- Danse / Cirque / Autres
- Grande Halle de la Villette
- Paris 19ème
Dans ton coeur, Akoreacro

- Grande Halle de la Villette
- 211, avenue Jean Jaurès
- 75019 Paris
- Porte de pantin (l.5)
La compagnie Akoreacro revient planter son chapiteau à La Villette ! Après Klaxon, présenté en 2016, ce tout nouveau spectacle déploie ses prouesses acrobatiques dans l’univers du quotidien.
Les artistes qui volent sous le chapiteau planent par instant, s’entrechoquent peu après. Les mastards tout en muscles réceptionnent en douceur ou éjectent brutalement les corps légers qui leur sont confiés. Les acrobates d’Akoreacro ont choisi d’entrelacer les gestes familiers aux pirouettes les plus folles, de sublimer nos petits riens en prouesses de plus en plus dingues.
Les histoires s’enchaînent, si proches de nous, si haut dans les airs. De chauds baisers deviennent les pires figures du vertige, tandis que les baffes claquent et que les corps s’amoncellent. Le rire s’empare du chapiteau devenu fou à force d’amour enflammé et de ruptures sanglantes, sous l’envoûtante musique mi-ange mi-diable qui accompagne cette fresque enchantée de nos petites turpitudes.
L’affiche était à la fois attirante et inquiétante : que venait faire ce metteur en scène – certes impossible à cerner, mais quand même – au milieu de circassiens ? Tout simplement la même chose que d’habitude : mettre son talent, son humanité, et sa grandeur d’esprit au service de la scène. En toute simplicité. Quand le noir se fait, tous les acrobates et voltigeurs se précipitent sur la scène. C’est la nuit, il pleut.
On reconnaît une femme pour une petite dizaine d’hommes. Elle semble prendre peur. Elle court, perd ses chaussures, oublie son parapluie. Une Cendrillon des temps modernes. On comprendra par la suite que cela joue un rôle primordial. Le spectacle s’article autour de saynètes qui se relieront par une thématique commune : le rapport entre les êtres humains. Il met tout particulièrement en lumière un couple que l’on voit évoluer dans son quotidien, avec ses hauts et ses bas, ses disputes, ses moments brutaux, parfois plus doux, plus sensuels, plus charnels. Et tout cela avec, comme outils, des corps impressionnants, une musique quasi-omniprésente, des lumières splendides et une partition orale presqu’inexistante.
Ce spectacle est absolument sublime. Il ne se contente pas d’être drôle et incroyablement réglé lorsque les acrobates deviennent quasiment des clowns et livrent, pour une partie du public, un numéro de mime absolument formidable. Il ne se contente pas d’être charmant dans ses intermèdes plus légers permettant de changer de décor de manière ludique et attrayante. Il ne se contente pas d’être touchant dans les relations qu’on devine entre chacun des personnages. Il ne se contente pas d’être intelligent dans les choix des scènes qu’il propose. Ce spectacle est tout à la fois. Que ce soient des bagarres ou des scènes d’amour qui nous sont présentées en plein vol, ce sont des corps autant que des âmes qui voltigent dans ce spectacle.
Quasiment muet, je suis stupéfaite qu’il me soit apparue aussi clairement – à moi, comme à toute la salle. Il y a cette scène très suggestive où un homme semble se rapprocher d’un autre homme, travesti en femme. Les scolaires présents ce soir-là pouffent au début de la scène. Et les deux corps s’envolent, simulant sans équivoque l’acte d’amour, là-haut, dans les airs – après tout ne parlons-nous pas parfois d’acrobaties sexuelles ? Alors, dans la salle, plus un bruit, ou seulement des chuchotements d’admiration. Il y a des choses comme ça qui n’appellent aucun commentaire et qui nous rassemblent tous autour d’une même émotion. Le beau, par exemple. Tout au long du spectacle, les corps se cherchent, se courent après, s’escaladent, se portent, se collent, se lâchent. Mais rien n’est jamais gratuit.
C’est un cirque qui dit quelque chose, et c’est d’une puissance émotionnelle incomparable. Ça se joue ailleurs que dans le cerveau, de ces choses qui vous retournent de l’intérieur sans que vous en compreniez tout de suite la provenance. Je n’ose imaginer la difficulté de création d’un tel spectacle, mêlant deux mondes si différents – bien que Pierre Guillois ait déjà mis un pied dans le burlesque muet. Tout le monde doit être salué : porteurs, voltigeurs, musiciens, metteur en scène. J’ai du mal à évaluer l’apport de chacun tant le résultat forme un tout évident. J’arrive quand même à percevoir la patte de Pierre Guillois au milieu de ces acrobaties, dans la simplicité, presque la banalité des scènes proposées. Les accessoires sont des frigos, des machines à laver.
Dans la cuisine, une femme s’affaire. Elle prépare le repas, elle est au téléphone. La scène sera répétée cinq, peut-être six fois. Et chaque proposition est différente. Les portés sont près du sol et pourtant ces figures ont quelque chose de spectaculaire. Tout le monde retient son souffle. Et dans mon cerveau, soudain, une lumière s’active : cette femme que je vois s’activer dans sa cuisine, qui téléphone, qui effectue un salto, qui met le micro-onde en marche, qui attend un enfant, cette femme qui fait 10 000 choses en même temps… elle me fait penser à quelqu’un, et même à plusieurs personnes. A beaucoup de femmes, en réalité.