Critiques pour l'événement Noces de sang
26 févr. 2017
7/10
61
Andalousie. Années 30.

Le soleil, la chape de plomb.

Le poids de la tradition, le poids de la religion.
La famille. L'honneur.
Tous ces concepts qui priment tout.

Le Novio, le fiancé, et sa mère, veuve d'un mari et d'un enfant tombés sous les coups d'une famille rivale, ces deux-là discutent âprement.
Lui est ravi : sa Novia, sa fiancée est belle et riche. Le mariage est proche.
Le mère, elle, voit d'un mauvais œil cette union : sa future belle-fille va lui prendre son fils et la laisser seule à la maison.

Tout est prêt pour que le drame éclate.

Le matin du mariage, la promise s'enfuit à cheval avec Leonardo. C'est lui qu'elle aime.
S'ensuit une longue traque.
Le faca-à-face sera inévitable.

La jeune compagnie La grue blanche a choisi de monter cette tragédie du grand écrivain andalou qu'est Fédérico Garcia-Lorca.
Et ce, avec une volonté affirmée de d'axer la pièce sur ce mélange de lyrisme et de fantastique propre à l'écrivain.

Ce parti-pris sied comme un gant à Garcia-Lorca qui connaissait et appréciait les poètes surréalistes de son époque.
Pour ce faire, les quatre comédiens et le metteur en scène ont choisi de mélanger les genres.
Le texte prime, bien entendu, mais on assiste également à un jeu de masques, des moments chantés, des moments musicaux à la clarinette et au violon, et du tango.

Oui, du tango.
Si Garcia-Lorca a puisé la plus grande partie de son inspiration dans la tradition folklorique du flamenco, c'est le tango qu'ont choisi les comédiens pour matérialiser la violence, la tragédie et surtout l'affrontement des deux rivaux.

Pourquoi pas.
Il faut oser, au théâtre, et l'on sent cette volonté de la part de la compagnie de tenter des choses, de se risquer sur des chemins ardus.

Hélène Hardouin, dans le rôle de la mère, illumine la pièce !
Et ce d'une lumière noire, la lumière du drame.

En petite veste sombre évoquant les dentelles d'une mantille, en jupe vaporeuse gris foncé, elle est bouleversante.

Sa rage, ses cris, sa colère et son désespoir sont impressionnants.
Elle est cette figure archétypale, elle incarne véritablement ce personnage de tragédie.
Elle nous assène cette fureur, cette violence, cette rancoeur trop longtemps enfouie.

Hélène Hardouin réussit brillamment, tout comme Cécile Brune, l'an passé au Français dans le rôle de Bernarda Alba, à matérialiser et faire vivre sur scène le personnage central de la dramaturgie de Garcia-Lorca : la Mère !
21 févr. 2017
7/10
29
Federico Garcia Lorca est un dramaturge et poète exigeant. Pour bien l’interpréter, il faut trouver le moyen de « donner corps», d’incarner son univers : c’est l'objectif visé par la compagnie de La Grue Blanche dans « Noces de sang ». A ce fait un parti pris intelligent a été développé: Sur une idée de Maiko Vuillod, Natalie Schaevers a travaillé sur une mise en scène incluant le tango argentin, les chants et la musique aux "Noces de Sang" de Lorca.

Inspiré d’un fait divers, l’intrigue est aussi sordide que simple à résumer : dans l’Espagne de l’entre deux guerres soucieuse des traditions, un jeune couple célèbre ses noces mais la jeune mariée s’enfuit avec son amant pendant la fête. Le fiancé humilié les retrouve et les deux hommes s'entretuent, versant leur sang orgueilleux sur la terre aride de leur aïeux.

Comme dans « La maison de Bernarda Alba », Lorca parle du peuple andalou, de leur fierté, de l’étouffement de cette société rétrograde, de cette Espagne conservatrice qui le fait souffrir. Les vieilles y sont des cerbères (belle prestation d’Hélène Hardouin), les hommes des êtres piégés et impulsifs : personne n’y est heureux. Les masques grimaçant façon comedia dell'arte sont là pour nous le rappeller tout comme les allégories de la Lune et la Mort que Lorca fait entrer dans la ronde tels des elfes du songe d'une nuit d'été. Seul le chant va libérer un peu leurs âmes du labeur et les quatre acteurs accordent leur timbre pour ne former plus qu’un.

Il y a également quelque chose de très charnel et de viscéral chez Lorca qui justifie le tango : c’est cette relation à la pulsion de mort/ pulsion de vie que j’ai retrouvé à travers le tango des deux rivaux, le fiancé et l’homme aimé. Il y avait ce quelque chose de la lutte et de la tension propre au tango qui donne corps au monde de Lorca et ce mélange des arts porte le texte avec finesse.

En définitive, je suis ressortie avec l’envie d’acheter le texte de la pièce et l’envie de revoir le très beau film « Ultimo Tango » (portrait d’un couple légendaire du tango agentin : Juan Carlos Copes et de Maria Nieves Rego). Du théâtre accessible qui crée des liens, jette des ponts entre les arts. C’est très bien !
17 févr. 2017
7/10
21
Cette pièce de théâtre de Federico Garcia Lorca, écrite en 1933, est emblématique des thèmes de son œuvre. Nous y retrouvons son attachement à la culture andalouse, la vive critique qu’il fait de ses traditions et l’élan passionnel qui le pousse, quand l'amour brille de ses feux, vers un onirisme fantastique aux abords proches du surréalisme.

Les noces de la fiancée et du fiancé font l’objet de calculs du père de l’une et de résistances de la mère de l’autre. Chacun souhaite y trouver son compte, qui l’oubli, qui le bonheur, qui la richesse, qui le combat contre la solitude. Les noces ont lieu et sont l’occasion de rassembler le village et ses gens.

Leonardo, le premier fiancé qui s’est marié depuis vient avec sa femme. La célébration passée, il finit par s’enfuir avec la nouvelle mariée. La fougue de ce premier amour ne s’est jamais éteinte. Cette échappée audacieuse vers un bonheur attendu et enfoui sublime des noces qui ne sont pas les leurs.

Fi du risque de briser les choses de la vie, mises en place par la tradition, ses normes morales et ses codes sociaux. Mais la passion brulante et l’honneur bafoué finiront par conclure les noces dans le sang de la revanche, se soumettant ainsi à la puissance des valeurs de l’ordre établi.

Un texte magnifique, un beau poème épique où l’amour se fait cruel, l’envie se fait vile et la tradition traine ses pleurs.

La compagnie de La Grue Blanche fait le choix courageux et bienvenu de mêler au texte de Lorca, musiques, chants, masques et tango. L’évasion vers un onirisme hispanique marqué, l’exposition des passions de l’amour et la présence du fantastique dans les situations se retrouvent ici dans un parti-pris volontariste qui mérite d’être salué.