Critiques pour l'événement Que viennent les barbares
14 mars 2019
9,5/10
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Nous sommes tous des barbares, mais certains seraient-ils plus barbares que d'autres ?
Le barbare : l'étranger, celui qui n'est pas comme vous, pour les Grecs et les Romains.

« Il paraît que les barbares doivent arriver aujourd'hui,
Et pourquoi le Sénat ne fait-il donc rien ?
[…]
Les barbares ne sont pas arrivés, [...]
Et maintenant qu'allons-nous devenir, sans barbares ?
Ces gens-là, en un sens, apportaient une solution.»

Ce poème de Constantin Cavafis, écrit en 1904, est le point de départ et la conclusion de ce remarquable spectacle conçu et mis en scène par Myriam Marzouki.

On entend, on voit ici et là de grands débats, de savantes émissions, des livres soi-disant érudits qui posent ce genre de questions étranges : « Qu'est-ce qu'être Français ?», « qu'est-ce que l'identité nationale ? »

Myriam Marzouki adopte un angle de vue radicalement opposé, faisant émerger un questionnement complexe : « Qui est perçu comme l'Autre, irréductiblement décalé du « Nous » national ? »

Car d'un point de vue sociologique, ethnographique, il est désormais fini le temps de penser que l'on peut vivre au milieu d'êtres identiques à soi.
Et de poser une nouvelle et essentielle question : « Qu'est-ce qui fait le « Nous » aujourd'hui, en France ? »
Cette France qui n'a toujours pas entièrement « digéré » la colonisation et surtout la décolonisation.

A partir de ces interrogations, elle a écrit en compagnie de Sébastien Lepotvin un texte et une dramaturgie passionnants !

De ces questions-là, une entreprise théâtrale est mise en place. C'est l'une des principales réussites : il y a le fond et la forme.

Nous allons assister à une série de rencontres parfois improbables, anachroniques, surréalistes, où sont mis en scène les thèmes de l'altérité, de la différence, et de ce qu'il est convenu d'appeler d'un étonnant nom-composé « le vivre-ensemble ».

Nous rencontrerons une journaliste débutante interviewer dans les années 70 Toni Morrison et James Baldwin, un reporter parisien très Chapatte-Couderc interrogeant Mohammed Ali sur son ring, Jean-Baptiste Belley aux prises avec une emblématique fonctionnaire de l'O.N.F.U.I.T., l''Office National Français Universel de l'Intégration Totale qui se pose en gardienne du « dogme républicain. ». Nous verrons aussi Claude Lévi désirant ajouter Strauss à son patronyme, lui aussi confronté à cette employée.

Durant tout le spectacle, les choses sont dites, signifiées clairement, mais surtout de façon souvent drôlissime.

Le fond et la forme, vous dis-je ! C'est malin, c'est intelligent au possible !

Les six épatants comédiens évoluent au sein d'espaces matérialisés par des sortes de grands blocs de bois, par un petit bar, un bureau, quelques chaises. Sans oublier un ring.
La scénographie se transforme en permanence.

Ce décor permettra de conclure le propos en deux séquences très réussies.
Tous les protagonistes seront rassemblées dans une danse : tous évolueront ensemble, chacun à sa façon, respectant celle des autres. Le symbole est évident.

Et puis les blocs de bois seront retournés, se transformant en une espèce de galerie de musée.
Les personnages seront exposés, alors que sera dit le poème cité plus haut.

Oui, un jour, même s'il y a encore du boulot, les comportements humains de discrimination, de refus de l'altérité, de la différence, ces comportements réducteurs éthnocentrés seront considérés comme une aberrante curiosité.

Il faut absolument se rendre à la MC93 de Bobigny afin d'assister à ce spectacle.
C'est un spectacle qui rassemble, qui redonne confiance et courage !
Un spectacle qui fait du bien !