Critiques pour l'événement Nous sommes repus mais pas repentis
3 mars 2020
5,5/10
7
Voilà un spectacle surprenant, et questionnant!

Dans le chaos des débris de porcelaine, une société s’effondre…
Un frère, tout juste sorti de l’hôpital psychiatrique du Steinhof de Vienne, deux soeurs, comédiennes… et beaucoup de questions.
Le début m’a laissé un peu de côté, un petit temps d’adaptation nécessaire, à la sonorisation en particulier et à la vidéo, avant de se prendre au jeu de ces questions:
Sur la folie, bien sûr… qui l’est le plus? Lui, ou elles? Qui joue le plus ? Marie Bos a des accents à la Fanny Ardant, le texte s’en mêle, clin d’oeil à la mise en scène, et lorsque le frère se met à écrire un « traité de l’actrice », nous plongeons dans le théâtre dans le théâtre.
Sur l’identité, sur la famille, le poids du passé, l’héritage familial, des parents disparus très présents, et pas que dans le mobilier ou la vaisselle. Comment y échapper?
Sur l’histoire, du nazisme à aujourd’hui, de l’Autriche à la France, les questions sont toujours d’actualité.
Sur le texte lui même, les textes plutôt, à relire! De la réflexion, des rires aussi…
Vaisselle cassée, fureur, musique, omniprésente, avec une jolie surprise à la fin...
Uun spectacle qui secoue!
26 mai 2016
6,5/10
226
« Vaisselle cassée, c'est la fessée,
Vaisselle foutue, pan-pan cul-cul ! »

En écrivant ces deux lignes, le grand philosophe Pierre Perret était-il visionnaire qu'il ait anticipé à ce point cette adaptation par Séverine Chavrier du « Déjeuner chez Wittgenstein »de Thomas Bernhard ?

Car ils en cassent, sur scène, les trois comédiens, de la porcelaine blanche !
Serait-ce une image métaphorique de la fragilité de notre existence ?
Et qui plus est, à grand renfort de sonorisation rugissante, de cordes de piano frottées hyper-amplifiées, de platines vinyle survitaminées, de bris d'assiettes, de hurlements du texte....
Les amateurs de décibels se régalent !

Mais reprenons depuis le début.
On connaît l'argument de la pièce : deux sœurs, comédiennes plus ou moins ratées récupèrent chez elles leur frère, philosophe, jusque là interné dans un asile psychiatrique.
Mais le fou bernardhien est-il si fou de crier sa haine du passé de son pays, l'Autriche, de sa détestation de l'héritage familial ?
Lui, va poser les vrais problèmes !
Qui est le plus fou de tous, dans ces ateliers Berthier ?

Séverine Chavrier a choisi d'adapter ce déjeuner, et non pas de le donner tel qu'écrit par l'auteur.
Etait-ce là une bonne idée ?

Oui : après tout, je le répète souvent ici, il faut bousculer le théâtre, les textes et les auteurs.

Non : finalement, la préoccupation de la metteure en scène suisse passe devant celles du dramaturge autrichien. Elle a mis l'accent sur la musique, étant elle-même une excellente pianiste.
Des centaines de vinyles jonchent le sol, les pochettes sont accrochées au mur, des micros sont placés dans les objets, Wagner gronde, on entend des sons divers et variées, des scratchs, des craquements.

Tout ceci provoque une impression de saturation, comme lorsqu'on est devant une pub télé où le son est compressé au maximum et en permanence.
Deux heures vingt de ce régime est assez éprouvant.

Alors, bien entendu, et heu-reu-se-ment, les trois comédiens sont épatants.

Et notamment le fabuleux Laurent Papot, qui n'arrête pas un seul instant !
Survitaminé, hyper-actif, survolté : pour dépoter, il dépote !
Avec de grands moments hilarants :
La scène des profiterolles est à tomber par terre.
Sa façon de parler en crachant des grains de riz sur ses deux sœurs est jubilatoire... (J'avoue que j'y ai pris un plaisir sadique... Honte à moi ! )
Ses réflexions et analyses sur le suicides et les suicidaires sont drôlissimes, et l'on ne peut que rire.
Il est vraiment grandiose !
D'autant qu'il est vraiment « dedans » : ce soir-là, pendant l'une de ses tirades, un petit papillon de nuit virevoltait au dessus de la grande table : il n'a pas hésité à s'en servir, en improvisant une petite scénographie...
Formidable, ce Laurent Papot, vous dis-je !

Il faut également mentionner Marie Bos, qui prenant parfois une voix « à la Macha Béranger », campe la sœur du philosophe. Elle est tour à tour lunaire, étrange, bouleversante notamment quand elle nous confie sa difficulté d'aimer. Une vraie performance, également.

La metteure en scène-comédienne qui incarne la seconde sœur m'a parue un peu en retrait par rapport à ses deux camarades, mais il est vrai qu'elle n'a pas le rôle phare...

Au final, je retiendrai un spectacle plein de vraies et bonnes intentions, mais avec un désir de tout surexploiter, avec comme une volonté de ne jamais vouloir faire retomber la pression, la sauce, comme s'il s'agissait de vouloir brutaliser les spectateurs en permanence.

Mais après tout, n'est-ce pas également l'une des fonctions du Théâtre que de brutaliser, de secouer, de remuer le public ?

En tout cas, moi, ce matin, j'avais des acouphènes !
22 mai 2016
7/10
86
Monter une telle œuvre est un pari plutôt osé et disons-le franchement, la conception qu’en fait la comédienne franco-suisse transcrit très bien cette douleur de vivre mais l’univers et l’écriture au vitriol de Thomas Bernhard sont ici édulcorés pour mieux laisser ceux de Séverine Chavrier s’exprimer.

Le texte aurait sans doute mérité d’être davantage creusé plutôt que pulvérisé par moment car certaines brisures ne se recollent pas en dépit des intentions louables qui tentent d’exister sur le plateau. La mise en scène foisonnante ne fonctionne pas toujours. Parfois, à trop vouloir en dire, on ne suggère plus vraiment et on finit par perdre le spectateur. C’est notamment ce qui se passe avec l’utilisation abusive et exclusive des micros HF qui amplifient le moindre son. La vidéo est également très présente et pas toujours justifiée.

Lorsque la pièce s’ouvre, les deux sœurs discutent, allongées sur leur lit : « - Tu as centré toute ta vie sur Ludwig ! – Mais c’est juste une tentative. – Une tentative qui se finit à chaque fois en catastrophe. ». En effet, c’est le chaos qui nous attend lorsque le plateau s’éclaire : au fond, les trois lits. A jardin, un piano, souvent utilisé par Séverine Chavrier. A cour, des étagères vides. Au centre, une table est dressée avec de la vaisselle brisée en-dessous, parfaite allégorie de cette existence fragile, prête à basculer à tout instant. Au sol, des dizaines de vinyles rappelant l’importance de la musique dans la pièce. Schubert, Wagner... envahissent la salle pour notre plus grand plaisir auditif, venant apaiser quelque peu l’amplification sonore des paroles et déplacements conférant une ambiance agressive, assourdissante et bruyante. La mise en scène est osée, diversifiée et très travaillée. Elle fourmille d’idée, pulvérise les codes mais il y a un manque. Cependant, saluons la performance d’acteurs. Laurent Papot est démentiel dans la peau de Ludwig tandis que Marie Bos est extrêmement bouleversante dans ses maladresses d’amour.

Seule Séverine Chavrier semble légèrement en retrait, excepté dans des passages d’une brutale violence verbale.
Il est regrettable que Séverine Chavrier ne maîtrise que de manière extrêmement fragile l’ensemble de la pièce, très inégale. Il y a de beaux moments sur l’expression de l’angoisse humaine mais il demeure quelque chose de l’ordre de l’incompatibilité de la folie et de l’amour.

La proposition souffre de certaines longueurs et aurait gagné à être resserrée. L’ennui nous frôle souvent entre deux touches de justesse qui nous subjuguent et nous bouleversent. Une représentation en demi-teinte pour résumer, avec un aspect brisé, fêlé voire fissuré, fort intéressant mais qui ne fonctionne pas toujours en dépit des bonnes idées et des tentatives de peindre avec conviction la fragilité humaine que les angoisses rendent cassable comme de la porcelaine.

Il ne manque pas grand-chose pour totalement nous emporter mais c’est avec regret que nous devons avouer que ce Nous sommes repus mais pas repentis nous laisse sur notre faim.