Critiques pour l'événement Passion
23 mars 2016
6/10
97
J'étais enchantée d'aller enfin voir du Sondheim (ayant loupé tous les précédents!) et en plus de voir Natalie Dessay. J'allais pouvoir me rattraper. En plus le théâtre du Châtelet a quelque chose d'assez magique, j'adore y aller.
Le théâtre était quasiment plein et le public très à l'écoute, bien que tousser bruyamment devrait être passible d'une amende.

Parlons du spectacle. Passion relève presque plus de l'opéra que de la comédie musicale. La mise en scène minimaliste et les somptueux costumes font penser à ces belles captations que l'ont peut voir sur des chaînes comme Mezzo. Je n'en suis pas à mon premier spectacle, mais j'ai retrouvé la quelque chose de "grand" que j'avais rarement vu avant. Les acteurs/chanteurs sont très bons, en particulier Erica Spyres dans le rôle de Clara. Chacune de ses apparitions sont sublimes. En revanche j'ai été surprise par Natalie Dessay qui semblait parfois comme en difficulté dans le registre, à moins que cela n'était fait pour coller au personnage difficile de Fosca, qu'elle interprète admirablement.

Bien que basé sur une histoire tragique, on sourit et on rit de temps en temps, car la mise en scène et la direction d'acteur ne manquent pas de second degré, comme bien souvent le suggèrent les œuvres de Sondheim.
...Bon, malgré son Tony Award du meilleur Musical en 1994, Passion est selon moi loin d'être la meilleure pièce du compositeur. On ne retient pas vraiment de leitmotiv, et il y a quelque chose d'un peu vieillot dans l’œuvre, qui lui donne parfois quelques petites longueurs.

Une belle production du Châtelet quoi qu'il arrive. J'espère que le départ du directeur Jean-Luc Choplin ne marquera pas la fin des belles productions du théâtre musical dans ce magnifique lieu !
Je suis contente d'avoir vu ce spectacle.
20 mars 2016
7/10
138
Natalie Dessay/Fanny Ardant/Stephen Sondheim : un cocktail improbable et pourtant à l’origine d’une intense « tragédie musicale », sombre et touchante. Au Théâtre du Châtelet, le suc vénéneux de Passion enflamme le public en quête de grand-huit émotionnel. Ardant abat judicieusement la carte du minimalisme pour laisser libre court à l’hubris obsessionnelle : pari gagnant malgré une abstraction scénographique parfois regrettable. Grimée et enlaidie, celle qui souhaite désormais se consacrer surtout au théâtre, livre une prestation dense et habitée, très séduisante. Chapeau.

Le jeune et beau officier de garnison Giorgio Bachetti vit une liaison torride avec Clara, une bourgeoise mariée de Milan. Il est cependant affecté dans une petite ville de Province… Les deux amants continuent leur relation en s’écrivant. Giorgio lui raconte qu’il a fait la connaissance de Fosca, la cousine de son Colonel. Gravement malade et laide à faire peur, elle passe ses journées cloîtrée dans sa chambre à lire (le méditatif « I read »), pour s’évader… Son coup de foudre pour le militaire, son harcèlement continuel, la mèneront tout droit à la tombe mais avant cela, notre soldat aura succombé à la passion, contaminé par le dévouement sincère et absolu de Fosca. Passion prend donc à rebours le traditionnel triangle amoureux en en inversant les valeurs axiologiques : la belle maîtresse se retrouve délaissée au profit du vilain petit canard à l’amour sans concession.

Emballée par l’adaptation d’Ettore Scola, Fanny Ardant s’est jetée dans la bataille avec radicalité. De cette œuvre hybride, à mi-chemin entre opéra et musical, elle choisit d’en explorer la piste fantasmagorique. Sur un plateau désespérément vide, structuré par les tableaux (trop) abstraits et très noirs de Guillaume Durrieu, règnent d’envoûtantes ténèbres. Les subtils jeux de clair-obscur, alliés à une atmosphère brumeuse, convoquent autant de scènes floues. Rêve ou réalité ? Cette tension s’avère bien rendue, redoublée par la forme épistolaire de cette production atypique qui mène à des temporalités confuses. Ardant restitue à merveille ces superpositions (« Garden Sequence », « Trio »), notamment lorsque Giorgio et Clara batifolent tandis que Fiosca apprend par lettre que son amour n’est pas réciproque… Extrêmement cruel !

Si Ardant évite avec brio de tomber dans le piège du mélo sucré et larmoyant, il n’en demeure pas moins que l’immense scène du Châtelet paraît bien vide. Avec le budget confortable consacré aux productions maison, on était en droit d’attendre un décor un minimum plus fourni bien que ce minimalisme cadre bien avec l’histoire surtout mentale de Passion.

Vertiges de l’amour
Natalie Dessay dessine une Fosca émouvante et dense : on pourrait la comparer selon des termes modernes à une « stalkeuse perverse narcissique » mais son abnégation et sa foi forcent le respect. Dans un total contre-emploi (et pour la première fois en anglais), Queen Natalie est renversante de justesse. À ses côtés, Ryan Silvermann campe un Giorgio tourmenté et léger, à la voix accueillante et stimulante. Erica Spyres enfin, est délicieuse en Clara rayonnante et spectrale.

« Mourir aimée, c’est avoir vécu » conclut Fosca. Avec Passion, l’amour conduit au trépas mais aussi à une forme d’accomplissement magique. Ardant restitue pertinemment la valse des sentiments en soulignant sa noirceur traversée de trouées lumineuses. On courtise constamment la mort ici, tel cet Ange aux ailes noires et à la magnifique traîne olivâtre représentant la jeune Fosca, déjà marquée du sceau de la finitude.