Critiques pour l'événement Clérambard
6 déc. 2017
9/10
18
Libres-penseurs de salon ou bigots de cathédrale, tenez-vous prêts, Clérambard est là !... Il invective, il crie haut et fort la souffrance humaine, son hypocrisie et sa veulerie. Et tout le monde en prend pour son grade.

De la noblesse déchue en passant par la bourgeoisie repue jusqu’au peuple d’en bas, du croyant calculé au croyant pénétré ou de l’intello risible à l’intello rieur, toutes et tous y passent. Toutes et tous trépassent au carnage du tourbillon de véracité et de réflexion que cette pièce répand tout le long.

Redoutablement bien écrite, au burlesque efficace et à la satire saignante, l’écriture nous surprend et nous réjouit. Le spectacle nous cueille et ne nous lâche pas tant il est drôle et bourré d’inattendus savoureux.

Le comte de Clérambard, endetté despote ridicule, fait trembler sa maisonnée par sa violence et son implacable intransigeance autoritaire. Ébloui par la rencontre de Saint-François d’Assise, il se repent et transforme sa vie et celles des autres avec la même conviction qu’il appliquait à les soumettre. Folie douce, démence ou miracle, comment va-t-il se sortir de cette soudaine rédemption ?

Anticléricale ou pas, ce petit bijou d’insoumission de Marcel Aymé, créé en 1950, connait un succès immédiat qui perdure jusqu’aujourd’hui. Les valeurs bousculées, bousculent avec acuité les certitudes de la bienpensance. Les rires chahutent l’ordre des idées et des gens. Le ton est vif, la farce croise le fantastique ludique qui fait sa plume. De déroutes en sourires, de rebondissements en séquences croquignolesques, la caricature se fait noble et son élégance, hilarante de cocasserie.

La mise en scène de Jean-Philippe Daguerre fait le choix de l’épure des apparences, aucun accessoire ni élément de décor inutiles ne viennent s’ajouter au réalisme puissant du texte, laissant l’essentiel reposer sur les jeux des comédien·ne·s, rythmés par un abatage furieux et alerte, calés au cordeau.

La distribution s’empare de cette pièce avec gourmandise et précision. Elle nous tient en haleine du début à la fin, nous faisant ressentir de l’affection pour les personnages de ce conte farcesque aux caricatures saillantes qui devient réjouissant et délicieux par ses répliques ciselées, piquées de tendresse et ses situations incongrues.

Un très agréable voyage dans l’univers grinçant de Marcel Aymé. Un spectacle drôle, intéressant et très bien joué.
22 nov. 2017
8,5/10
19
Clérambard, le nom résonne comme celui d’un hobereau de province, un hobereau sectaire qui va entrainer son monde dans la pauvreté mystique sans lui en laisser le choix. Le Grenier de Babouchka donne au Théâtre 13 (jardin) une version caustique de la pièce de Marcel Aymé, à recommander.

Clérambard – pardon, le Comte de Clérambard – est un hobereau de province, il croit régner encore sur la bonne société du canton, il ne règne que sur sa famille et les lambeaux d’une richesse évanouie. Il tient à bout de bras la demeure familiale, dans la famille depuis 400 ans. Il tyrannise les siens, tous vivent d’expédients, se nourrissent d’animaux errants et de fruits tombés des arbres. Un tyran… à la limite du sadisme. Il va (croire) rencontrer Saint François d’Assise, changer de direction mais pas de caractère, et imposer sa vision de la sainteté à tout son entourage.
Son entourage, c’est sa femme, qui a reçu en partage l’importance de maintenir l’image, le nom, le domaine. Sa belle mère, une drôle de douairière, pleine de bon sens acariâtre. Son fils, un peu fin de race, frustré et obsédé. Le curé entremetteur dont on se demande à quoi il croit vraiment. La bourgeoisie commerçante du canton, pour qui l’étape d’après est l’acquisition d’un nouveau statut, l’alliance à tout prix qui apportera un nom.
Tous les personnages, au fond, sont sincères dans leur folie, dans leur vision du monde, aucun n’est ce qu’il voudrait être, ce qu’il croit être. Le noble désargenté voudrait retrouver les allures d’antan, mais les a-t-il connues; le commerçant voudrait un nom pour sa descendance; le jeune adulte voudrait échapper à la tutelle de ses parents; le curé a des préoccupations bien matérielles;
Et puis il y a la Langouste, la fille de joie. Elle est centrée, elle sait ce qu’elle est, qu’elle ne changera pas, elle est la seule à assumer. Elle est rafraichissante.
Le texte de Marcel Aymé est une satire des années d’avant guerre, je pourrais citer vingt cousins qui sont un rameau issu d’une noblesse désargentée et d’une prospérité (à l’époque) récente. Le temps a passé, la satire est devenue caustique, le ton est toujours là. On rit, bien sûr, souvent, plus ou moins jaune, l’humour est un peu moins noir qu’il ne l’était en 1950, il n’est jamais gratuit.
La scénographie est épurée, la pièce doit pouvoir facilement voyager, se donner dans des environnements très variés. La mise en scène est claire, elle réussit à donner à chaque personnage un côté excessif sans jamais tomber dans l’excès d’en faire trop. Les comédiens jouent juste, leur diction est parfaite, c’est vrai pour tous, j’ai apprécié le travail de troupe. Le rythme rapide donne une teinture de vaudeville que j’ai apprécié, elle contribue à rendre la pièce actuelle. La morale est présente, elle n’est pas pontifiante.
Une bonne soirée, donc, avec une troupe qui fait un vrai beau travail, je les avais déjà croisés dans l’Avare, j’ai plaisir à revoir certains d’entre eux. Baroudeur était là, qui s’est calé dans son fauteuil, a savouré la pièce, passant à côté de la satire sociale, se laissant emporter dans la drôlerie, s’inquiétant du mysticisme de la fin, s’interrogeant sur la folie de Clérambard. C’est vrai, il a raison, Clérambard est enfermé dans une folie presque sectaire, le suivre ne se discute pas, il ne cherche pas à convaincre, il impose. Sa folie est en lui, on l’aura vue basculer sous nos yeux.
Une belle salle pour un mardi soir, conquise.
15 nov. 2017
9,5/10
50
Au théâtre 13, Jean-Philippe Daguerre, qu'on connaît bien ici pour son travail remarquable et remarqué sur les classiques de Molière, Rostand ou Hugo, Jean-Philippe Daguerre nous propose un très grand Clérambard.
La pièce de Marcel Aymé est ici montée avec moult parti-pris plus fins et plus judicieux les uns que les autres.

Clérambard. Hector, Comte de Clérambard.
Un salopard.

Châtelain ruiné, propriétaire d'un manoir tout aussi en ruines, il exploite en véritable esclavagiste sa famille qui doit tricoter des « pulovères », afin de régler ses dettes.
Ce détestable personnage tue les chiens, mange et fait manger aux siens les chats du voisinage.

Soudain, il va rencontrer Saint François d'Assise en personne. Si si !
Sa vie va changer.
Hector bascule dans le plus intégriste des fanatismes religieux. Pour lui, pas de demi-mesure !

Va découler de cette crise de foi tout une série d'événements tous plus singuliers les uns que les autres.

Daguerre s'est emparé du propos on ne peut plus actuel et moderne de l'auteur des contes du chat perché.
Ici, fidèle à sa méthode, le metteur en scène ne va pas s'encombrer de décors ou d'effets superfétatoires plus ou moins ampoulés.
Non. Ici, ce qui compte, c'est le texte, c'est la langue admirable de Marcel Aymé.
Sans oublier le véritable amour que porte le metteur en scène à ses comédiens.

Une nouvelle fois, il réunit sur scène une troupe homogène, cohérente et surtout ô combien talentueuse.
Tout le monde est véritablement au service du propos provocateur et du regard tellement aiguisé, implacable et sans concession que porte l'auteur sur ses concitoyens.

Ca pulse, ça bouge, ça vibre sur scène. Pas d'intellectualisation de mauvais aloi, nous sommes vraiment dans la chair et dans le corps du texte. Nous sommes dans la Vie.
Tout ceci est viscéral, pas de postures, pas de faux-semblants.

Franck Desmedt est un formidable Clérambard.
Il est impressionnant de puissance, de force et de présence, aussi à l'aise dans le registre d'homme détestable que dans celui de fou de dieu extatique.
C'est une magnifique performance.

Sa belle-mère est interprétée par Isabelle De Botton qui déclenche souvent l'hilarité du public.
Ses répliques, ses mimiques, ses expressions outrées sont irrésistibles.
Les regards qu'elle jette sur ses camarades lorsqu'elle même ne joue pas sont jouissifs. Du grand art !

Le notaire Galuchon, à l'accent méridional, est joué quant à lui par Romain Lagarde.
Lui aussi fait travailler à plein régime les zygomatiques des spectateurs.
Sur le lit (je n'en dirai pas plus...), en caleçon ou empêtré dans ses bretelles, il surfe sur la crête du vaudeville sans jamais tomber dans le mauvais goût.
Une partition beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît, assurément...

Et puis, il y a une jeune femme qui irradie le plateau à chacune de ses apparitions.
Flore Vannier-Moreau est la môme Langouste, à l'accent et à la gouaille parisiens des plus prononcés.
La comédienne est excellente dans ce rôle de fille publique de la rue des Brebis.
Elle est tour à tour drôle, touchante, sensuelle, et spirituelle. Elle donne à son personnage une formidable humanité. Son interprétation est une vraie réussite.

Le reste de la troupe est à l'avenant, pas un ne détone, tous excellent. Que d'homogénéité !

On l'aura compris, voici un spectacle qu'il faut absolument voir.
Cette pièce est en effet et paradoxalement assez peu montée depuis la version de Nicolas Briançon de 2008, et Jean-Philippe Daguerre nous en propose une vision tout à fait réjouissante.
Et le metteur en scène, et les comédiens rendent justice à ce grand écrivain et grand dramaturge qu'était Marcel Aymé.
Il serait vraiment dommage de passer à côté de ce Clérambard-là !