Critiques pour l'événement Orestie
La force de ce spectacle tient à l’agrafage de transgressions qui ne laissent guère en repos le spectateur.
Leur cumul produit cet effet de sidération typique de l’esprit empêtré dans une contradiction (car la transgression nie et affirme en même temps). Opter, de manière réactionnelle, défensive, pour l’adhésion extatique (« C’est génial ! Quel grand artiste ! ») ou pour le rejet (« Quelle honte ! Quel scandale ! »), c’est, dans les deux cas, tenter de briser l’emprise de la contradiction.
Mais c’est aussi un indice de réussite : la division du public entre pour et contre l’œuvre, pourvu qu’elle soit assez passionnelle, est l’assurance que les spectateurs sont impressionnés et vont contribuer à sa notoriété.
Ces transgressions fonctionnent comme signes de distinction. La production du « grand artiste » par le culot, l’audace, mais dans l’obéissance à l’impératif de distinction. Si les signes du « contemporain » sont nombreux, chaque transgression est mise au compte de l’art comme élévation absolument libre au-dessus du banal. Castellucci navigue dans un champ concurrentiel et dans une pratique structurée par la volonté de paraître exceptionnel.
Leur cumul produit cet effet de sidération typique de l’esprit empêtré dans une contradiction (car la transgression nie et affirme en même temps). Opter, de manière réactionnelle, défensive, pour l’adhésion extatique (« C’est génial ! Quel grand artiste ! ») ou pour le rejet (« Quelle honte ! Quel scandale ! »), c’est, dans les deux cas, tenter de briser l’emprise de la contradiction.
Mais c’est aussi un indice de réussite : la division du public entre pour et contre l’œuvre, pourvu qu’elle soit assez passionnelle, est l’assurance que les spectateurs sont impressionnés et vont contribuer à sa notoriété.
Ces transgressions fonctionnent comme signes de distinction. La production du « grand artiste » par le culot, l’audace, mais dans l’obéissance à l’impératif de distinction. Si les signes du « contemporain » sont nombreux, chaque transgression est mise au compte de l’art comme élévation absolument libre au-dessus du banal. Castellucci navigue dans un champ concurrentiel et dans une pratique structurée par la volonté de paraître exceptionnel.
L’adaptation de la trilogie d’Eschyle par Roméo Castellucci vient de souffler sa vingtième bougie.
S’il est vrai que le plasticien, adulé par certains et décrié par d’autres, a beaucoup évolué par son travail de recherche, il mettait déjà mal à l’aise le spectateur en lui imposant des images marquantes tentant de réconcilier l’âme et le corps, dans l’expression d’une brutalité et d’une barbarie éprouvantes. Depuis, fort heureusement, le trublion s’est assagi, allant vers une forme épurée mais toujours très forte de la beauté et de la création artistique.
Déjà à ses débuts, nous retrouvons des thématiques qui ancreront la production de Roméo Castellucci comme ce formidable travail sur les corps, la nudité transgressive, le voile noir derrière lequel se déroule la représentation ou encore les oppositions très marquées du noir et du blanc (ici le noir est pour Agamemnon et le blanc pour les Choéphores), l’absence de dialogues, la présence d’animaux (un âne, un bouc, des singes pour l’Orestie), la scénographie impressionnante et la symbolique omniprésente jusqu’à rendre parfois la compréhension hermétique de la proposition. Pourtant, même si certaines images sont à la limite du supportable, rien n’est gratuit chez le metteur en scène qui exprime une tragédie brutale et barbare donnant de nombreuses interrogations, de questionnements profonds et intimes.
La première partie, très sombre, voit les corps de chacun mis à mal. C’est une véritable boucherie dans un chaos sans fin qui se déroule sous des bruits assourdissants rendant l’atmosphère anxiogène. Les âmes sont bouleversées et nous éprouvons un mal-être à regarder Cassandre, jeune femme obèse et nue, enfermée dans une cage de verre, qui demeure inécoutée. Cette sensation d’oppression nous parvient sans que l’on puisse s’en défaire. C’est une beauté dérangeante que celle qui se présente, brute comme un diamant, sous nos yeux interrogateurs, tout comme le Coryphée, le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles sorti tout droit de l’imaginaire de Lewis Carroll qui nous perturbe, nous questionne, nous hante, nous invite à le suivre dans son terrier. Cette partie pourrait être qualifiée de pesante, poussive, plaintive et il faudra du temps pour en digérer chaque image, acceptant de laisser nous échapper de nombreuses références.
C’est assez kitsch, parfois provoquant, mais souvent édifiant. Le délit meurtrier de Clytemnestre souhaitant venger avec l’aide de son amant Egisthe la mort de sa fille Iphigénie, sacrifiée par Agamemnon, est à lui seul l’expression d’une violente tragédie.
La seconde partie quant à elle s’ouvre sur un monde de silence. Les déplacements sont très chorégraphiques autour de la tombe du père d’Oreste, Agamemnon, réincarné en bouc sacrifié surgissant du cercueil, au bout d’une corde. Les jeux de masques se poursuivent et les corps aux apparences de clown apparaissent dans une autre vengeance : celle d’un fils envers son père, envisageant un matricide hallucinant. Si sur le plateau tout semble plus lumineux, le sens demeure obscur dans beaucoup de passages. Alors on se raccroche au bras mécanique, celui qui donnera la mort avant qu’un bruit sourd, puissant et vibrant ne vienne mettre fin à une tragédie inéluctable. Puis, comme dans une boule de cristal, de vrais singes évoluent et déambulent, sans cesse chassés par Oreste, rongé par la culpabilité, nous laissant sous le choc de cette dernière vision.
L’Orestie marque les balbutiements passionnants de la création de Castellucci. Certes le spectacle contient des maladresses mais il faut une bonne dose d’humilité et de modestie pour accepter de représenter telle quelle une œuvre montée il y a vingt ans sans chercher à l’actualiser, à la reconstituer. Nous en ressortons sonnés une fois de plus, perplexes sans aucun doute, mais impressionnés par cette expérience théâtrale hors-norme. Un retour aux origines pour conclure deux années de portrait, l’idée est bien belle en nous donnant à redécouvrir ce qui se présente comme étant l’un des spectacles les plus exigeants du metteur en scène italien.
S’il est vrai que le plasticien, adulé par certains et décrié par d’autres, a beaucoup évolué par son travail de recherche, il mettait déjà mal à l’aise le spectateur en lui imposant des images marquantes tentant de réconcilier l’âme et le corps, dans l’expression d’une brutalité et d’une barbarie éprouvantes. Depuis, fort heureusement, le trublion s’est assagi, allant vers une forme épurée mais toujours très forte de la beauté et de la création artistique.
Déjà à ses débuts, nous retrouvons des thématiques qui ancreront la production de Roméo Castellucci comme ce formidable travail sur les corps, la nudité transgressive, le voile noir derrière lequel se déroule la représentation ou encore les oppositions très marquées du noir et du blanc (ici le noir est pour Agamemnon et le blanc pour les Choéphores), l’absence de dialogues, la présence d’animaux (un âne, un bouc, des singes pour l’Orestie), la scénographie impressionnante et la symbolique omniprésente jusqu’à rendre parfois la compréhension hermétique de la proposition. Pourtant, même si certaines images sont à la limite du supportable, rien n’est gratuit chez le metteur en scène qui exprime une tragédie brutale et barbare donnant de nombreuses interrogations, de questionnements profonds et intimes.
La première partie, très sombre, voit les corps de chacun mis à mal. C’est une véritable boucherie dans un chaos sans fin qui se déroule sous des bruits assourdissants rendant l’atmosphère anxiogène. Les âmes sont bouleversées et nous éprouvons un mal-être à regarder Cassandre, jeune femme obèse et nue, enfermée dans une cage de verre, qui demeure inécoutée. Cette sensation d’oppression nous parvient sans que l’on puisse s’en défaire. C’est une beauté dérangeante que celle qui se présente, brute comme un diamant, sous nos yeux interrogateurs, tout comme le Coryphée, le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles sorti tout droit de l’imaginaire de Lewis Carroll qui nous perturbe, nous questionne, nous hante, nous invite à le suivre dans son terrier. Cette partie pourrait être qualifiée de pesante, poussive, plaintive et il faudra du temps pour en digérer chaque image, acceptant de laisser nous échapper de nombreuses références.
C’est assez kitsch, parfois provoquant, mais souvent édifiant. Le délit meurtrier de Clytemnestre souhaitant venger avec l’aide de son amant Egisthe la mort de sa fille Iphigénie, sacrifiée par Agamemnon, est à lui seul l’expression d’une violente tragédie.
La seconde partie quant à elle s’ouvre sur un monde de silence. Les déplacements sont très chorégraphiques autour de la tombe du père d’Oreste, Agamemnon, réincarné en bouc sacrifié surgissant du cercueil, au bout d’une corde. Les jeux de masques se poursuivent et les corps aux apparences de clown apparaissent dans une autre vengeance : celle d’un fils envers son père, envisageant un matricide hallucinant. Si sur le plateau tout semble plus lumineux, le sens demeure obscur dans beaucoup de passages. Alors on se raccroche au bras mécanique, celui qui donnera la mort avant qu’un bruit sourd, puissant et vibrant ne vienne mettre fin à une tragédie inéluctable. Puis, comme dans une boule de cristal, de vrais singes évoluent et déambulent, sans cesse chassés par Oreste, rongé par la culpabilité, nous laissant sous le choc de cette dernière vision.
L’Orestie marque les balbutiements passionnants de la création de Castellucci. Certes le spectacle contient des maladresses mais il faut une bonne dose d’humilité et de modestie pour accepter de représenter telle quelle une œuvre montée il y a vingt ans sans chercher à l’actualiser, à la reconstituer. Nous en ressortons sonnés une fois de plus, perplexes sans aucun doute, mais impressionnés par cette expérience théâtrale hors-norme. Un retour aux origines pour conclure deux années de portrait, l’idée est bien belle en nous donnant à redécouvrir ce qui se présente comme étant l’un des spectacles les plus exigeants du metteur en scène italien.