elle a choisi des nouvelles qui sont de mini-pièces de théâtre très savoureuses. Elle fait tout sur scène, en véritable femme orchestre de la soirée, réglant en direct les lumières, le son et assurant la régie, … elle signe aussi les costumes.
On passe en sa compagnie une douce et savoureuse soirée.
(Spectacle vu au festival d’Avignon 2021).
On passe en sa compagnie une douce et savoureuse soirée.
(Spectacle vu au festival d’Avignon 2021).
9/10
C’est un sujet formidable pour lancer la rentrée. Clément Poirée a choisi de jouer avec les codes de la représentation. Le titre du spectacle, Catch, fait immédiatement référence à ce sport aux codes extrêmement marqués.
Quiconque a assisté à un match, ne serait-ce qu’à la télévision (et il y en avait souvent quand j’étais jeune), connait la dimension théâtrale des combats. Non seulement dans son déroulement, avec un ring qui évoque le podium d’une scène, un maître de cérémonie aux accents de bonimenteur, un arbitre qui a parfois un air de Monsieur Loyal, et surtout des combattants qui sur-jouent des douleurs qu’ils ne ressentent pas nécessairement, et puis des cris, des figures de style qui s’enchaînent selon une mécanique somme toute très théâtrale. Même le nom des héros s’apparente à des noms de scène.
Le metteur en scène a raison de voir dans le catch un endroit de purgation des passions. Il a sollicité 5 auteurs en leur demandant de réinventer les figures pour qu’elles racontent nos conflits intérieurs et ceux qui agitent la société. L’intention du metteur en scène est de nous permettre de lâcher nos peurs comme nos colères face aux injustices ou à l‘incertitude du futur.
Il nous avait promis des entrées spectaculaires, des coups, et du défoulement dans une ambiance qui ait quelque chose à voir avec le monde forain. Le pari était osé. Il est gagné. La meilleure preuve est que, même si nous étions autorisés à quitter notre place à n’importe quel moment pour nous rafraîchir (c’est vrai qu’il faisait chaud dans le théâtre) et revenir comme bon nous semblait, nous sommes restés majoritairement, pour ne pas perdre une miette du spectacle. Nous avions l’entracte pour nous dégourdir les jambes.
Les extérieurs sont ambiancés en forçant juste un peu l’esprit convivial qui caractérise le Théâtre de la Tempête : les transats et les grandes tablées sont restés, la carriole de Mama Fanta est en place, avec son célèbre jus de gingembre. Il aura suffit de dédier une guérite à la restauration rapide et d'ajouter un stand de pop-corns.
L’entrée du spectacle s’effectue depuis la terrasse, derrière un rideau, coté scène, et on découvre une salle entièrement repensée par le scénographie Erwan Creff, avec un vrai ring central, des sofas et des chaises dépareillées, des coussins rouges sur les gradins, encadrés de murals peints.
Il suffit qu'un personnage me scrute derrière son masque de cuir pour que l'illusion soit parfaite et que je me croie au Mexique pour un combat de Lucha Libre.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : nous sommes réellement au théâtre, avec des textes très forts de Emmanuelle Bayamack-Tam (qui a écrit la bataille entre Battery Pork VS Prince Charming, et celle entre Black Indian / L’Enfant-Do / L’Indicible), de Hakim Bah (Saturne VS Melancholia VS Kapitaal & son épouse Misandra), de Koffi Kwahulé (opposant KassNoisette VS Priapico & son Majordome), Sylvain Levey (Misandra & Exotico VS Battery Pork & Stronzo Junior) et Anne Sibran (Le Grand esprit des animaux VS Le Sacrificateur Industriel & son Apprenti).
Chaque auteur a son style et pourtant l'ensemble est cohérent. Il ne s'agit pas d'exprimer une préférence. J'ai aimé tous les "combats" et je salue la performance des comédiens car même s'ils se battent pour de faux, avec la même hémoglobine qu'au cinéma, on se doute que les réceptions au sol ne se font pas sans bleu. Leur énergie est insensée, décuplée peut-être par la frustration d'avoir été privés de jeu pendant les pires mois de la crise sanitaire.
On reconnait Pierre Lefebvre-Adrien (Black Indian, Prince Charming, Le Majordome) que j'avais déjà tant aimé dans Le bizarre incident du chien. Bien entendu d'autres fidèles de La Tempête, Eddie Chignara qui est Exotico, Priapico, Louise Coldefy (Saturne, Anonymous, et surtout la généralissime commentatrice prénommée Sabine), Camille Bernon (Misandra, L’Indicible), Bruno Blairet (Kapitaal, Le Sacrificateur Industriel, MC) et Joseph Fourez (Stronzo Junior, Spider-Man, L’Apprenti, Fabien le commentateur), dont je me souviens les avoir vus tous les deux notamment dans A l'abordage (également écrit par Emmanuelle Bayamack-Tam).
Clément Poirée a aussi fait appel à Thibault Lacroix (Melancholia, Battery Pork), qu'il avait dirigé dans Les énivrés, à Clémence Boissé (L’Enfant-Do, KassNoisette), et à Fanny Sintès (Le Grand esprit des animaux, L’Arbitre, MC) qui m'a impressionnée. Elle a une très solide formation comme comédienne et comme circassienne.
La musique, jouée en direct à la batterie (par Silouane Kohler et Franck Pellé) ponctue les tableaux qui s'enchainent en actionnant une gamme de registres : grave, onirique, burlesque … avec de multiples mises en cause en lien avec des préoccupations très contemporaines comme les violences de toutes sortes, le harcèlement et l'écologie. Avec aussi des hommages dont on saisit au vol des paroles empruntées à Victor Hugo (Demain dès l'aube …) ou Louis Aragon (Il n'aurait fallu …)
Côté jeu, on apprécie des évocations -même lointaines- aux concours d'éloquence, au rap et au slam, la mise en valeur des didascalies et de la ponctuation. Il y a fort à parier que deux soirées ne se ressemblent pas tout à fait et on aurait envie de revenir tant le propos est à la fois divertissant et profond.
Catch ! est un spectacle qui marquera la rentrée 2021 et qui fera date.
Quiconque a assisté à un match, ne serait-ce qu’à la télévision (et il y en avait souvent quand j’étais jeune), connait la dimension théâtrale des combats. Non seulement dans son déroulement, avec un ring qui évoque le podium d’une scène, un maître de cérémonie aux accents de bonimenteur, un arbitre qui a parfois un air de Monsieur Loyal, et surtout des combattants qui sur-jouent des douleurs qu’ils ne ressentent pas nécessairement, et puis des cris, des figures de style qui s’enchaînent selon une mécanique somme toute très théâtrale. Même le nom des héros s’apparente à des noms de scène.
Le metteur en scène a raison de voir dans le catch un endroit de purgation des passions. Il a sollicité 5 auteurs en leur demandant de réinventer les figures pour qu’elles racontent nos conflits intérieurs et ceux qui agitent la société. L’intention du metteur en scène est de nous permettre de lâcher nos peurs comme nos colères face aux injustices ou à l‘incertitude du futur.
Il nous avait promis des entrées spectaculaires, des coups, et du défoulement dans une ambiance qui ait quelque chose à voir avec le monde forain. Le pari était osé. Il est gagné. La meilleure preuve est que, même si nous étions autorisés à quitter notre place à n’importe quel moment pour nous rafraîchir (c’est vrai qu’il faisait chaud dans le théâtre) et revenir comme bon nous semblait, nous sommes restés majoritairement, pour ne pas perdre une miette du spectacle. Nous avions l’entracte pour nous dégourdir les jambes.
Les extérieurs sont ambiancés en forçant juste un peu l’esprit convivial qui caractérise le Théâtre de la Tempête : les transats et les grandes tablées sont restés, la carriole de Mama Fanta est en place, avec son célèbre jus de gingembre. Il aura suffit de dédier une guérite à la restauration rapide et d'ajouter un stand de pop-corns.
L’entrée du spectacle s’effectue depuis la terrasse, derrière un rideau, coté scène, et on découvre une salle entièrement repensée par le scénographie Erwan Creff, avec un vrai ring central, des sofas et des chaises dépareillées, des coussins rouges sur les gradins, encadrés de murals peints.
Il suffit qu'un personnage me scrute derrière son masque de cuir pour que l'illusion soit parfaite et que je me croie au Mexique pour un combat de Lucha Libre.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : nous sommes réellement au théâtre, avec des textes très forts de Emmanuelle Bayamack-Tam (qui a écrit la bataille entre Battery Pork VS Prince Charming, et celle entre Black Indian / L’Enfant-Do / L’Indicible), de Hakim Bah (Saturne VS Melancholia VS Kapitaal & son épouse Misandra), de Koffi Kwahulé (opposant KassNoisette VS Priapico & son Majordome), Sylvain Levey (Misandra & Exotico VS Battery Pork & Stronzo Junior) et Anne Sibran (Le Grand esprit des animaux VS Le Sacrificateur Industriel & son Apprenti).
Chaque auteur a son style et pourtant l'ensemble est cohérent. Il ne s'agit pas d'exprimer une préférence. J'ai aimé tous les "combats" et je salue la performance des comédiens car même s'ils se battent pour de faux, avec la même hémoglobine qu'au cinéma, on se doute que les réceptions au sol ne se font pas sans bleu. Leur énergie est insensée, décuplée peut-être par la frustration d'avoir été privés de jeu pendant les pires mois de la crise sanitaire.
On reconnait Pierre Lefebvre-Adrien (Black Indian, Prince Charming, Le Majordome) que j'avais déjà tant aimé dans Le bizarre incident du chien. Bien entendu d'autres fidèles de La Tempête, Eddie Chignara qui est Exotico, Priapico, Louise Coldefy (Saturne, Anonymous, et surtout la généralissime commentatrice prénommée Sabine), Camille Bernon (Misandra, L’Indicible), Bruno Blairet (Kapitaal, Le Sacrificateur Industriel, MC) et Joseph Fourez (Stronzo Junior, Spider-Man, L’Apprenti, Fabien le commentateur), dont je me souviens les avoir vus tous les deux notamment dans A l'abordage (également écrit par Emmanuelle Bayamack-Tam).
Clément Poirée a aussi fait appel à Thibault Lacroix (Melancholia, Battery Pork), qu'il avait dirigé dans Les énivrés, à Clémence Boissé (L’Enfant-Do, KassNoisette), et à Fanny Sintès (Le Grand esprit des animaux, L’Arbitre, MC) qui m'a impressionnée. Elle a une très solide formation comme comédienne et comme circassienne.
La musique, jouée en direct à la batterie (par Silouane Kohler et Franck Pellé) ponctue les tableaux qui s'enchainent en actionnant une gamme de registres : grave, onirique, burlesque … avec de multiples mises en cause en lien avec des préoccupations très contemporaines comme les violences de toutes sortes, le harcèlement et l'écologie. Avec aussi des hommages dont on saisit au vol des paroles empruntées à Victor Hugo (Demain dès l'aube …) ou Louis Aragon (Il n'aurait fallu …)
Côté jeu, on apprécie des évocations -même lointaines- aux concours d'éloquence, au rap et au slam, la mise en valeur des didascalies et de la ponctuation. Il y a fort à parier que deux soirées ne se ressemblent pas tout à fait et on aurait envie de revenir tant le propos est à la fois divertissant et profond.
Catch ! est un spectacle qui marquera la rentrée 2021 et qui fera date.
10/10
Suite aux diverses programmations puis suspensions, je n'avais pas vu Elémentaire, qui était pourtant un spectacle qui avait retenu mon attention. Je suis heureuse d'avoir pu obtenir une place puis un siège (la gestion des places est très compliquée quand il faut laisser un siège libre entre les spectateurs solo ou en groupe).
On va commencer par un peu d’origami, annonce Sébastien Bravard alors que la salle est encore entièrement éclairée, si bien qu'on ne sait pas si le spectacle est commencé ou s'il nous impose un exercice préliminaire.
Tout le monde sait faire ajoute-t-il d'un ton rassurant. Le voilà qui se lance dans un pliage complexe. A la fin ça donnait quelque chose de joli, un marque-place avec son prénom écrit dessus. C'est ainsi qu'il avait démarré sa première journée d'enseignement avec 27 élèves de CM1.
Sébastien est comédien, depuis longtemps. Mais un jour, après la vague d'attentats qui avait secoué notre pays, il s'est senti comme appelé par le désir presque puéril de vouloir être utile, de donner le goût de la curiosité, d’ouvrir des possibles. Ce fut le point de départ de sa seconde vocation, celle d'enseignant, qu'il partage avec le public au travers de ce spectacle qui est une sorte de "retour d'expérience".
Je le comprends. J'ai moi aussi cru qu'après avoir exercé plusieurs métiers, j'aurais la capacité d'allumer quelques étincelles là où ceux qui étaient passés de l'école (en tant qu'élèves) à l'école (en tant que profs) ne parvenaient plus à décoincer l'ascenseur social. Je supposais qu'avoir subi la réalité m'avait rendue meilleure. Aucune expérience n'est semblable à une autre et je ne vais pas comparer la mienne à la sienne.
Il a choisi de vivre au grand jour ses deux métiers en les faisant cohabiter. J'avais préféré étanchéiser ma double vie. Enseignante le jour, j'étais une autre le soir. Un mur me permettait de faire l'un et l'autre du mieux que je pouvais, en ne souffrant pas. Parce que l'Education nationale, au lieu d'être l'espace d'épanouissement où je pensais que je ferais les miracles pour lesquels on m'avait engagée, s'était vite révélée un carcan de maltraitance institutionnelle d'une violence qui s'exerçait envers tout le monde et sans logique. Je me suis interdit de traiter des questions ayant un lien avec mon métier sur le blog et je m'y suis tenue. J'ai quitté ce ministère et ma liberté de parole est entière. Je ne sais pas si je manque à l'Education nationale, mais l'Education nationale ne me manque pas. Pourtant, je suis toujours autant passionnée par la transmission et la pédagogie, mais rassurez-vous je ne vais pas vous poser ma question fétiche : savez-vous quelle est la différence entre chiffre et nombre ? Je vous perdrais …
J'ai beaucoup aimé Elémentaire parce que Sébastien Bravard y parle de théâtre. Certes, il n'occulte pas les soucis, les dilemmes et les aberrations du système, mais il revient sans cesse à ce qui est essentiel pour l'artiste qu'il demeure, et c'est ce qui est formidable. Il ne cherche pas à être critique. Il ne revendique rien de particulier. Il s'étonne.Il interroge.Il partage. Il comprend, dans le sens premier du verbe, à savoir "prendre avec".
Sans comparer, je ne peux pas refouler les souvenirs qui ont surgi. Je vous les glisse entre des parenthèses et vous constaterez qu'il y a des parallèles entre les parcours, le sien en Élémentaire, le mien en Maternelle. C'est logique, parfois troublant.
Sébastien Bravard a donc décidé de préparer le concours de professeur des écoles alors qu'il jouait le soir au festival d'Avignon. Dans la journée, il lisait Philippe Mérieux (il a élevé l'éducation au rang de science et s'est fait l'apôtre du plaisir d'apprendre et d'enseigner). Il réfléchit à une des grandes interrogations incontournables dans le milieu : c'est quoi l'autorité ?
Arrive son premier jour de classe qu'il vit comme un grand saut dans le vide (curieusement c'est un des rares métiers où la formation ne prépare pas à ce à quoi on sera confronté). Sa bonne volonté se heurte à un mur de sigles DESDEN, ZEP, REP +, APC, AVS, ZIL, PPRE, SVT… (les six premiers mois je devinais de quoi il était question sans pouvoir parler le même langage que les formateurs de l'ESPE).
Il mime le maitre-formateur et nous explique le principe de la dictée en quatre temps. Il découvre la temporalité d'une journée de classe. En fin d’après-midi tout est trop long, trop compliqué. Le moindre exercice est une montagne. Il se rend compte de l'immensité des lacunes de ses élèves. (1, 2, 3 nous irons aux bois, 4,5,6, cueillir des cerises 7,8,9 dans mon panier neuf. Je m'arrête en remarquant que les enfants ânonnent la chanson. Un bois, c'est quoi un bois ? Haussements d'épaules. Des cerises, c'est quoi des cerises ? Même réaction. Un panier neuf, c'est quoi un panier ? Aucun ne savait. En dehors des pommes et des bananes, ils n'avaient jamais mangé d'autres fruits. Et tout à l'avenant. Ils avaient appris les comptines phonétiquement sans les comprendre).
Erwan Creff a retenu du mobilier familier comme la chaise de hêtre, bordée de barres jaune vif. Il a adapté le banc traditionnel et le pupitre. La scénographie évoque un tangram, précieux outil pour démontrer que deux figures géométriques peuvent avoir la même aire. Je parie que, dit comme çà, beaucoup d’élèves auront entendu "l’air semblable". On pourrait tenir toute une soirée avec les méprises engendrées par les homonymes (Cendrillon surgit dans mes pensées enfilant sa pantoufle de vair).
C’est un métier où on peut vite se faire manger. Tu as intérêt à resserrer la vis. Vidé, je suis vidé, confie Sébastien sur des petites notes martelées par un xylophone. (Les dix premiers jours suivant chaque rentrée scolaire j’avais l’impression d’avoir été battue, qu’on m’avait cassé les os tous les dix centimètres; j'avais des courbatures qu’aucun sport ne m’avait jamais infligé. Combien de jeunes collègues ai-je rassuré de vivre la même chose !).
Trois mois avant de sortir la tête de l’eau (Au moment où le dernier élève quitte la classe, sensation d’avoir tourné toute la journée dans une machine à laver, programme essorage maximum). Il évoque les fiches de prep (de préparation de chaque séance, laquelle s’insère dans une séquence, où l’enseignant a le devoir d’avoir tout prévu, comme si un comédien d’une ligue d’improvisation devait envisager avant de monter sur le ring absolument chaque réplique possible de chacun de ses partenaires, alors que bien entendu les choses ne se passeront pas du tout comme on l’a imaginé).
Sébastien se tient de trois quarts. La direction d’acteur de Clément Poirée est astucieuse, allégeant ainsi le public d’occuper la position d’apprenant (on ne doit plus dire élève).
Aucune erreur ou faute dans ce spectacle qui est (c’est mon fils alors en CM1 qui m’apprit la différence entre les deux concepts. L’erreur c’est quand je me rends compte tout seul, la faute c’est quand c’est la maîtresse qui me dit que je me suis trompé).
Il raconte, un peu, la vie de classe. Sa première séance d’E.P.S. des jeux collectifs qu’innocemment il organise dans la cour de récréation. Il apprend le secret de la réussite pour le maître : tout va être dans l’organisation. Il fait asseoir les enfants pour leur expliquer les règles (assis on bouge moins). Ses phrases sont pronominales : Faire avec les montagnes russes, le surgissement inattendu d’un instant magique. Faire un pas vers tous (la fameuse différenciation pédagogique). Avancer à tâtons.
Les lumières descendent, marquant une transition. Ce sont mes premiers pas dans cet autre monde. Tout est nouveau. Les surprises sont quotidiennes. On devine que les découvertes sont aussi surprenantes du coté des élèves que des profs. Le comédien n’a pas encore prononcé le mot "bienveillance" mais c’est ce qui se dégage du ton de sa voix et de son attitude corporelle.
Il nous embarque dans la salle des maîtres. L’endroit de toutes les réunions et qui a conservé ce nom absurde alors que le corps des instituteurs a disparu, 200 ans après leur création, le 12 décembre 1792. Les instits sont devenus des profs (pour soit-disant revaloriser leur fonction et leurs émoluments). Mais rien n'a changé, au contraire. Le gouffre s’est creusé entre le professeur des écoles et le professeur de lycée. Sébastien ose une blagounette qui circule entre collègues : La différence entre un pédagogue et un pédophile ? Il y en a un qui aime les enfants.
Les parents croient les annonces gouvernementales mais il faut plusieurs décennies avant que l’ordre donné d’en haut soit applicable en bas. Le tableau numérique, c’est l’arlésienne de l’enseignement. On continue de tout écrire à la craie sur des panneaux qui grincent, ou au feutre sur de grandes feuilles de papier qu'on scotche sur les murs. En le regardant tracer quelques lettres, je constate que Sébastien est gaucher, si bien que son dos ne cache pas ce qu’il écrit, et qui est lisible en temps réel. On ne le sait pas mais c’est un atout majeur pour capter l’attention.
Le comédien recentre le propos en nous ramenant au théâtre. Il avait confié son intention à Philippe Adrien avec qui il répétait Le bizarre incident du chien pendant la nuit. Nous étions à l'été 2015. J'écrivais à propos de son jeu : Plusieurs scènes atteignent des sommets. On se souviendra longtemps de l'interprétation du père (Sébastien Bravard), avec des trémolos discrets dans la voix. Le metteur en scène s'était étonné : D’habitude c’est l’inverse, l’enseignant qui veut devenir comédien, faut que tu m’expliques un peu. Il l'encourage : Faut que tu écrives sur tout ça.
Retour en classe. On le voit tourner en rond. C'est presque une danse d'échauffement qu'un chorégraphe lui aurait suggéré. On parle tout le temps d'équipe enseignante mais tu es seul pour trouver le chemin, inventer une façon de faire à 28 (oui, toujours seul adulte en classe, sans regard extérieur pour renvoyer quelque chose, alors que c'est l'inverse au théâtre).
Les collègues lui conseillent de travailler les inférences à l'ardoise. Etablir des liens logiques, bien sûr, mais comment quand les enfants n'ont pas accès à l'implicite et au second degré ? Junior, tu peux donner la règle ? Le gamin hésite et finit par tendre son double-décimètre. (Je pense à cette petite fille à qui j'avais demandé ce qu'elle avait appris à l'école et qui me répond mais non maîtresse je n’ai rien pris).
Quand il fait lire la classe il adopte un réflexe de comédien. On lit plateau nu, avec rien d'autre que le texte sur les tables. Il constate que le fameux pouvoir magique des livres existe bel et bien (Essayez avec Max et les maximonstres de Maurice Sendak face à un enfant en pleine crise de nerfs. Ça marche à tous les coups).
Ce sera L’ogrelet (de Suzanne Lebeau, collection Théâtrales Jeunesse, 2003), L'histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler (de Luis Sepúlveda, éditions Métaillé en collaboration avec Seuil Jeunesse, 1996), La Sorcière, de Marie NDiaye, (éditions de Minuit, encore en 1996). Ces deux derniers textes viennent de sortir. Nous sommes en effet cette année là puisqu'il fait allusion à Armel Le Cléac'h qui continue de faire la course en tête dans le Vendée Globe. Et plus tard, à l’élection de Donald Trump (en novembre 2016 alors que ma première année d’enseignement fut celle du 11 septembre).
Une petite fille dont la maman est sénégalaise le reprendra sur la prononciation du nom de l'auteure de La Sorcière. (Il n'empêche que Marie N'Diaye est née le 4 juin 1967 à Pithiviers dans le Loiret mais le corporatisme est un levier). L'idée de faire enregistrer les voix des enfants est excellente. Mais toutes les astuces ne fonctionnent pas aussi bien. Comme le recours à "Simon says" pour réviser (ou viser) le lexique anglais (même l'équivalent français Jacadi peut être complexe).
L'année scolaire ne suit pas l'année civile (j'ai conservé l'habitude de n'utiliser que le petit agenda bleu de l'Ecole des loisirs parce qu'il va de septembre à septembre, comme la saison théâtrale). Arrive le 16 décembre. Premiers cadeaux de mes premiers élèves. Il retourne un pingouin boule à neige. J’adore, dit-il (J'avais oublié ces moments émouvants où certains enfants nous offrent des cadeaux parfois surréalistes que l'on conserve comme des trophées).
On repart en activité sportive, direction la piscine, l'endroit le plus drôle et de tous les contraires. Une gamine n'a pas de maillot de bains et Sébastien mesure l'ampleur de la fonction de l’école comme lieu de partage quand les vies familiales ne prennent pas le temps (Tu sais maîtresse, ce midi le frigo il était tout plein vide. Ou ces parents dépassés qui se plaignent auprès de moi : Je mets les enfants à l’école, faut bien que je m’en débarrasse).
Après février le pot aux roses est découvert : Maître, en fait vous êtes connu ! Les gamins lisent mal mais ils pianotent sur Internet pour chercher des informations sur les enseignants (presque tous les parents le font, d'où mes efforts de discrétion, inutile d'attiser les jalousies).
Il songe à Agamemnon qui se voit en vainqueur avant son assassinat. L’ Orestie d'Eschyle est une bonne référence. De nombreuses comparaisons peuvent être faites entre la classe et la scène. L'enseignant doit avoir des qualités de comédien s'il veut captiver son public. Il est seul metteur en scène de sa propre prestation.
Le noir se fait sur scène alors qu'il nous prévient avoir retrouvé le sens du mot bienveillance, laquelle n’empêche pas l’exigence (combien de fois ai-je entendu : soyez compréhensive mais ferme, favorisez l’esprit critique sans vous laisser déborder, poussez à la coopération). J'ai l'air d'en sourire mais il est vrai que c'est le levier qui permet de soulever toutes les difficultés.
Seul s’envole celui qui ose le faire, comme l'écrivait Luis Sepulvéda. Nous voilà revenu à la première journée de classe, quand il avait le sentiment de devoir s'élancer en parapente, sans voile derrière lui. La neige tombe, et peu importe que nous soyons en juin. Elle est métaphorique des miracles qui peuvent avoir lieu en classe, quand par exemple un enfant accède au second degré et que ses yeux pétillent. Cc'est aussi une référence au petit pingouin porte chance.
Il a reçu une nouvelle affectation, pour l'école élémentaire Jean Vilar. Il y voit une coïncidence inouïe. Je sais la détresse des enfants qui se sont attachés à leur enseignant, qui ont accepté de lâcher prise et qui ont commencé à s'avancer sur la route chaotique des apprentissages fondamentaux. Le changement d'interlocuteur peut les dévaster. Il quittera l'école après avoir sacrifié au rituel des "je me souviendrai toujours …" et donne en exemple Raphaël qui l'appela maman (c'est si fréquent, mais plus banal pour une femme).
A l'Education nationale, jouer correctement sa partition ne garantit pas d'être distribué la saison prochaine dans le même "théâtre". On est muté. Tout se joue à l'ancienneté.
Le public est touché. les rappels sont nombreux et enthousiastes. Sébastien pourra poursuivre les deux carrières. Il a le beau rôle.
Une rencontre était programmée ce dimanche après la représentation. Clément Poirée a souligné combien il ne voulait pas perdre le regard de novice de Sébastien. On ne voit pas qu'il a derrière lui quatre années d'expérience. il était essentiel - et c'est réussi- de rester dans un Y compris sur la table fameuse chaise bordée de jaune banc revu et corrigé et surtout pas un théâtre témoignage.
Sébastien Bravard reconnait avoir pris du plaisir à cet exercice. Il ne sait pas s'il se lancera dans une autre écriture théâtrale (ce que l'on souhaite vivement). En tout cas sa motivation première d'aller voir de l'intérieur cette "école de la République" par laquelle tout le monde passe, y compris les terroristes à l'origine des attentats des dernières années, n'est (hélas) pas caduque. S'il se sent en déconnexion avec la réalité lorsqu'il est en tournée, ce qui est fréquent pour un comédien, il ne fait pas de doute que l'univers-classe (formule consacrée) a le pouvoir de vite faire redescendre sur terre.
Merci à toute l'équipe de donner vie dans un théâtre à une histoire qui n’est pas extraordinaire mais qui raconte un moment de vie extraordinaire.
On va commencer par un peu d’origami, annonce Sébastien Bravard alors que la salle est encore entièrement éclairée, si bien qu'on ne sait pas si le spectacle est commencé ou s'il nous impose un exercice préliminaire.
Tout le monde sait faire ajoute-t-il d'un ton rassurant. Le voilà qui se lance dans un pliage complexe. A la fin ça donnait quelque chose de joli, un marque-place avec son prénom écrit dessus. C'est ainsi qu'il avait démarré sa première journée d'enseignement avec 27 élèves de CM1.
Sébastien est comédien, depuis longtemps. Mais un jour, après la vague d'attentats qui avait secoué notre pays, il s'est senti comme appelé par le désir presque puéril de vouloir être utile, de donner le goût de la curiosité, d’ouvrir des possibles. Ce fut le point de départ de sa seconde vocation, celle d'enseignant, qu'il partage avec le public au travers de ce spectacle qui est une sorte de "retour d'expérience".
Je le comprends. J'ai moi aussi cru qu'après avoir exercé plusieurs métiers, j'aurais la capacité d'allumer quelques étincelles là où ceux qui étaient passés de l'école (en tant qu'élèves) à l'école (en tant que profs) ne parvenaient plus à décoincer l'ascenseur social. Je supposais qu'avoir subi la réalité m'avait rendue meilleure. Aucune expérience n'est semblable à une autre et je ne vais pas comparer la mienne à la sienne.
Il a choisi de vivre au grand jour ses deux métiers en les faisant cohabiter. J'avais préféré étanchéiser ma double vie. Enseignante le jour, j'étais une autre le soir. Un mur me permettait de faire l'un et l'autre du mieux que je pouvais, en ne souffrant pas. Parce que l'Education nationale, au lieu d'être l'espace d'épanouissement où je pensais que je ferais les miracles pour lesquels on m'avait engagée, s'était vite révélée un carcan de maltraitance institutionnelle d'une violence qui s'exerçait envers tout le monde et sans logique. Je me suis interdit de traiter des questions ayant un lien avec mon métier sur le blog et je m'y suis tenue. J'ai quitté ce ministère et ma liberté de parole est entière. Je ne sais pas si je manque à l'Education nationale, mais l'Education nationale ne me manque pas. Pourtant, je suis toujours autant passionnée par la transmission et la pédagogie, mais rassurez-vous je ne vais pas vous poser ma question fétiche : savez-vous quelle est la différence entre chiffre et nombre ? Je vous perdrais …
J'ai beaucoup aimé Elémentaire parce que Sébastien Bravard y parle de théâtre. Certes, il n'occulte pas les soucis, les dilemmes et les aberrations du système, mais il revient sans cesse à ce qui est essentiel pour l'artiste qu'il demeure, et c'est ce qui est formidable. Il ne cherche pas à être critique. Il ne revendique rien de particulier. Il s'étonne.Il interroge.Il partage. Il comprend, dans le sens premier du verbe, à savoir "prendre avec".
Sans comparer, je ne peux pas refouler les souvenirs qui ont surgi. Je vous les glisse entre des parenthèses et vous constaterez qu'il y a des parallèles entre les parcours, le sien en Élémentaire, le mien en Maternelle. C'est logique, parfois troublant.
Sébastien Bravard a donc décidé de préparer le concours de professeur des écoles alors qu'il jouait le soir au festival d'Avignon. Dans la journée, il lisait Philippe Mérieux (il a élevé l'éducation au rang de science et s'est fait l'apôtre du plaisir d'apprendre et d'enseigner). Il réfléchit à une des grandes interrogations incontournables dans le milieu : c'est quoi l'autorité ?
Arrive son premier jour de classe qu'il vit comme un grand saut dans le vide (curieusement c'est un des rares métiers où la formation ne prépare pas à ce à quoi on sera confronté). Sa bonne volonté se heurte à un mur de sigles DESDEN, ZEP, REP +, APC, AVS, ZIL, PPRE, SVT… (les six premiers mois je devinais de quoi il était question sans pouvoir parler le même langage que les formateurs de l'ESPE).
Il mime le maitre-formateur et nous explique le principe de la dictée en quatre temps. Il découvre la temporalité d'une journée de classe. En fin d’après-midi tout est trop long, trop compliqué. Le moindre exercice est une montagne. Il se rend compte de l'immensité des lacunes de ses élèves. (1, 2, 3 nous irons aux bois, 4,5,6, cueillir des cerises 7,8,9 dans mon panier neuf. Je m'arrête en remarquant que les enfants ânonnent la chanson. Un bois, c'est quoi un bois ? Haussements d'épaules. Des cerises, c'est quoi des cerises ? Même réaction. Un panier neuf, c'est quoi un panier ? Aucun ne savait. En dehors des pommes et des bananes, ils n'avaient jamais mangé d'autres fruits. Et tout à l'avenant. Ils avaient appris les comptines phonétiquement sans les comprendre).
Erwan Creff a retenu du mobilier familier comme la chaise de hêtre, bordée de barres jaune vif. Il a adapté le banc traditionnel et le pupitre. La scénographie évoque un tangram, précieux outil pour démontrer que deux figures géométriques peuvent avoir la même aire. Je parie que, dit comme çà, beaucoup d’élèves auront entendu "l’air semblable". On pourrait tenir toute une soirée avec les méprises engendrées par les homonymes (Cendrillon surgit dans mes pensées enfilant sa pantoufle de vair).
C’est un métier où on peut vite se faire manger. Tu as intérêt à resserrer la vis. Vidé, je suis vidé, confie Sébastien sur des petites notes martelées par un xylophone. (Les dix premiers jours suivant chaque rentrée scolaire j’avais l’impression d’avoir été battue, qu’on m’avait cassé les os tous les dix centimètres; j'avais des courbatures qu’aucun sport ne m’avait jamais infligé. Combien de jeunes collègues ai-je rassuré de vivre la même chose !).
Trois mois avant de sortir la tête de l’eau (Au moment où le dernier élève quitte la classe, sensation d’avoir tourné toute la journée dans une machine à laver, programme essorage maximum). Il évoque les fiches de prep (de préparation de chaque séance, laquelle s’insère dans une séquence, où l’enseignant a le devoir d’avoir tout prévu, comme si un comédien d’une ligue d’improvisation devait envisager avant de monter sur le ring absolument chaque réplique possible de chacun de ses partenaires, alors que bien entendu les choses ne se passeront pas du tout comme on l’a imaginé).
Sébastien se tient de trois quarts. La direction d’acteur de Clément Poirée est astucieuse, allégeant ainsi le public d’occuper la position d’apprenant (on ne doit plus dire élève).
Aucune erreur ou faute dans ce spectacle qui est (c’est mon fils alors en CM1 qui m’apprit la différence entre les deux concepts. L’erreur c’est quand je me rends compte tout seul, la faute c’est quand c’est la maîtresse qui me dit que je me suis trompé).
Il raconte, un peu, la vie de classe. Sa première séance d’E.P.S. des jeux collectifs qu’innocemment il organise dans la cour de récréation. Il apprend le secret de la réussite pour le maître : tout va être dans l’organisation. Il fait asseoir les enfants pour leur expliquer les règles (assis on bouge moins). Ses phrases sont pronominales : Faire avec les montagnes russes, le surgissement inattendu d’un instant magique. Faire un pas vers tous (la fameuse différenciation pédagogique). Avancer à tâtons.
Les lumières descendent, marquant une transition. Ce sont mes premiers pas dans cet autre monde. Tout est nouveau. Les surprises sont quotidiennes. On devine que les découvertes sont aussi surprenantes du coté des élèves que des profs. Le comédien n’a pas encore prononcé le mot "bienveillance" mais c’est ce qui se dégage du ton de sa voix et de son attitude corporelle.
Il nous embarque dans la salle des maîtres. L’endroit de toutes les réunions et qui a conservé ce nom absurde alors que le corps des instituteurs a disparu, 200 ans après leur création, le 12 décembre 1792. Les instits sont devenus des profs (pour soit-disant revaloriser leur fonction et leurs émoluments). Mais rien n'a changé, au contraire. Le gouffre s’est creusé entre le professeur des écoles et le professeur de lycée. Sébastien ose une blagounette qui circule entre collègues : La différence entre un pédagogue et un pédophile ? Il y en a un qui aime les enfants.
Les parents croient les annonces gouvernementales mais il faut plusieurs décennies avant que l’ordre donné d’en haut soit applicable en bas. Le tableau numérique, c’est l’arlésienne de l’enseignement. On continue de tout écrire à la craie sur des panneaux qui grincent, ou au feutre sur de grandes feuilles de papier qu'on scotche sur les murs. En le regardant tracer quelques lettres, je constate que Sébastien est gaucher, si bien que son dos ne cache pas ce qu’il écrit, et qui est lisible en temps réel. On ne le sait pas mais c’est un atout majeur pour capter l’attention.
Le comédien recentre le propos en nous ramenant au théâtre. Il avait confié son intention à Philippe Adrien avec qui il répétait Le bizarre incident du chien pendant la nuit. Nous étions à l'été 2015. J'écrivais à propos de son jeu : Plusieurs scènes atteignent des sommets. On se souviendra longtemps de l'interprétation du père (Sébastien Bravard), avec des trémolos discrets dans la voix. Le metteur en scène s'était étonné : D’habitude c’est l’inverse, l’enseignant qui veut devenir comédien, faut que tu m’expliques un peu. Il l'encourage : Faut que tu écrives sur tout ça.
Retour en classe. On le voit tourner en rond. C'est presque une danse d'échauffement qu'un chorégraphe lui aurait suggéré. On parle tout le temps d'équipe enseignante mais tu es seul pour trouver le chemin, inventer une façon de faire à 28 (oui, toujours seul adulte en classe, sans regard extérieur pour renvoyer quelque chose, alors que c'est l'inverse au théâtre).
Les collègues lui conseillent de travailler les inférences à l'ardoise. Etablir des liens logiques, bien sûr, mais comment quand les enfants n'ont pas accès à l'implicite et au second degré ? Junior, tu peux donner la règle ? Le gamin hésite et finit par tendre son double-décimètre. (Je pense à cette petite fille à qui j'avais demandé ce qu'elle avait appris à l'école et qui me répond mais non maîtresse je n’ai rien pris).
Quand il fait lire la classe il adopte un réflexe de comédien. On lit plateau nu, avec rien d'autre que le texte sur les tables. Il constate que le fameux pouvoir magique des livres existe bel et bien (Essayez avec Max et les maximonstres de Maurice Sendak face à un enfant en pleine crise de nerfs. Ça marche à tous les coups).
Ce sera L’ogrelet (de Suzanne Lebeau, collection Théâtrales Jeunesse, 2003), L'histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler (de Luis Sepúlveda, éditions Métaillé en collaboration avec Seuil Jeunesse, 1996), La Sorcière, de Marie NDiaye, (éditions de Minuit, encore en 1996). Ces deux derniers textes viennent de sortir. Nous sommes en effet cette année là puisqu'il fait allusion à Armel Le Cléac'h qui continue de faire la course en tête dans le Vendée Globe. Et plus tard, à l’élection de Donald Trump (en novembre 2016 alors que ma première année d’enseignement fut celle du 11 septembre).
Une petite fille dont la maman est sénégalaise le reprendra sur la prononciation du nom de l'auteure de La Sorcière. (Il n'empêche que Marie N'Diaye est née le 4 juin 1967 à Pithiviers dans le Loiret mais le corporatisme est un levier). L'idée de faire enregistrer les voix des enfants est excellente. Mais toutes les astuces ne fonctionnent pas aussi bien. Comme le recours à "Simon says" pour réviser (ou viser) le lexique anglais (même l'équivalent français Jacadi peut être complexe).
L'année scolaire ne suit pas l'année civile (j'ai conservé l'habitude de n'utiliser que le petit agenda bleu de l'Ecole des loisirs parce qu'il va de septembre à septembre, comme la saison théâtrale). Arrive le 16 décembre. Premiers cadeaux de mes premiers élèves. Il retourne un pingouin boule à neige. J’adore, dit-il (J'avais oublié ces moments émouvants où certains enfants nous offrent des cadeaux parfois surréalistes que l'on conserve comme des trophées).
On repart en activité sportive, direction la piscine, l'endroit le plus drôle et de tous les contraires. Une gamine n'a pas de maillot de bains et Sébastien mesure l'ampleur de la fonction de l’école comme lieu de partage quand les vies familiales ne prennent pas le temps (Tu sais maîtresse, ce midi le frigo il était tout plein vide. Ou ces parents dépassés qui se plaignent auprès de moi : Je mets les enfants à l’école, faut bien que je m’en débarrasse).
Après février le pot aux roses est découvert : Maître, en fait vous êtes connu ! Les gamins lisent mal mais ils pianotent sur Internet pour chercher des informations sur les enseignants (presque tous les parents le font, d'où mes efforts de discrétion, inutile d'attiser les jalousies).
Il songe à Agamemnon qui se voit en vainqueur avant son assassinat. L’ Orestie d'Eschyle est une bonne référence. De nombreuses comparaisons peuvent être faites entre la classe et la scène. L'enseignant doit avoir des qualités de comédien s'il veut captiver son public. Il est seul metteur en scène de sa propre prestation.
Le noir se fait sur scène alors qu'il nous prévient avoir retrouvé le sens du mot bienveillance, laquelle n’empêche pas l’exigence (combien de fois ai-je entendu : soyez compréhensive mais ferme, favorisez l’esprit critique sans vous laisser déborder, poussez à la coopération). J'ai l'air d'en sourire mais il est vrai que c'est le levier qui permet de soulever toutes les difficultés.
Seul s’envole celui qui ose le faire, comme l'écrivait Luis Sepulvéda. Nous voilà revenu à la première journée de classe, quand il avait le sentiment de devoir s'élancer en parapente, sans voile derrière lui. La neige tombe, et peu importe que nous soyons en juin. Elle est métaphorique des miracles qui peuvent avoir lieu en classe, quand par exemple un enfant accède au second degré et que ses yeux pétillent. Cc'est aussi une référence au petit pingouin porte chance.
Il a reçu une nouvelle affectation, pour l'école élémentaire Jean Vilar. Il y voit une coïncidence inouïe. Je sais la détresse des enfants qui se sont attachés à leur enseignant, qui ont accepté de lâcher prise et qui ont commencé à s'avancer sur la route chaotique des apprentissages fondamentaux. Le changement d'interlocuteur peut les dévaster. Il quittera l'école après avoir sacrifié au rituel des "je me souviendrai toujours …" et donne en exemple Raphaël qui l'appela maman (c'est si fréquent, mais plus banal pour une femme).
A l'Education nationale, jouer correctement sa partition ne garantit pas d'être distribué la saison prochaine dans le même "théâtre". On est muté. Tout se joue à l'ancienneté.
Le public est touché. les rappels sont nombreux et enthousiastes. Sébastien pourra poursuivre les deux carrières. Il a le beau rôle.
Une rencontre était programmée ce dimanche après la représentation. Clément Poirée a souligné combien il ne voulait pas perdre le regard de novice de Sébastien. On ne voit pas qu'il a derrière lui quatre années d'expérience. il était essentiel - et c'est réussi- de rester dans un Y compris sur la table fameuse chaise bordée de jaune banc revu et corrigé et surtout pas un théâtre témoignage.
Sébastien Bravard reconnait avoir pris du plaisir à cet exercice. Il ne sait pas s'il se lancera dans une autre écriture théâtrale (ce que l'on souhaite vivement). En tout cas sa motivation première d'aller voir de l'intérieur cette "école de la République" par laquelle tout le monde passe, y compris les terroristes à l'origine des attentats des dernières années, n'est (hélas) pas caduque. S'il se sent en déconnexion avec la réalité lorsqu'il est en tournée, ce qui est fréquent pour un comédien, il ne fait pas de doute que l'univers-classe (formule consacrée) a le pouvoir de vite faire redescendre sur terre.
Merci à toute l'équipe de donner vie dans un théâtre à une histoire qui n’est pas extraordinaire mais qui raconte un moment de vie extraordinaire.
8,5/10
Françoise Sagan reste un personnage particulier mais fascinant, du siècle passé. Le charmant petit monstre, comme disait Mauriac a été un phénomène à tous points de vue par sa jeunesse, ses fulgurances, son audace, ses prises de position, sa fidélité.
Elle avait une façon tout à fait personnelle de vivre à 100 à l’heure tout en sachant s’arrêter sur un détail bucolique, comme lorsqu'elle communique son amour du Lot, à travers un texte de 1993 que nous entendrons à la fin, Cajarc au ralenti.
Femme de tous les excès, elle avait l’art de provoquer la chance, au jeu avec une chance insolente lui permettant de s'offrir une maison de campagne en une nuit, en littérature en osant ce titre de BonjourTristesse.
Il est donc naturel qu’elle suscite l’intérêt du théâtre, elle qui convenait alterner succès et flop, comme elle le disait elle-même. Car elle savait être critique de son propre parcours en toute lucidité.
J’ai souvent parlé de Sagan dans le blog, racontant ma rencontre avec elle, commentant le film éponyme, la sortie de la BD de Bonjour Tristesse en présence de son fils, et relatant l’exceptionnelle interprétation de Caroline Loeb, qui se rejoue à la Luna cet été au festival d'Avignon, et son dernier tour de chant avec les titres écrits par Françoise Sagan.
Anne-Marie Lazarini a choisi de se focaliser sur Sagan chroniqueuse. Bonne idée. Et si ses amis et son entourage ont été invités et installés par le scénographe François Cabanat, ils ne sont là qu’en spectateurs bienveillants et muets, plongés dans leurs souvenirs.
Dans la "bande à Sagan" il y a des personnes très célèbres comme François Mitterand, Barbara, Yves-Saint-Laurent, le colossal et génial Orson Welles et d'autres dont les noms sont moins connus comme Denis Westhoff (son fils), ou Marie Bell, une immense actrice (directrice du Théâtre du Gymnase qui porte désormais son nom) à la chevelure en casque wisigoth, pour laquelle elle écrira Les violons parfaits.
Bien sûr, pour le moment, l’ambiance cabaret n’est pas complète, malgré la musique jouée au piano par Guilheme de Almeida, la présence d'un bar -et d'un barman Sylvain Peyran- et l'installation du public autour de tables de bistro, sur des chaises très confortables. À cause des contraintes sanitaires, il est impossible de proposer aux spectateurs de savourer un martini dry avec une olive verte comme Sagan s’en enivrait. Quand les comédiens doivent s’approcher de très près du public alors ils se masquent, ce qui n’est pas un artifice de mise en scène.
J’ai beaucoup aimé cet hommage rendu à la femme impliquée dans son siècle. Rien ne l’obligeait de prendre le risque de soutenir Billie Holiday. D’aller crapahuter à Cuba en 1960 au devant d'un Castro grand, fort et fatigué. D’attirer l’attention sur les infirmières. Sur cette femme torturée. Anne-Marie Lazzarini a bien fait de mettre cet accent là.
Trois fauteuils de cinéma, un bar, un piano, une pile de livres, parmi lesquels circulent Coco Felgeirolles en tailleur pailleté, Frédérique Lazarini en robe noire, Cédric Colas en maître de cérémonie avec un gardénia à la boutonnière. C'était la fleur préférée de la chanteuse de blues et de jazz Billie Holiday, qui en portait toujours une ou plusieurs dans les cheveux.
Je ne serai donc pas surprise tout à l'heure d'entendre sa voix rauque chanter Strange fruit, qu'elle a popularisé en 1939, l'année de la sortie du film Autant en emporte le vent. Qualifiée de chanson du siècle pour la nature du propos comme de l'interprétation, et surtout de l'engagement (risqué car la chanteuse était menacée) contre les lynchages pratiqués aux Etats-Unis à l'encontre des afro-américains durant la période de la ségrégation (1865-1960 Strange fruit est reconnue comme étant la première chanson protestataire américaine (Protest Song). Elle dénonce les balancements des corps noirs dans la brise du sud, tels des fruits étranges, accrochés aux peupliers, recouverts de sang sur les feuilles et sur les racines. Donald Trump a refusé qu’elle soit interprétée à son investiture.
C'est en 1954 que Sagan tiendra à aller l'applaudir, au fin fond du Connecticut, où elle se rend avec son complice musical Michel Magne.
Mais pour le moment, la soirée débute comme un conte : Il était une fois un bébé au nez pointu … avant d'arriver en 1954 à la publication de Bonjour Tristesse, qui n'est pas une chronique mais qui demeure incontournable dans le mythe fondateur. Les deux comédiennes s'amusent en titillant le public à propos de l'incipit, citant comme plausible des lignes de Nizan ou de Lewis Caroll, surtout pas de Proust puisque Françoise ne s'est jamais couchée de bonne heure, ce qui ne l'empêcha pas d'emprunter son nom de plume à la Princesse de Sagan imaginée par Marcel.
Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.
Ces premières lignes ont sans doute touché Hélène Lazareff, la fondatrice en 1945 du magazine féminin Elle. Elle lancera la carrière de Françoise Sagan chroniqueuse qui en écrira jusqu'en 2003. Elle voyagera dans le monde entier, de Cuba à Venise et ses avenues liquides, de New York, belle comme un rêve de pierre, à Jérusalem. Est-ce la raison qui la conduit à employer une sorte de langage "italo-anglo-germano-français" qui est tout à fait savoureux dans la bouche de Frédérique Lazarini ?
Françoise Sagan n'est pas une touriste ordinaire. Elle s'émeut aux côtés de Billie Hollyday, prend la défense de Djamila Boupacha, une jeune fille algérienne torturée par l’armée française en signant le Manifeste des 141, comme plus tard elle signera celui des 343 salopes en faveur du droit à l'avortement, et s'insurge contre le manque de reconnaissance à l'égard des infirmières. Nous sommes en 1991. Qu'aurait- elle dit pendant le Covid ?
Bien sûr elle vécu de mille excès. Elle n'a pas tout réussi mais on ne peut pas lui reprocher d'avoir tout tenté. Elle demeure un personnage extrêmement généreux. Et retenons cette sage parole : Un échec n’est pas la fin du monde.
Hormis le Prélude de la Traviata, les intermèdes musicaux ont été spécialement composées par Andy Emler. Il s'est inspiré pour chacun de la thématique d’une chronique. Par exemple For Billie à la manière d’un standard de jazz, dans le style de l’époque, comme l’aurait joué un Art Tatum. Enjoy ze croisière est une mélodie arrangée, pour suggérer l'humour et la dérision qui teintait aussi le regard que Sagan posait sur ses contemporains. Guapa libre est une variation sur un rythme de Rumba.
Elle avait une façon tout à fait personnelle de vivre à 100 à l’heure tout en sachant s’arrêter sur un détail bucolique, comme lorsqu'elle communique son amour du Lot, à travers un texte de 1993 que nous entendrons à la fin, Cajarc au ralenti.
Femme de tous les excès, elle avait l’art de provoquer la chance, au jeu avec une chance insolente lui permettant de s'offrir une maison de campagne en une nuit, en littérature en osant ce titre de BonjourTristesse.
Il est donc naturel qu’elle suscite l’intérêt du théâtre, elle qui convenait alterner succès et flop, comme elle le disait elle-même. Car elle savait être critique de son propre parcours en toute lucidité.
J’ai souvent parlé de Sagan dans le blog, racontant ma rencontre avec elle, commentant le film éponyme, la sortie de la BD de Bonjour Tristesse en présence de son fils, et relatant l’exceptionnelle interprétation de Caroline Loeb, qui se rejoue à la Luna cet été au festival d'Avignon, et son dernier tour de chant avec les titres écrits par Françoise Sagan.
Anne-Marie Lazarini a choisi de se focaliser sur Sagan chroniqueuse. Bonne idée. Et si ses amis et son entourage ont été invités et installés par le scénographe François Cabanat, ils ne sont là qu’en spectateurs bienveillants et muets, plongés dans leurs souvenirs.
Dans la "bande à Sagan" il y a des personnes très célèbres comme François Mitterand, Barbara, Yves-Saint-Laurent, le colossal et génial Orson Welles et d'autres dont les noms sont moins connus comme Denis Westhoff (son fils), ou Marie Bell, une immense actrice (directrice du Théâtre du Gymnase qui porte désormais son nom) à la chevelure en casque wisigoth, pour laquelle elle écrira Les violons parfaits.
Bien sûr, pour le moment, l’ambiance cabaret n’est pas complète, malgré la musique jouée au piano par Guilheme de Almeida, la présence d'un bar -et d'un barman Sylvain Peyran- et l'installation du public autour de tables de bistro, sur des chaises très confortables. À cause des contraintes sanitaires, il est impossible de proposer aux spectateurs de savourer un martini dry avec une olive verte comme Sagan s’en enivrait. Quand les comédiens doivent s’approcher de très près du public alors ils se masquent, ce qui n’est pas un artifice de mise en scène.
J’ai beaucoup aimé cet hommage rendu à la femme impliquée dans son siècle. Rien ne l’obligeait de prendre le risque de soutenir Billie Holiday. D’aller crapahuter à Cuba en 1960 au devant d'un Castro grand, fort et fatigué. D’attirer l’attention sur les infirmières. Sur cette femme torturée. Anne-Marie Lazzarini a bien fait de mettre cet accent là.
Trois fauteuils de cinéma, un bar, un piano, une pile de livres, parmi lesquels circulent Coco Felgeirolles en tailleur pailleté, Frédérique Lazarini en robe noire, Cédric Colas en maître de cérémonie avec un gardénia à la boutonnière. C'était la fleur préférée de la chanteuse de blues et de jazz Billie Holiday, qui en portait toujours une ou plusieurs dans les cheveux.
Je ne serai donc pas surprise tout à l'heure d'entendre sa voix rauque chanter Strange fruit, qu'elle a popularisé en 1939, l'année de la sortie du film Autant en emporte le vent. Qualifiée de chanson du siècle pour la nature du propos comme de l'interprétation, et surtout de l'engagement (risqué car la chanteuse était menacée) contre les lynchages pratiqués aux Etats-Unis à l'encontre des afro-américains durant la période de la ségrégation (1865-1960 Strange fruit est reconnue comme étant la première chanson protestataire américaine (Protest Song). Elle dénonce les balancements des corps noirs dans la brise du sud, tels des fruits étranges, accrochés aux peupliers, recouverts de sang sur les feuilles et sur les racines. Donald Trump a refusé qu’elle soit interprétée à son investiture.
C'est en 1954 que Sagan tiendra à aller l'applaudir, au fin fond du Connecticut, où elle se rend avec son complice musical Michel Magne.
Mais pour le moment, la soirée débute comme un conte : Il était une fois un bébé au nez pointu … avant d'arriver en 1954 à la publication de Bonjour Tristesse, qui n'est pas une chronique mais qui demeure incontournable dans le mythe fondateur. Les deux comédiennes s'amusent en titillant le public à propos de l'incipit, citant comme plausible des lignes de Nizan ou de Lewis Caroll, surtout pas de Proust puisque Françoise ne s'est jamais couchée de bonne heure, ce qui ne l'empêcha pas d'emprunter son nom de plume à la Princesse de Sagan imaginée par Marcel.
Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.
Ces premières lignes ont sans doute touché Hélène Lazareff, la fondatrice en 1945 du magazine féminin Elle. Elle lancera la carrière de Françoise Sagan chroniqueuse qui en écrira jusqu'en 2003. Elle voyagera dans le monde entier, de Cuba à Venise et ses avenues liquides, de New York, belle comme un rêve de pierre, à Jérusalem. Est-ce la raison qui la conduit à employer une sorte de langage "italo-anglo-germano-français" qui est tout à fait savoureux dans la bouche de Frédérique Lazarini ?
Françoise Sagan n'est pas une touriste ordinaire. Elle s'émeut aux côtés de Billie Hollyday, prend la défense de Djamila Boupacha, une jeune fille algérienne torturée par l’armée française en signant le Manifeste des 141, comme plus tard elle signera celui des 343 salopes en faveur du droit à l'avortement, et s'insurge contre le manque de reconnaissance à l'égard des infirmières. Nous sommes en 1991. Qu'aurait- elle dit pendant le Covid ?
Bien sûr elle vécu de mille excès. Elle n'a pas tout réussi mais on ne peut pas lui reprocher d'avoir tout tenté. Elle demeure un personnage extrêmement généreux. Et retenons cette sage parole : Un échec n’est pas la fin du monde.
Hormis le Prélude de la Traviata, les intermèdes musicaux ont été spécialement composées par Andy Emler. Il s'est inspiré pour chacun de la thématique d’une chronique. Par exemple For Billie à la manière d’un standard de jazz, dans le style de l’époque, comme l’aurait joué un Art Tatum. Enjoy ze croisière est une mélodie arrangée, pour suggérer l'humour et la dérision qui teintait aussi le regard que Sagan posait sur ses contemporains. Guapa libre est une variation sur un rythme de Rumba.
9/10
La tournée mondiale de Soy de Cuba a été chahutée par le Covid-19. Initialement programmée en 2020, reportée au printemps 2021, puis à 2022 pour de nombreuses dates. Bien entendu les billets précédemment acquis restent valables.
Les parisiens ont davantage de chance car ils peuvent, depuis le 3 juin et jusqu'au 30 juin, venir applaudir cette troupe cubaine au Casino de Paris. Leur nouvelle comédie musicale Viva La Vida ! est l'un des tout premiers spectacles d'ampleur à être joué dans la capitale pour la réouverture des salles.
On fait un voyage inoubliable aux rythmes exotiques et endiablés, interprétés par des virtuoses engagés parmi les meilleurs musiciens et danseurs de l’île. Ce nouveau spectacle dansant clame haut et fort un hymne à la vie et à la liberté́ sur fond de musiques colorées et de danses fiévreuses : ¡Viva la Vida!
La précédente édition créée en 2011, s’inspirait de la vraie vie de la danseuse Ayala Yanetsy Morejon, interprétant son propre rôle. La jeune femme, originaire des plantations de tabac de Viñales, habitait chez ses grands-parents tout en rêvant d'une vie meilleure. Son corps sublime est taillé pour la danse. Enfant, elle avait deux rêves : jouer du piano et danser. Elle a commencé cet art à 5 ans. Cette maman d'un petit garçon est très fière d’être cubaine mais elle adore Paris, y faire du shopping, et visiter de nouveaux lieux.
Dans ce nouveau spectacle, la vie d’Ayala bascule lorsqu’elle rencontre Oscar, un jeune boxeur travaillant à la fabrique de cigares. Il est joué par Osmani Montero Hernandez, danseur professionnel et notamment soliste au Ballet TV, gagnant 2018 du "Danse avec les Stars" cubain. La danse et l’amour vont réunir leurs destins.
Le propos est simple et il est raconté par le vieux Leonardo, lecteur public de l'une des plus vieilles manufactures de cigares de La Havane qui rassemble 700 ouvriers. En effet, dans les usines de tabac, un homme ou une femme faisait la lecture aux ouvriers et ouvrières en leur lisant chaque jour la presse, Granma, quotidien, des œuvres littéraires internationales, notamment Les Misérables ou Madame Bovary … pour cultiver le personnel pendant qu'il travaillait.
On ne s'attend pas à un livret comme dans les opéras classiques et au demeurant dramatiques. Ce dont on a envie, c'est de gaité et de dynamisme. Et c’est ce qu’on nous offre. Cuba est un petit pays mais le mélange de cultures est d'une richesse incroyable. Il s’exprime à travers la musique, la danse, le théâtre, … Comme le dit Ayala, "Etre cubain, c’est une philosophie de vie. Même si nous avons des problèmes et rencontrons des obstacles, nous gardons toujours le sourire et restons joyeux ; nous avons de l’humour et rions des aléas."
Ce n’est pas pour rien que le spectacle s’appelle Soy de Cuba, viva la vida ! Cet intitulé est une promesse de bonheur, et c'est bien de cela qu'il s'agit. Le mot felicidad (bonheur) revient régulièrement dans les chansons. Les artistes ont été choisis pour leur forte personnalité. Savoir danser n'aurait pas suffi. Ils devaient être en capacité d'exprimer et transmettre tous les sentiments sur scène. Ces danseurs ne jouent pas la comédie mais ce sont de sacrés interprètes ! Il suffit d'un regard, d'un port de tête, d'un sourire pour s'en rendre compte. L'intensité est là. Le charisme aussi. Nicolas Ferru, le producteur, a voulu un spectacle de caractère qui laisserait une empreinte. La musique latino étant montée en puissance ces dix dernières années, il avait conscience du niveau d'exigence du public et il a eu raison.
Grand amateur de cigares, Sébastien Acker a relevé le défi d'écrire sur Cuba. Il s'est baladé dans des manufactures de cigares, des boutiques, véritables sanctuaires qui se visitent presque religieusement pour écrire le spectacle. Fin connaisseur en boxe -il a pratiqué la discipline pendant plus de cinq ans-, il évoque les légendes cubaines du ring : Eligio Sardiñas Montalvo alias Kid Chocolate et Teofilo Stevenson dont les portraits sont accrochés aux murs de plusieurs bars de la Vieille Ville. On dit que la boxe cubaine, c'est le plus beau style du monde !
Il raconte le destin d'un boxeur et d'une danseuse en démontrant que ces deux univers relèvent du langage corporel et possèdent des valeurs fortes, de la noblesse et de l’élégance. La lucha (la lutte) est partout : sur la piste de danse, sur le ring, dans la rue, au cœur de tous les Cubains.
Au célèbre "No sport" de Churchill, s’oppose le non moins célèbre "Le sport est un droit du peuple" de Castro. En 1961, l’INDER, l’Institut national du sport, de l’éducation physique et des loisirs voit le jour à Cuba. Avec cette démarche, Fidel Castro est bien déterminé à intégrer le sport dans le monde du travail alors qu’il était jadis réservé aux classes aisées. Les femmes ne sont pas la dernière roue du carrosse. Au contraire. Les sportifs handicapés non plus. Loin s’en faut. Le credo "sport pour tous" permet non seulement de fédérer la population via des disciplines sportives diverses et partagées par tous, mais d’avoir un effet bénéfique sur la santé des Cubains. Un peuple en forme est plus productif. Cette décision avait permis au Commandante de véhiculer l’excellence cubaine à l’échelle internationale ; Fidel Castro avait signé le décret 83A blâmant le sport pro au prétexte qu’il "enrichissait une minorité aux dépens de beaucoup". Cuba est aussi le pays qui compte le plus de médecins par habitant au monde.
Le show nous entraîne donc dans une manufacture de cigares et dans les coulisses des salles de boxe. Au son des mambos, rumbas, salsas et autres tempos jazz afro-cubains, la charismatique Ayala nous fait entrer dans la danse ! Dans ce tourbillon de rythmes, on découvre une troupe de danseurs cubains triés sur le volet, un orchestre live, un décor composé d’inserts vidéo ingénieux... La magie opère grâce au talent du maestro Rembert Egües, compositeur de légende et directeur musical. L'album de Dany Brillant, La Havane, disque de platine, c'est lui ! Désillusionniste, le tube latino de Mauranne, c'est encore lui. Il signe les chansons du spectacle (à l'exception du titre Tu y yo) et sa direction musicale. Les musiciens ont répété dans son studio-appartement et il est heureux de revenir à Paris où il a vécu trente ans.
Il est sur scène avec 6 musiciens, dont un est également chanteur, et Anna-Marie, la chanteuse. La présence du maestro est une valeur ajoutée. Un gage d'authenticité. Les femmes occupent une belle place, outre Anna-Marie, la chanteuse, il s'est entouré d'une formidable guitariste et d'une tromboniste d'exception (en robe jaune) qui fait un très joli solo.
Julie Dayab & Michaël Xerri assurent la direction artistique et la mise en scène des 18 tableaux. Lui est issu de la musique et du sound design. Elle vient de la danse. Ils sont tous les deux aussi à l’aise avec le spectacle vivant qu’avec la vidéo, la direction artistique, la réalisation, la scénographie, et ont eu à coeur de valoriser et sublimer la culture cubaine. Le mapping est particulièrement réussi, nous projetant au coeur de La Havane, d'une rue à une autre, jusqu’aux mythiques salles de boxe hors d’âge de la capitale. On ne serait pas surpris de voir une évocation d'Ernest Hemingway qui a vécu à San Francisco de Paula, près de La Havane entre 1939 et 1960 et y a écrit, entre autres, Pour qui sonne le glas, Le vieil homme et la mer...
Si l'atmosphère, l'identité et les références culturelles que nous connaissons sont là, ils innovent en ne se contentant pas de jouer uniquement sur le style Buena Vista Social Club. Cette fois, la boxe, sport emblématique à Cuba, s'invite sur scène. Ils ont cherché à donner du caractère et de l’empathie aux personnages. L'exercice a été réellement inspirant pour eux, notamment avec la fabrique de cigares qui, à elle seule, est un personnage à part entière. Aucune place n'est laissée au hasard et tout est travaillé, la technique, la rapidité, la fluidité, la complexité des mouvements, le rythme... Et c'est volontiers que el public accepte de les suivre en frappant dans leurs mains .
Les deux chorégraphes Luis Alberto Moro Ronda, dit Chino, et Dieser Disley Serrano Garcia transmettent au groupe leur passion pour les chorégraphies audacieuses et précises en mélangeant du traditionnel et du moderne.
La troupe de Soy De Cuba est emmenée par 14 danseurs tous cubains et un orchestre live composé de 6 musiciens et 2 chanteurs, recrutés parmi les meilleurs musiciens et danseurs de leur île. Elle signe son grand retour à Paris pour ravir tous les amateurs de musique, danse et culture cubaine. Au fil des tableaux hauts en couleur, cette version inédite offre un panorama de la musique cubaine et de ses danses mythiques : la Salsa, le Mambo, la Rumba, le Cha-Cha-Cha ou encore, le Reggaeton, ou du Cubaton pour un dépaysement total ! Il faut savoir que si les deux premières sont des danses cubaines, par contre la bossa-nova, issue du croisement de la samba et du cool-jazz, a émergé au Brésil à la fin des années 1950.
ll n'y a que des talents parmi les quatorze danseurs, les six musiciens et les deux chanteurs de la troupe. Ils ont créé le spectacle à Cuba mais c'est dans le bassin d'Arcachon qu'ils se sont retrouvés pour le répéter dans sa version internationale et régler les éclairages. On m'a dit qu'ils avaient énormément travaillé. Le résultat est à la hauteur de nos attentes. L'air marin leur a sans doute bien réussi.
Le spectacle commence dans la pénombre d'une vénérable manufacture de cigares fondée en 1845 où l’on pousse souvent les tables le soir pour faire place à la musique et à la danse joyeuse de la "Compana Mango Tabaco" - la compagnie adossée à la fabrique. Quoiqu'on pense de ses effets sur la santé n'empêche que la confection de cigares demeure une spécificité cubaine. J'ai appris beaucoup sur le sujet dont je restitue l'essentiel en fin d'article.
Plus tard, la chorégraphie mime des figures d’entrainement des boxeurs avec des cordes à sauter, des élastiques … On ne sera pas surpris de voir un match, ou du moins une joute, toujours en musique, accompagnée par les percussions et soutenu par la trompette. Un coup de cymbale annonce la fin du combat.
Après l'entracte il m'a semblé que le rythme était encore plus soutenu, multipliant les acrobaties. Un numéro de claquettes fut très applaudi. On ne perd pas un émietté des péripéties qui sont admirablement interprétées. On perçoit la chaleur tropicale sous le masque, et c'est un compliment.
Les moments dansés, joués et les intermèdes musicaux s'enchainent astucieusement tout au long de près de deux heures d'un show qui vaut complètement le déplacement. Quel bonheur de le voir en live, enfin !
Les parisiens ont davantage de chance car ils peuvent, depuis le 3 juin et jusqu'au 30 juin, venir applaudir cette troupe cubaine au Casino de Paris. Leur nouvelle comédie musicale Viva La Vida ! est l'un des tout premiers spectacles d'ampleur à être joué dans la capitale pour la réouverture des salles.
On fait un voyage inoubliable aux rythmes exotiques et endiablés, interprétés par des virtuoses engagés parmi les meilleurs musiciens et danseurs de l’île. Ce nouveau spectacle dansant clame haut et fort un hymne à la vie et à la liberté́ sur fond de musiques colorées et de danses fiévreuses : ¡Viva la Vida!
La précédente édition créée en 2011, s’inspirait de la vraie vie de la danseuse Ayala Yanetsy Morejon, interprétant son propre rôle. La jeune femme, originaire des plantations de tabac de Viñales, habitait chez ses grands-parents tout en rêvant d'une vie meilleure. Son corps sublime est taillé pour la danse. Enfant, elle avait deux rêves : jouer du piano et danser. Elle a commencé cet art à 5 ans. Cette maman d'un petit garçon est très fière d’être cubaine mais elle adore Paris, y faire du shopping, et visiter de nouveaux lieux.
Dans ce nouveau spectacle, la vie d’Ayala bascule lorsqu’elle rencontre Oscar, un jeune boxeur travaillant à la fabrique de cigares. Il est joué par Osmani Montero Hernandez, danseur professionnel et notamment soliste au Ballet TV, gagnant 2018 du "Danse avec les Stars" cubain. La danse et l’amour vont réunir leurs destins.
Le propos est simple et il est raconté par le vieux Leonardo, lecteur public de l'une des plus vieilles manufactures de cigares de La Havane qui rassemble 700 ouvriers. En effet, dans les usines de tabac, un homme ou une femme faisait la lecture aux ouvriers et ouvrières en leur lisant chaque jour la presse, Granma, quotidien, des œuvres littéraires internationales, notamment Les Misérables ou Madame Bovary … pour cultiver le personnel pendant qu'il travaillait.
On ne s'attend pas à un livret comme dans les opéras classiques et au demeurant dramatiques. Ce dont on a envie, c'est de gaité et de dynamisme. Et c’est ce qu’on nous offre. Cuba est un petit pays mais le mélange de cultures est d'une richesse incroyable. Il s’exprime à travers la musique, la danse, le théâtre, … Comme le dit Ayala, "Etre cubain, c’est une philosophie de vie. Même si nous avons des problèmes et rencontrons des obstacles, nous gardons toujours le sourire et restons joyeux ; nous avons de l’humour et rions des aléas."
Ce n’est pas pour rien que le spectacle s’appelle Soy de Cuba, viva la vida ! Cet intitulé est une promesse de bonheur, et c'est bien de cela qu'il s'agit. Le mot felicidad (bonheur) revient régulièrement dans les chansons. Les artistes ont été choisis pour leur forte personnalité. Savoir danser n'aurait pas suffi. Ils devaient être en capacité d'exprimer et transmettre tous les sentiments sur scène. Ces danseurs ne jouent pas la comédie mais ce sont de sacrés interprètes ! Il suffit d'un regard, d'un port de tête, d'un sourire pour s'en rendre compte. L'intensité est là. Le charisme aussi. Nicolas Ferru, le producteur, a voulu un spectacle de caractère qui laisserait une empreinte. La musique latino étant montée en puissance ces dix dernières années, il avait conscience du niveau d'exigence du public et il a eu raison.
Grand amateur de cigares, Sébastien Acker a relevé le défi d'écrire sur Cuba. Il s'est baladé dans des manufactures de cigares, des boutiques, véritables sanctuaires qui se visitent presque religieusement pour écrire le spectacle. Fin connaisseur en boxe -il a pratiqué la discipline pendant plus de cinq ans-, il évoque les légendes cubaines du ring : Eligio Sardiñas Montalvo alias Kid Chocolate et Teofilo Stevenson dont les portraits sont accrochés aux murs de plusieurs bars de la Vieille Ville. On dit que la boxe cubaine, c'est le plus beau style du monde !
Il raconte le destin d'un boxeur et d'une danseuse en démontrant que ces deux univers relèvent du langage corporel et possèdent des valeurs fortes, de la noblesse et de l’élégance. La lucha (la lutte) est partout : sur la piste de danse, sur le ring, dans la rue, au cœur de tous les Cubains.
Au célèbre "No sport" de Churchill, s’oppose le non moins célèbre "Le sport est un droit du peuple" de Castro. En 1961, l’INDER, l’Institut national du sport, de l’éducation physique et des loisirs voit le jour à Cuba. Avec cette démarche, Fidel Castro est bien déterminé à intégrer le sport dans le monde du travail alors qu’il était jadis réservé aux classes aisées. Les femmes ne sont pas la dernière roue du carrosse. Au contraire. Les sportifs handicapés non plus. Loin s’en faut. Le credo "sport pour tous" permet non seulement de fédérer la population via des disciplines sportives diverses et partagées par tous, mais d’avoir un effet bénéfique sur la santé des Cubains. Un peuple en forme est plus productif. Cette décision avait permis au Commandante de véhiculer l’excellence cubaine à l’échelle internationale ; Fidel Castro avait signé le décret 83A blâmant le sport pro au prétexte qu’il "enrichissait une minorité aux dépens de beaucoup". Cuba est aussi le pays qui compte le plus de médecins par habitant au monde.
Le show nous entraîne donc dans une manufacture de cigares et dans les coulisses des salles de boxe. Au son des mambos, rumbas, salsas et autres tempos jazz afro-cubains, la charismatique Ayala nous fait entrer dans la danse ! Dans ce tourbillon de rythmes, on découvre une troupe de danseurs cubains triés sur le volet, un orchestre live, un décor composé d’inserts vidéo ingénieux... La magie opère grâce au talent du maestro Rembert Egües, compositeur de légende et directeur musical. L'album de Dany Brillant, La Havane, disque de platine, c'est lui ! Désillusionniste, le tube latino de Mauranne, c'est encore lui. Il signe les chansons du spectacle (à l'exception du titre Tu y yo) et sa direction musicale. Les musiciens ont répété dans son studio-appartement et il est heureux de revenir à Paris où il a vécu trente ans.
Il est sur scène avec 6 musiciens, dont un est également chanteur, et Anna-Marie, la chanteuse. La présence du maestro est une valeur ajoutée. Un gage d'authenticité. Les femmes occupent une belle place, outre Anna-Marie, la chanteuse, il s'est entouré d'une formidable guitariste et d'une tromboniste d'exception (en robe jaune) qui fait un très joli solo.
Julie Dayab & Michaël Xerri assurent la direction artistique et la mise en scène des 18 tableaux. Lui est issu de la musique et du sound design. Elle vient de la danse. Ils sont tous les deux aussi à l’aise avec le spectacle vivant qu’avec la vidéo, la direction artistique, la réalisation, la scénographie, et ont eu à coeur de valoriser et sublimer la culture cubaine. Le mapping est particulièrement réussi, nous projetant au coeur de La Havane, d'une rue à une autre, jusqu’aux mythiques salles de boxe hors d’âge de la capitale. On ne serait pas surpris de voir une évocation d'Ernest Hemingway qui a vécu à San Francisco de Paula, près de La Havane entre 1939 et 1960 et y a écrit, entre autres, Pour qui sonne le glas, Le vieil homme et la mer...
Si l'atmosphère, l'identité et les références culturelles que nous connaissons sont là, ils innovent en ne se contentant pas de jouer uniquement sur le style Buena Vista Social Club. Cette fois, la boxe, sport emblématique à Cuba, s'invite sur scène. Ils ont cherché à donner du caractère et de l’empathie aux personnages. L'exercice a été réellement inspirant pour eux, notamment avec la fabrique de cigares qui, à elle seule, est un personnage à part entière. Aucune place n'est laissée au hasard et tout est travaillé, la technique, la rapidité, la fluidité, la complexité des mouvements, le rythme... Et c'est volontiers que el public accepte de les suivre en frappant dans leurs mains .
Les deux chorégraphes Luis Alberto Moro Ronda, dit Chino, et Dieser Disley Serrano Garcia transmettent au groupe leur passion pour les chorégraphies audacieuses et précises en mélangeant du traditionnel et du moderne.
La troupe de Soy De Cuba est emmenée par 14 danseurs tous cubains et un orchestre live composé de 6 musiciens et 2 chanteurs, recrutés parmi les meilleurs musiciens et danseurs de leur île. Elle signe son grand retour à Paris pour ravir tous les amateurs de musique, danse et culture cubaine. Au fil des tableaux hauts en couleur, cette version inédite offre un panorama de la musique cubaine et de ses danses mythiques : la Salsa, le Mambo, la Rumba, le Cha-Cha-Cha ou encore, le Reggaeton, ou du Cubaton pour un dépaysement total ! Il faut savoir que si les deux premières sont des danses cubaines, par contre la bossa-nova, issue du croisement de la samba et du cool-jazz, a émergé au Brésil à la fin des années 1950.
ll n'y a que des talents parmi les quatorze danseurs, les six musiciens et les deux chanteurs de la troupe. Ils ont créé le spectacle à Cuba mais c'est dans le bassin d'Arcachon qu'ils se sont retrouvés pour le répéter dans sa version internationale et régler les éclairages. On m'a dit qu'ils avaient énormément travaillé. Le résultat est à la hauteur de nos attentes. L'air marin leur a sans doute bien réussi.
Le spectacle commence dans la pénombre d'une vénérable manufacture de cigares fondée en 1845 où l’on pousse souvent les tables le soir pour faire place à la musique et à la danse joyeuse de la "Compana Mango Tabaco" - la compagnie adossée à la fabrique. Quoiqu'on pense de ses effets sur la santé n'empêche que la confection de cigares demeure une spécificité cubaine. J'ai appris beaucoup sur le sujet dont je restitue l'essentiel en fin d'article.
Plus tard, la chorégraphie mime des figures d’entrainement des boxeurs avec des cordes à sauter, des élastiques … On ne sera pas surpris de voir un match, ou du moins une joute, toujours en musique, accompagnée par les percussions et soutenu par la trompette. Un coup de cymbale annonce la fin du combat.
Après l'entracte il m'a semblé que le rythme était encore plus soutenu, multipliant les acrobaties. Un numéro de claquettes fut très applaudi. On ne perd pas un émietté des péripéties qui sont admirablement interprétées. On perçoit la chaleur tropicale sous le masque, et c'est un compliment.
Les moments dansés, joués et les intermèdes musicaux s'enchainent astucieusement tout au long de près de deux heures d'un show qui vaut complètement le déplacement. Quel bonheur de le voir en live, enfin !