Critiques pour l'événement Les sincères
2 mars 2020
8,5/10
9
Je ne connaissais pas Les Sincères, pièce écrite au bel âge de 51 ans par Marivaux en 1739, le ton y est singulier. Nous sommes loin des marivaudages classiques du maitre. Ici, on est en guerre contre la sincérité et les gagnants seront ceux qui manipulent le plus les autres dans l’ombre pour former les couples qui leur conviennent.

Ergaste est un adepte de la sincérité, il veut dire la vérité au point que parfois cela puisse se retourner contre lui. Dans le même temps, La Marquise et Ergaste se font les yeux doux, mais leurs domestiques, Lisette et Frontin, ne sont absolument pas d’accord et vont tout faire pour rompre l’idylle de leurs maitres. Les deux complices vont déployer des ruses autour de la sincérité et manipuler leur entourage pour parvenir à leurs fins.

Non content d’être une pièce rarement jouée, c’est aussi une pièce singulière au ton glaçant de Marivaux, un choix assumé de la part du metteur en scène et comédien Jean-Marie Ledo qui a entrainé la compagnie ‘le théâtre des 400 coups’ dans cette aventure passionnante.

D’abord, il y a ce texte si différent des autres pièces de Marivaux, avec un côté froid et un regard particulièrement aigu de l’auteur sur le monde. J’ai adoré l’ironie mordante de certaines scènes. Bien sur certaines scènes prêtent à sourire mais c’est le drame qui se joue sous nos qui retient toute notre attention. J’ai d’ailleurs récupéré le texte après avoir vu la pièce tellement il m’a fait forte impression.
Ensuite, il y a la mise en scène très pertinente toute en subtilité et cet espace central délimité par des traits qui force les comédiens à évoluer soit dedans et être dans la lumière ou à l’extérieur et à œuvrer dans l’ombre.

Enfin, il y a six comédiens qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour donner vie à cette manipulation grandeur nature : Olivier Ducaillou, Guillaume Kovacs, Maïna Louboutin, Jean-Marie Ledo, Michelle Sevault et Natacha Simic. Ils se cherchent, s’évitent, se trouvent, se perdent et s’affrontent avec un naturel bien agréable.

On passe une soirée idéale à découvrir un texte qui gagne à être connu dans une mise en scène réussie et avec des comédiens talentueux.
28 févr. 2020
10/10
9
« Les sincères » de Marivaux au théâtre Le Guichet Montparnasse dans une mise en scène de Jean-Marie Ledo est une vision sans compromission de la nature humaine sous forme de comédie bien sombre.

Jean-Marie Ledo a choisi dans sa mise en scène de prolonger la main de Marivaux en montrant le côté sombre de l’humain, sa face cachée, le côté obscur de la force.
Force qui le pousse par sa vanité, son orgueil, à se croire au dessus de la mêlée et d’être par dessus tous les autres : Sincères !

Nous sommes bien loin des marivaudages auxquels nous sommes habitués, quoiqu’ils aient pris une autre forme, l’amour n’étant jamais très loin du propos.
Les galanteries délicates et recherchées sont plutôt celles de la sincérité selon les propos de l’auteur. Toute la question est de savoir si leur communion est possible ?

Peut-on être totalement sincère tout en marivaudant ?
Car être sincère n’est-il pas d’exprimer ses pensées et ou ses sentiments sans les déguiser ?
Et Ergaste d’affirmer : « Je réponds de la sincérité de mes sentiments, je n’en garantis pas la justesse. » et d’ajouter que si pour paraître franc, il fallait mentir, il mentirait.
Vous comprendrez ainsi toute la complexité de l’intrigue qui va se dérouler sous nos yeux.

Ce soir, les couples se font et se défont au rythme des flatteries et des mensonges tout en étant sincères…sans compter la perfidie ou l’honnêteté des domestiques, toujours très présents chez Marivaux comme chez Molière, exaspérés par tant de sincérité galvaudée.

L’arme absolue pour réussir, c’est la sincérité : c’est ce que croient en tout cas la Marquise et Ergaste, qui l’un et l’autre ne peuvent s’exprimer qu’en étant profondément sincères au risque de se couper du monde.
Comme cette scène très drôle qui rappelle celle du Misanthrope où Ergaste ne peut concevoir autre chose que de dire la vérité même si cela l’oblige à perdre son procès.
Célimène et Alceste ne sont pas très loin…
Un Misanthrope qui sera très présent dans cette comédie dans laquelle le metteur en scène prendra soin de mettre continuellement entre les mains d’Ergaste un exemplaire de cette comédie. 73 années séparent la création des deux pièces…

Oui être sincère avec le quidam est aisé, mais qu’en est-il de la sincérité qui réunit la Marquise et Ergaste dans l’ébauche d’un amour où naissent les sentiments, projetant même un mariage, mais laissant place à la jalousie : l’ennemi…

Revenons à la genèse de l’intrigue : la Marquise est promise à Dorante, mais ce dernier est à ses yeux un vil flatteur même quand elle lui demande de lui exprimer ses défauts, qui deviennent dans la bouche de Dorante des qualités. La boucle est bouclée, c’en est trop pour ses oreilles qui n’acceptent plus les louanges.
Quant à Ergaste il est promis à Araminte. Elle a beau papillonner autour de lui, il n’a d’yeux que pour la belle Marquise.

Gravitent autour de ces deux couples les domestiques qui pour une fois ne sont pas amoureux ensemble mais qui complotent. Lisette est amoureuse de Dubois, valet de Dorante, qu’elle trouve plus beau que Frontin, et Frontin a donné son cœur à Marton, suivante d’Araminte, qu’il trouve plus belle que Lisette.
Ils n’ont qu’un seul but pour préserver leurs intérêts, éviter à tous prix que les couples illégitimes, à leurs yeux, se forment et que les « initiaux » retrouvent leurs âmes en leur faisant comprendre qu’ils se sont toujours aimés.

Jean-Marie Ledo a mis en scène cette comédie aux allures tragiques dans une « boîte noire » serpentée par un labyrinthe dans lequel les comédiens cherchent la sortie, se perdent et réfléchissent à leur condition, à leur avenir.
Dans une sobriété laissant place au texte et avec une fluidité tout en sensibilité, il a construit leurs parcours à l’extérieur et à l’intérieur de leurs chemins de vie. Laissant aussi les domestiques contrôler, depuis leurs postes de guets, les allers et venues de leurs maîtres, leur laissant le loisir de mener à bien leur complot.

Six comédiens sincères dans leurs jeux, si ce n’est dans leurs textes, se jaugent, s’écoutent, s’aiment, tout en affrontant leurs peurs, peurs de céder à la tentation, ou tout simplement au véritable amour.
La Marquise, la coquette au bijou qui brille de mille feux est jouée par Natacha Simic. Pour lui donner le change Olivier Ducaillou, de sa voix de stentor, plongé dans ses songes du Misanthrope, est à la recherche de sa vérité. Le beau Dorante amoureux transi aux yeux pétillants est joué par Guillaume Kovacs. Maïna Louboutin est tout en finesse la délicate Araminte qui pousse habilement ses pions pour arriver à ses fins.
Quant au drôle de couple formé par les deux fripons qui sèment la pagaille, dans ce jeu aux troubles manipulations, ils sont joués par Michelle Sevault pour Lisette et Jean-Marie Ledo pour Frontin.

« Les sincères » une pièce méconnue de Marivaux qui mise en lumière par les comédiens du théâtre des 400 coups et l’intéressante mise en scène de Jean-Marie Ledo mérite que l’on s’y intéresse de plus près, en allant « découvrir » cette pépite au théâtre Le Guichet Montparnasse.
28 févr. 2020
9/10
10
... Un « Marivaux » remarquable, intéressant autant que souriant. Une mise en scène audacieuse et réussie. Une interprétation toute en entièreté. Un spectacle à savourer sans aucun doute.