Le Bilan d'Avignon 2014 par Pierre Galouise !

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Avignon édition 2014... OFF bien sûr, cela va sans dire puisque c’est le OFF qui est la véritable vitrine du théâtre en France.

 

Le IN c’est plein de chose mais ce n’est certainement pas la représentation la plus réaliste de la création théâtrale. Ce n’est pas le même festival, les grèves intermittentes en sont la preuve, le IN se permet ce que le OFF n’a que les moyens de revendiquer hors-représentations. Car oui, c’est beau le théâtre, c’est génial l’art mais avec ses quelques 1 300 pièces présentées du 5 au 27 juillet (en moyenne il faut compter 100 créations de plus chaque année… jusqu’à l’indigestion peut être !), on peut reprendre les mots de Didier Super sur Avignon « le seul festival qui peut se vanter de couler la moitié des compagnies françaises en moins de trois semaines », bravo !

 

Habituée à subir de nombreuses déceptions pour de trop rares réussites, le festival d’Avignon est souvent pour moi un étalage de friandises appétissantes qui s’avèrent en réalité remplies d’une liqueur dégueulasse à la cerise fermentée. Que voulez-vous, sur 1 300 pièces c’est parfois dur de faire les bons choix. Avec le temps on commence à se roder un peu.

 

 

MA RECETTE

 

 

 

Deux critères de sélection afin d’écrémer les 85 % de surplus inutile : L’affiche et le titre. Palme d’or de l’affiche qui ne donne pas envie d’aller perdre une heure pour voir un truc horrible : « Et si on simplifiait l’ortografe !!! » (à noter que la ponctuation est de mise) dont le graphisme donne déjà la nausée. Et si je ne vais pas nommer tous les boulevards qui sont de réels bijoux de médiocrité, il faut parfois rendre à César ce qui est à César en passant par « Ma femme me trompe, son amant aussi ! » à « Comment élever un ado d’appartement ? » sans oublier l’éternel retour de « Faites l’amour avec un belge », on regrette toutefois l’absence de « Ma voisine ne suce pas que de la glace » qui n’a visiblement pas voulu abêtir plus de festivaliers cette année.

 

Bref la sélection se fait darwinnement d’emblée sur la qualité ou même la neutralité de l’affiche et l’éventuelle sobriété du titre (même si je craquerais pour un titre provocateur et politiquement incorrect du genre « ma voisine gouine est une salope » ou « Commémoration 14/18, parole de mon gland poilu », avis au amoureux des mots).

 

 

Une fois cette sélection faite il faut bien sûr laisser place aux aléas du bouche à oreille car oui, le meilleur programmateur du festival c’est la parole des autres. Mais passons au vif du sujet. Alors que mon séjour s’annonçait sous l’égide de la galère et de la fin de ma dignité,  après avoir geint devant des dizaines et des centaines de personnes à mon arrivée pour quémander un bout de toit juste pour pas dormir dans la rue parce que la météo a annoncé de l’orage pour la nuit et aussi parce que c’est vrai que ce n’est pas très malin de tenter de réserver une chambre le jour même dans la période rouge du festival d’Avignon mais ça c’est juste que je suis idiote, alors vous me prenez ?

 

Heureusement une compagnie altruiste et aimante m’a accueilli, ému par mon corps tremblant et pitoyable. Je remercie donc avant tout la troupe de la Nostalgie de Dieu qui après un succès l’année dernière revient cette année au théâtre de l’Isle 80 tous les jours à 15h. Inspiré de la bande dessinée de Marc Dubuisson, ce spectacle est la rencontre entre un homme au bord du suicide et Dieu qui s’avère être une sorte de beauf réac’ en calbut’, chausson et peignoir. S’ensuit alors un dialogue sur Lui, la religion, les prêtres, le pourquoi du comment du parce que. Même si le texte ne va pas toujours au bout de son propos il soulève tout de même des questions intéressantes par le truchement d’un ton sarcastique, et malgré quelques inégalités c’est un spectacle divertissant qui laisse une salle hilare derrière lui.

 

 

 

 

 

UNE ANNÉE ABSURDE

 

Rassurez-vous j’ai aussi vu des spectacles de compagnies qui n’ont pas eu besoin de m’accueillir sur leur parquet. Et s’il faut relever une thématique générale sur l’ensemble des spectacles visionnés, l’absurde semble être le maître mot. Dans ce registre, deux coups de cœur: La Beauté, recherche et développement au 3 Soleil à 19h50 (et à partir du 11 octobre au Petit Saint Martin à Paris, cf. critique), un chef d’œuvre de l’étrange génialement interprété par Florence Muller et Lila Redouane en conférencières fantaisistes sur la fantaisie de la beauté, une sorte de parcours initiatique extrêmement drôle où l’imaginaire laisse place au moindre décor. Indescriptible et génial, à voir absolument !

 

Et dans la série des titres et des affiches qui donnent envie d’y jeter un œil : Affreux, bêtes et pédants remporte la palme, en sous-titre, l’argument fatal « Une satire de la vie culturelle française », même si le spectacle n’est pour l’instant pas programmé en région parisienne il faut suivre de près cette troupe de talentueux comédiens (Les dramaticules). C’est leur premier travail collectif basé sur des improvisations et ça n’en est pas moins extrêmement bien écrit. A travers plusieurs scènes-types dont on a parfois pu être témoins ou victimes le spectacle nous sert un panel des représentations de la culture et du rapport à la scène. Ouverture sur la déclamation éprouvante du manifeste du futurisme de Marinetti et enchainement sur un débat metteur en scène/ spectateurs qui donne lieu très vite à des altercations hilarantes entre un professeur de littérature bavard et un non-théâtreux pro-TF1.

 

Du débat qui tourne au vinaigre à la scène de répétition tyrannique sur une scène de Phèdre en passant par une séance absurde de présentation de programmation façon télé-achat (jingle de mise), le spectacle se moque non seulement des conventions mais de la prétention inhérente aux métiers de l’art. Sans jamais tomber dans le cliché facile du commentaire moqueur sur une performance d’art contemporain, c’est au contraire avec finesse et humour que cette création dénonce l’amour propre et l’arrogance que l’on croise trop souvent la vie culturelle française. A noter la qualité technique du spectacle qui joue avec un écran en fond de scène et une caméra filmant sous un autre angle les malaises engendrés par les situations de représentation. Une perle que j’espère pouvoir revoir au prochain festival faute de mieux ! En attendant et pour les curieux de la région parisienne, la compagnie se produira du 14 au 29 novembre au théâtre de Châtillon dans Uburoi.

 

Ces deux pièces ne sont pas sans rappeler certains aspects du cabaret de la compagnie des 26 000 couverts dirigée par Philippe Nicolle : L’Idéal club qui se jouait également au OFF cette année à Villeneuve en Scène à 21h30. Vu il y a belle lurette, ça reste plus ou moins ce que j’ai pu apprécier de mieux sur scène. Un conseil intemporel donc car la compagnie tourne régulièrement et il faut suivre de près leur programmation pour ne pas les louper.

 

 

 

Dans le même registre de l’absurde un autre spectacle tout aussi plaisant De quoi parlez-vous ? au théâtre Buffon à 18h. Variante sur cinq courtes pièces de Tardieu, père de l’absurde ! La pièce se jouera également à Paris dès septembre prochain au Lucernaire puis à la Manufacture des abbesses (cf critique). Alors que j’avais beaucoup d’espérances pour Le roi nu  (18h18 au théâtre Notre Dame) qui n’a plus de programmation en vue mais qui s’est déjà joué à maintes reprise à Paris (Béliers, Théâtre 13), j’ai été pour le moins déçue. Texte d’Evgueni Schwartz qui compile trois contes d’Andersen et mis en scène par Alexandre Blazy, le spectacle est étrangement hermétique ! On se doute pourtant qu’il s’agit d’un délire à faire partager mais le délire ne dépasse par les feux de la rampe et on se retrouve juste spectateurs d’un grand n’importe quoi hystérique et forcément agaçant. Mis à part Alexandre Blazy dont la performance éveille en nous le rire malgré ces quelques réticences, il n’en reste pas moins que le spectacle s’avère plutôt ennuyeux alors qu’il présageait une inventivité et une absurdité digne d’un héritage des Monty Pythons. Cela dit la salle rit aux éclats. Suis-je donc la seule à ne pas adhérer ?

 

Dans le même théâtre Le prochain train se joue à 14h30, ça n’a rien à voir mais c’est plus à voir. Rencontre entre Karine et Vincent, un acharné du travail que sa femme a quitté sans même qu’il s’en rende compte. Il engage Karine pour prendre en charge sa vie numérique : réseaux sociaux, achats online, Google glass et tout le tintouin. Le sujet soulève des questions qui nous animent toujours depuis les débuts d’internet, technologie dans laquelle on porte l’espoir d’un rapprochement universel. Pourtant les réseaux nous permettent-ils vraiment de nous connaître ? Ne nous ramènent-ils pas à notre narcissisme profond et aux représentations que l’on donne de soi aux autres ? La création musicale et lumière donnent corps à cette mise en scène simple.

 

 

LE PLUS MIEUX

 

Mais laissons de côté ceci pour le coup de cœur, le vrai, le grand, le plus, le mieux, j’ai même envie de faire exception à l’exigence de la langue française pour dire « le plus mieux » : Les vibrants au théâtre Actuel à 17h15 que l’on peut toute proportion gardée et modestement qualifier de chef d’œuvre. L’auteur Aïda Asgharzadeh aborde le sujet des gueules cassées autour du personnage d’Eugène. La moitié du visage arrachée par un éclat d’obus dans les tranchées en 1916. Son infirmière Sylvie tente de lui redonner espoir même si plusieurs rhinoplasties ne suffisent pas à atténuer la monstruosité de ce visage détruit. Pourtant, la rencontre entre Eugène et Sarah Bernhardt qui avait l’habitude de rendre visite aux estropiés du Val de Grâce va être décisive. Fascinée par son talent et la violence de son physique elle l’impose à la comédie française pour interpréter Cyrano de Bergerac. On l’affuble alors d’un faux nez en trompette lui qui porte déjà une prothèse pour combler son absence nasale.

Un spectacle terriblement touchant qui lie l’art et les conséquences de la guerre. On sent une influence positive des mises en scène d’Alexis Michalik notamment Le porteur d’histoire même si le sujet est diamétralement opposé, l’importance du discours sur l’art dans l’art semble être un point commun à ces deux auteurs et interprètes. La mise en scène doit également être soulignée, le travail de Quentin Dufalt contribue à cette tension émotive qui sans sombrer dans le tire larme rend certaines scènes  éprouvantes. Divinement bien interprétées par les 4 comédiens (dont l’auteur) le spectacle a déjà eu remporté le prix du coup de cœur de la presse du Vaucluse et les récompenses risquent de s’accumuler bien rapidement. S’il n’y a pas de programmation parisienne arrêtée pour le moment on ne doute pas que ce spectacle va voir du pays.

 

Si vous aimez avoir le cœur remué, la lèvre émue et l’œil humide, Hors-piste, histoires de clowns à l’hôpital vaut également le détour, à 10h30 au théâtre des Lucioles. Un spectacle tendre et drôle sur un sujet difficile : la confrontation des clowns face aux enfants malades. Parfois ils les rejettent, souvent ils les adorent. Leur responsabilité est immense, redonner le sourire et faire oublier aux bambins le cadre glacial d’une chambre d’hôpital. Difficile de ne pas être sensible à ce sujet et de saluer le courage de ces clowns dont les difficultés se cachent discrètement derrière leur nez rouge. A travers une scénographie impressionnante où une clownette s’envole pendant qu’une pluie de nez rouges se déverse à l’autre bout du plateau, nous sommes à notre tour des enfants face à ce spectacle magnifique.

 

Plusieurs histoires s’entremêlent ce qui donne un fil conducteur à travers les différents patients. Spectacle d’autant plus intéressant que dans le contexte actuel de revendications sur l’intermittence du spectacle il est bon de s’intéresser à toutes formes d’intermittences, et les clowns en hôpital en font partie, loin des projecteurs et des applaudissements, leur mission se poursuit dans l’ombre et c’est pourquoi on peut féliciter l’hommage que leur rend ce spectacle. 

 

 

LE COUP DE THÉÂTRE NUMÉRIQUE

 

Pour finir, L’homme qui rit au théâtre du Chêne noir à 13h. Une adaptation intelligente du roman de Victor Hugo et plutôt judicieuse car en une heure le spectacle arrive à résumer le roman de plus de 700 pages sans faire d’impasse sur l’essentiel de l’histoire. La prouesse est ici au niveau de la création numérique car tout l’univers du spectacle vient d’un procédé encore rare en France qui consiste à projeter des images sur deux écrans installés sur scène et faire jouer les comédiens de chairs et de sang entre ces deux écrans ce qui crée un effet de perspective extrêmement novateur et donne des possibilités infinies au décor mis en place. Visuellement c’est donc un spectacle qui vaut le détour, peut-être un peu au détriment des comédiens…

 

 

 

LE COUP DE COEUR AVEC UN POIGNARD PLANTÉ DEDANS

 

Et pour conclure en beauté, un spectacle sur lequel je ne m’étendrai pas en venin de vipère, Un chant de Noel au théâtre BO. Pour les afficionados de Scrooge c’est un couteau dans le cœur. Un travail feignant si l’on peut même parler de travail.

L’intégration d’un extrait du film « Le drôle de Noel de Scrooge » avec Jim Carrey nous porte à croire qu’on se fout carrey-ment de notre gueule.

 

 

 

VOTRE LISTE DE SPECTACLES A VOIR

 

Les vibrants

La beauté, recherche et développement

Affreux, bêtes et pédants

 

 

Et les conseils sur les autres coups de cœur des années précédentes :

L’idéal club

Une vie sur mesure

Vous plaisantez monsieur Tanner

Bouvard et Pécuchet

Mangez-le si vous voulez

Et… Le porteur d’histoires sur lequel on ne tarit plus d'éloges.

 

 

 

Cet article a été écrit par notre chroniqueuse Louise Pierga, autrement appelée Pierre Galouise :

 

 

 

 

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