Critiques pour l'événement Le Monde d'hier
3 avr. 2016
3/10
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Mettre en scène Le Monde d’hier aujourd’hui est un acte engagé. En balayant les tourments des deux Guerres mondiales, L’autobiographie de Stefan Zweig éclaire aussi en miroir les zones troublées de notre présent. Constat sans appel de la mort de la culture et des illusions, ce témoignage essentiel du fameux tournant de siècle est porté au Théâtre des Mathurins par Patrick Pineau et Jérôme Kircher. Seul sur le plateau, ce dernier distille une douleur rentrée touchante mais monotone, plombée en outre par un travail scénique fade et figé.

Le pacte autobiographique du Monde d’hier se veut sans détour : loin de la visée narcissique traditionnellement associée au genre, Zweig souhaite rendre compte de l’amoncellement d’épreuves et de catastrophes endurées. Laisser une trace à la postérité en se faisant le porte-parole d’une génération marquée du sceau du traumatisme. Articulé autour d’une tension entre l’enfance dorée et heureuse au sein de l’intelligentsia viennoise et la violence des guerres, cette confession marque l’itinéraire d’une société en perte de repères, apatride et chassée de son paradis perdu. Le décalage entre la paix et la boucherie ; le cosmopolitisme et la ségrégation ; la liberté de pensée et le culte totalitaire, frappe. Rilke, Rodin, Beethoven côtoient Hitler.

L’abus de sobriété nuit à la santé
Jérôme Kircher se projette sobrement en Zweig : les troubles affleurent sans pathos, la dignité désabusée est belle et limpide. Cependant, la ligne interprétative stagne et l’on pique du nez parfois. La mise en scène, trop discrète, ne brille pas par son audace : elle paraît presque inexistante. Un fond sonore quasi inaudible ; des déplacements hasardeux de chaise pour tenter combler un immobilisme pesant ; un livre pioché sur une étagère histoire d’occuper les mains… Tout cela semble un peu léger et triste : un thème lourd à porter ne signifie pas pour autant une adaptation scénique rigide et guère imaginative.

À trop vouloir verser dans la sobriété, ce Monde d’hier pêche par manque de mordant. Malgré un texte fort et qu’il est nécessaire de lire, cette version 2016 devient presque léthargique à force de statisme. Jérôme Kircher se débrouille plutôt bien en narrateur-acteur déboussolé mais l’attention se délite faute de peps.