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Thyeste, Thomas Jolly

Thyeste, Thomas Jolly
Mis en scène par Thomas Jolly
  • En tournée dans toute la France
Itinéraire
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Atrée et Thyeste sont frères. Ils se disputent le trône d’Argos.

Celui qui aura dans ses étables un bélier à toison d’or sera désigné roi. De là naît une lutte fratricide, une violence consanguine, ultime, anthropophage, un attentat à l’Humanité tout entière qui révèle nos propres monstruosités, individuelles et collectives.

En s’emparant de cette tragédie, l’une des plus noires de Sénèque, Thomas Jolly active la force inouïe du théâtre : la rencontre entre l’inerte (un texte, un plateau) et le vivant (les acteurs, les spectateurs), le formidable surgissement de l’empathie, pour qu'adviennent une prise de conscience, une sortie d’impasse et une mise en mouvement de la pensée.

Créée pour la Cour d’Honneur du Palais des Papes du festival d'Avignon, conçue comme un opéra, cette mise en scène spectaculaire de Thyeste enclenche ainsi un processus ancestral, bouleversant et salvateur.

 

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Toutes les critiques
30 avr. 2019
9,5/10
26
Il en rêvait ... Thomas Jolly a été sollicité par Olivier Py pour présenter pour la première fois son Thyeste en ouverture du 72 ème Festival d’Avignon 2018, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

Il a imaginé un univers fantastique et spectaculaire dans le cadre quasi magique de la cour, où se rencontrent un fantôme, une furie et surtout les deux frères ennemis… Porté par une musique envoûtante, ce spectacle total offre une réflexion-choc sur la nature humaine.

Ce n'est pas en Avignon que je l'ai découvert mais sur le plateau (grand mais plus modeste) du Théâtre Firmin Gémier La Piscine de Chatenay-Malabry (92). J'avais été prévenue par la note d'intention sur la violence du spectacle. Une amie m'avait mise en garde en me promettant l'insoutenable. Est-ce pour cela que j'ai regardé le spectacle avec une certaine distance ? Toujours est-il que je l'ai beaucoup apprécié. Je ne fus pas la seule car il a été ovationné par un public, debout, et pressé de rencontrer Thomas Jolly et quelques-uns des comédiens pour parler de ce travail après la représentation.

Faut-il résumer le propos ? Atrée règne sur Mycènes, dévoré par la haine pour son frère Thyeste, qui a tenté de lui dérober le pouvoir. Pour se venger, Atrée décide de tendre un piège à Thyeste : il l’invite à un festin sanglant, dans lequel il va lui faire manger ses propres enfants… Avec Thyeste, le philosophe romain Sénèque remonte aux sources de la malédiction des Atrides, dynastie marquée du sceau du meurtre, du parricide et de l’inceste.

Beaucoup de critiques ont été publiées à propos de la pièce et vous n'aurez aucun mal à les trouver. Je vais donc me concentrer plutôt sur la rencontre avec un homme qui est certes connu pour son addiction aux monstres, révélé par un mémorable Henry VI de Shakespeare en 2012, mais que j'avais découvert bien plus tôt au festival Impatience, en 2009, dans un registre autrement comique, avec Toâ ... qui lui valut une récompense.

Thomas est revenu sur sa joie de monter à Avignon une pièce qui est censée se dérouler devant une façade de palais, même s'il nous a surpris en nous apprenant qu’il préférait un plateau comme celui de La Piscine parce qu’il offre un meilleur rapport au public, presque un huis clos.

Cet été, profitant du cadre naturel il a surtout cherché à signifier la disproportion entre notre monde et celui des dieux. C’est une visite au musée du Louvre où il remarque la muse de la tragédie qui lui donne l’idée de Tantale en tant que colosse. Il s’est inspiré aussi de films comme Alien car la science-fiction se rapproche beaucoup du théâtre romain en nous signifiant que l’action ne s’inscrit pas dans une réalité. D'où l'emploi de masques.

Il a manifestement creusé le sujet avant de prendre ses décisions de mise en scène. Ainsi, il a interrogé Florence Dumont, la traductrice, qui est aussi une grande spécialiste du théâtre romain, pour savoir si Sénèque était plutôt lu ou joué. Elle l’a rassuré : il était joué, sans crainte d’user d’effets pyrotechniques, de jets d’eau rougie au safran pour faire croire à une pluie de sang, de montrer des dieux arrimés par grues. Sa traduction date de 1960 mais elle est encore contextualisée avec précision. On entend le mot attentat, et l’expression crime contre l’humanité, qui a toute sa pertinence parce qu’après le crime le soleil ne se lèvera plus, et l’humanité ne pourra plus être comme avant.

À l’origine Atrée et Thyeste sont jumeaux. La femme du premier a partagé le lit du frère. Atrée cherche à remonter le temps en faisant ravaler ses fils à son frère pour rétablir l’équilibre. La pièce s'intitule Thyeste mais c'est Atrée le monstre et c'est Thomas Jolly qui endosse le rôle. N’allez pas croire qu'il approuve l'infanticide et le cannibalisme : Je trouve écoeurante cette pièce où le crime est ressassé, allant encore plus loin que Médée ou Oedipe dans "le trou du cul de la tragédie". Il précise qu’à l’époque romaine on distinguait les jumeaux qui étaient parfaitement différenciés. Il faut aussi avoir conscience que le public connaissait le théâtre de Sénèque aussi bien que nous connaissons aujourd’hui les contes de Grimm, si bien que nous sommes capables d'apprécier la variation que par exemple Joël Pommerat nous propose de Cendrillon et d'en éprouver du plaisir.

Il a souligné son ambition de traduire scéniquement les volontés de l’auteur sans les modifier. Ainsi il a choisi de projeter sur le mur de fond le mot soleil (qui pour lui est le bien commun de l’humanité) traduit dans toutes les langues pour illustrer ce que Sénèque veut dire en en appelant au chœur de l’humanité toute entière.

Le chœur -en tant que chorale- ne fait pas partie de l’histoire et il a, avec la danse et sa grande musicalité, une fonction de soupape entre les cinq scènes. Il est interprété par un seul personnage, confié à une seule comédienne, Emeline Frémont (remarquable) qui a relevé le défi d’un chant à la limite du rap, presque slamé, mais respectant totalement la pensée du texte si bien qu'à l’instar du prêcheur dans les églises américaines elle donne un peu de lumière dans ce temps horrible. Thomas lui a demandé de s'inspirer du mouvement qu'on appelle "spoken word" comme le fait le groupe Fauve. Seul manquait ce soir le dernier chant, le requiem de la chute des étoiles, interprété par trois enfants sur scène en Avignon. Nous n'avons pas perçu la lueur d’espoir qu'apportait le traité d’indulgence mutuelle pour ramener la paix.

Quant à la scène du banquet, il a voulu une table disproportionnée, qui bien sûr était plus longue encore dans la cour du Palais des Papes. Contrairement à ce qu'on pourrait supposer il n'y a aucun lien à faire avec la religion et en particulière avec la Cène. Il nous fait remarquer que le cuisinier a conservé intacts les têtes et les mains afin que le père puisse les reconnaître lorsqu’on les lui présentera. Sinon comment y croire ? C'est tout à fait métaphorique de la définition que le metteur en scène donne du drame : La tragédie c’est le moment où on ne peut plus recoller les morceaux.

Ce soir le spectateur était en apnée face à une telle sophistication de l’horreur. Thomas n’est cependant pas provocant et il condamne sans hésitation la violence. Il rappelle aux spectateurs restés nombreux pour l’entendre que le théâtre adore les monstres. Sénèque nous montre une violence sans limites pour peut-être nous rappeler nos limites. C'est en ce sens que pour Thomas Jolly cette philosophie fait du bien à entendre et il est allé jusqu'à employer ce terme de feel-good dont on qualifie en ce moment une forme de littérature facile.

Le metteur en scène a été interrogé sur ses intentions. Il n'en a pas tout à fait fini avec les monstres, et nous surprendra sans doute encore avec sa prochaine création, un opéra de Pascal Dusapin, un auteur contemporain, qui sans reprendre le texte de Shakespeare – créera Macbeth Underworld à La Monnaie de Bruxelles en septembre 2019, avant sa reprise à l’Opéra Comique en mars 2020.

J'ai trouvé les costumes (de Sylvette Dequest) remarquables de poésie et d'intelligence, y compris dans des détails qui n'ont pas été pensés en tant que tels mais qui sont chargés de sens comme les rubans de la chevelure d'Emeline Frémont et qui m'ont fait pensé à ceux dont on orne les statues au Mexique après avoir écrit dessus des prières et des voeux.

On peut regretter que la tournée s'achève et s'estimer très heureux d'avoir eu la chance de voir ce spectacle d'un "monstre sacré" ... si humain.
15 févr. 2019
10/10
40
Spectacle vu aux Célestins Lyon le 13 février 2019.
Les critiques sont unanimes. Voir celle excellente d'Yves Poey sur ce site. Inutile, donc, que je pérore ou que j'ânonne "ma" critique.
Excellente pièce. Le théâtre "antique" nous montre une fois de plus sa grandeur et ses intransigeances à rester dans le questionnement de la condition humaine et de ses tabous.
La mise en scène de Thomas Jolly est brillante, soutenue par des acteurs de chair ... et un décor presque de science fiction.
Le spectateur ne sort pas indemne de ce spectacle théâtral.
BRAVISSIMO !
28 nov. 2018
10/10
59
Une nouvelle fois, encore une fois, Thomas Jolly nous démontre son incroyable capacité à ancrer un texte « classique », écrit voici près de deux mille ans, dans la plus universelle des universalités, et à le placer dans la plus profonde des perspectives.

Ils sont rares, ces metteurs en scène qui possèdent un tel talent.
Nous en tenons un, de ces metteurs en scène-là ! C'est décidément un grand !

Franchement, Hannibal Lecter, en comparaison d'Atrée, c'est vraiment un petit bras !
Parce qu'Atrée, c'est quand même un type qui au cours d'un banquet va réussir à faire déguster en brochettes ses deux neveux à leur père Thyeste, après les avoir assassinés, découpés et faits cuire au barbecue.

Sénèque nous emmène dans le monde de l'ultra-violence et de l'ultra-vengeance.
Bien au-delà la vengeance, même !

Il le fait d'ailleurs dire à l'un de ses personnges : « Ce n'est pas de la vengeance, c'est pire ! […] Il n'y a pas de limite à la vengeance. »

Oui, le roi Atrée se venge de son Thyeste de frère, qui jadis eut la mauvaise idée de lui ravir le pouvoir et en même temps son épouse, qu'il surnomme désormais « la putain ».

Avec le summum de l'outrage pour lui : il n'est désormais pas certain de sa descendance, qui n'est peut-être pas de lui.

C'est par l'un des tabous les plus ultimes de l'Humanité que la vengeance va s'accomplir : le cannibalisme de ses propres enfants.

Et même cette horreur-là semblera à la réflexion insuffisante à Atrée : il pensera qu'il aurait pu faire en sorte que son frère assassine et découpe lui-même ses deux petits.

On voit par là que Sénèque ne se fait guère d'illusions : il sait que l'on peut trouver encore plus inhumain que la pire des inhumanités.

On aura également compris que Thomas Jolly se délecte cette fois-ci encore d'incarner un monstre, peut-être même le plus monstrueux de tous les monstres.

Mais que l'on ne s'y trompe pas.
Ce monstre, cet Atrée, c'est l'archétype de la monstruosité que peuvent engendrer la société et la folie des hommes.
Cette monstruosité, c'est celle qui jalonne toute l'histoire de l'humanité. Et qui continue parfois, encore et toujours...
« Tout sombrera, la religion, la confiance entre les hommes. .. » nous dit l'auteur romain.
Mais peut-être est-ce pour mieux nous mettre en garde, pour nous permettre de mieux vivre ensemble en nous montrant ce qu'il considère comme le pire du pire...

L'autre thème de prédilection de Thomas Jolly, c'est l'enfance.
Les enfants qui subissent, les enfants qui sont confrontés à l'horreur générée par les hommes.
Et il y en aura, sur scène, des enfants ! Et même des têtes d'enfants, dans un sac ensanglanté...

Nous serons plongés dans l'horreur et dans l'effroi. Il faudra son prodigieux talent pour que la catharsis opère !

Jolly maîtrise non seulement le fond, mais également la forme.
Tout d'abord, il a eu la très bonne idée de faire appel à Florence Dupont qui a traduit de façon actuelle, moderne le texte de Sénèque, lui conférant ainsi une théâtralité, une intensité, un rythme, une oralité fulgurants et magnifiques.

Et puis, la marque de fabrique du patron de la Piccola Familia est là, manifeste : les images fortes, inoubliables, les représentations scéniques très inspirées, très picturales avec les fins pinceaux mouvants de lumière blanche, tels des rais divins et mystiques, le pouvoir symbolisé par des couronnes dérisoires, les nappes musicales synthétiques, les infra-basses percutantes, tout est bel et bien là.
Pour notre plus grand plaisir.

Ce qu'il nous montre est à nouveau beau et morbide, sublime et gore, magnifique et sombre.
Avec ces immenses tête et main sur le plateau, symboles de l'humanité toute entière.

Les comédiens de la troupe sont comme à l'accoutumée très investis par leur rôles.
Annie Mercier est sidérante de présence, elle est glaçante en mégère, espèce de sorcière épouvantable à la robe ensanglantée, Damien Avice est un Thyeste déchirant !

Quant au patron lui-même, il est à nouveau terrifiant de fourberie, de mauvaiseté, d'horreur. De monstruosité, quoi !

Je n'aurai garde d'oublier de mentionner un passage hallucinant, parmi tous les autres passages hallucinants : Thomas Jolly fait slamer une comédienne sur du Sénèque, à grand renfort de boucles rythmiques et de projecteurs-lyres asservis.
C'est gonflé, c'est culotté. Et ça fonctionne à la perfection, au delà de toute espérance.

Ainsi donc, au cours de ces presque deux heures et demie, nous serons descendus bien au dessous des enfers. Une plongée dans l'épouvante presque indicible.
Dans un bain d'horreur. Et c'est jouissif !

Ce spectacle sidérant et époustouflant, ce choc visuel et dramaturgique est l'un de ceux qui restent à jamais gravés dans la mémoire d'un amoureux du théâtre.

Le spectacle d'un lutin de trente-six ans qui a ouvert cette année dans la Cour d'Honneur le 72ème Festival d'Avignon.
Respect total !
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Texte
Jeu des acteurs
Rire
Intérêt intellectuel
Mise en scène et décor