L'Interview de Jean-Marc Dumontet, Serial Directeur de theatre

 

Rappelez-vous il y a dix ans, même jour, même heure, le théâtre faisait encore face à autant de conservatisme que chez les syndicats des cheminots de la SNCF. Depuis il a entamé une métamorphose sous l’influence de directeurs dynamiques.

 

Ces nouveaux venus gèrent les théâtres différemment, ont des discours assez inhabituels -et un brin provocateurs- sur la recherche de profits et la rentabilité. Le marketing, la communication ne sont désormais plus des pratiques taboues et un vrai effort est fait pour plaire au public, s’enrichir de son avis, ses désirs.

 

 

 

Une révolution est en marche. Espérons qu’elle ne soit pas au détriment de la qualité des spectacles. Populariser le théâtre ne devra pas revenir à abaisser son niveau intellectuel et humoristique au ras des pâquerettes, prendre les gens pour des idiots. Laissons ce luxe à la téléréalité.

 

Riches de ces considérations métaphysiques, nous sommes allés poser quelques questions à Jean-Marc Dumontet, self-made man et serial directeur, propriétaire des deux Points virgule, de Bobino et du Théâtre Antoine, producteur de Lutz, Ben, Duléry, Krief, Walter, Canteloup et tout le tintouin…

 

 

Qu'est-ce qui vous semble nouveau dans le théâtre et les one man shows depuis ces dix dernières années ?

 

On est dans une période où tout va beaucoup plus vite.
 
Dans leurs parcours aujourd’hui les artistes n’ont pas compris qu’il fallait du temps. Il faut qu’ils se cassent les dents sur scène, qu’ils échouent. Avant-hier je suis allé voir un one man show c’était la 3ème fois qu’il jouait et l’artiste piaffait d’impatience. Je lui ai dit « vous n’êtes pas mûr » et lui vivait ça comme un échec mais ce n’est pas un échec. Un fruit il lui faut du temps pour qu’il soit mûr, pour qu’il soit beau. C’est pareil pour un artiste.
 
Dans le théâtre, les opérateurs changent. Avant c’étaient des grandes familles et là ça quitte le giron des familles pour entrer dans un monde plus professionnel.
C’était un milieu assez fermé mu par un vrai tempérament et des vrais choix artistiques. Je ne les traite pas de rentiers mais la rente n’est jamais bonne, ils vivaient dans un confort, une habitude et une routine.
 
Aujourd’hui il y a un métier qui s’industrialise, avec pas mal de producteurs qui arrivent à la tête des théâtres. Là tout à coup on a des hommes d’affaires, dont je fais partie hein, donc ça peut être très intéressant pour améliorer les choses, avoir un souci du public fort.
Il faut qu’il y ait un savant mélange entre d’une part cette fibre artistique qui est absolument nécessaire car si on n’a pas les bons spectacles ça ne peut pas marcher mais aussi cette capacité à dynamiser une entreprise, gérer sa vie commerciale d’une façon correcte. L’évolution est bonne.
 
 

Est-ce que vous pensez qu’il y a trop de salles, trop de spectacles qui se jouent à Paris ?

 

Tant mieux s’il y a beaucoup de salles. Ne soyons pas malthusiens. Tant mieux si les artistes sont prêts à vivre les frustrations, s’ils ont compris la règle. Avec ce moment d’exposition, les gens peuvent croire que s’ils sont sur scène c’est réussi.

Le petit jeune que je suis allé voir avant-hier il avait déjà fait venir la presse. Je lui ai dit « vous êtes fou, vous n’êtes pas prêt ! Vous allez vous flinguer. Vous avez une chance d’être vu. Une fois qu’ils vous ont vus les gens ne vont pas revenir, il y a trop d’offres. »

 

Je ne vis pas du tout ça comme une menace. Du point de vue des artistes c’est une facilité mais il ne faut pas que cette facilité aille contre eux s’ils ont oublié qu’il faut du temps. Alex Lutz, on a mis beaucoup de temps. Et c’est parce qu’on a mis beaucoup de temps qu’il est excellent aujourd’hui. On a rempli 20 bobinos, 900 personnes tous les soirs. Ça a été une énorme montée en puissance.

Moi mon obsession c’est d’avoir les bons spectacles !

 

Je crois en l’avenir du théâtre car aujourd’hui il n’est absolument pas concurrencé, c’est le seul lieu de rencontre entre le public et les artistes. Notre concurrence ce n’est pas les autres salles, c’est le week-end au Portugal, le week-end au sport d’hiver, les musées...

 

 

 

Vous parliez d’Alex Lutz… Sur quels critères est-ce que vous choisissez les humoristes que vous produisez ?

 

Le 1er point, il faut que la personnalité et le positionnement de l’artiste tranchent. Il me faut quelque chose de 100% original avec une vraie personnalité. Qu’on n’a jamais vue nulle part.
 
Le 2ème point, il faut quelqu’un de bosseur.
 
Le 3ème point, il faut quelqu’un d’humble.
 
Si on arrive à réunir tout ça il y a des chances que ça marche. Mais ce n’est pas que du talent. Je produis par exemple quelqu’un qui s’appelle Fary, humoriste de 23 ans seulement, tout de suite c’est différent. Il est totalement unique.

 

 

Aidez-vous beaucoup les humoristes à retravailler leurs spectacles ? Vous appuyez-vous sur les avis des spectateurs sur internet ?

 

Le seul capable de faire bouger les choses c’est le producteur. Il peut être mu par une critique par exemple, mais a son avis. Un artiste est souvent fragile et n’a pas forcément la capacité de se remettre en cause parce qu’il n’a pas la bonne vision du spectacle, il n’est pas dans la salle. Le seul qui a la bonne vision du spectacle c’est celui qui est à l’extérieur. C’est le metteur en scène, mais il a participé à la création du spectacle. Moi de façon très iconoclaste je considère que c’est le producteur qui est le mieux placé parce qu’il n’a pas été mêlé au processus créatif.

 

C’est le cœur de mon métier de retravailler les spectacles. Je veux être fier de ce que je produis donc il faut que ça soit en phase avec ce que j’ai imaginé.

 

 

Pourquoi le spectacle ne commence-t-il que sur scène ? Pourquoi ne pas imposer l’univers de la principale pièce de théâtre dès le hall d’entrée en y mettant des éléments de décor (meubles, cadres, parquet…) ?

 

Mettre des éléments de décors, tout ça se réfléchit et on ne le fait pas parce qu'on est défaillants, c’est aussi bête que ça. Mais c’est une bonne idée. C’est évidemment une bonne idée.

 

Quand je vous parlais de cette nouvelle relation avec le public, c’est bien la question qu’on se pose. Rien ne s’y oppose. Ça y participe. En ce moment on joue une pièce au théâtre Antoine qui s’appelle « Je Préfère qu’on reste amis » qui se passe dans un magasin de fleurs et pour la Saint Valentin on a offert des fleurs à tout le monde. Pour Noël on va le faire aussi. Donc on essaye déjà de rentrer dans cette logique.

 

Sur l’idée qu’on pénètre dans un nouvel univers vous avez tout à fait raison. Il faut que ce moment soit magique. Pour Spamalot ce qu’on n’a pas fait, et on a eu tort, c’est d'habiller toutes les ouvreuses en princesses.

 

 

 

Laissons-nous rêver… A quand l’abonnement illimité pour tous les théâtres parisiens ?

 

Imaginez un tel produit avoir tarif unique… Au cinéma voilà, le prix d’entrée il est partout pareil. En matière de spectacle, quand vous avez un jeune comme Fary ou Fabrice Luchini qui est une rock star le prix n’est absolument pas le même. C’est difficile d’uniformiser les choses, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes.

 

Je ne sais pas comment ça se met en place. Je ne sais pas, parce que mes accords avec les artistes sont très différents. Luchini arrive dans notre bureau, il nous dit « je veux tant » et puis vous avez dix minutes pour qu’il reste chez vous. Les jeunes artistes, ils font la queue devant mon bureau. On n’est pas du tout dans les mêmes logiques.

 

On n’a pas du tout le même métier qu’un distributeur. Nous on est les producteurs.

Toute ma démarche c’est d’être extrêmement fort pour imposer mes tarifs, les plus élevés possibles. Donc pas un tarif uniformisé. Que ce soit un film qui a couté 3 millions ou un qui a couté deux cents millions c’est le même tarif.

 

Je ne veux pas fermer la porte car je pense que cette idée de la carte illimitée, 5 ans avant, personne n’y pensait. Quand elle est arrivée ça a effrayé tout le monde et il y en a qui y étaient totalement hostiles…

 

 

Nous sommes certains que cela arrivera un jour ! Nous le voyons dans notre boule de cristal. L’avenir à la rédac’ d’AuBalcon, on le prédit. Enfin on essaie, on lance des idées, comme ça, et on voit ce que ça peut donner. Pas dit que ce soit brillant à chaque fois !

 

D’ailleurs parlons-en un peu de ces questions qui nous préoccupent !

Les bandes annonces de théâtre ne seront-elles plus des repoussoirs à spectateurs dans un avenir proche ?

Peut-être seront-elles même diffusées sur grand écran en attendant le début du spectacle ?

Est-ce que nous verrons encore des affiches ringardes ou l’effort de design lancé par certains théâtres aura été suivi ?

Y aura-t-il un jour des bornes de votes et de critiques pour les spectateurs à la fin de la pièce ?

 

Merci à Jean-Marc Dumontet pour cette interview vérité, les yeux dans les yeux (comme dirait l'autre) sur le métier de producteur et de directeur de théâtre.

Impatients, on ne peut plus attendre de voir comment le théâtre va évoluer ces prochaines années. On refait le point dans 15 ans.

 

 

 

 

 

 

 

Retrouvez le 1er volet de notre interview de Jean-Marc Dumontet : Nos 10 idées pour les Molières.

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