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Le faiseur, Tréteaux de France
En écrivant Le Faiseur, Balzac est visionnaire.
Dans ce texte matriciel du libéralisme économique, il annonce dès les années 1840 les dérives de la spéculation telles que nous les subissons de plein fouet aujourd'hui.
L’auteur de La Comédie humaine est ici le descripteur d’un capitalisme financier dont le théâtre se fait aujourd'hui témoin. Dans ce salon bourgeois que le jeu social investit comme une scène, l’écriture balzacienne, avec une contemporanéité inouïe, rend compte de la spirale extrême où entraîne la finance.
Sur le tréteaux qui est la marque du CDN des Tréteaux de France, Robin Renucci nous conduit au plus près de la critique balzacienne, dans le huit-clos de ce salon bourgeois où s'opère un va et vient jubilatoire entre les personnage du 19ème et les acteurs du 21ème siècle. Le Faiseur éclaire nos zones d'ombre contemporaines et, en négatif, interroge le monde que nous cherchons à construire ensemble.
Ile de Loisirs de Cergy-Pontoise
Torcy et Cergy-Pontoise (95)
Hier, donc, c’est le monde de la finance, de l’emprunt, de la dette, le monde des créanciers et des débiteurs qu’ont fustigé les Tréteaux de France (Robin Renucci qui dirige l’organisation depuis 2011, présente depuis 5 ans son cycle autour de la finance et des dettes (premier volet qui a été suivi par L’avaleur, présenté cette année à la Maison des Métallos)).
En attendant Godeau
Et on s’y régale, encore une fois, autour de Mercadet, le débiteur qui joue avec les dettes, les prêts et la cupidité de chacun. L’homme, auguste bourgeois, vit des chimères qu’il octroie. Une sorte de Madoff avant l’heure, qui, promet les meilleurs rendements et les meilleurs intérêts, séduit, embobine, ment, affabule : un faiseur de d’affaires et de rêves. Mais à force de vivre avec l’argent des autres, on risque de tout perdre quand vos créanciers viennent réclamer leur dû et que Godeau, l’associé disparu, ne vient toujours pas. Mercadet se voit contraint de marier sa fille Julie, qui n’a pour seul attrait que d’être sa fille, et donc potentiellement riche, à défaut de beauté. Et ce n’est pas seulement Mercadet, et à travers lui le monde de la finance, que critique Balzac : les créanciers de Mercadet sont tout autant fustigés. On prête, on avance, on investit, dans le but de gagner plus et plus encore, que ce soit au travers de titres prometteurs ou de promesses de mariage : le gain est tentant et les flèches balzaciennes écorchent autant Mercadet que Virginie, la femme de charge qui rêve de voir ses gages augmenter. L’appât du gain, la cupidité qui prend le pas sur la morale et balaie tous les principes sont décrits ici avec une verve délicieusement cruelle, d’autant plus acerbe qu’elle est toujours d’une actualité cuisante.
Mise en scène classique mais dépoussiérée
Quand Emmanuel Demary-Mota avait proposé en 2015 une mise en scène plutôt moderne, avec ses costumes 3 pièces et ses incursions musicales, Robin Renucci ancre sa mise en scène dans une facture a priori classique avec ses costumes et décors très XIXème. Il apparait cependant très vite que la farce balzacienne est bien là, avec ses perruques et maquillages presque outranciers (Thierry Delettre a conçu les costumes en s’inspirant des dessins de Daumier), le jeu des comédiens (tous excellents) qui oscillent entre caricature et burlesque sans jamais tomber dans l’excès, et la mise en abime qui laisse lesdits comédiens rester à cour et jardin et commenter, applaudir, larmoyer, tandis que leurs compagnons sont sur scène. Le tout forme une farce au rythme effréné, qui met la finance en abime autant que le théâtre, portée par une troupe en parfaite osmose portée par un Bruno Cadillon (Mercadet) excellent au-delà de toute mesure dans ce rôle de bonimenteur aussi cupide qu’attrayant, cyniquement séduisant et farouchement menteur.
Une farce cruelle et délicieuse, donc, dont la cinglante actualité continue de surprendre, de ravir. On souhaite au baladin Robin Renucci et le théâtre des Tréteaux de continuer de porter encore, et de plus en plus loin, la parole du théâtre, des auteurs, et de leurs valeurs. Si l’on en croit les salves d’applaudissements qui ont surgit hier, on peut penser que le but est atteint. Souhaitons donc un beau voyage aux Tréteaux de France, en espérant les revoir très vite, qu’ils viennent à notre rencontre ou que nous y allions, transformés nous aussi en spectateurs itinérants.