Critiques pour l'événement Archipel Marie N’Diaye
L’une des plus belles missions du théâtre consiste à transmettre. Passer le relais aux générations suivantes. Partager sa passion et son expérience à des jeunes qui débutent sur la scène professionnelle.
Après un passage à la Cartoucherie il y a deux ans, Georges Lavaudant revient aux Bouffes du Nord présenter un patchwork textuel centré autour de Marie NDiaye. Dans Archipel Marie NDiaye, l’ancien directeur de l’Odéon fait la part belle à la jeunesse et organise un montage aussi déroutant qu’éclairant autour des leitmotivs du prix Goncourt 2009. De l’humour noir au polar en passant par le conte tragique, cette constellation littéraire dérive de l’intime vers l’universel en un claquement de doigt en révélant les failles de la famille et des liens sociaux et l’exclusion des marginaux.
On ne sait pas trop sur quel pied danser au début. À mi chemin entre Kafka et Bram Stoker, la première vignette se la joue thriller fantastique lorsque le professeur Herman se lance à la recherche de son épouse et de son fils disparu dans un petit village. Inquiétante étrangeté, fantoches, décalage comique entre les Parisiens et les Provinciaux… Bref, du bizarre dans du familier : tel semble être le credo de Marie NDiaye et cette exposition pose d’emblée les fondations d’une écriture de l’entre-deux.
Pas évident de débroussailler une production aussi touffue lorsqu’il s’agit d’en faire une adaptation sur les planches. Fasciné par l’écrivain, Lavaudant a pourtant pris beaucoup de plaisir à « rechercher des densités d’écriture différentes » : romans, poèmes, interviews… Cet aspect de bric-à-brac peut paraître totalement arbitraire voire parfois farfelu mais la relecture finale de la trajectoire adoptée permet de mieux saisir les enjeux et les motifs récurrents de NDiaye. Cette esthétique du disparate engage aussi une certaine fraîcheur, un dynamisme, une capacité d’adaptation exigeante de la part des comédiens. Bien sûr, tous les extraits choisis ne se valent pas et certains semblent plus anecdotiques que d’autres.
Drôle de cynisme
N’empêche qu’on trouve de belles pépites comme cette bourgeoise de gauche, membre du parti radical, qui s’insurge de la condition de sa domestique tout en étant consciente d’abuser de supériorité de classe. Ou bien, encore plus terrible et cynique, cette mère de famille rabrouée lors d’une réunion de parents d’élèves lorsqu’elle ose dénoncer le viol de son fils par le maître d’école. La petite communauté tolère les exactions de leur ami en échange d’une qualité d’enseignement exceptionnelle… Les trois petites interviews ancrent davantage la partition dans une réflexion méta-littéraire : sa vocation précoce à douze ans, son amour initial pour Proust et Henry James, son envie de devenir unique et de se sauver de la vie réelle par la littérature…
Les deux dernières vignettes opèrent un contraste saisissant entre les noces copieuses d’un couple mal assorti à la Bovary (ponctuées de la « Macarena » et de « La Danse des canards ») et le récit tragique de Khady Demba (Trois Femmes puissantes), qui souhaite fuir son pays et doit se résoudre à la prostitution, trahie ensuite par son amant. Fini de rire ici, les dix comédiens se transforment en chœur antique, sobre et vibrant, tout de noir vêtu et le résultat est déchirant.
Citons-les d’ailleurs tous ces jeunes pousses car elles le méritent amplement : Valérian Behar Bonnet, Elisa Benizio, Hugo Brunswick, Rosa Bursztein, Bérénice Coudy, Clovis Fouin, Kevin Garnichat, Benoît Hamon, Fannie Outeiro et Barbara Probst. Leur complicité est réelle, leur présence bien ancrée sur scène, leur talent indéniable. Naviguant sans problème sur différents registres, ils s’engagent corps et âme dans leur jeu.
Les îlots ainsi rassemblés par Lavaudant forment un archipel élastique, intriguant et noir, grotesque et cruel. L’exercice ne vas pas de soi mais le collage fonctionne puisqu’il permet d’ouvrir une brèche dans l’écriture de Marie NDiaye tout en en soulignant sa diversité de ton et de forme. On a très envie de revoir ces dix jeunes rapidement au théâtre. On espère que notre prière sera entendue.
Après un passage à la Cartoucherie il y a deux ans, Georges Lavaudant revient aux Bouffes du Nord présenter un patchwork textuel centré autour de Marie NDiaye. Dans Archipel Marie NDiaye, l’ancien directeur de l’Odéon fait la part belle à la jeunesse et organise un montage aussi déroutant qu’éclairant autour des leitmotivs du prix Goncourt 2009. De l’humour noir au polar en passant par le conte tragique, cette constellation littéraire dérive de l’intime vers l’universel en un claquement de doigt en révélant les failles de la famille et des liens sociaux et l’exclusion des marginaux.
On ne sait pas trop sur quel pied danser au début. À mi chemin entre Kafka et Bram Stoker, la première vignette se la joue thriller fantastique lorsque le professeur Herman se lance à la recherche de son épouse et de son fils disparu dans un petit village. Inquiétante étrangeté, fantoches, décalage comique entre les Parisiens et les Provinciaux… Bref, du bizarre dans du familier : tel semble être le credo de Marie NDiaye et cette exposition pose d’emblée les fondations d’une écriture de l’entre-deux.
Pas évident de débroussailler une production aussi touffue lorsqu’il s’agit d’en faire une adaptation sur les planches. Fasciné par l’écrivain, Lavaudant a pourtant pris beaucoup de plaisir à « rechercher des densités d’écriture différentes » : romans, poèmes, interviews… Cet aspect de bric-à-brac peut paraître totalement arbitraire voire parfois farfelu mais la relecture finale de la trajectoire adoptée permet de mieux saisir les enjeux et les motifs récurrents de NDiaye. Cette esthétique du disparate engage aussi une certaine fraîcheur, un dynamisme, une capacité d’adaptation exigeante de la part des comédiens. Bien sûr, tous les extraits choisis ne se valent pas et certains semblent plus anecdotiques que d’autres.
Drôle de cynisme
N’empêche qu’on trouve de belles pépites comme cette bourgeoise de gauche, membre du parti radical, qui s’insurge de la condition de sa domestique tout en étant consciente d’abuser de supériorité de classe. Ou bien, encore plus terrible et cynique, cette mère de famille rabrouée lors d’une réunion de parents d’élèves lorsqu’elle ose dénoncer le viol de son fils par le maître d’école. La petite communauté tolère les exactions de leur ami en échange d’une qualité d’enseignement exceptionnelle… Les trois petites interviews ancrent davantage la partition dans une réflexion méta-littéraire : sa vocation précoce à douze ans, son amour initial pour Proust et Henry James, son envie de devenir unique et de se sauver de la vie réelle par la littérature…
Les deux dernières vignettes opèrent un contraste saisissant entre les noces copieuses d’un couple mal assorti à la Bovary (ponctuées de la « Macarena » et de « La Danse des canards ») et le récit tragique de Khady Demba (Trois Femmes puissantes), qui souhaite fuir son pays et doit se résoudre à la prostitution, trahie ensuite par son amant. Fini de rire ici, les dix comédiens se transforment en chœur antique, sobre et vibrant, tout de noir vêtu et le résultat est déchirant.
Citons-les d’ailleurs tous ces jeunes pousses car elles le méritent amplement : Valérian Behar Bonnet, Elisa Benizio, Hugo Brunswick, Rosa Bursztein, Bérénice Coudy, Clovis Fouin, Kevin Garnichat, Benoît Hamon, Fannie Outeiro et Barbara Probst. Leur complicité est réelle, leur présence bien ancrée sur scène, leur talent indéniable. Naviguant sans problème sur différents registres, ils s’engagent corps et âme dans leur jeu.
Les îlots ainsi rassemblés par Lavaudant forment un archipel élastique, intriguant et noir, grotesque et cruel. L’exercice ne vas pas de soi mais le collage fonctionne puisqu’il permet d’ouvrir une brèche dans l’écriture de Marie NDiaye tout en en soulignant sa diversité de ton et de forme. On a très envie de revoir ces dix jeunes rapidement au théâtre. On espère que notre prière sera entendue.
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