- En tournée
- En tournée dans toute la France
On a Fort mal Dormi

- Jean-Christophe Quenon
- En tournée dans toute la France
Ne pas sombrer. Être, tout de même.
Patrick Declerck, ethnologue, s’habille en clochard, se fait ramasser dans la rue, pour pouvoir raconter le quotidien des SDF et la vie en centre d’accueil. La compagnie Coup de Poker signe un spectacle militant, portrait d’un bout d’humanité avec sa maladie et sa folie.
Tour Saint-Jacques, à Paris, un homme attend le bus de ramassage. Il fait froid. Il vient du Nord, pas de boulot. C’est ce qu’il prétend. En réalité, Patrick Declerck est un infiltré. Il est ethnologue, il deviendra plus tard psychanalyste à la mission France de Médecins du Monde ainsi qu’à l’hôpital de Nanterre. Mais ce soir d’hiver, pour savoir ce qu’il se passe réellement dans les centres d’accueil de SDF, il s’habille en clochard et se fait ramasser. Il plonge dans le vaste océan de la misère humaine pour approcher ces êtres déclassés, délaissés qui tentent de survivre dans un monde qui les méprise. Plus tard, Declerck écrira Les Naufragés, avec les clochards de Paris, puis Le sang nouveau est arrivé, sous-titré L’Horreur SDF.
Ces deux textes de l’écrivain constituent le matériau de base du spectacle-manifeste de la compagnie Coup de Poker.
La lumière est encore vive dans la salle Topor du Rond-Point. Au premier rang, un bonhomme à l’air jovial prend à partie ses voisins. Les réponses fusent : « les sans-abris » , « les SDF », « les gens de la rue »… Lui les appelle tout simplement les clochards. Le type en question, un grand gaillard à la barbe de père Noël, c’est Jean-Christophe Quenon. Face à nous, parmi nous, il sera tour à tour lui-même – « comédien, marié, trois enfants, habitant à Paris du côté de Stalingrad » – et Patrick Declerck – « psychanalyste, anthropologue, philosophe, écrivain – liste non exhaustive ». Ensemble, ces deux-là nous conduisent à la rencontre des clochards, un rendez-vous surprise dont nul ne sortira indemne…
« Jésus, c’était quoi ? Un clodo ! »
Jean-Christophe Quenon alias Patrick Declerck nous fait monter dans le bus de ramassage des SDF, direction le centre d’accueil de Nanterre. On y croise des toxicos, des alcoolos, des caïds, des simples d’esprit, des hommes, des femmes… Ils ont en commun leur puanteur, leur « bronzage crado / bronzage clodo », leurs puces, leurs poux, leurs corps blessés, abîmés, mutilés, mortifiés. Ils forment ce pan d’humanité oubliée, ces spectres qu’on croise sans jamais s’attarder, qu’on ose à peine regarder. Ce peuple négligé, ignoré, abandonné, délaissé, effacé, perdu à jamais, sans que l’on sache trop dire comment ni pourquoi…
« Le clochard, c’est toujours l’autre. »
Guillaume Barbot a construit ce spectacle à partir de deux écrits de Patrick Declerck – Les Naufragés et Le Sang nouveau est arrivé – deux textes dont on imagine qu’il l’ont choqué, captivé, troublé, subjugué. Sentiments que nous éprouvons à notre tour, grâce à la force d’interprétation de Jean-Christophe Quenon. On a fort mal dormi, c’est un peu, aussi, l’histoire d’un metteur en scène fasciné par deux artistes – un auteur et un comédien. Assister à la rencontre Barbot/Declerck/Quenon, c’est assister à cette sorte de petit miracle qui se produit parfois sur les planches de théâtre.
Sans chercher à nous faire culpabiliser, le trio nous amène à réfléchir sur cette question à laquelle Patrick Declerck, au bout de 15 années – soit environ 5000 consultations – n’a pas réellement trouvé de réponse : comment offrir asile à « nos clochards » ?