Critiques pour l'événement F(l)ammes
Après ILLUMINATION(s) L.a Compagnie MADANI revient avec un deuxième volet. Dix jeunes femmes issues de la banlieue. Dix personnalités. Dix silhouettes. Dix voix que l'on n'entend jamais. Dix images de cette diversité de la France. Avec ce deuxième volet de sa trilogie Ahmed MADANI récidive et livre un spectacle d'une grande force, des paroles de femmes.

10 FEMMES LIBRES

Elles sont les porteuses d'histoires du quotidien de ces femmes des banlieues, de ces quartiers dits "sensibles" où beaucoup n'osent aller et ne connaissent que ce qu'en montre une certaine presse. 10 paroles de femmes pour exprimer cette vie qui semble silencieuse tant on ne leur donne jamais la parole. Et pourtant elles en ont des choses à dire, à nous dire. Elles expriment toute la sensibilité féminine de celles qui sont / ont été / seront confrontées à la discrimination ordinaire, au rejet de la part de leur propre pays. "J'ai choisi d'être différente de ma différence" dit la fan de culture japonaise. "Je n'ai pas d'histoire dramatique à raconter, je suis une française moyenne" semble s'excuser celle qui a grandi dans une famille heureuse, loin des clichés misérabilistes. "Je suis de nulle part" s'écrit l'une d'elles, provocant une réaction inattendue. "Nos cheveux sont nos racines" lancent-elles toutes.

Elles ont entre 19 et 28 ans. Elles sont nées, ont grandi à Garges-lès-Gonesse, au Val Fourré, dans le Boulogne ouvrier, à Neuilly sous Bois. Elles assument leurs origines que certains leur reprochent, sont fières de leur filiation, qu'elles viennent de la forêt comme le disait Claude Levy Strauss ou bien de la Guadeloupe. Elles refusent d'être les Pénélope du 21ème siècle. Elles ont fait des études, sont diplômées et foulent aux pieds les clichés sur la misère économique et culturelle des quartiers sensibles, ces zones mises à l'écart des villes. Elles sont gréées de ce que leurs parents leur ont appris.

10 récits, 10 témoignages, 10 voix qui parlent et chantent la liberté d'être soi, quelle que soient la couleur de la peau et la nature des cheveux, d'être française et différente, de porter l'héritage des générations précédentes avec fierté et non comme un fardeau.

ENERGIE ET PROFESSIONNALISME

Là où ILLUMINATION(s) bouillonnait d'énergie, de colère et de mouvement, F(l)AMMES prend le temps de poser ces paroles de jeunes femmes, pour laisser s'exprimer leur sensibilité, leurs doutes, leurs certitudes, leur colère parfois et surtout leur confiance inébranlable. Paroles de femmes battantes, sensibles, émouvantes.

La mise en scène d'Ahmed MADANI respecte ces temps de confession et d'expression en y mêlant des chants a capela qui introduisent des ruptures, des respirations après l'émotion. Les comédiennes amateurs laissent alors éclater toute l'énergie et la fougue de leur jeunesse, de leur colère, comme une danse combattante ou libératrice.

Le décor est simple et épuré. Un fond blanc sert d'écran à quelques projections vidéo. Sur la scène quelques chaises apparaissent et disparaissent au gré des récits. Une scénographie qui laisse la place aux mots, ponctuellement accentuée par le corps.

Il y a chez ces jeunes femmes une énergie positive communicative. Elles s'enflamment et enflamment le public qui se lève unanime pour les saluer à la fin du spectacle. Ahmed MADANI démontre une nouvelle fois quel brillant directeur d'acteur il est. Comme pour les jeunes gens d'ILLUMINATION(s) il donne à ses comédiennes amateurs une aisance, une force, une qualité de jeu et d'expression que certains professionnels pourraient leur envier.

On ne peut que souhaiter un succès encore plus grand à F(l)AMMES afin de permettre de revoir ILLUMINATION(s), et, dans la foulée, donner à la Compagnie MADANI les moyens pour créer le troisième volet de sa trilogie. Dès lors on pourra rêver à un marathon MADANI qui permettrait de vois les trois spectacles d'affilé.

En bref : après le succès d'ILLUMINATION(s) Ahmed MADANI crée avec F(l)AMMES un volet féminin aussi fort que le volet masculin de la trilogie. 10 jeunes comédiennes amateurs portent avec fougue et énergie une parole forte, authentique et optimiste. Une parole libre et nécessaire pour battre en brèche les clichés sur les femmes de banlieue. Un spectacle à ne pas manquer.
26 nov. 2016
9/10
66
Pour qui a vu Illumination(s), le précédent spectacle de ce qui s’annonce comme une trilogie, F(l)ammes apparaissait incontournable : le volet féminin après le volet masculin, et pour A. Madani un autre angle d’attaque pour aborder la « deuxième génération » : ces jeunes Français des banlieues pauvres dont les parents ont connu l’exil et le déracinement.

Dix jeunes femmes ont donc été choisies par le metteur en scène, après un long « casting » : il les a écoutées, et à partir de leurs histoires, de leurs idées, a bâti un texte qui mêle le vrai et la fiction. Elles sont noires, d’Afrique ou des Antilles, ou maghrébines, elles ont entre 18 et 30 ans, elles vivent en banlieue parisienne et chacune a sa personnalité, son corps, son parcours. La diversité, c’est ce que veut nous faire ressentir A. Madani, non pas tant la diversité des origines, que la diversité et la singularité de chacune de ces femmes, qui sont engagées dans un parcours de vie difficile et exaltant, marqué à la fois par l’amour et l’arrachement vis à vis de cette « origine » dans laquelle leurs parents et les regards extérieurs tendent à les enfermer. Elles sont courageuses, intelligentes, drôles, incroyablement justes, lumineuses : flammes, comme le dit le titre du spectacle.

Comme dans Illumination(s), et bien qu’étant moins dramatisée que dans ce premier opus, la proposition d’A. Madani est rythmée et prenante. Au début, quelques-unes viennent au micro, devant le public, se présenter directement ou par allégorie (ainsi, la seule comédienne voilée de la troupe passe par Pénélope et Ulysse pour parler d’elle). Mais très vite, le sage dispositif se dérègle, laissant place à une dispute pour savoir laquelle d’entre elles a l’apparence la plus « voyante » : voile, cheveux, couleur des yeux ou de la peau, tout y passe… Alors vient le temps de la danse, d’aveux plus intimes, plus douloureux, du chant (« La vie en rose », ou Nina Simone vraiment magnifiquement chantés), de la choralité, des questionnements, parfois de l’auto-dérision, de la sororité.

C’est un spectacle dont il est difficile de rendre compte, car, tout en étant un vrai show (on ne s’ennuie pas un instant, on rit, les lumières et les arrière-plan vidéo sont très beaux, la diction est parfaite, les déplacements dans l’espace fluides, tout est digne d’une troupe professionnelle), il dispense une émotion qui est celle de la vie : on est plein d’une curiosité intense pour chacune de ces jeunes filles, femmes, qui trace son chemin avec tant de détermination, on les admire en tant qu’artistes et en tant que « vraies personnes ». Pourtant, je ne dirais pas que c’est « en deça du théâtre » : c’est pleinement du théâtre, car la matière brute est transcendée et devient poésie.

Il y aurait vraiment beaucoup à dire sur l’intelligence de ce spectacle, sur la manière dont il remet en cause des clichés, dont il conduit à regarder ces corps de femmes en particulier, sur sa dimension politique et féministe (« Ce n’est pas de liberté ou de fraternité que nous avons besoin, mais d’égalité »). . On aimerait qu’au delà de la tournée prévue, il soit capté et puisse faire référence. Ces F(l)ammes sont aussi sources vives.

Madani fait un travail qui n’a pas d’égal. Il a trouvé une formule qui allie la beauté, et la vérité, toujours dérangeante. C’est sans doute le résultat d’un art de l’écoute et d’une humanité que résume bien la phrase de Van Gogh qui est, dit-il, son viatique : «Il n’y a rien de plus réellement artistique que d’aimer les gens. »