Critiques pour l'événement Le Livre de ma Mère
26 mars 2018
6/10
31
Le journal de ma mère est un texte magnifique que Patrick Timsit rêvait depuis des années d'interpréter. Je m'attendais donc à quelque chose de particulier, dans une mise en scène extrêmement soignée.

Si le comédien déploie une sensibilité hors pair je quitte néanmoins la salle animée par une relative (et rare) colère. Quelle idée de l'avoir équipé d’un micro ? Le pauvre serait-il devenu aphone? Aurait-il peur de n’être pas entendu dans ce théâtre dont l’acoustique est juste parfaite ?

L’appareil, réglé plein pot durant les premières minutes, suggérait la pièce radiophonique. Comme il fut difficile pour les spectateurs à l’audition normale de se projeter dans l’intimité de la confidence !

La béquille ne s'accorde pas avec le parti-pris de mise en scène puisque Dominique Pitoiset lui fait interpréter le rôle d'un acteur qui répète son rôle, texte à la main, auquel il se réfère très souvent (alors que j'aurais parié qu'il le connaissait par coeur). A-t-on déjà vu des comédiens équipés de micro en répétition ?

Il serait Albert Cohen dans son bureau d'écrivain, en Suisse. L'incongruité provient alors de la présence d'un écran de cinéma en fond de scène, lequel n'existe que dans les bureaux des producteurs de cinéma ou chez les grands patrons d'agence de publicité.

On verra pendant un peu plus d'une heure Patrick Timsit arpenter la scène, s'asseoir, se relever, déclencher avec une télécommande la mise en route d'images, comme si nous assistions à une conférence touristique. Encore une fois rien ne nous place sur le terrain de la confidence. La première image annonce Le livre de ma mère ... on n'en doutait pas.

Le récit est autant écrit à la gloire de la mère qu'il est autobiographique. On apprend l'arrivée de Albert Cohen à cinq ans, venant de Corfou avec sa famille. On était des rien-du-tout sociaux.

Le texte est sublime. Nos douleurs sont une ile déserte. Les mots consolent mais ils ne me rendront pas ma mère. La peine du fils est immense. La plainte, elle est morte reviendra en boucle et il égrènera bientôt la litanie des jamais plus. Le public est enthousiaste, applaudit l'arrivée du comédien a tout rompre, et rit sans réserve aux blagues juives. Du type les mariages qui commencent par de l'amour c'est mauvais signe.

Décor et lumières ne méritent pas davantage le compliment. La lecture du dossier de presse m’apprend que le metteur en scène a cumulé les postes. Manque de budget ou volonté de tout contrôler ? L’intelligentsia pourra lui tresser des couronnes parce que c’est Cohen, parce que c’est Timsit, je continuerai à regretter qu’il n’y ait pas eu de direction d’acteur mais juste une mise en place. Je m’en étonne d’autant plus que je sais que le comédien échafaude ce projet depuis une dizaine d’années.

Il y a cependant un superbe instant de théâtre et gloire à celui (ou celle) qui en a eu l’idée: le fils débouchonne la bouteille d’eau, s’accroupit et pose le bouchon de plastique sur le sol qui soudain devient cette tombe dont il vient de nous parler en termes émouvants : ... on a eu la gentille pensée de lui mettre dessus une lourde dalle de marbre, un presse-mort, pour être bien sûr qu'elle ne s'en ira pas.

Encore faut-il connaitre la coutume voulant que pour montrer que quelqu'un est venu se recueillir sur une tombe, on dépose une petite pierre, puisque les fleurs sont interdites dans la religion juive, ce que j'avais appris lors d'un séjour à Berlin.

Cette marque d'honneur est éternelle (à l'inverse des fleurs qui pourrissent rapidement). J'ai donc été extrêmement choquée qu'à la fin de la pièce le comédien ramasse le bouchon et le pose sur le bureau.

La musique est choisie avec soin. On entendra Smile de Nat King Cole sur des images familiales de vacances au bord de la mer filmées en super 8. Ce sera plus tard Mrs Robinson de Simon & Garfunkel (que l'on entend beaucoup au théâtre en ce moment) juste avant d'enchainer sur un sirtaki. On fait un saut dans le temps avec la chanson d'Arno (1995) qui célèbre de sa voix profonde et rauque Dans les yeux de ma mère au travers de paroles parfois crues et de mots peu élégants.

C'est une sorte de contrepoint à l'écriture de Cohen alors que bien entendu les deux textes ne sont pas du tout de la même époque. L'amour d'une mère serait-il universel ? Albert Cohen voyait dans les yeux de sa mère : une folie de tendresse, une divine folie. C’est la maternité. C’est la majesté de l’amour, la loi sublime, un regard de Dieu. Soudain, elle m’apparaît comme la preuve de Dieu.

J'ai mal compris (décidément) l'emploi du Petit train des Rita Mitsouko pour accompagner la fin du spectacle. Certes on voit alors les images d'une locomotive tirant un serpentin de wagons (Odyssey Smoking-petit train sur l'eau de Tang Nannan) mais est-ce parce que la chanson aborde le thème très grave et douloureux de la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale que Dominique Pitoiset l'a choisie ?

Cette chanson écrite en 1988 était dédiée à Sam Ringer, le père de Catherine, qui avait été l’une des victimes. Et je ne pense pas que la mère d'Albert Cohen, décédée à Marseille en janvier 1943, ait été déportée.

Le spectacle s'achève sur le désespoir de l'écrivain : Je suis un poussin sans poule. Il exhorte les garçons à être doux chaque jour avec leur mère.

Son ultime geste est de changer de cravate ... pour en porter une de couleur vive, signe de la fin du deuil ? Ce n'est pas certain puisque la musique de Nat King Cole revient. Mais au cas où on en douterait le comédien saisit la télécommande pour afficher le mot FIN sur l'écran;

Mon conseil : cassez une graine au Bistrot du théâtre (à l’étage) et enchaînez avec Baby. La maternité est au centre des préoccupations de l’Atelier. Après la mère bien réelle d’Albert Cohen c’est la question de la procréation pour autrui qu'Hélène Vincent met brillamment en scène.
16 févr. 2018
7/10
30
Timsit dans ce registre nous émeut.
Il parvient à apporter sa personnalité au spectacle tout en s'effaçant derrière ce texte fort.
Il le façonne à son image mais le laisse aussi vivre.

Les vidéos bien qu'un peu trop présentes sont très belles.
Le décor, la mise en scène apporte le dynamisme qui aurait pu manquer et rendre ça un peu trop figé.
A mon goût un peu trop de répétitions de mots. Je préfère qu'on mette du poids dans la manière de les interpréter plutôt que les appuyer en les répétant.
On aurait aussi aimé plus de passages tendres et drôles. Parfois les moments tristes sont trop longs et frisent l'ennui.
Mais comme le texte est magnifique on reste absorbé.

C'est un beau seul en scène. Une belle communion avec la salle.
3 févr. 2018
8/10
32
Jeu remarquable de Patrick Timsit, qui retranscrit avec passion et nostalgie le roman d'Albert Cohen.

Bien que seul sur scène et accompagné d'un décor sans intérêt, Timsit comble l'espace et le temps.

Il fait d'une autobiographie un texte parlant pour tous et accessible, autrement dit, pas besoin d'être un grand intellectuel pour aller voir cette représentation mais juste d'avoir eu une mère.

Le texte de Cohen est très intéressant jusqu'à la moitié du spectacle mais il se répète après.

Ps : Une pièce un peu courte (1h15) pour le prix.
6 janv. 2018
4/10
50
Rendez vous manqué.

Quelle joie d'enfin pouvoir découvrir Patrick Timsit sur scène, lui qui a le pouvoir de nous émouvoir et nous faire rire dans un même spectacle et/ou film. Alors quand l'on traite d'un sujet aussi sensible que la perte d'une mère dont on culpabilise de ne pas avoir su l'aimer suffisamment avant son trépas, on s'attend à sortir les mouchoirs. Du moins, le coeur va s'emballer et la mâchoire se serrer.

Dans une mise en scène, si on peut lui donner ce nom, si moderne et absurde, on se sent très vite dans une mascarade de spectacle. Le comédien est sur scène en permanence avec des feuilles et le spectacle ressemble bientôt plus à une lecture qu'à une confidence. Les nombreuses vidéos, du nombre de 5 je crois, durant au total approximativement 10 à 15 minutes, viennent détruire tout germe d'émotion et d'abandon et ridiculise le propos et la portée de la souffrance.

La douleur et la culpabilité du fils indifférent ne sachant comment faire rejaillir les mots et les excuses futiles face à une tombe sont désincarnées et ne nous transportent jamais. Un gâchis immense et au pourtant j'aime Mr Timsit qui réussi à m'émouvoir lors de ses spectacles comiques ou lors de certaines prestations cinématographiques.

C'est un rendez-vous manqué et j'en suis désolé. Mais il semble que la salle, aux vivas des applaudissements, ne partage pas ma profonde déception
30 déc. 2017
9/10
57
Trente ans !
Trente ans que Patrick Timsit a ouvert pour la première fois l'ouvrage d'Albert Cohen « Le livre de ma Mère », que l'écrivain lui-même qualifiait de « chant de mort ».

La mort de la Mère.
Un fils dit l'indicible : la mort de celle qui lui a donné la vie.

Trente ans que Timsit attendait de trouver le bon metteur en scène pour monter le texte sur un plateau.
La rencontre s'opéra à l'occasion du merveilleux Cyrano de Dominique Pitoiset.
Ce Cyrano bouleversant d'humanité, incarné par un Philippe Torreton qui criait la rage et la folie du personnage dans le réfectoire carrelé d'un hôpital psychiatrique.

Cohen / Timsit / Pitoiset.
Comme une évidence.
Parce que ces trois-là nous racontent une histoire universelle, commune à tous les fils, rassemblant finalement les deux moitiés de l'Humanité.

Le comédien va dire les mots de l'écrivain d'une façon on ne peut plus juste, convaincante, sans aucun pathos malvenu. Le piège a été évité de bien belle façon.

Drôle lorsqu'il le faut (les adresses à Dieu, les rapports à la judéité, les « excès » de la mère juive sont jubilatoires), souvent émouvant, parfois bouleversant, il incarne ce fils.

Pas besoin d'être grand clerc pour s'apercevoir que Timsit est lui-même ce fils-là.

Il incarne également le Cohen le déraciné, obligé de quitter à cinq ans Corfou pour Marseille.

(A ce propos, si l'on connaît l'écrivain Albert Cohen, on sait moins son rôle de diplomate, chargé notamment de l'élaboration de l'Accord international du 15 octobre 1946 relatif à la protection des Réfugiés, toujours en vigueur, mais bien souvent malmené. Suivez mon regard.
Timsit insiste bien sur la phrase suivante : « Ce qui est laid sur Terre, c'est qu'il ne suffit pas d'être naïf ou tendre, pour être accueilli à bras ouverts. » Et je referme ma parenthèse.)

La mise en scène de Dominique Pitoiset est sobre, sans effets ni gadgets inutiles.
Le personnage-fils-écrivain rédige son texte autour d'un grand bureau, devant un écran de projection.
Le metteur en scène, tout comme dans Cyrano, (Christian et Roxane communiquaient ainsi), va se servir d'un ordinateur à la pomme pour que le comédien projette des séquences de souvenirs personnels, ou des extraits du texte.

Lors d'une de ces séquences projetées, Timsit s'adresse à lui-même, au mauvais fils qu'il a parfois été ou croit avoir été. C'est un très joli moment.

La dernière partie, peut-être la plus émouvante, s'adresse au public en général, et aux « fils de mères encore vivantes » en particulier.
Le comédien a alors la larme à l'oeil, on comprend combien il aimerait être ce fils d'une mère encore vivante.

Tout ceci nous fait mesurer à nous autres dont c'est le cas la chance et le bonheur que nous avons d'être ce que ne sont plus ni le personnage ni son comédien.

Une chance que nous ne mesurons pas assez, une chance qui un jour ne sera plus.

C'est un spectacle qui vous engage alors soit à vous souvenir intensément, soit à vous précipiter pour crier « Je t'aime, ma Maman ! A moi. »
29 déc. 2017
8/10
25
Sur scène, un vaste bureau de bois clair, sur lequel sont posés un ordinateur, des bannettes, des stylos, des cadres photos, des feuilles de papier. On devine un certain fouillis, celui sur lequel l’écrivain s’asseyait pour travailler. Patrick Timsit arrive et commence alors à raconter : la mère qu’il a trop mal aimée, les souvenirs qui se pressent dans sa mémoire, l’enfance qui remonte et cet amour inconditionnel, absolu, entier d’une mère pour son enfant.

Tandis que parfois défilent sur l’écran au-dessus du bureau des images vidéo aux couleurs un peu fanées d’une enfance qui s’estompe, ou qu’est diffusée une bande-son pertinente, Timsit dit les mots de Cohen avec sobriété et humilité. L’intelligence de Dominique Pitoiset réside en ce qu’il a sans doute demandé à son comédien de dire simplement le texte plutôt que le jouer, de ne pas essayer d’interpréter le deuil, les regrets ou la tristesse : les mots de Cohen / Timsit résonnent donc avec pudeur et justesse, sans pathos, sans effet inutile, le comédien devient passeur d’une émotion qui touche au cœur. Le livre peut se refermer, Patrick Timsit a réussi son pari.
27 déc. 2017
7/10
15
Patrick Timsit est un grand comédien, j’en étais déjà convaincue avant de le voir sur scène à l’Atelier avec ce texte d’Albert Cohen. Patrick Timsit est sublime dans ce rôle de fils qui raconte sa mère.

Dans ce texte, que dis-je ? Non, dans cette déclaration d’amour aux mères en général, à sa propre mère en particulier, Albert Cohen se dévoile intimement. Il nous révèle son enfance et son adolescence en compagnie de celle qui a été son ombre, veillant à tous les moments sur lui, l’aimant plus que personne d’autre. Lui, il doit maintenant vivre sans elle.

Patrick Timsit s’empare du texte, pour le faire sien et on pourrait croire qu’il nous parle de sa maman tant il ‘vit’ ce texte. Il utilise la scène, dirigé avec finesse par Dominique Pitoiset, non pas comme il a pu le faire lors de précédents one man show pour appuyer ses effets, mais pour servir le texte et les émotions qui nous assaillent.

Les émotions : on commence par sourire avec l’évocation de clichés, entre autre sur les Suisses, puis on sent la tristesse, le chagrin, les regrets. Et il y a cette phrase lancinante qui ponctue les différentes anecdotes : ‘elle est morte’ comme un couperet.

Il fait des pauses dans cette évocation : Il fait bon de s’asseoir et de regarder l’écran qui occupe le fond de la scène et de replonger dans un souvenir qui sent bon la baignade au bord de la Méditerranée. La nostalgie nous submerge.

Je regrette juste que ce texte verse trop dans le pathos et le mélo, je n’ai pas été sensible à certaines anecdotes de ce fait mais je recommande cette pièce tout de même.
27 déc. 2017
8,5/10
40
Livre-poème, livre-mélopée, livre-confidence, livre-confession, LE LIVRE DE MA MÈRE d’Albert Cohen est le livre d’une enfance terminée, de souvenirs qui jaillissent, de regrets amers et de joies passées, qu’on ne savait pas si heureux.

Comme un livre de deuil à jamais refermé. Comme une sublime déclaration d’amour à sa mère, une déclaration vraie, ultime, de celles qui n’attendent rien en retour.

Quelle majestueuse présentation des révélations intimes que la mort d’un être si cher fait ressurgir. Les moments enfouis d’un passé d’enfant, ceux refoulés dans l’inconscient d’un adulte, les profondeurs de l’abnégation d’une mère et les ravages protecteurs de son affection. Un livre d’amour que ce livre de mort.

Le choix de Patrick Timsit de le présenter en monologue théâtral est bienvenu. La mise en scène de Dominique Pitoiset est discrète et précise, alternant les images qui ressurgissent et les mots qui racontent, accompagnant l’émotion de ce fils meurtri avec délicatesse et sans exagération.

Le talent de Patrick Timsit sait nous faire partager sans pathos les propos d’un fils qui entame son deuil et revit à voix haute les bribes de cette fusion racontée comme une analyse faisant défiler le passé. Grâce à lui, le texte devient une partition où la tendresse et la dévotion se conjuguent dans la musique pudique et sincère de la confidence qui délivre.

Une ode chaleureuse et émouvante à la femme qui souvent nous a plus aimé que n’importe qui. Un comédien tout en intériorité qui nous fait aimer ce personnage avec une vibrante émotion contenue. Un digne et intense rendez-vous d’amour.
10 oct. 2017
7,5/10
11
À la suite d'une représentation de "Cyrano de Bergerac" dans la brillante mise en scène de Dominique Pitoiset, Patrick Timsit a eu l'intuition de faire appel au metteur en scène afin d'adapter pour la scène le grand texte d'Albert Cohen.

Le pari est tenu et cette adaptation scénique est de très bonne facture. L'émotion monte en intensité tout au long du spectacle et le comédien arrive, la plupart du temps, à maintenir à assez bonne distance ses usages de one-man-show.

La mise en scène et la scénographie de Dominique Pitoiset sont sobres et élégantes. Celles-ci, tout comme le jeu de Patrick Timisit, semblent être au service du texte de Cohen, de la manière la plus humble et respectueuse possible. Ce dégage de cette démarche théâtral, un véritable sentiment de sincérité.