- En tournée
- Célestins, théâtre de Lyon
- Lyon 2ème
Iphigénie

- Célestins, théâtre de Lyon
- 4, rue Charles Dullin
- 69002 Lyon
La guerre de Troie est imminente et la flotte du roi grec Agamemnon est retenue dans le port d'Aulis depuis trois mois.
L'oracle est consulté et l'oracle dit : pour retrouver la clémence des dieux, la fille d'Agamemnon, Iphigénie, doit être sacrifiée sur l'autel de Diane.
Questionnant les actions par devoir, le bien-fondé du sacrifice ou encore les oscillations de l'amour et de l'ambition, Chloé Dabert se saisit à la lettre du texte de Racine, entre dans les mots du XVIIe siècle et interpelle le sens moral de cette expiation. Dans un campement entre plage et mer, les protagonistes encerclés reprennent à leur compte cette poésie si tragique, nous disent que l'action se nourrit avant tout de parole, que le désir des dieux entraîne toutes les soumissions, que la femme est la victime de tous les enjeux...
Une pensée qui ne cesse d'en revenir à nous et aux choix qui nous dépassent dans le but d'un retour au calme ou de l'apaisement d'un climat...
Hier, pas de désertion du public. Jouer en plein air, à Avignon, est certainement périlleux pour la langue de Racine si sophistiquée et si puissante. Ici, dans un théâtre à l'italienne, nul zéphyr pour venir perturber la diction.
J'ai particulièrement apprécié en première partie "le slam théâtral" d'Agamemnon (qui m'a rappelé Jean Quentin Châtelain dans Mars de Zorn; comme quoi, une voix au théâtre peut aussi devenir un legs dans la mémoire d'un spectateur ...). Ce "slam théâtral" (ma manière toute personnelle, j'en conviens, de dire ce que j'ai ressenti) a permis la représentation vocale de la mécanique, du rituel de tout discours idéologique (qu'il soit politique ou religieux). Ce discours est imposé au roi par l'oracle : on connaît l'histoire ... Agammemnon doit sacrifier sa fille Iphigénie pour obtenir des vents favorables qui permettront à son armée d'aller combattre les Troyens.
Le jeu d'Agamemnon est tout en subtilité. On aperçoit sa métamorphose. Il se recroqueville sur lui-même lorsque le doute s'empare de lui. Son "slam" devient un "chant théâtral" qui s'humanise peu à peu grâce à la douleur. Il se libère de son carcan idéologique où il est enfermé lui-même comme premier "énarque" de la nation.
C'est Clytemnestre qui, de bout en bout, va défendre, bec et ongles, la cause de sa fille Iphigénie. Magistralement, elle va s'emparer des vers de Racine pour faire passer toute la force des émotions chères à l'auteur. Elle va prendre racine ... :) dans cette langue pour nous donner un autre point de vue que celui des dominants. Certes, elle est reine; certes , elle est mère mais c'est surtout en tant qu'être humain qu'elle va s'insurger.
Iphigénie a un rôle ingrat de mon point de vue contemporain. Elle est l'envers d'Antigone. Elle est une victime lobotomisée par les croyances ambiantes. A trop respecter la parole de l'oracle et celle du père souverain, elle est prête à en perdre la vie. Elle est la victime, par sa mort à venir, d'un outrage à la vie. Sa mort, elle la vit comme une gloire, une béatitude céleste. Objet d'un patriarcat et d'une domination idéologique, elle reste aveugle à cette mise en martyre.
Achille dans cette mise en scène, apparaît en première partie comme un éléphant slalomant dans un magasin de porcelaine. Il prendra du corps, de la nervosité, plus tard.
Eriphile, princesse esclave, est l'autre victime de ces dominations masculines (politique ou religieuse). Elle seule, sera sacrifiée même si elle croit en faire, seule, le choix.
Au final, c'est toujours une femme qu'on sacrifie ...
Cette pièce nous apporte de multiples résonnances (politique, religieuse, sociétale) dans l'actualité contemporaine.
Le décor nous fait bien comprendre le campement militaire au bord d'un rivage : très belle cotte de maille, mirador métallique, néons se transformant, éteints, en obus prêts à partir ..., tas de sable et joncs.
J'ai moins apprécié les costumes. J'aurais préféré des costumes, non pas antiques, mais qui traversent les époques.
Je recommande vivement cette pièce à la mise en scène intelligente.
Ultime question :l et si les vents ne s'étaient pas manifestés, qu'aurait, alors "valu" l'oracle ?