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L'île des esclaves (Tours)
Quatre Athéniens, deux maîtres et deux esclaves, se retrouvent échoués sur une île. Pas n’importe laquelle : la mystérieuse et révolutionnaire « île des esclaves »…
Très vite, guidés par Trivelin, le gouverneur de cette république, les naufragés vont devoir se soumettre à une singulière expérience : inverser leurs rôles !
Les asservis se changent sans complexe en « patrons » de leurs anciens maîtres qui sont, eux, sommés de faire amende honorable et de montrer obéissance. Ceux à qui le hasard de la naissance avait donné des privilèges se révèleront-ils capables d’affronter ce revers de fortune ? Et comment se comporteront les anciens esclaves, eux-mêmes soumis aux exigences de leur hôte Trivelin ?
Souvenir des souffrances passées, chantage affectif et désir de vengeance vont bon train dans cette cruelle et vertigineuse comédie philosophique en un acte. Trois ans après La Dispute, Jacques Vincey met de nouveau en scène Marivaux, en compagnie des cinq jeunes comédiens de l’ensemble artistique du T°.
Adjoignant à la pièce un épilogue composé collectivement au cours des répétitions, ils nous invitent à interroger des formes d’asservissement qui, des plus intimes aux plus politiques, mutent sans disparaître à travers le temps.
CDN Théâtre Olympia
7 RUE DE LUCÉ – 37000 TOURS
Côté 1725 tout d’abord, une très belle scénographie se déploie sur le plateau. Dans un nuage de mousse, écume de la tempête qui a jeté sur le rivage de cette île mystérieuse, deux athéniens apparaissent. L’ esclave et son maître, bientôt rejoints par leurs doubles féminins, découvrent alors l’étrange loi du lieu. Les rôles y sont inversés, pour mieux être corrigés de leurs travers, les maîtres deviennent esclaves et vice versa, de quoi révéler sa véritable nature, ou montrer toute sa duplicité.
Noir et blanc, perruques et maquillages, entre élégance et burlesque, l’équilibre est très bien trouvé, la distribution impeccable, il y a de la poésie et des rires, et de très belles images.
Tout rentrera bientôt dans « l’ordre », l’esclave pardonnera au maître et reprendra sa place… un renoncement qui questionne derrière le « happy-end » apparent…
Et côté 2019 ?
Ce travail de l’équipe sur le texte de Marivaux a commencé la saison dernière, avec une version « foraine », présentée en particulier dans les collèges du département, avant d’être adaptée en version « salle » pour cette rentrée.
Un épilogue a été ajouté à la pièce, fruit des échanges en particulier autour de la première version, et si cela peut surprendre au début (y a -t-il vraiment besoin d’ajouter quelque chose, chacun ne peut-il pas poursuivre la réflexion seul ?, ou sous forme d’une discussion bord de plateau ?), la formule choisie permet de pointer des éléments qui n’auraient peut-être pas été aussi flagrants, et de croiser les regards que chaque génération peut poser sur le texte.
Ainsi, on s’interrogera sur la place des femmes chez Marivaux, dans son texte, dans le nombre de répliques accordé aux rôles féminins, on évoquera Deleuze, ou se questionnera sur la gentillesse, la colère, le pardon, la vengeance, sur bien d’autres choses encore et sur le bonheur du jeu tout simplement.
Et l’on aurait bien envie de retrouver à notre tour notre âme d’enfant, jouer à renverser ainsi les rôles comme dans un nouveau carnaval, jouer dans cette mousse inspirante, jouer sur les mots, jouer de la musique, jouer, tout court.
Bref, un début de saison inspirant!
C'est Jacques Vincey, le directeur du Centre dramatique national de Tours, par ailleurs metteur en scène de cette Ile des Esclaves qui nous parle, dans le noir.
Un prologue pour nous dire son envie, son besoin, son appréhension également de travailler avec de tout jeunes comédiens.
Le désir de communiquer avec des « gamins » qu'il ne comprend pas forcément, différence de générations oblige...
Le désir de leur donner la parole, le jeu, le texte...
Pour certains, ce sera le premier contrat professionnel.
Le cadre est donc ainsi posé. La pièce peut commencer.
Après le noir, le blanc.
Une île blanche, immaculée, où tout est à réécrire.
Une île pour le coup mystérieuse dans laquelle les conditions sociales vont s'inverser.
Marivaux va mettre en scène deux couples de naufragés.
Deux maîtres, Iphicrate et Euphrosine en costume (presque) d'époque, et leurs valets respectifs, Arlequin et Cléanthis, en marcel et caleçon.
Dès le début, tout le monde est habillé de blanc. Malgré les apparences, avant le naufrage, règne la plus impitoyable des hiérarchies.
Mais voilà, sur cette terre gouvernée par un certain Trivelin, les maîtres deviennent systématiquement esclaves, et réciproquement.
Les rapports fondés sur l'artificielle hiérarchie des rangs sociaux vont s'inverser.
Ce faisant, l'auteur nous place dans une situation délicate.
Nous sommes les témoins-voyeurs d'un conte-farce à la fois transgressif et cathartique.
Bien entendu, les mots de Marivaux résonnent encore très fortement aujourd'hui !
Les enjeux politiques, sociaux et philosophiques sont à peu près les mêmes qu'au XVIIIème siècle.
La hiérarchie sociale, malgré un égalitarisme plus ou moins volontairement fantasmé par nos « élites », cette hiérarchie-là est de plus en plus impitoyable.
Les rapports de force sont souvent toujours aussi violents.
Pour autant, Marivaux n'est pas un révolutionnaire...
Sous couvert d'un pardon et d'un amendement plus ou moins forcé, les rôles redeviendront les mêmes. L'ordre social ne sera finalement pas bouleversé.
Ou si peu, avec forcément un pari sur l'avenir...
Cinq gamins, donc, nous donnent une leçon de comédie !
Que d'enthousiasme, que de fougue, que d'envie de jouer, que d'énergie, que de plaisir à interpréter les mots de Marivaux ! Et surtout, que de talent, également.
Ces cinq-là m'ont purement et simplement enchanté.
Jacques Vincey a su réunir une distribution on ne peut plus homogène.
Tous sont d'une remarquable et irréprochable justesse, dirigés avec la précision qu'on connaît au metteur en scène, nous restituant avec un grand naturel et souvent une belle ingénuité la beauté de la langue du XVIIIème de la meilleure des façons.
De la même façon que le spectacle comportait un prologue, M. Vincey a proposé à ses comédiens de concocter suite à la pièce un moment dramaturgique faits de rebonds par rapport au texte.
Chacun va tout à tour se livrer devant nous.
Comme ça fait du bien d'entendre des jeunes gens impliqués, engagés, artistiquement, politiquement au sens noble et premier du terme.
Des jeunes gens qui ont des choses à dire. À nous dire.
Parce que leurs mots à eux interpellent tous les spectateurs du CDN.
Des mots vrais, des mots purs, des mots qui entrent en résonance avec Marivaux.
Comme il est rare de trouver un espace où ces mots peuvent être exprimés et donc reçus !
Mikaël Grédé-Iphicrate commencera à la batterie, parce que son discours sur le métier, sur l'auteur, relève de l'énergie du drummer à la double-pédale-kick !
Diane Pasquet-Cléanthis remontera sérieusement les bretelles à Marivaux, à propos du prétendu « sexe faible ».
Thomas Christin-Arlequin nous lira avec beaucoup d'émotion quelques pages de son carnet de répétition.
Blanche Adilon-Euphrosine s'exprimera silencieusement au moyen de grands cartons, très drôles. Elle nous montrera notamment que de tels moments d'expression sont rares, sur un plateau.
Et puis, Charlotte Ngandeu-Trivelin va s'exprimer elle aussi.
Mais pas par des mots.
Pendant que ses quatre camarades nous diront ce qu'ils ont choisi de nous dire, elle, elle va se transformer.
Je n'en dirai pas plus, mais ce qu'elle fait tout simplement, sans voir l'air d'y toucher, est d'une force inouïe.
Parce qu'il n'y a pas que le blanc, dans la vie.
L'Humanité n'est pas faite que de blanc et que de masculinité.
Là encore, il est nécessaire de l'affirmer, de le rappeler, et la façon dont le fait Melle Ngandeu est magnifique.
Vous l'aurez compris, tous ces moments de parole font écho avec force à cette Île des esclaves.
Les Tourangeaux ont donc beaucoup de chance de pouvoir découvrir ce passionnant spectacle.
Il faut noter qu'une version foraine réduite à une heure a été proposée en Indre-et-loire la saison passée.
J'espère vraiment et sincèrement que la version salle sera donnée à Paris lors d'une prochaine saison.