Critiques pour l'événement Un Certain Charles Spencer, Chaplin
20 nov. 2015
9,5/10
186
Les superbes décors et costumes nous transportent à l'époque du cinéma muet. La mise en scène, pleine de petits moments importants de la vie de Charlie Chaplin est bonne.
Les comédiens sont tous excellents. Des changements de costumes et de personnages rapides.
Mention spéciale à Maxime d'Aboville qui interprète à merveille le rôle de Charlie Chaplin comme on peut l'imaginer dans la vie, introverti et écorché vif en raison d'une enfance difficile. De part son jeu, il nous fait bien ressentir cette fêlure et cette fragilité.

Maxime d'Aboville a été récompensé aux Molières pour son rôle dans "the Servant".
8 nov. 2015
8,5/10
118
Si le résultat est assez proche du documentaire avec les dates et lieux indiqués sobrement sur l’écran en fond de scène, l’ensemble est très enrichissant et la pièce à l’écriture finement intelligente nous transporte dans l’intime du petit bonhomme au chapeau melon, rappelant que derrière le comique se cache un être humain sensible, visionnaire mais avec toute une série de défauts caractéristiques de la complexité de l’Homme.

Déterminé, engagé, perfectionniste, angoissé, proche de sa fortune grandissante, tyrannique..., le portrait n’est pas très glorieux et pourtant, il nous fascine, nous captive. Les scénettes, plutôt courtes, se succèdent dans un rythme soutenu, d’une fluidité déconcertante malgré quelques passages un peu trop didactiques.

Daniel Colas, qui a dirigé le Théâtre des Mathurins entre 2006 et 2011, livre une mise en scène efficace et élégante, choisissant des faits marquants pour nous exposer un côté méconnu de la personnalité de Charlie Chaplin, adulé de tout temps.
A l’aide de quelques extraits vidéo, il fait revivre le vagabond au physique atypique mais reconnaissable au premier coup d’œil. Pour cela, il peut aussi s’appuyer sur une formidable distribution avec en tête Maxime D’Aboville, Molière du meilleur comédien 2015 pour son rôle dans la pièce The Servant, toujours à l’affiche du Poche-Montparnasse. Il est ici phénoménal et d’une troublante ressemblance avec l’artiste. Il ne joue pas Charlot, il est Chaplin, l’homme qui veut riposter aux critiques négatives sur son absence dans les tranchées par un film, celui qui a davantage peur de devenir fou que de la mort. Il nous impressionne dans la reconstitution proche de la perfection de la scène Charlot fait de la boxe, en mime, nous touche lorsqu’il rêve aux plans de ses studios avec son frère Sid (Benjamin Boyer) ou quand il exprime ses peurs, ses doutes, ses angoisses, surtout pour le passage délicat du cinéma muet au cinéma parlant car il craint que son personnage ne devienne banal s’il est doté de la verbalisation. Il nous émeut aussi lors de deux scènes qu’il partage avec Béatrice Agenin, qui interprète avec une douceur et une sensibilité formidables sa mère qui perd peu à peu la tête et sombre dans la folie, internée en asile psychiatrique. Ils sont bouleversants dans un duo touchant notre cœur de plein fouet. Alexandra Ansidei est parfaite en Mabel, la première partenaire de Charlie. Coralie Audret, qui incarne Paulette Goddard, sa troisième épouse, est très bien également, surtout dans leur scène de rupture à Los Angeles en 1940 lorsque Chaplin ne veut pas qu’elle parte mais ne fait rien pour qu’elle reste. Quant à Adrien Melin, il est génial dans le rôle double de M. Sennett le producteur mais surtout Edgar Hoover qui incarne à lui seul tous les détracteurs de Chaplin, l’accusant de tourner en dérision le service de l’immigration et mettant un point d’honneur à faire en sorte que Charlie déplaise au plus grand nombre.

Celle qui surprend le plus, c’est sans aucun doute Linda Hardy, merveilleuse en Oona, sa dernière épouse qui l’a soutenu lorsqu’il a été expulsé du sol américain (dans une formidable scène sur la passerelle d’un bateau), ce pays des libertés qu’on lui proposait dès 1910 alors qu’il n’avait que vingt ans et commençait à percer à Londres. C’est Oona qui l’accompagnera, le soutiendra, l’apaisera durant son exil en Suisse, et ce jusqu’au 25 décembre 1977 où il choisira le soir de Noël pour rejoindre les étoiles.

Nous ressortons de la représentation d’Un certain Charles Spencer Chaplin avec une sensation de nostalgie après avoir passé deux heures dans l’intimité d’un immense comique qui a fait rire des millions de gens sans jamais laisser paraitre ses fêlures et angoisses les plus profondes. La pièce nous fait rire et pleurer avec une belle leçon d’humanité et un hommage sensible à un homme immortel dans nos cœurs.
6 oct. 2015
8,5/10
188
En 2015, la saturation des biopics sur grand écran lasse le public. Ce phénomène à la mode d’hagiographie d’une célébrité reste au contraire relativement rare sur les planches. Avec de la suite dans les idées, Daniel Colas retrace l’incroyable parcours de Charlie Chaplin au Théâtre Montparnasse. Un certain Charles Spencer Chaplin dresse un portrait plein de contrastes de l’enfant terrible du cinéma avec une sens redoutable du montage.

En 1952, Charlot se montre bien fatigué. En présence de sa tendre épouse Oona, la star refuse de répondre aux questions des journalistes à propos de son dernier film, Les Feux de la rampe. De cet instant charnière, le prodige comique remonte alors le cours du temps pour naviguer dans les flots étincelants et tumultueux d’une existence rocambolesque.

Résumer une vie en deux heures est une sacrée gageure : nécessité de tailler dans le vif en opérant parfois des raccourcis forcément réducteurs, agencement plus ou moins linéaire… Un terreau fertile mais peut-être trop envahissant. Daniel Colas a su recréer sur scène avec une élégance délectable la folle effervescence du XXème siècle. Avec une esthétique bi-chromatique classieuse en noir et blanc, le dramaturge-metteur en scène a prélevé la substantifique moelle de la somme Chaplin en sélectionnant les étapes-clé de sa trajectoire en montagnes russes : sa rencontre avec son producteur Mack Sennett, ses difficultés à monter The Kid, ses entrevues avec sa mère démente ou ses emportements exigeants dans la réalisation des Temps Modernes…

Refusant de se plier à l’exercice consacré de la glorification facile, Daniel Colas insiste autant sur les aspirations obstinées du jeune Charles que sur ses zones d’ombres, entre tyrannie professionnelle et conjugale et exil forcé, pour atteindre un équilibre salutaire.

Pour réussir à rentrer dans l’épopée chaplinienne, une distribution aux petits oignons était requise. Maxime d’Aboville rafle la mise dans le rôle-titre : petit bout d’homme survolté, ce lutin malicieux confirme son statut d’étoile montante de la scène actuelle. Après le triomphe de The Servant (toujours à l’affiche au Poche) et couronné du Molière du meilleure comédien 2015, le trentenaire trace tranquillement sa route vers l’Everest du théâtre. Du majordome glaçant, d’Aboville endosse chapeau melon, petite veste noire, pantalon ample et chaussures démesurées avec un abattage dévoilant tout son potentiel comique. Son combat de boxe restitué par une astucieuse mise en abyme mérite à lui-seul le déplacement. Le jeune talent apporte une belle densité à son rôle complexe, tour à tour fiévreusement ambitieux, timidement conquérant et inévitablement blasé. Chapeau !

L’ensemble du casting ne démérite absolument pas. Mention spéciale à Béatrice Agenin, déchirante en mère rongée par la folie et pleine d’une tendresse moqueuse ; Linda Hardy surprend agréablement dans son personnage d’Oona, tout en gracieuse candeur. Adrien Melin, enfin, est épatant dans sa double composition de producteur débonnaire et de directeur du FBI franchement abject (Hoover reprochait fermement à Chaplin de donner une image ridicule des États-Unis, sa terre d’accueil).

Un certain Charles Spencer Chaplin démontre ainsi à quel point le genre déjà en perte de vitesse du biopic au cinéma peut retrouver une exquise fraîcheur au théâtre. La création soigneusement fluide de Daniel Colas assure une science du montage bien rodée supportée par une troupe d’acteurs formidablement homogène.