Critiques pour l'événement Trahisons
19 juin 2016
8,5/10
66
Est-ce que tromper son mari est une trahison ? Est-ce la seule ?

Si l’on en croit le titre d’Harold Pinter, au pluriel, il y a en réalité une multitude de trahisons possibles, que ce soit envers soi ou envers les autres. En remontant le fil des souvenirs de ces personnages, il nous invite à nous interroger sur le poids de l’incommunicabilité et ce que cela implique dans une telle situation. Deux hommes, une femme, trois vérités et autant d’occasions de trahir par des non-dits et des faux semblants vecteurs des failles de chacun. Pour cela, nous pouvons compter sur la mise en scène contemporaine et éclairantes de Carole Proszowski qui intègre des instants chorégraphiés.

Certains rapprochements ou expressions physiques se déroulent derrière une palissade en plexiglas tandis que les parties plus cérébrales se déroulent sous nos yeux. Des retrouvailles autour d’un verre aux discussions amicales ou amoureuses, la scénographie astucieuse permet de changer de lieu et de temporalité en un instant. Mettant en avant le langage double du corps et des mots, chacun trouve la possibilité de s’exprimer pleinement, que ce soit dans l’ombre de la palissade ou plein feux sur le devant de la scène.

Emma l’avoue, à cet instant où elle s’apprête à quitter Robert, son mari, elle a soudain éprouvé le besoin de voir Jerry. C’est là une réaction humaine typique, celle de la peur de l’abandon et de la solitude. Dans le trio, c’est elle le fil rouge des tensions, révélations et dissimulations. Elle tient la vie des autres entre ses mains. Séverine Saillet s’en sort à merveille avec ce rôle qui est loin d’être évident. Tour à tour pétillante et sombre, elle passe de bras en bras avec une aisance déconcertante. A ses côtés, Fabien Leca est un formidable amant. Très convaincant, il trouve une justesse de jeu pour amener son personnage à dévoiler ses faiblesses et en faire des forces. Seul Hakim Djaziri semble un peu en-dessous de ses camarades, campant un mari un peu trop lisse tandis que le texte de Pinter en fait un être quasiment manipulateur et dissimulateur. Il est presque dommage de ne pas avoir donné un peu plus de relief à ce troisième personnage bien que cela fonctionne parfaitement. Les comédiens sont très investis et mettent en lumière le propos grinçant de l’auteur.

Les personnages tourmentés sont des êtres fragiles et frappés d’une grande solitude, même lorsqu’ils sont ensemble. C’est peut-être là toute l’expression de la tragédie humaine que le dramaturge anglais sait si bien transcrire dans ses œuvres.
Le trio d’acteurs, captivant, se lance corps et âme dans ces Trahisons, permettant de faire entendre autrement le texte, incroyablement maîtrisé, dont les enjeux puissants ressortent pleinement avec limpidité dans une dualité fascinante du corps et de l’esprit. Une heure et demie plus tard, nous n’avons pas vu le temps passer, pris dans la spirale de cette histoire et nous quittons la salle de la Folie Théâtre avec mille interrogations puisque la vérité est insaisissable au théâtre comme le disait si justement Pinter mais aussi avec la satisfaction d’avoir pu redécouvrir une si belle œuvre avec tout le talent d’une distribution de qualité.