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Mélancolies, Julie Deliquet
Mélancolie(s) met en scène la disparition d’un monde et de ses illusions, au plus près de la vie réelle, de son rythme fragile et imprévisible.
Julie Deliquet, en compagnie d’Anton Tchekhov, prolonge sa réflexion sur l’héritage générationnel, amorcée dans son triptyque jubilatoire Des années 70 à nos jours.
Dans leur dernier spectacle Catherine et Christian, Julie Deliquet et le collectif In Vitro enterraient leurs parents et, avec eux, toute une génération – celle des utopies d’hier. Nous sommes un an plus tard. On fête l’anniversaire de Sacha, l’une des filles de la fratrie, dans la maison familiale. C’est la fin du deuil et le début d’une nouvelle vie, peut-être. C’est aussi le début des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov, dont l’ombre plane sur Mélancolie(s).
Julie Deliquet choisit cette pièce ainsi qu’Ivanov comme fil rouge : les rêves de la première croisent la violence de la seconde, la lucidité détruit un à un les personnages et les enferme dans leur solitude. Les figures tchekhoviennes font écho à notre propre mal-être. L’insouciance de nos aînés a laissé place à l’angoisse – celle de ne pouvoir agir sur un réel en plein bouleversement – et à la mélancolie face au désenchantement du monde.
Comme toujours avec le collectif In Vitro, la vie et le théâtre se mêlent, l’improvisation épouse la répétition et invite le spectateur à la proximité. Et si le temps passe et abolit les rêves, si la mélancolie effrite les illusions, il reste le théâtre pour se rassembler et capter, avec toujours plus d’acuité, le rythme de la vie, ses maladresses et sa beauté.
En bref, car ce n'est pas tant l'histoire qui est importe, Nicolas, qui était un cœur d’artichaut, retrouve ses voisins d'enfance (Olympe, Sasha et Camil). Il est aujourd'hui marié à Hannah. La pièce s'inscrit dans le temps, car au fur et à mesure des saisons, on assiste, impuissant, à la descente aux enfers interne de Nicolas. Il est atteint de Mélancolie.
Ce spectacle nous donne plusieurs clés de compréhension de la mélancolie :
- la mélancolie est plurielle : c'est de la nostalgie, de l'insatisfaction, de l'inactivité, de la solitude, la fatigue, "A 30 ans déjà, la gueule de bois, je suis vieux [...] la tête lourde, l'âme paresseuse, fatigué, cassé, sans amour, sans but, comme une ombre j'erre parmi les gens, je ne sais pas qui je suis, pourquoi je vis, ce que je veux". Ivanov, d'Anton TCHEKHOV
- la réaction des proches de Nicolas est intéressante : Sasha souhaite le sauver, Olympe qui est médecin comprend certes la maladie physique mais ne comprend pas la maladie psychologique de Nicolas, elle l'accuse d'être un monstre d’égoïsme dans ses problèmes
- on voit Nicolas au fur et à mesure de la pièce qui devient quasiment fou, de la démence, tellement il se ne comprend pas ce qui lui arrive, et se bat contre lui même
J'ai adoré cette pièce, pour notamment ces 3 raisons :
1) Le sens de l'observation de Julie DELIQUET, très pointu, sur toutes les gênes qu'on connait : lorsqu'on rencontre des gens (les rires gênés, bravo à Agnès RAMY), lorsque certaines personnes se font des compliments tellement too much que ca embarrasse, du coup on en vient à parler de météo, la conversation du dîner du réveillon sur carpaccio / gaspacho, ou les investissements financiers, toutes ces scènes sont exceptionnelles d'authenticité
2) Les personnages sont tous déçus, désillusionnés : Sasha est déçue de l'amour, Olympe est déçue de l'espèce humaine, Nicolas est déçu par la vie. Finalement le moins déçu c'est Camil, car il est sans doute moins idéaliste que les autres, il avait conscience depuis le début des qualités et défauts de sa femme Natacha, et de la vie, c'est celui qui tombe de moins haut
3) Pleins de sujets ouvrent à la mélancolie dans la pièce :
- retrouver son passeport et parcourir les destinations
- si je meurs est ce que tu serais triste ?
- mettons qu'on puisse recommencer sa vie, mais en conscience cette fois, tu ne referais pas la même chose si ?
Bon spectacle !
Mélancolie(s), c’est un mélange des Trois Soeurs et d’Ivanov : les personnages des deux pièces se rencontrent, Ivanov-Nicolas étant un ancien ami du père des trois soeurs devenues deux, Sacha et Olympe. Sacha est toujours marié, mais plus à un professeur : son époux est devenu chef d’entreprise. Elles ont toujours un frère, Camille, qui est toujours avec une femme que ses deux soeurs ont du mal à supporter. Du côté Ivanov, Nicolas est marié à Anna, qui a une maladie très grave et incurable qui ne lui laisse que quelques années à vivre et, pour l’occasion, Olympe n’est plus directrice d’une école mais chirurgienne. Bref, pour mêler les deux histoires, Ivanov et Anna, accompagnés de Paul, un de leurs amis, rencontrent l’autre famille au début de la pièce.
Tout commençait pourtant très bien. Je suis rentrée dans cette histoire de familles qui se mêlent, de souvenirs qui ressurgissent. Mon radar de détection des injures à Tchekhov s’est rapidement éteint car j’ai retrouvé dans l’écriture et dans l’atmosphère qui régnaient sur scène quelque chose qui s’approchait de ce que je pouvais ressentir devant ses pièces. Et puis j’ai attendu. J’ai attendu. Et ça n’a pas pris. J’ai attendu l’émotion, j’ai attendu le message, j’ai attendu la vie. Mais l’étincelle qu’ils avaient allumée au début du spectacle s’est éteinte petit à petit.
Pourtant, je ne me suis ennuyée à aucun moment. Les acteurs sont tous très bons, et ils jouent ça avec vigueur et intérêt, sans doute mus par leur propre écriture. La mise en scène est très intelligente, présentant certains très beaux moments de temps qui passe, d’évolution des relations. Mais j’ai regardé ça comme un pur divertissement, et ce n’est pas ce que j’attendais de ce spectacle. Où est passée cette Mélancolie qu’ils mettent tant en valeur par les mots mais que je n’ai pas ressenti un seul instant ? J’attendais – et j’attends toujours – qu’un metteur en scène me fasse enfin comprendre ou haïr le personnage d’Ivanov, qui pour le moment ne réveille qu’un peu de pitié chez moi. J’espérais comprendre l’oeuvre sans doute la plus cruelle de Tchekhov. Ce sera pour une autre fois !
Mais si ce n’est ni un problème de texte, ni un problème de mise en scène, ni un problème de casting, pourquoi la mayonnaise n’a-t-elle pas prise ? Peut-être parce qu’il faudrait faire confiance à Tchekhov et arrêter de le déchiqueter en morceaux puis de le recomposer à sa propre sauce ? Pourquoi vouloir réadapter Tchekhov et ne pas essayer plutôt de le comprendre vraiment ? Pourquoi touche-t-on autant à ce monument cette saison, pourquoi prendre autant de libertés avec des textes pourtant si sublimes ?
Le geste initial comprend déjà une erreur : réécrire un texte qui n’est pas de soi est plein d’obstacles. Ce ne sont pas nos personnages, ce ne sont pas nos situations, nous ne les comprenons pas comme lui les maîtrisait. Ce n’est pas une intention qui vient des tripes, c’est une intellectualisation finalement un peu artificielle car elle ne naît pas en nous mais à partir de ce qu’on connaît déjà. Peut-être faudrait-il arrêter d’essayer de trouver « la bonne idée » et se concentrer sur ce qu’on veut véritablement dire, sur ce qu’on trouve nécessaire, presque vital. D’abord les tripes, ensuite le cerveau – voilà l’ordre des choses.
Malheureusement je n’ai pas été convaincu par cette tentative de mash up des Trois Soeurs et d’Ivanov. Pourtant j’étais bien entré dans la pièce, notamment grâce à la justesse de Julie André (Olympe) et à la malice de Aleksandra de Cizancourt (Natacha), même si on peut s’interroger sur l’utilité du petit film vidéo en introduction, qui nous présente les personnages de Nicolas et Anna ou la chronique d’une mort annoncée (de leur relation ?). Je parvenais même à (plus ou moins) oublier l’adaptation des « Trois Soeurs » de Simon Stone vue la semaine précédente, qui m’avait plus qu’enthousiasmé, mais bien différente de celle qui se déroulait sous nos yeux, plutôt intéressante. Pourtant quelque chose s’est cassé au passage du chapitre deux. Est-ce le jeu de Eric Charon ou son personnage de Nicolas/Ivanov qui m’a exaspéré alors qu’il prenait de plus en plus d’importance ? Sont-ce les longueurs de cette deuxième partie qui m’ont plongé dans un ennui à peine gommé par la dernière partie ?
Je crois qu’en fait, j’ai été plus ému… c’est peut-être pas le bon mot… questionné… pas le bon mot non plus… remué par une phrase dans le programme que par le spectacle tout entier : « J’aime l’idée que ce sont des êtres au milieu de leur vie qui se sentent déjà vieux. »