Ses critiques
1 critique
7,5/10
J’écris. C’est mon métier. C’est dire que chez moi, la voyeuse n’est pas, n’a jamais été très loin de la surface policée – même si l’on m’a appris, comme à nous tous, qu’il est impoli d’écouter aux portes et de lire la correspondance d’autrui.
Au théâtre, j’ai souvent rêvé de pouvoir me glisser au milieu des personnages, de respirer leur sueur, de surprendre un geste furtif, de lire sur leur visage, sous le maquillage de scène, la tension qui les habite et les ravit, au sens propre, loin de ce monde et loin d’eux-mêmes. Bref, d’être un fantôme.
Par chance, la nouvelle production de Léonard Matton avec la compagnie A2R, Helsingør ou le château d’Hamlet, m’a enfin permis de réaliser ce rêve. Dans cette pièce, nous – les spectateurs – sommes les fantômes, les témoins muets, au même titre que le spectre du roi assassiné. Nous ne sommes pas assis sur des rangées de fauteuils, attendant d’applaudir à tout rompre (tel un contingent de fauves qu’il faudrait parquer pour n’en pas craindre les désordres) ; nous déambulons de pièce en pièce, dans ce château hanté, suivant au gré de nos envies les protagonistes, les croisant, tournant autour d’eux ou nous rassemblant dans les angles de l’espace scénique. L’un des parcours, celui qui m’a été proposé à l’entrée, arbitrairement, par la couleur du bracelet que je portais à mon poignet, commence dans une vaste salle obscure. Un homme encapuchonné est là, qui en cherche un autre. Il projette sur les murs noirs la lumière de sa lampe. Cette lueur glisse sur nous sans s’arrêter – nous voilà dématérialisés. Nous n’avons plus de corps. Quel bonheur, et quelle chance.
Comme un fantôme, oui, ou comme un enfant curieux à qui nul ne prête plus attention quand les passions se déchaînent, me voici désormais libre de suivre Hamlet, Horatio, Polonius ou Ophélie qui, dans les pièces séparées par d’épais rideaux de velours et des couloirs labyrinthiques, vivent simultanément – mais pas toujours – leur propre drame. Libre d’examiner les objets posés sur les meubles, d’ouvrir un tiroir et d’en tirer une lettre, libre de lire le destin dans un jeu de cartes étalé sur un guéridon. Libre de suivre les voix qui éclatent ici ou là, ou bien de m’attarder dans le silence qui suit une révélation. Ai-je vu Hamlet, hier soir ? Non. J’ai vécu Hamlet. J’ai reconstitué dans mes errances cette histoire de mort, de trahison et de vengeance, d’amitié et d’amour blessé. J’ai été cette forme dont Ophélie s’approche, et qui garde le silence devant ses yeux fous de terreur. J’ai frôlé le lit de l’inceste. J’ai chancelé sous le poids d’un corps qui roulait à mes pieds. J’ai envie de recommencer.
P.S. : Tous les comédiens sont formidables. Une mention spéciale pour les rôles féminins, une Ophélie qui donne à voir avec subtilité la destruction progressive de son être et Zazie Delem, impressionnante en Gertrude, la mère d’Hamlet – une reine déjà presque spectrale elle-même dans son écrin de taffetas rouge sang, habitée par le désespoir lucide et l’accablement sensuel.
Au théâtre, j’ai souvent rêvé de pouvoir me glisser au milieu des personnages, de respirer leur sueur, de surprendre un geste furtif, de lire sur leur visage, sous le maquillage de scène, la tension qui les habite et les ravit, au sens propre, loin de ce monde et loin d’eux-mêmes. Bref, d’être un fantôme.
Par chance, la nouvelle production de Léonard Matton avec la compagnie A2R, Helsingør ou le château d’Hamlet, m’a enfin permis de réaliser ce rêve. Dans cette pièce, nous – les spectateurs – sommes les fantômes, les témoins muets, au même titre que le spectre du roi assassiné. Nous ne sommes pas assis sur des rangées de fauteuils, attendant d’applaudir à tout rompre (tel un contingent de fauves qu’il faudrait parquer pour n’en pas craindre les désordres) ; nous déambulons de pièce en pièce, dans ce château hanté, suivant au gré de nos envies les protagonistes, les croisant, tournant autour d’eux ou nous rassemblant dans les angles de l’espace scénique. L’un des parcours, celui qui m’a été proposé à l’entrée, arbitrairement, par la couleur du bracelet que je portais à mon poignet, commence dans une vaste salle obscure. Un homme encapuchonné est là, qui en cherche un autre. Il projette sur les murs noirs la lumière de sa lampe. Cette lueur glisse sur nous sans s’arrêter – nous voilà dématérialisés. Nous n’avons plus de corps. Quel bonheur, et quelle chance.
Comme un fantôme, oui, ou comme un enfant curieux à qui nul ne prête plus attention quand les passions se déchaînent, me voici désormais libre de suivre Hamlet, Horatio, Polonius ou Ophélie qui, dans les pièces séparées par d’épais rideaux de velours et des couloirs labyrinthiques, vivent simultanément – mais pas toujours – leur propre drame. Libre d’examiner les objets posés sur les meubles, d’ouvrir un tiroir et d’en tirer une lettre, libre de lire le destin dans un jeu de cartes étalé sur un guéridon. Libre de suivre les voix qui éclatent ici ou là, ou bien de m’attarder dans le silence qui suit une révélation. Ai-je vu Hamlet, hier soir ? Non. J’ai vécu Hamlet. J’ai reconstitué dans mes errances cette histoire de mort, de trahison et de vengeance, d’amitié et d’amour blessé. J’ai été cette forme dont Ophélie s’approche, et qui garde le silence devant ses yeux fous de terreur. J’ai frôlé le lit de l’inceste. J’ai chancelé sous le poids d’un corps qui roulait à mes pieds. J’ai envie de recommencer.
P.S. : Tous les comédiens sont formidables. Une mention spéciale pour les rôles féminins, une Ophélie qui donne à voir avec subtilité la destruction progressive de son être et Zazie Delem, impressionnante en Gertrude, la mère d’Hamlet – une reine déjà presque spectrale elle-même dans son écrin de taffetas rouge sang, habitée par le désespoir lucide et l’accablement sensuel.