Critiques pour l'événement Françoise par Sagan, Caroline Loeb
12 sept. 2018
8,5/10
56
Elle s'appelait Françoise, mais on l'appelait «charmant petit monstre »...
Une idée de François Mauriac, qui en avait beaucoup pourtant, des idées !

Sagan, le charmant petit monstre.
Sagan, l'oxymore à elle toute seule...

Sur le plateau nous attendent un comptoir de bar, côté jardin, un tabouret et un cendrier, côté cour.
Plein le cendrier, forcément.

Le noir s'installe.
Le point rouge incandescent d'une cigarette qui se consume apparaît au lointain.
Elle arrive. Caroline Sagan, Françoise Loeb, à moins que ce ne soit le contraire.

Immédiatement, ce qui saute aux yeux du public, ce sont les cheveux de la comédienne.
La perruque à la frange d'en haut.
Sagan est une icône, au sens propre du terme, l'une des premières stars dont l'apparence a été médiatisée, sur-médiatisée, même.

Je sais bien que le théâtre est l'art des conventions, mais imagine-t-on une Sagan sans cette coupe blonde au bol, sans ces chemisier et pantalon stricts, ce collier doré, sans ces petits mocassins ?
Non, bien entendu...

Caroline Loeb a donc judicieusement choisi de ressembler de façon troublante à l'écrivaine.
Tout en disant les mots de Sagan, Melle Loeb va également adopter la gestuelle, les poses recroquevillées, la voix plutôt haut perchée et les mouvements saccadés de l'auteur de « Bonjour tristesse » .
Troublant, vous dis-je !

La comédienne a voulu dire les mots issus de l'ouvrage « Je ne renie rien ».
Titre on ne peut plus explicite : une femme libre, paradoxale, contradictoire, une femme célèbre très jeune, une femme blessée (à bien des points de vue), spirituelle, drôle aussi, raconte, nous raconte ses vérités.

Qu'on ne s'y trompe pas : la volonté de métamorphose « saganienne » de la comédienne n'est pas le parti-pris principal du spectacle.

En effet, elle va fait siens ces mots qu'elle va dire. Je pense d'ailleurs qu'on ne peut pas les dire, ces mots, sans se retrouver voire se projeter dedans...
Elle le fait avec une grande sensibilité, une forme de vraie pudeur. Les extraits sont choisis avec grand soin, avec beaucoup de pertinence.
Elle ne nous lâche plus, dès qu'elle commence à dire.
Elle devient devant nous cet oxymore vivant, le fameux "charmant petit monstre".

Alex Lutz, son metteur en scène et elle ont eu l'excellente idée de mettre en lumière particulière cet oxymore-là.

Melle Loeb sera en effet très peu éclairée, comme sculptée dans une douce mais assez crue clarté, dans des contres délicats et évocateurs, dans des lumières rasantes qui dégagent très joliment son profil.

Ce sont des poses, entrecoupées de noirs-plateau, qui sont ainsi mises en évidence.
Caroline Loeb bouge sur la scène, bien entendu, mais surtout pendant ces noirs, afin d'adopter telle ou telle posture emblématique, couchée, assise, ou encore penchée sur le comptoir.

L'effet est saisissant, et en tout cas très réussi.

Oxymore également, la bande-son du spectacle.
Les deux artistes ont invité Jean-Sébastien Bach (la lumière, le jour), et Miles Davis (So what, la nuit, le noir).
Là aussi, tout ceci est fort judicieux.

A ma grande honte, je dois avouer que je n'avais jamais rien lu de Sagan.
La performance (car c'en est une) de Caroline Loeb donne immanquablement envie de se plonger dans cette auteure, dans cet univers singulier, fait de profonde légèreté, et de légère profondeur.

Merci beaucoup, Melle Loeb !
9,5/10
30
Alors ?
Tout en humilité, tout en finesse, on boit les paroles de Caroline Loeb comme on passerait une soirée, accoudé au comptoir d'un bar de jazz, avec une femme désespérément séduisante, tout en sachant pertinemment qu'on rentrera seul mais avec le sourire pendu aux lèvres. L'ambiance est feutrée et se prête à la confidence.

C'est incontestablement un bel hommage rendu au charmant petit monstre.
13 févr. 2018
8/10
30
Après George Sand, ma vie, son œuvre (2013/2016) qui avait marqué le début de sa collaboration avec Alex Lutz, Caroline Loeb s'est attachée à une autre grande icône de la littérature française, Françoise Sagan, une nouvelle fois accompagnée et mise en scène par Alex Lutz.

Créé avec succès dans le Off du Festival d'Avignon en juillet 2016 Françoise par Sagan a ensuite été joué au Théâtre du Marais d'octobre à mars 2017. Après une nouvelle série de représentations en Avignon en juillet dernier, la comédienne s'est posée avec bonheur au Théâtre du Petit Montparnasse. Mais c'est dans la très belle salle de l'Allegria du Plessis-Robinson (92) que je l'ai applaudie.

Caroline Loeb arrive sur scène, cigarette à la main, bien sûr. Le public est prévenu : je portais ma légende comme une voilette. Elle nous dit qu'elle aimait la vitesse, minuit, tout ce qui est éclatant, la couleur noire.
Elle énumère ce qui peut l'agacer ... alors on prend un verre (comme d'autre de la ouate pour ne pas entendre).

Elle se confie sans craindre une certaine forme de naïveté : Lorsque je revois un film sur Jeanne d'Arc, chaque fois je me dis - c'est idiot - elle va s'en tirer, ce n'est pas possible ! Elle veut croire qu'entre Roméo et Juliette il n'y aura pas cette mortelle incompréhension. L'imagination est le point de départ de la compréhension. C'est une grande vertu.

Elle raconte, et c'est très savoureux, comment elle s'est affranchie de la contrainte scolaire, pour finalement se retrouver au couvent des oiseaux, mais sans qu'elle en soit semble-t-il perturbée. La petite fille (elle n'a alors qu'une douzaine d'année) quitte une enfance heureuse, très gâtée, mais solitaire parmi des adultes. Elle découvre les fêtards alors qu'elle se rend sagement à sa nouvelle école vers 8 heures du matin. On sent que c'est là qu'elle a sans doute commencé à rêver d'une autre vie.

Et cette vie, elle va se l'offrir elle-même. Passionnée de lecture, elle finit par écrire, un manuscrit qu'elle laisse dormir dans un tiroir puis décide de l'envoyer chez Juillard et Plon. Le premier l'accepte et la convoque par télégramme. La voici auteure, non pas qu'elle en soit très fière mais au moins aura-t-elle pu prouver à sa famille qu'elle était capable de faire quelque chose. Même si la réaction de sa mère n'est pas à la hauteur de l'affaire. Tu ferais mieux d'être à l'heure pour le dîner et d'aller te peigner, lui dit-elle et son père a éclaté de rire.

Caroline est debout, assise sur un pouf dans un décor 1930, accoudée à un comptoir qui la fait ressembler à une enfant, parfois au sommet, couchée, pieds nus ... On retrouve les poses, la manière de poser le coude, de froisser son paquet de cigarettes que l'on avait remarqué chez Françoise Sagan. le mimétisme est frappant sans qu'on ait cherché à copier à l'identique. La photo de l'affiche est de Richard Schroeder. C'est un remake de l'une de celles qu'il avait faites avec l'écrivaine il y a trente ans.

Quand elle nous dit qu'il lui arrive de trouver que la vie est une horrible plaisanterie, on la comprend et on compatit. Son accident de voiture fut une réelle catastrophe. On lui donna l'extrême onction, la croyant mourante. C'est à ce moment là qu'elle a été intoxiquée par les analgésiques. La musique alors tourne en boucle, témoignant de l'enfer. Mais le naturel de Françoise reprend le dessus : un drame amusant, c'est ça la vie non ?

Cette femme de paradoxes l'affirme en souriant : Seuls les excès me reposent, intellectuels et physiques; je suis attirée par tout ce qui n'est pas rassurant.

Elle avoue avoir trop dépensé d'argent, mais parce qu'elle en gagnait peut-être trop. Je n'ai aucun respect pour l'argent. Elle se déchaine (au sens propre puisqu'elle jette son collier) : j'ai claqué des centaines de millions ... anciens.

Françoise détestait tout ce qui appartient à la vie quotidienne (et sans doute domestique)

Il n'empêche que cette femme si talentueuse a beau s'affirmer elle doute tout le temps d'elle. Là encore elle en plaisante : Le doute, c'est ma santé... Elle fait preuve d'humilité en ne prétendant pas avoir été un grand auteur (comme Stendhal ou Proust) mais son amour de la lecture est immense et elle voue une forme d'affection aux mots en nous donnant des exemples incongrus comme balcon, persiennes. Ecrire c'est marcher dans un pays ravissant ou humiliant.

On a le sentiment, tout au long du spectacle, que Françoise répond à une interview, et parfois qu'elle se parle à elle-même. Et pour cause puisque rien n'a été inventé. Il n'y a pas une virgule qui ne soit de Sagan. Caroline l'interprète avec naturel, restituant cette personnalité hors du commun avec ce qu'il faut de nonchalance et d'ironie désabusée, sans occulter l'immense tendresse de Françoise pour l'être humain.

Ceux qui on connu Françoise, au naturel ou par média interposé retrouveront la silhouette, le mouvement de main remontant la mèche blonde, derrière laquelle elle se cachait, les épaules rentrées, et surtout l'attitude à la fois timide et frondeuse. Caroline Loeb n'a pas cherché à imiter sa voix. Fort heureusement car l'écrivaine était parfois à la limite de la compréhension. C'est le rythme surtout qui est restitué. Les clair-obscurs font le reste.

On retient que sa vie aura été difficile mais les derniers mots apportent de la douceur : malgré l'amour et la maladie j'ai été heureuse.

Au salut Caroline retire la perruque comme autrefois Françoise retirait quelques instants le masque de sa légende. J'ai eu le bonheur de vivre un de ces moments que j'avais raconté au moment de la sortie du film Sagan, il y a dix ans déjà.
22 sept. 2017
8/10
31
J'ai été très agréablement surprise par ce spectacle ; j'ai trouvé qu'il y avait eu beaucoup de travail :
- le choix du texte (je ne renie rien) ;
- le jeu de C. Loeb qui a beaucoup travaillé la gestuelle, les attitudes et les regards ;
- la mise en scène avec un éclairage très feutré et quelques décors ;
- le choix musical en fond.
14 janv. 2017
9,5/10
39
Décidément la pétillante et délicieuse Caroline Loeb aime les femmes de lettres et cette passion lui va bien.

Au début des années 2000, elle avait convaincu Judith Magre de redonner vie aux carnets de l’américaine Shirley Golfarb sur le Saint-Germain des existentialistes, et cela s’était soldé par un Molière. En 2013, elle avait évoqué la féministe et scandaleuse George Sand, et ce spectacle, musical, avait rencontré un succès fou. Voici qu’aujourd’hui, elle ressuscite, en l’interprétant elle même, une autre icône féminine littéraire, Françoise Sagan.

Quand la comédienne entre en scène, dans une pénombre savamment étudiée, c’est à s’y méprendre. Gabarit, allure, gestuelle, tenue vestimentaire, raideur blonde des cheveux, la ressemblance avec l’écrivaine disparue il y a treize ans est hallucinante. Cette ressemblance va s’étendre jusqu’à la voix, même timbre, même débit un peu saccadé. Seule différence avec son modèle, et cela rassurera les futurs spectateurs, Caroline Loeb, qui est fine comédienne, articule ! On ne va donc perdre aucun des mots de son spectacle, mots qui sont exclusivement ceux de Sagan et qui ont été extraits des entretiens que l’écrivaine accorda entre 1954 et 1992, et furent rassemblés dans un livre paru chez Stock, sous le titre « Je ne renie rien ».

Ce qu’il y a d’aussi formidable qu’émouvant dans ce spectacle en forme de monologue, c’est ,qu’en une heure, il parvient à dessiner, avec netteté, le portrait psychologique de celle que François Mauriac avait surnommée « le charmant petit monstre ». Tout est dit, en vrac, de sa soif de liberté, de son élégance morale, de ses entêtements, de sa détestation des faux-semblants et des mondanités, de son penchant pour le jeu, de sa fascination pour la vitesse, de ses admirations pour les grands écrivains, de sa passion pour l’écriture, de son dédain de l’argent et de l’importance qu’elle accordait… à l’amour charnel.

L’auteur de « Bonjour Tristesse », est, comme là devant nous, et ses confidences murmurées dans un sublime camaïeu de lumières sombres, comme autant de décors, nous rappellent quelle femme elle fut, drôle, fine, délicate, lucide, à la fois libérée et bien élevée, discrète, généreuse, obstinée aussi.
Caroline Loeb est toute entière au service de cette femme irrésistible de charme, qui ne cessait de dire qu’elle aurait voulu être adulte et avoir toujours dix ans.

Ce « Françoise Sagan » est sans doute le spectacle le plus délicat qu’on puisse voir aujourd’hui. Sa douceur, son élégance, font un bien fou.
13 déc. 2016
9,5/10
42
Un spectacle fin, drôle et chaleureux, un rien insouciant. Comme un rendez-vous d'amitié que l'on aurait aimé avoir avec Françoise Sagan.

Caroline Loeb joue Sagan, bougonne et malicieuse, avec douceur et enthousiasme. Nous sommes surpris et ravis par les formules lucides et définitives, les peurs et les joies, les souffrances et les plaisirs de l’auteure, qui composent ce passionnant florilège de réflexions perfides et de pensées intimes.

D’une infinie délicatesse, cette interprétation incarnée nous touche. Caroline Loeb se confond à son personnage de façon remarquable. Un travail soigné et réussi sur la voix, son timbre et sa diction, sur les mouvements du corps et ses postures. Une magnifique comédienne qui nous trouble de ses phrases et des images qui en jaillissent, nous baignant des mots chaux, lutins ou piquants surgis de la mémoire de Sagan.

L'adaptation théâtrale et l'interprétation de Caroline Loeb parviennent à nous faire oublier l'instant théâtral. Nous sommes dans une sorte de poésie de l'émotion charriée par les mots, les couleurs et les sensations qui s’en dégagent, nous enveloppant tout le long.

Les textes sont choisis parmi des entretiens. Ils semblent porter la volonté de mieux connaitre ce qui fonde l’imaginaire et la créativité de l’auteure, nous livrant parfois des bribes de sa vie qui illustrent son parcours et qui ont sans doute contribué à façonner son talent. Du plaisir d'écrire qu'elle réclame avidement aux plaisirs de la vie qu'elle dévore avec insouciance, Sagan traverse la célébrité comme elle traverse sa vie, discrète et distante, élégante et anticonformiste, prête à tout pour vivre heureuse.

La musique d’Agnès Olier et le merveilleux jeu de lumières d’Anne Coudret accompagnent cette ambiance confidente, au velours doux et caressant, parsemée de moments rieurs.

La mise en scène d’Alex Lutz rend fluide et léger ce monologue riche et éclectique, au rythme d’un Andante tranquille et joyeux servant merveilleusement la mélancolie du bonheur qui ressort des propos de l’auteure.

Agréable et incisif, charmant et passionnant, ce spectacle est une ode à Françoise Sagan. Les amoureux de Sagan l'apprécieront sans aucun doute avec un étonnement gourmand et un plaisir délicieux. Joué par une admirable Caroline Loeb, ce monologue théâtral, poétique et plein d'humour, est à loger parmi les jolis souvenirs de théâtre. À voir sans hésiter.