Critiques pour l'événement UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE
9 déc. 2023
8,5/10
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Antonietta et Gabriele sont voisins, pourtant il n’y avait presque aucune chance qu’ils se rencontrent. La perruche qui s’échappe de la cuisine de l’une pour aller se poser sur le balcon de l’autre en décide autrement, en ce jour très particulier de 1938 à Rome, où Hitler rencontre Mussolini devant une foule enthousiaste. Ne restent dans l’immeuble que ces deux personnages et la concierge suspicieuse.

Mais le contexte historique et géographique n’est qu’une circonstance de cette rencontre entre deux solitudes. Car ce que la pièce explore c’est la condition des femmes et celle des homosexuels. Ce n’est pas un hasard si au départ Scola voulait faire un film sur les mêmes thèmes dans les années 70. Dans les années 60-70, cette condition est à peine meilleure que dans les années 30. En France, les femmes n’ont le droit à un compte en banque qu’en 1965, à la contraception en 1967, à l’avortement en 1974 ; quant à l’homosexualité elle est dépénalisée … en 1982 !

Antonietta est seule au milieu d’une petite foule formée par son mari, qui ne lui parle que pour lui donner des ordres et ses six enfants. Gabriele est seul depuis que le fascisme a décidé que les homosexuels étaient indésirables, qu’il a été licencié de la radio et qu’il a dû se séparer de son compagnon. D’abord méfiante, Antonietta va se laisser emporter par la fantaisie triste de Gabriele. Pour la première fois depuis très longtemps un homme la regarde vraiment, lui donne un livre et même la sert à table. Pour la première fois elle va douter du bien fondé de ce qu’on lui a inculqué.

C’est la grande force de la pièce : la rencontre avec l’altérité, montrer qu’on ne peut détester l’autre en raison de ce qu’il est quand on l’a rencontré vraiment. « Moi, je ne crois pas que le locataire du 3ème étage soit un antifasciste, tout au plus c’est le fascisme qui est anti-locataire du 3ème étage ! » s’exclame Gabriele. Si la mise en scène de Lilo Baur rencontre quelques difficultés à faire exister le hors-champ (la présence des enfants au début de la pièce, la rue en contrebas qu’Antonietta voit de sa fenêtre), en revanche sa scénographie, cinématographique, avec un décor évolutif, des plateaux tournants, évoque bien les changements de plans et de points de vue.

Laetitia Casta est magnifique de sensibilité, aux prises avec ses contradictions et s’avouant à elle-même autant qu’à Gabriele sa condition d’esclave.
Roschdy Zem campe un Gabriele tout en retenue jusqu’à ce qu’il craque et crie qui il est vraiment. La parole est difficile pour Antonietta, qui n’a pas reçu d’éducation et pour Gabriele, pour qui parler équivaut à une condamnation. "A une ignorante, on peut tout faire, parce qu’il n’y a pas de respect » constate amèrement Antonietta. L’écho dans notre époque est immense, dans le monde tellement de femmes doivent lutter pour s’éduquer, exercer une profession ou simplement exister. Et partout où l’homosexualité est criminalisée, les droits des femmes sont bafoués, l’un ne va pas sans l’autre. Pendant quelques heures Antonietta et Gabriele, vont s’écouter, se respecter, se prendre comme ils sont.
Comme un pied de nez à la haine.

À voir, sans aucun doute.